L’INTERVENTION DU LEGISLATEUR DANS LE TRAITEMENT DU DESEQUILIBRE CONTRACTUEL

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L’absence d’intégration des concepts émergents

Le désengagement du législateur face au traitement judiciaire du déséquilibre contractuel a conduit les auteurs à contribuer à la conceptualisation de nouveaux fondements qui s’inspirent et s’affranchissent de ceux classiques. L’engouement doctrinal, autour de nouvelles notions ou d’anciennes requinquées, participe de l’impérieuse nécessité d’une stimulation du créancier à adhérer librement ou autoritairement à la correction judiciaire du déséquilibre contractuel.
L’élasticité est consubstantielle aux notions à contenu variable notamment dans leurs infidélités la sécurité contractuelle en droit commun. Il semble pourtant que l’orientation de l’émergence de ces nouvelles notions appartient au législateur. Ce dernier pourrait s’en inspirer pour habiliter le juge à traiter le déséquilibre contractuel en droit commun ou rester passif en réduisant ce dynamisme doctrinal à un divertissement passionné. Il est nécessaire de placer l’émergence du solidarisme contractuel (Para.1) dans son contexte à l’instar d’autres concepts dont l’étirement (Para.2) suscite des doutes dans la correction judiciaire du déséquilibre dans les transactions

L’émergence du solidarisme contractuel

Le solidarisme exprimerait l’idée d’une solidarité inachevée dans la correction autoritaire du déséquilibre contractuel. Sa vocation à permettre au juge de secourir le débiteur, même contre la volonté du créancier, est redoutée.
Pourtant, en raison de l’emprise de l’autonomie de la volonté, le solidarisme contractuel est une solidarité volontaire (A) et régulée (B) dans la correction judiciaire du déséquilibre dans les engagements obligatoires.

Le solidarisme contractuel, une solidarité volontaire

Le solidarisme découle du terme « solidaire ». C’est une philosophie qui est née à la fin du XIXème siècle à un moment où la conception individualiste de la politique et du droit paraissait mener à une impasse. Dans la correction judiciaire du déséquilibre contractuel, le solidarisme traduirait un maintien statique d’une solidarité volontaire (1) et l’éviction d’une solidarité forcée (2)

Le maintien statique de la solidarité volontaire

Le « solidarisme » est consubstantiel au concept « solidarité » qui est issu de l’adjectif latin « solidus » qui veut dire : « dense », « solide », « fixe ». L’adjectif « solidus » signifie aussi ce qui est entièrement ferme et invariable. Pris substantivement, la neutralité de cet adjectif a donné naissance à l’appellation « solidum ». À partir de là est née la locution latine « in solidum » qui signifie « au tout312 ». Le concept « solidarité » a une origine juridique. Dès le XVe siècle, le langage juridique fait usage de l’adjectif « solidaire ». Cet adjectif justifie l’obligation de plusieurs personnes à « répondre du tout ».
La majorité des dictionnaires et encyclopédies antérieurs au XVIIIe siècle définissent cet adjectif comme étant l’ensemble des obligations que passent plusieurs personnes en commun, chacune étant tenue de payer la totalité de la dette. Le solidarisme contractuel trouve notamment ses origines dans les réflexions de Durkheim313. On la retrouve particulièrement sous la plume de Léon bourgeois314 qui a inspiré Demogue315. C’est une doctrine sociale qui opère une rupture avec la philosophie Rousseauiste du contrat social dans la mesure où « elle substitue au fondement du lien social reposant sur un contrat social librement conclu entre des individus, celui d’une société déjà constituée à laquelle les individus s’agrègent316 ». Dans cette philosophie l’individu s’agrège à la société, il devient en outre débiteur de tous les autres membres qui la composent.
Il s’en remet à l’Etat pour procéder à la répartition des droits et des devoirs notamment pour déterminer la mesure exacte de sa dette. En d’autres termes, il faut que chacun paie sa dette à l’égard de la société laquelle (dette) varie d’un individu à un autre.
A charge pour l’Etat de répartir les bénéfices de la façon la plus profitable à l’ensemble de la collectivité afin de réaliser une harmonie au sein de la société humaine composée d’individus inégaux317. Elle constitue une pragmatique remise en cause du volontarisme contractuel qui privilégie le postulat d’égalité entre les contractants.
La contractualisation de masse de la société mondiale, soutenue par le phénomène de la mondialisation des économies, aboutit à la production des figures contractuelles inédites voire insoupçonnées. Des rapports d’obligations développent l’unilatéralisme qu’on retrouve, à la suite des contrats d’adhésion, dans les contrats de dépendance. Nous sommes donc entrés dans l’ère des rapports contractuels unilatéraux qui intensifie le règne des pouvoirs contractuels.
La liberté contractuelle est pervertie en unilatéralisme contractuel d’où la nécessité d’une résurgence de la doctrine solidariste.
La nouvelle préoccupation, en droit des contrats, consiste à corriger le déséquilibre contractuel en valeur sur la base d’une inégalité de fait qui transcende l’égalité de droit. L’indifférence au déséquilibre des prestations est contournée par une quête de l’équilibre des pouvoirs.

