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L’INTERPROFESSIONNALITE, UNE SOLUTION EMERGENTE : L’EXEMPLE DES CENTRES DE SANTE ET MAISONS DE SANTE PLURIPROFESSIONNELLES
La fragmentation du système de soins expose les patients, notamment les plus complexes, à des difficultés à naviguer entre les différents professionnels. (5)
Afin de faciliter l’exercice coordonné des soins, l’État et les collectivités territoriales ont favorisé la création de ces structures dédiées, notamment les maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP) et les centres de santé pour améliorer la continuité de l’offre de soins sur le territoire. (6)
Ces deux structures font partie des équipes de soins primaires. Elles sont constituées de professionnels de santé de premier recours, dont au moins un médecin généraliste. Elles s’organisent selon un exercice coordonné autour du patient, dans l’objectif d’améliorer les parcours de santé. (7)
Encadrés par l’article L. 6323-1 du code de la santé publique (8), les centres de santé sont des structures sanitaires de proximité et ont pour objectif de délivrer des soins de premier voire de second recours, parfois sous la forme d’une prise en charge pluriprofessionnelle associant des professionnels médicaux et des auxiliaires médicaux. Selon le Gouvernement, il existe 2 237 centres de santé en 2022, dont 455 sont pluriprofessionnels. Ce chiffre était de 2 140 en 2018 et 1 750 en 2014. (5)
Les maisons de santé pluriprofessionnelles assurent des activités de soins sans hébergement de premier recours et, le cas échéant, de second recours et peuvent participer à des actions de santé publique, de prévention, d’éducation pour la santé et à des actions sociales. Elles regroupent des professionnels médicaux, auxiliaires médicaux ou pharmaciens ayant rédigé un projet de santé attestant de leur exercice coordonné. Leurs missions sont définies par l’article L. 6323-3 du code de la santé publique. (9) Elles ont vu leur nombre augmenter encore plus rapidement par rapport aux centres de santé. Elles sont en effet passées de 240 en 2013 à 1 889 en juin 2021. (9)
LES DIFFERENTS CONCEPTS
Différents termes sont employés dans la littérature pour parler des interactions qui se produisent entre les professionnels de santé et il n’est pas facile de bien comprendre leurs définitions respectives. On retrouve ainsi les notions de pluridisciplinarité, de multidisciplinarité, de pluriprofessionnalité, d’interdisciplinarité ou encore d’interprofessionnalité.
Dans sa thèse de médecine générale publiée en 2014 (10), le Dr Laetitia SAGE a explicité ces différents concepts difficiles à appréhender, en s’appuyant notamment sur les travaux développés par D’Amour.
(11) Il nous a paru tout à fait intéressant de nous arrêter dessus pour effectuer une mise au point afin de bien les différencier.
DISCIPLIE ET PROFESSION
On trouve tout d’abord la distinction entre discipline et profession.
La discipline est définie comme étant “une branche de la connaissance pouvant donner matière à un enseignement” (12) tandis que la profession désigne “un ensemble de personnes exerçant le même métier”. (13)
Le métier, quant à lui, se définit comme “une activité sociale définie par son objet, ses techniques” et/ou “une profession caractérisée par un apprentissage, de l’expérience et rentrant dans un cadre légal”. (14)
Ces définitions sont intéressantes puisqu’elles distinguent deux concepts souvent confondus, à savoir la profession et la discipline.
Les disciplines évoluent autour de connaissances et de savoirs scientifiques alors que les professions exploitent ces savoirs pour en déduire des compétences et attitudes. (15)
La profession s’inscrit dans la vie sociétale et est réglementée. C’est en quelque sorte la concrétisation d’une discipline dans le champ social. (10)
PLURIDISCIPLINARITE ET MULTIDISCIPLINARITE
La pluridisciplinarité est définie comme suit : “qui concerne plusieurs disciplines, domaines d’étude”.
(16) Elle consiste à aborder un objet d’étude selon différents points de vue de diverses spécialités. Elle utilise la complémentarité des disciplines pour résoudre les problèmes rencontrés. (17). Il s’agit donc de professionnels issus d’une même formation avec une expertise qui leur est propre (ex : médecin généraliste, endocrinologue, gériatre).
La multidisciplinarité est définie comme étant “le caractère de ce qui est pluridisciplinaire”. Ils sont présentés comme étant synonymes. (18)
Pour D’Amour (11) ces deux notions traduisent effectivement la complémentarité des savoirs de deux disciplines autour d’un thème ou projet, dans lequel chacune conserve sa spécificité.
PLURIPROFESSIONNALITE
La pluriprofessionnalité consiste à “faire concourir à un même objectif plusieurs professionnels de professions différentes”. Elle utilise la complémentarité de leurs savoirs et compétences pour améliorer la résolution des problèmes rencontrés. (17) (7)
En pratique, ce sont plusieurs professions travaillant autour d’un même objectif de façon successive ou en parallèle (ex : médecins, pharmaciens, infirmiers, kinésithérapeutes…).
