L’intérêt du pliage pour questionner l’espace

« Le pli, c’est le mystère, le caché, ombre et lumière, l’empreinte, la métamorphose, c’est aussi l’ondulation, la liberté… ». Jean Clair Le pli représenté dans l’art est issu d’une tradition picturale, sculpturale et architecturale. Depuis l’Antiquité, le pli du vêtement est travaillé en sculpture, permettant de créer des reliefs réalistes, sublimant les corps (Cresilas, Phidias). Dans la peinture, et notamment à partir de la Renaissance, les artistes s’attardent sur la représentation de drapés, mettant en valeur des effets d’ombres, de lumières et de mouvement, de rendu des matières et des textures, ainsi qu’une maîtrise de l’illusion (Botticelli, Le Titien). La maîtrise du pli permettait donc aux artistes d’exposer leur talent, en faisant preuve de subtilité, voire d’ambiguïté, de suggérer sans montrer, de jouer de jeux d’ombres et de traits flous, ce qui exige technicité, mais aussi imagination narrative et symbolique. D’autres artistes plient et déplient des matériaux, tels que le métal, la feuille de bois, le tissu mais aussi le papier utilisé dans l’art ancestral asiatique de l’origami, ou plus actuellement grâce à des procédés utilisés, par exemple, dans les livres animés (pop-up). Dans l’art contemporain, il peut être utilisé comme procédé créatif, à la fois dans la peinture (Hantaï, Manzoni, Achrome), dans l’installation (Christo et Jeanne Claude, The Pont Neuf Wrapped), dans la photographie (Tolino, Vialaret, Caravagesques), dans la vidéo (Alain Fleischer, l’homme dans les draps), dans le design et dans la mode, qui en est avant tout la principale source d’inspiration (Issey Miyaké). Le pli est une continuité de lignes qui s’attirent ou s’opposent. Le tout se sculpte pour former un espace. Le pliage peut donc servir pour créer une structure, un relief, mais aussi un mouvement, une articulation, une forme en creux, les possibilités et les intentions deviennent alors multiples. Il prend donc la fonction de générateur d’espace.

« Bien des sciences supposent l’espace; l’art, quant à lui, le produit. » Jean-Paul Galibert La maîtrise de l’espace et de ses représentations est un enjeu majeur de l’Histoire des arts. L’espace peut être suggéré. Dans l’art Egyptien, puis au moyen âge, on constate une frontalité et une planéité de l’espace. Bien que la perspective euclidienne apparaisse dans l’antiquité grecque et romaine, ce n’est qu’à partir du XIVe siècle que les peintres cherchent à donner plus de profondeur à leurs œuvres (Giotto). L’avènement de la perspective se fera à la Renaissance, les artistes tels que De Vinci, ou encore Piero Della Francesca s’inspirent et construisent l’espace selon les règles euclidiennes. Les différentes techniques de représentation en perspective ont toutes en commun l’intention de représenter la vue d’objets, de personnages, de lieux à trois dimensions sur une surface plane, en tenant compte des effets de l’éloignement et de leur position dans l’espace par rapport à l’observateur. Quelques décennies plus tard, les artistes cherchent d’autres moyens, d’autres systèmes pour représenter l’espace (espace curviligne, anamorphose, trompe l’œil …).

Dès la seconde moitié du XIXe, la peinture rompt avec la mimésis (représentation ou imitation du réel). Les artistes affirment l’espace en deux dimensions du tableau comme un espace de création qui se libère du réel, tant pour la forme, la couleur, la lumière, le volume que l’espace. Au début du XXe siècle, la distance avec le réel s’accentue, avec l’arrivée de l’art abstrait. L’espace littéral (planéité du support) est affirmé, la peinture est affranchie de toute volonté de figuration, offrant ainsi au regard du spectateur toute l’exactitude de l’espace pictural. Elle cesse d’être une fenêtre ouverte sur le monde, mais s’assume pour ce qu’elle est, c’est-à-dire de la peinture dans sa réalité matérielle, bien qu’elle reste une « chose mentale » (« La pittura è cosa mentale », Léonard de Vinci). Parallèlement, certaines œuvres sont réalisées pour le lieu qu’elles occupent, on parle d’œuvre in situ. L’espace de l’œuvre est au service du spectateur qui peut créer des relations entre l’espace investi et l’œuvre d’art elle-même.