L’éviction dynamique de la solidarité forcée

Le critère de la force obligatoire du contrat est l’attente raisonnable qu’elle suscite chez les parties et qui pourrait être appréciée par un tiers extérieur aux contractants : le juge.
La correction judiciaire forcée du déséquilibre contractuel est une profanation de la parole sacrée qui est la force obligatoire dans les engagements librement consentis.
La liberté de s’engager est le corollaire de celle d’aller au bout de son engagement quel qu’en soit le prix à payer. C’est sur cette lancée que l’invocation du déséquilibre contractuel par le débiteur est un caprice et sa correction forcée par le juge est considéré comme une prétention infondée dans la conception volontariste du contrat.
Le passage de témoin entre l’adaptation conventionnelle et la correction judiciaire s’effectue grâce à un solidarisme contractuel volontaire dicté par le créancier et non une solidarité forcée qui serait synonyme de son insécurité dans la conception volontariste. Pourtant, le solidarisme contractuel parait tout à fait apte à gérer et à surmonter les difficultés liées aux modifications de circonstances économiques dans les contrats à exécution successive ou échelonnée. Cela est aussi valable pour le traitement judiciaire du déséquilibre dans les contrats lésionnaires.
Pour cela, le solidarisme contractuel correspondrait mieux que l’individualisme à un droit des contrats qui intègre une vision non binaire du temps et une conception moins abstraite de la liberté332.
Le concept de solidarisme contractuel assure une plus grande souplesse d’exécution du contrat lorsque celui-ci est conclu pour une longue durée, en permettant d’atteindre le résultat minimum que visait chacune des parties au moment de sa formation, alors que les conditions de son exécution ont modifié leurs prévisions. Le solidarisme est la traduction de la solidarité du créancier à consentir des sacrifices raisonnables pour faciliter le traitement du déséquilibre contractuel. Ces difficultés s’expliquent notamment par le fait qu’en 1804, les rédacteurs du code civil n’ont envisagé le temps que d’une manière statique333.
Le solidarisme contractuel présente certains avantages, que le volontarisme contractuel ne saurait passer sous silence, dans la mesure où il peut fonder le traitement judiciaire du déséquilibre contractuel. Lorsqu’il n’est pas une solidarité volontaire dans l’adaptation négociée du contrat, il va falloir la forcer autoritairement pour permettre au juge de corriger le déséquilibre dans les engagements contractuels en droit commun. Ce qui lui a valu des critiques virulentes qui peuvent être justifiées quoi que discutables.
La doctrine solidariste a été fragilisée par des critiques destinées à l’empêcher de surmonter la majestueuse sécurité individualiste des transactions.
Le solidarisme a connu et connaît actuellement depuis environ trente ans, un certain retentissement en droit des contrats puisqu’il a permis de façonner certains concepts comme : « l’obligation contractuelle de sécurité, l’obligation d’information, la représentation au sein des groupements, une nouvelle conception de l’abus en matière contractuelle, une nouvelle conception de la théorie des risques etc.334… ». Ces avancées remarquables s’acquièrent suite aux constats de la transformation des relations contractuelles en terrain de prédilection d’une adversité féroce entre des protagonistes divergents d’intérêts. La critique principale adressée à la doctrine solidariste est qu’elle affaiblit la prévisibilité des relations contractuelles et fragilise la force obligatoire du contrat en diminuant la vigueur du lien contractuel. Cela, de bonne guerre, est une lecture exclusivement volontariste du contrat.
Comme le flou supposé ou avéré de toutes les notions à contenu variable, le solidarisme contractuel fait l’objet de tous les « vices » tant qu’il n’est pas reconnu par le législateur dans le traitement judiciaire du déséquilibre contractuel. Dans cette optique, le solidarisme contractuel joue un rôle décisif en permettant au juge de corriger les relations contractuelles inégalitaires. Il justifie sa triste réputation de solidarité forcée dans la perspective de pouvoir défaire le lien contractuel au profit de la partie faible au lieu de le construire dans une vision purement libérale qui demeure profitable au créancier.
Ce qui explique la prudence de certains auteurs qui dénoncent l’application de cette doctrine car il n’y a pas : « de critère et de règle qui permettent de comprendre et d’anticiper l’application avec un minimum d’objectivité335». Cet argument est défendable mais peu décisif dans la correction judiciaire du déséquilibre contractuel. L’objectivité, à notre avis, c’est plutôt une solidarité agissante qui mutualise le risque dans la correction autoritaire du déséquilibre conjoncturel ou en cas de manque d’intérêt pour une partie dans le déséquilibre structurel.

