Infirmière depuis 16 ans, j’ai exercé mon métier en service d’oncologie, maladie infectieuse et hôpital de jour de médecine interne. Mon expérience professionnelle m’a amenée à rencontrer différentes catégories de patients : certains atteints de cancer, VIH, VHC, ainsi que des personnes âgées. Pour moi la prise en charge globale du patient est très importante et pendant toutes ces années j’ai été soucieuse de préserver la part qui m’est la plus précieuse dans notre métier : la part relationnelle. En janvier 2018 j’ai intégré l’Équipe Mobile de Soins Palliatifs (EMSP). Je travaille en pluridisciplinarité avec un médecin (mi-temps) et une psychologue (mi- temps, également). Nous intervenons dans différents services de l’hôpital, notamment en Hôpital de Jour (HDJ) de Médecine et Gastrologie. En avril 2018 je rencontre pour la première fois Monsieur Z, atteint d’un cancer du pancréas avec des métastases hépatiques et pulmonaires. Son cancer a été diagnostiqué en janvier 2018, suite à des douleurs abdominales qui évoluaient depuis septembre 2017. En février 2018 il a commencé une chimiothérapie palliative type Folfirinox. Le médecin de l’HDJ a fait appel à l’EMSP pour « prise en charge de la douleur ». Je vois ce patient à plusieurs reprises et à chaque fois la douleur est la plainte principale. Les traitements antalgiques sont réajustés régulièrement devant cette persistance du discours et du symptôme. Seulement, Monsieur Z ne semble pas adhérer à ce traitement.
NARRATION DE LA SITUATION CLINIQUE
Le 20 avril 2018 je me rends à l’Hôpital de jour à la demande du médecin pour rencontrer Monsieur Z. Le motif est « la prise en charge de la douleur ». Lors de notre première rencontre je vois Monsieur Z en présence de sa femme. Il est souriant, l’échange est facile, agréable. J’apprends qu’il est d’origine marocaine, qu’il est arrivé en France dans les années 60 et a exercé dans le bâtiment. Il me parle de ses enfants : « on en a 3, un est médecin, ophtalmologue ». A plusieurs reprises il m’explique l’implication de son fils dans la prise en charge de la maladie « il habite loin, mais il a des amis dans l’hôpital, ça aide », « il me conseille beaucoup ».
Dans les plaintes relevées ce jour il y a une douleur abdominale. C’est une douleur plutôt hypogastrique, à type de spasmes avec plusieurs épisodes par jour, peu soulagée par le Spasfon et le Paracétamol. L’échelle d’évaluation sera l’Échelle Verbale Simple « la douleur est forte, à pleurer ». Le transit est perturbé également : alternance de diarrhée et constipation avec des faux besoins, ainsi que des flatulences. Il sort très peu à cause de ses troubles digestifs. Il me dit qu’il attend avec impatience le scanner de contrôle pour savoir « si ça marche » et la consultation avec son oncologue. Suite à la discussion téléphonique avec le médecin de l’EMSP et l’échange avec le médecin de l’HDJ, l’introduction d’Actiskenan est proposée avec du Débridat et du Spasfon en systématique, associés à un traitement laxatif. Par la suite je revois le patient et sa femme et je leur explique les modalités de la prise de ce traitement. Je leur donne également des conseils alimentaires. Je revois ensuite le patient le 4 mai pour une évaluation de la douleur et du traitement, interrogeant son efficacité et sa tolérance. Le médecin m’explique qu’au dernier bilan d’évaluation on retrouve une réponse partielle de la maladie. Devant cette réponse le Folforinox sera poursuivi 3 mois supplémentaires. L’entretien se fait en présence de sa femme qui l’accompagne à chaque venue à l’hôpital. Elle participe aux entretiens et souvent répond aux questions posées à son mari. Parfois j’ai deux réponses opposées à mes questions. Le patient dit avoir une légère amélioration de la douleur, mais parfois « la douleur est très forte », il prend 1 interdose (ID) en 24 heures. Suite à mes ré-explications sur les modalités de la prise d’ID le patient me répond : « mon fils m’a dit de ne pas trop prendre de la Morphine ». Cette réponse m’interpelle. Le patient change de sujet, me parle de sa maison au Maroc : « souvent je pars pour 2 mois, m’occuper de mon jardin ». Ses yeux s’illuminent quand il me le décrit. « Malheureusement cet été je ne pourrai pas y aller, je dois faire ma chimio… ». Je lui propose de voir son oncologue pour discuter d’une éventuelle possibilité d’espacer sa chimio. La réponse qui suivra va susciter beaucoup de questionnement chez moi. « Je dois me battre. Mon fils me dit que c’est la santé avant tout. Je lui fais confiance». En sortant de la chambre les questions se bousculent dans ma tête :
– Est-il vraiment moins douloureux ?