Fasciné par les possibilités qu’offre le papier, l’artiste Li Hongbo dit avoir découvert la nature flexible de cette matière grâce aux traditionnelles lanternes chinoises. L’artiste Chinois réalise des sculptures mobiles, qui semblent être, à première vue, moulées en plâtre. En réalité, celles-ci sont constituées de centaines de couches de papier empilées les unes sur les autres et collées ensemble pour former des structures modulables et dépliables à l’infini, comme de très longues guirlandes à déplier. L’artiste sculpte ensuite dans le bloc de papier à l’aide d’une scie circulaire et de petites meules. C’est donc la manipulation de l’artiste et du spectateur qui révèle la nature extraordinaire de la sculpture, réalisée dans un style, qui semble à première vue, très classique. Le dépliage révèle ensuite un caractère presque trivial, fragile, amusant, mais aussi dérangeant car on allonge le visage, on l’étire à l’infini, comme on écartèlerait une personne. Puis elle reprend sa place et sa forme élaborée et d’un réalisme bluffant.

Cloud, imaginé par les designers Ronan et Erwan Bouroullec, est un ensemble de tuiles textiles assemblables et modulables à l’infini. Elles sont combinées à l’aide d’élastiques. Grâce au pli présent sur chaque tuile, un jeu tridimensionnel permet de former une architecture à la fois fluide et désordonnée, mais aussi extensible. L’utilisateur devient aussi acteur, les notions de modularité, de combinatoire et de flexibilité questionnent ces usages quotidiens. « Nos objets doivent pouvoir se reconfigurer dans un contexte » (les frères Bouroullec, 2012). On pourrait presque ainsi parler d’œuvre in situ. (Une oeuvre « in situ » est exécutée en fonction du lieu où elle est montrée, pour y jouer un rôle actif, souvent jouant avec l’espace). Les modules pliés produisent un effet tridimensionnel qui structure l’espace en étant soit posés au sol, soit fixés au mur ou suspendus au plafond, tout en donnant une impression de légèreté, aussi mobile et éphémère qu’un nuage.

Au début des années soixante, Simon Hantaï va profondément renouveler la pratique du peintre en utilisant le pliage. L’idée lui serait venue en observant les plis présents sur le linge. Ainsi, l’artiste va manipuler, froisser, plisser la toile dans le but de constituer des volumes non présents sur la surface habituellement plane de celle- ci. Ces volumes qui conditionnent ensuite la répartition de la couleur non plus par le geste, mais par un procédé qui sépare l’acte de peindre de toute volonté de contour ou de remplissage. Le motif émerge de la forme même du support, ce qui est inédit.

Le procédé se décompose en trois phases Premièrement, il froisse et plie la toile. Puis, il recouvre de peinture la surface constituée par le regroupement des plis du tissu. Enfin, il la déplie. De ce fait, le résultat échappe à l’intentionnalité de l’artiste. Même si le résultat est abstrait, il peut provoquer l’étonnement, l’émotion, l’évocation d’un paysage, de textures qu’on peut trouver dans la nature… Le geste de l’artiste est redéfini, l’action de peindre devient donc secondaire, car c’est le pli qui fait l’image. La toile devient alors une matière souple, manipulable, et non plus tendue comme un écran ou traditionnellement, une fenêtre ouverte. C’est désormais un matériau à part entière permettant de produire ses propres motifs, participant à sa propre création.