La méfiance face à la variabilité du juste juridique

La restauration de l’équilibre contractuel, par la recherche du juste juridique, passe également par une sage analyse des principes du raisonnable (1) et de cohérence (2) surtout lorsqu’ils manifestent l’insoutenabilité du déséquilibre économique dans le contrat.

Le principe du raisonnable

La théorie du raisonnable a été développée par plusieurs auteurs401. Le raisonnable est une interpellation de l’insoutenabilité des conséquences du déséquilibre contractuel à travers la lésion et les bouleversements de circonstances économiques.
C’est un complément de l’utilitarisme qui consiste, à cout de concessions économiquement raisonnables, à permettre au débiteur de justifier le maintien de la contrepartie attendue. Le raisonnable dans la correction autoritaire du déséquilibre contractuel a une double connotation. De prime abord, son apparence psychologique cache une analyse économique du juridiquement correcte.
D’un côté, il s’agit de relever le caractère raisonnable du comportement des parties dans l’acceptation du risque contractuel dans le traitement judiciaire du déséquilibre conjoncturel. En concluant précipitamment ou délibérément le contrat, en absence d’une prévention du risque, les parties sont supposées l’avoir accepté.
Cependant, dans le traitement judiciaire du déséquilibre conjoncturel, le raisonnable signifie que le débiteur ne saurait tacitement s’engager à courir seul le risque des conséquences néfastes de l’imprévu. Les bouleversements de circonstances économiques conduisent à une onérosité qui, lorsqu’elle aboutit à une inexécution fautive de la convention, engagerait la responsabilité contractuelle du débiteur. Dans ce cas, une présomption de mauvaise foi découlerait de l’insolvabilité du débiteur en cas d’exécution extrêmement onéreuse conduisant une inexécution du contrat. La distinction devient difficile, autant que l’exécution, entre le vouloir et le pouvoir du débiteur à honorer ses engagements dans la correction judiciaire du déséquilibre conjoncturel. Dans les bouleversements de circonstances économiques, la logique du raisonnable est que si les parties ne peuvent programmer une exécution indemne c’est-à-dire sans risque, il ne faut pas cependant qu’en cas difficultés d’exécution indépendante de leur volonté, le débiteur soit le seul à supporter le risque. Il n’est pas raisonnable d’abandonner le sort du débiteur à la contingence dans l’exécution du contrat. Le contrat est la chose des parties, il devrait le reste logiquement en droit commun par la prise en charge raisonnable des caprices du temps et de l’influence négative de son environnement d’exécution.
De l’autre côté, le raisonnable interroge l’improbable volonté d’une partie de s’engager à perte. Dans la pratique, bien qu’en sachant qu’il existe un avantage contrôlé dans sa réalité grâce à la cause de l’engagement lors de la formation du contrat, cette contrepartie n’est pas toujours juste. Le contrôle de l’équilibre dans la conclusion des engagements obligatoires en droit commun consiste à vérifier que la contrepartie existe et qu’elle ne saurait être dérisoire lorsque les parties s’engagent librement dans une relation contractuelle. Ce qui suppose que les contractants ont raisonnablement souscrits à protéger au mieux leurs intérêts.
A partir de cet instant, la recherche d’un raisonnable économique ultérieur à la formation du contrat, au motif de l’existence d’un déséquilibre structurel, devient juridiquement déraisonnable. Ce qui semble exclure, à notre sens, le risque de se tromper.
Le raisonnable dans le déséquilibre structurel est qu’un contractant en pleine jouissance de toutes ses facultés mentales ne s’engagerait à vendre pour perdre. D’ailleurs on peut déceler d’une telle fausse générosité, une intention frauduleuse de léser autrui par la conclusion d’un contrat fictif. Nous pensons d’ailleurs, de bonne foi, que c’est qui a fait dire à certains auteurs que : « la liberté contractuelle n’assure plus automatiquement la justice, il y a moins d’inconvénients à la supprimer par une réglementation légale impérative et préventive qu’il n’y en aurait à la maintenir au stade de l’échange des consentements, tout en permettant au juge de modifier après coup ce dont les parties sont convenues402.
Monsieur Dugong considère que : « dans un premier temps, le raisonnable permet de repérer le déséquilibre excessif. Dans un second temps, la proportionnalité vient corriger l’excès de déséquilibre403.
Le standard de l’homme raisonnable ne celui qui ne serait ni exagérément pessimiste ou optimiste, ni insouciant dans la même situation que les parties au contrat404.
Le déraisonnable révèle l’abus de droit en l’absence de motifs sérieux, l’intention de nuire, la mauvaise foi ou encore une faute que ne commettrait pas une personne raisonnable. Il suffit qu’on puisse relever dans la conduite, du titulaire du droit, l’absence des précautions que la prudence d’un homme attentif et diligent lui aurait inspirées405.
Ce raisonnable est le bon sens dans la confiance placée en l’autre. Ce qui n’en fait pas une croyance aveugle synonyme de risques incalculés frôlant la naïveté des parties.
La notion de raisonnable, tout comme les autres fondements dans leurs acceptions favorables au traitement judiciaire du déséquilibre contractuel, tente une conciliation entre la sécurité du créancier avec la justice pour débiteur dans les engagements obligatoires.