– Quel rôle joue son fils médecin dans la prise en charge de la maladie ? Laisse-t-il une place aux autres membres de la famille, aux soignants ?
– Pourquoi Monsieur Z ne me parle pas du reste de sa famille ?
– Pourquoi cette appréhension de la Morphine ?
L’EDUCATION THERAPEUTIQUE
DEFINITION
Selon OMS (Organisation Mondial de la Santé) : « L’éducation thérapeutique du patient devrait permettre aux patients d’acquérir et de conserver les capacités et les compétences qui les aident à vivre de manière optimale leur vie avec leur maladie. Il s’agit, par conséquent, d’un processus permanent, intégré dans le soin et centré sur le patient. L’éducation implique des activités organisées de sensibilisation, d’information, d’apprentissage de l’autogestion et de soutien psychologique concernant la maladie, le traitement prescrit, les soins, le cadre hospitalier et de soins, les informations organisationnelles et les comportements de santé et de maladie. Elle vise à aider les patients et leurs familles à comprendre la maladie et le traitement, coopérer avec les soignants, vivre plus sainement et maintenir ou améliorer leur qualité de vie. » Cette définition est reprise par l’HAS (Haute Autorité de Santé) et l’INPES (Institut National pour la Prévention et l’Education pour la Santé).
Il y a plusieurs facteurs qui ont favorisé le développement de l’éducation thérapeutique. Parmi les plus importants ce sont les progrès de la médecine qui permettent de vivre plus longtemps avec certaines maladies. La conséquence est une augmentation du nombre de patients porteurs d’une maladie chronique, et pour lesquels une prise en charge individuelle de tous les instants semble très compliquée, voire impossible. L’ETP s’est développée à l’initiative de professionnels convaincus de l’intérêt de proposer et de développer de tels programmes, qui auront pour but d’améliorer la qualité de vie des patients souffrant de pathologies chroniques. L’ETP vise à renforcer l’implication du patient dans la gestion de la maladie et de ses traitements. Elle tient compte des représentations, des croyances et des savoirs du patient pour élaborer avec lui de nouveaux savoirs et lui permettre ainsi de devenir acteur dans la gestion de sa maladie. Elle cherche à rendre le patient compétent : de sa maladie, de son traitement, d’autosurveillance, d’auto-soin, d’adaptation et de réajustement des thérapeutiques à son mode de vie. L’ETP est une recherche permanente d’équilibre entre les normes thérapeutiques proposées par le milieu médical et celles du patient issu de ses valeurs, de ses habitudes de vie, de ses projets et de son savoir. L’éducation thérapeutique est une nouvelle pratique de santé qui modifie les interactions et les rôles entre professionnels de santé et patients. C’est un partenariat entre le soignant et le soigné qui nécessite une compréhension mutuelle. C’est un partage, et en suscitant la confiance, elle rend possible des choix thérapeutiques. L’ETP est un modèle de la relation thérapeutique qui renforce la qualité et la sécurité du soin et qui conduit en même temps à une décision médicale partagée qui favorisera l’observance. La relation d’enseignement est à double sens entre le savoir professionnel du soignant et le savoir, le vécu du patient. Le patient devient un acteur de santé. La loi du 21 juillet 2009 « Hôpital, patients, santé et territoires » inscrit l’ETP dans le code de la santé publique. Elle rentre dans le droit français, s’inscrit dans le parcours de soins du patient et devient une priorité nationale. Il est important de faire une distinction entre l’ETP et l’information, qui elle, peut être définie comme un apport de connaissances données au patient lors de sa prise en charge (soins, consultations). Cependant, il ne suffit pas de mettre des informations à la disposition du patient pour qu’il se l’approprie efficacement. Le patient doit pouvoir mobiliser des qualités et des compétences personnelles pour évaluer ses désirs, ses croyances et par la suite prendre une décision, changer d’avis, éventuellement. Si on considère l’esprit humain comme un immense puzzle dont les pièces sont reliées entre elles, l’information est en quelque sorte une pièce du puzzle et le patient doit pouvoir trouver dans « son puzzle » un endroit où mettre la pièce qu’on lui tend. Cela exige qu’il puisse revoir et négocier ses préférences, ses priorités. La transmission de messages est un processus complexe où les émotions, les désirs, parfois contradictoires, et les croyances jouent un rôle très important. Parfois la priorité du patient peut être complètement opposée à celle du soignant et ce n’est pas la priorité du soin. L’ETP prend en compte cette complexité et assure une relation de confiance entre le patient et les soignants, elle aborde des contenus relativement complexes qui nécessitent souvent un apprentissage long et soutenu, d’où la nécessité de mettre en œuvre des modalités d’apprentissage adaptées à chaque patient et à sa problématique de santé. En 2007 la HAS publie les « Recommandations HAS » qui ont comme objectif de décrire la démarche de l’éducation thérapeutique et ses étapes, mais elles incluent également une structuration de programme d’ETP et une évaluation.