Ainsi, la technique du pliage utilisée par l’auteur permet de préserver une partie de la toile. Une fois dépliée, celle-ci se compose de parties peintes, et d’autres laissées blanches. L’intérêt de la toile est donc cet agencement aléatoire de formes colorées et de formes laissées en réserve. On appelle réserves les plages non colorées qui laissent ainsi apparaître le support brut. Ces blancs ainsi réservés correspondent aux parties claires de la composition. Hantaï renouvelle cette pratique puisque le support lui-même est réservé. Il tire parti de l’aspect et de la structure du matériau de support et pour les faire ainsi entrer dans la composition. L’espace en 2 dimensions de la toile devient un espace en 3 dimensions lorsqu’il la plie, et lorsque qu’il la déplie, la toile porte les marques de division de sa surface, matérialisées graphiquement par les traces de peinture.

Diplômé de l’académie des Beaux-Arts de Düsseldorf, Simon Schubert joue avec les caractéristiques du langage architectural et spatial en créant, à partir de papier blanc et du principe du pliage, des images complexes d’intérieurs de maison, mettant en valeur les moulures, parquets et détails architecturaux. La technique du pli apporte ainsi une tridimensionnalité à l’image, à travers les lignes, les angles, les cercles qui sont soulevés de quelques millimètres. Ainsi, ce relief permet un jeu d’ombre et de lumière créant une légère illusion de profondeur, qui s’ajoute à celle de la perspective des lignes de fuite, un réalisme limité, mais qui laisse entrer le doute. Le spectateur est attiré par les volumes des pièces et dans ces espaces qui semblent infinis …

Le terme « ORIGAMI » vient du verbe japonais « ORU » qui veut dire « plier », et du nom « KAMI » qui veut dire « papier ». L’origami est l’art du pliage de papier, permettant de réaliser, à l’aide d’une simple feuille de papier, généralement de forme carrée, une succession de pliages ingénieux, pour arriver, sans opérer de découpage ou de collage, à la représentation figurative ou non, de toutes sortes de modèles.

“L’origami se tient en équilibre entre l’art et le jeu. C’est un art régi par des règles strictes et simples comme celles d’un jeu ; ou bien c’est un jeu qui peut produire un travail d’art. L’origami ressemble à un problème d’échecs d’une part et à une composition musicale de l’autre. Parce qu’il possède des règles et parce que le champ d’action est limité dès le départ, l’origami est une activité dans laquelle la perfection peut être obtenue.” Samuel Randlett, 1971 .

L’origami est une forme de langage qui doit respecter de nombreuses règles mathématiques et géométriques. La construction d’un système plié doit suivre un ordre séquentiel, appelé algorithme. Joel Lamere (assistant professeur en géométrie architecturale, conception et représentation au Massachusetts Institute of Technology et cofondateur de l’agence d’architecture GLD), envisage le pli comme un langage qui s’apprend dans un premier temps par la lecture des algorithmes et des codes graphiques servant à décrire l’origami. Avec une certaine expérience, il est possible de parler ce langage, c’est-à-dire être capable de plier avec précision le matériau, soit en réalisant un origami de mémoire à force de le faire, soit de plier d’autres modèle ou d’autres matières en anticipant un résultat. Mais il faudra une grande maîtrise pour écrire de nouveaux motifs de pli et être suffisamment à l’aise pour se corriger.

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Table des matières

Première partie Recherches théoriques
1. Le pli
1.1 Le pli comme matière
1.2 Le pli comme procédé
1.3 Le pli comme méthode
2. L’enfant et l’espace
2.1 La construction progressive de la notion d’espace
2.2 Les stades de construction de la notion d’espace
3. Agir dans l’espace
3.1 L’occupation de l’espace
3.2 La connaissance des notions spatiales
3.3 L’orientation spatiale
3.4 L’organisation spatiale
3.5 Compréhension des relations spatiales
Deuxième partie Cadre expérimental
Troisième partie Analyse
Conclusion

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