De la lésion objective à la lésion qualifiée

La lésion qualifiée n’est pas connue du vocabulaire juridique Malien pour ne pas dire africain. Ce qui explique son absence de définition légale. C’est une construction théorique indispensable dans la compréhension de l’apport de la doctrine pour pallier l’indifférence du droit positif à correction autoritaire de l’inéquivalence des prestations dans la formation du contrat. La lésion qualifiée est une exploitation entraînant un profit déraisonnable et injustifié est un manquement à l’obligation de bonne foi. Elle est également appelée théorie de l’exploitation. En droit comparé nous constatons que le législateur québécois a rejeté le concept de lésion contractuelle alors même que la disproportion entre les prestations des parties résulterait de l’exploitation d’un cocontractant en situation de vulnérabilité905.
La question de l’adoption par les juridictions françaises « d’une théorie de la lésion qualifiée » a été soulevée depuis 1920 grâce à une proposition de loi connue sous le nom de loi Guipal et Dupin qui a été déposée pour consacrer l’admission générale de la lésion aussi bien en matière immobilière que mobilière906. Ce texte qui devait compléter l’article 1118 code civil disposait que : « la lésion est une cause de rescision des conventions si la disproportion des obligations qui en résulte est énorme et a été déterminée par l’exploitation de la gêne, de la légèreté ou de l’inexpérience du lésé »907. Les codes étrangers qui appliquent la théorie de la lésion qualifiée évoquent la « disproportion évidente908 » ou « sérieuse909 » voire la disproportion « supérieure à la moitié de la valeur910 ».