Les étapes de la démarche éducative :
1. Le diagnostic éducatif est la synthèse des connaissances, représentations et besoins du patient. Il permet au patient de donner son point de vue sur sa maladie et ce que les soignants comprennent de sa situation. Le diagnostic éducatif sert à mieux connaitre le patient : son âge, sa catégorie sociale, style de vie, ses croyances, les difficultés d’apprentissage et surtout sa manière de réagir à la situation. Cette étape doit aider les soignants à choisir parmi les facteurs qui permettent de mieux comprendre le patient, ceux qui seront les plus utiles dans l’apprentissage et la mise en place des comportements pour répondre à ses besoins et réaliser ses projets de vie. Ce diagnostic peut se réaliser pendant une ou plusieurs séances individuelles et doit être actualisé régulièrement afin d’établir un équilibre entre ce que le patient souhaite et ce qui est souhaitable pour sa santé.
2. Définir un programme personnalisé d’ETP avec des priorités d’apprentissage pour le patient. Un programme d’ETP comprend un ensemble d’activités d’éducation, rédigé par un groupe pluridisciplinaire et coordonné par des professionnels de santé. Chaque programme doit comporter des objectifs, des compétences d’auto soins et d’adaptation à acquérir par le patient ou l’entourage. Le programme est structuré et doit s’intéresser à deux types d’apprentissage. En première ligne, aider le patient à percevoir des signes provenant de son corps, comprendre le sens et élaborer par la suite une stratégie personnelle. Le second apprentissage est centré sur la prise de décision sur soi et pour soi dans un contexte d’incertitude. Le programme précise les modalités d’évaluation des acquisitions et des changements. Il est mis en œuvre pour une pathologie donnée, dans un contexte bien déterminé et pour une certaine période, déterminée à l’avance.
3. Planifier et mettre en œuvre les séances d’ETP individuelles ou collectives ou en alternance. Les séances sont planifiées selon les besoins, les préférences du patient et bien évidemment la disponibilité des personnels de santé. Les séances collectives regroupent au maximum 8 personnes et durent environs 45 min. Les méthodes utilisées sont adaptées aux pathologies, à l’âge des participants et regroupent des patients qui ont des objectifs éducatifs similaires. Le partage d’expérience et la mise en situation aident le patient à apprendre à mieux connaitre son propre corps et lui permettent d’accéder à une connaissance et une compréhension de son fonctionnement, ce qu’aucune expérience ne lui avaient fait acquérir auparavant.
Des séances individuelles sont préconisées pour les patients qui ont un handicap (surdité, problème cognitif), une dépendance ou des difficultés à se trouver en groupe. Lors des séances il faut tenir compte du diagnostic éducatif du patient et préparer le matériel pédagogique en conséquence. Une synthèse et une analyse à la fin de chaque séance sont vivement conseillées.
4. Réaliser une évaluation des compétences acquises par le patient tout au long du programme d’ETP. Cette évaluation permet de faire le point avec le patient sur ce qu’il sait, ce qu’il a compris, la manière dont il s’adapte à ce qu’il vit et ce qui lui reste éventuellement à acquérir. Le patient donne aussi son point de vue sur les séances, leurs contenus, l’organisation, les techniques pédagogiques et fait part des éventuels bénéfices de l’ETP sur sa qualité de vie favorisés par l’acquisition des nouvelles compétences. Lors d’une évaluation il est important de mettre en valeur les transformations intervenues chez le patient sur le vécu de la maladie au quotidien, l’acquisition de compétences, l’autodétermination, la capacité d’agir. L’évaluation individuelle permet d’actualiser le diagnostic éducatif et de proposer au patient une nouvelle offre d’éducation thérapeutique.
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Table des matières
I. Introduction
II. Narration de la situation clinique
III. Analyse de la situation
1. Les problèmes posés par la situation
2. Les problèmes que me pose cette situation
3. Problématique, mots clés
IV. Education thérapeutique
1. Définition
2. Les étapes de la démarche éducative
3. A qui s’adresse l’ETP ?
4. Quand proposer l’ETP ?
V. Soins palliatifs
1. Définition
2. A qui s’adressent les soins palliatifs ?
3. A quel moment de la maladie ?
VI. Douleur
1. Définition
2. Douleur chronique
3. Douleur en phase palliative
VII. ETP douleur en phase palliative
1. Les freins d’une ETP douleur en phase palliative
2. Les bénéfices d’une ETP douleur en phase palliative
3. Les objectifs d’une ETP douleur
4. Proposition d’un programme d’ETP en phase palliative
VIII. Synthèse
IX. Conclusion
X. Annexes
XI. Bibliographie
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