La diligence dans la moralisation de la justice contractuelle

La moralisation de la correction du déséquilibre contractuel a une double connotation. D’un côté, la moralisation permet une juridicisation des règles en leur reconnaissant une sanction juridique sur la base des valeurs qu’elle exprime. Dans cette logique la morale inspire la sanction de la règle de droit. De l’autre côté, la moralisation peut signifier également un dépassement de l’ordre moral sur l’ordre juridique. La justice est une valeur morale suprême qui affirme, justifie et fait triompher l’égalité et l’équilibre contractuels par l’intermédiaire du droit. Le juste contractuel, c’est la morale qui l’exige mais c’est le droit qui le réalise. La moralisation de la justice contractuelle a favorisé l’émergence d’une autre
philosophie du contrat définie par la correction des inégalités entre les contractants916 sanctionnant les avantages excessifs (A) et la résurgence de l’information (B) mobilisée au delà de ses acceptions naturelles

La moralisation de la correction dans la sanction des avantages excessifs

Traditionnellement le juste juridique est commutatif. Toutefois cette commutativité ne s’émancipe globalement pas des conséquences de l’autonomie de la volonté en droit commun. Pourtant, la justice contractuelle se réalise par la correction des comportements abusifs grâce à un élargissement du juste juridique dans la sanction de l’abus (1) et de l’immoralité (2) des contractants.

Le juste juridique dans la sanction de l’abus

La lésion est un décalage entre le prix stipulé et la valeur de la prestation. Le prix exprime la mesure de la valeur par les parties917. Le mécanisme des prix joue un rôle régulateur tout à la fois irremplaçable et exclusif918.
Le recours aux prix peut être une option intéressante car il désigne le cout, la valeur c’est à dire ce qu’il faut débourser pour acquérir un bien ou un produit ou pour rémunérer une prestation de services919. Le prix juste c’est une opinion sur une valeur exprimée par rapport à un environnement économique et sociale en ce sens que la valeur accordée aux biens est fonction de l’utilité qu’ils représentent pour les agents économiques920.
De l’avis du législateur, la lésion n’est ni nécessaire, ni suffisante pour caractériser l’abus dans la détermination du prix en droit commun en raison d’une égalité des parties. La substitution d’une logique de pouvoir à la logique contractuelle conduit à déplacer le contrôle de l’équilibre contractuel. Mazeaud rappelle le principe que : « la seule présence d’un déséquilibre contractuel est une condition nécessaire mais pas suffisante de l’intervention du juge, gardien et garant de l’équilibre contractuel921». L’évolution jurisprudentielle en droit comparé démontre que cette affirmation, bien que justifiée dans la conception libérale, n’est pas aussi indispensable dans l’indétermination du prix dans les contrats- cadres voire en matière de vente immobilière.
D’un côté, la lésion ne suffit pas à caractériser l’abus dans la détermination du prix à travers les contrats – cadres. Elle permet, certes, de la rendre vraisemblable mais elle n’est qu’un critère objectif parmi des éléments subjectifs. Or l’abus est avant tout une faute comportementale. Dans la détermination unilatérale du prix, l’arrêt de 1995 fait appel à une appréciation subjective du comportement alors que le litige se noue autour de données économiques objectives. La solution consistant à prévoir une fixation unilatérale du prix dans les contrats – cadres semble classique.

Le juste juridique par la sanction de l’immoralité

La conception volontariste contrat, en droit commun, semble indifférent à la moralité des contractants. Ce qui en fait le fondement le moins sollicité à défaut d’être banni du monde des affaires. Faire dépendre la lésion de l’existence d’une faute de la part du contractant, qui en tire profit, lui confère une connotation morale redoutée surtout lorsqu’elle est utilisée autoritairement. Dans le raisonnement juridique, c’est contraire à la philosophie libérale du marché. La répression d’un tel comportement délictueux n’est plus seulement justifiée par l’équilibre qui doit régner dans les rapports contractuels privés.
L’adoption de la conception morale pour atteindre l’équilibre contractuel passe par une incrimination d’un comportement déloyal du contractant lésé. Le législateur limite la lésion au défaut minimaliste d’équivalence entre les prestations librement échangées.
Pourtant, une tendance doctrinale basée sur la faute ou l’exploitation est née sous l’influence du droit allemand sur base du juste salaire pour une prise de conscience des rapports de force inégaux qu’entretiennent les patrons et leurs salariés. C’est le dépassement de la lésion objective à celle subjective. Contrairement à la lésion objective basée sur l’équilibre initial des prestations, la lésion qualifiée se caractérise par un double critère, qui « synthétise les approches objectives et subjectives»931. Selon Monsieur Chazal : « l’abus de puissance économique consistera dans l’instauration d’un déséquilibre dans les prestations réciproquement stipulées, l’économiquement puissant abusant de sa force au détriment de l’économiquement faible »932. L’analyse approfondie de la notion de puissance économique renforce l’intérêt suscité par une telle définition en droit allemand : « est notamment nul tout acte juridique par lequel une personne, en exploitant le besoin, l’inexpérience, le défaut de capacité de jugement ou les importantes faiblesses de volonté d’autrui, se fait promettre ou accorder à elle-même ou à une autre personne, en contrepartie d’une prestation, des avantages patrimoniaux qui sont, par rapport à cette prestation, dans une disproportion choquante933».
Deux conditions cumulatives sont donc exigées. La première, objective, tient au constat d’une disproportion flagrante entre les prestations échangées par les contractants.
La seconde, subjective, s’analyse en une exploitation consciente de la situation de la victime de l’acte lésionnaire.
L’influence de la morale sur la règle juridique est sensible dans une perspective historique. Nombre de mécanismes font appel à des conceptions qui dépassent la simple recherche de la solution juste. C’est la recherche entreprise par Ripert dans son ouvrage les règles les plus techniques du droit934. Selon lui, l’imprégnation de la doctrine chrétienne a profondément transformé la nature et la teneur de la règle juridique. La loi morale n’est pas seulement un « vague idéal de justice mais cette loi bien précise qui régit les sociétés occidentales modernes et qui est respectée parce qu’elle est imposée par la foi, la raison, la conscience, ou tout simplement par habitude ou par respect humain »935.
Plus efficace que le critère imprécis du juste, la règle morale fournit des directives claires, susceptibles d’être transposées efficacement dans l’ordonnancement juridique. A ce titre, « le problème le plus grave que soulèvent les rapports du droit et de la morale dans le contrat est assurément celui de la lésion ; c’est aussi le plus connu et peut-être le plus insoluble »936.
Le comportement du contractant, qui profite des avantages extorqués, est donc directement condamné par la législation allemande. Au demeurant, la disposition sanctionnant le Wucber, littéralement l’usure, n’est qu’une application particulière du § 138 alinéa premier, selon lequel : « est nul tout acte contraire aux bonnes mœurs ». Il convient d’entendre largement l’expression : « bonnes mœurs, qui concerne non seulement la morale des mœurs mais aussi celle des affaires. La nullité est donc encourue lorsque le déséquilibre constaté par les juges est tellement grave qu’il en devient immoral. Par le respect imposé d’un comportement irréprochable moralement, le droit allemand parvient à faire respecter une certaine justice contractuelle. Son influence sur la définition de la lésion adoptée par les législations de l’époque est exemplaire937. On retrouve des définitions similaires dans des législations contemporaines. En droit québécois : « la lésion résulte de l’exploitation de l’une des parties par l’autre, qui entraîne une disproportion importante entre les prestations des parties»938.

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Table des matières

Introduction
PREMIERE PARTIE : LE DESENGAGEMENT DU LEGISLATEUR FACE AU TRAITEMENT DU DESEQUILIBRE CONTRACTUEL
Titre 1 : Le refus de l’intervention légale dans le traitement du déséquilibre des prestations
Chapitre 1 : L’interdiction du traitement judiciaire
Chapitre 2 : La surévaluation du traitement par les parties
Titre 2 : Le refus critiquable de l’absence d’intervention légale dans le traitement du déséquilibre des prestations
Chapitre 1 : La banalisation de la sécurité contractuelle
Chapitre 2 : La minimisation de la justice contractuelle
DEUXIÈME PARTIE : L’INTERVENTION DU LEGISLATEUR DANS LE TRAITEMENT DU DESEQUILIBRE CONTRACTUEL
Titre 1 : Les mécanismes légaux de traitement du déséquilibre des pouvoirs
Chapitre 1 : Les remèdes légaux de prévision du déséquilibre des pouvoirs
Chapitre 2 : Les remèdes légaux de correction du déséquilibre des pouvoirs
Titre 2 : Vers des mécanismes légaux de traitement du déséquilibre des prestations
Chapitre 1 : La nécessité d’un renouvellement de la sécurité contractuelle suite au déséquilibre conjoncturel
Chapitre 2 : La nécessité d’une réhabilitation de la justice contractuelle suite au déséquilibre conjoncturel
Conclusion générale
Bibliographie

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