INTERDISCIPLINARITE ET INTERPROFESSIONNALITE
On parle d’interdisciplinarité comme quelque chose “qui relève des relations entre plusieurs disciplines, plusieurs sciences”. (19) Il s’agit de favoriser la cohésion de connaissances fragmentées dans le but d’atteindre un objectif commun en potentialisant les ressources de chacun. L’interdisciplinarité concerne le développement de savoirs intégrés en réponse à des savoirs disciplinaires fragmentés. (11)
Le concept d’interprofessionnalité (ou collaboration interprofessionnelle) est introduit par Danielle D’Amour en 1999, infirmière à l’Université de Montréal et membre du Groupe de Recherche Interdisciplinaire en Santé (GRIS). L’interprofessionnalité se distingue de l’interdisciplinarité par le fait qu’elle concerne spécifiquement le développement d’une pratique cohésive entre différents professionnels entre lesquels s’installe un certain degré d’interdépendance dans la prise en charge du patient. (11) Il s’agit d’une application pratique de l’interdisciplinarité mais dans laquelle les professions vont s’unir et réfléchir à la construction d’un projet de soins tout en conciliant leurs différences et leurs points de vue parfois opposés. Le travail pluriprofessionnel se distingue du travail interprofessionnel grâce à l’implication de chacun.
Cela ne suppose pas le développement de nouvelles professions, mais plutôt un moyen par lequel les professionnels peuvent exercer de manière plus collaborative ou intégrée. Cette distinction sépare l’interprofessionnalité de l’interdisciplinarité.
Pour l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), la collaboration interprofessionnelle “se produit lorsque deux ou plusieurs individus d’horizons différents avec des compétences complémentaires interagissent pour créer une compréhension partagée qu’aucun n’avait auparavant possédé ou n’aurait pu atteindre par lui-même”. (20)
L’interprofessionnalité se distingue de la pluriprofessionnalité puisqu’au-delà d’une intervention successive de professionnels, elle comprend une véritable synergie des compétences de ces professionnels où leur intelligence collective est mise à disposition des patients. Elle est surtout en marche quand chacun des professionnels est convaincu de l’efficacité de la démarche.
Dans la pratique en médecine, l’exemple concret serait de dire à un patient “Après votre accord, nous avons discuté autour de votre dossier avec les autres professionnels, voici ce que nous vous proposons et pourquoi ”. Le patient garde toujours une place centrale. Il fait partie intégrante du projet interprofessionnel.
LA NOTION DE CONTINUUM DES PRATIQUES
En 2009 au Canada, le Réseau de Collaboration sur les pratiques interprofessionnelles en santé et services sociaux (RCPI) a vu le jour, avec comme objectif de développer un outil de transfert de connaissances de la collaboration interprofessionnelle.
Ce projet a abouti en 2014 sous le nom de “Continuum des pratiques de collaboration interprofessionnelle en santé et services sociaux”. (21) Il vise à partager des outils de gestion et d’adaptation des relations collaboratives en prenant en compte 4 axes majeurs : la situation, l’intention, les interactions et les savoirs disciplinaires.
Ce travail s’articule principalement autour de la notion d’interdépendance, définie par le degré d’interaction à privilégier pour répondre à une situation donnée.
Il s’agit notamment d’une application concrète des différents concepts vus précédemment en termes de degré d’interaction.
L’idée d’un partenariat est au centre de cet écrit qui vise à développer l’adaptabilité des pratiques de chacun dans ses relations interprofessionnelles, notamment en prenant en compte les besoins biopsychosociaux des personnes, l’intensité des interactions et l’évaluation de la complexité de la situation.
Dans certaines situations, le savoir unidisciplinaire d’un professionnel sera suffisant pour évaluer et prendre en charge un patient. Cependant, d’autres situations confrontent les professionnels aux limites de leurs connaissances disciplinaires et requièrent le partage de leurs connaissances respectives pour répondre aux besoins des patients.
On distingue alors 5 types de pratiques, qui seront à adapter selon l’évaluation permise grâce aux critères cités ci-dessus (21):
La pratique indépendante, qui concerne les situations jugées de faible complexité. Elle associe un unique professionnel auprès du patient et n’entre donc pas dans le contexte de collaboration interprofessionnelle.
La pratique en parallèle est représentée par des interactions avec au moins un autre professionnel d’une discipline différente, dans le but d’obtenir des informations sur ce que ce dernier prévoit dans la prise en charge du patient. Dans ce cadre, les interactions sont limitées et l’interdépendance est minime.
La pratique par consultation ou référence consiste en l’intention d’échanger des informations avec au moins un autre professionnel afin de clarifier, compléter ou orienter ses interventions. Les interactions y sont alors épisodiques, et le professionnel qui consulte reste décideur de la considération qu’il souhaite donner à l’avis qu’il a obtenu. Le degré d’interdépendance reste faible dans ce type de pratique.
La pratique de concertation a pour but de planifier et d’organiser l’offre de soins afin de répondre aux besoins des patients, en définissant des objectifs et en permettant la coordination d’actions autour de ces derniers, laissant place à un certain degré d’interdépendance. Les interactions y sont alors modérées et bidirectionnelles, tout en laissant une certaine indépendance à chaque professionnel.
La pratique de soins et de services partagés vise à prendre des décisions de façon partagée entre les professionnels et le patient en définissant un plan d’action commun, organisé autour du partage des compétences disciplinaires de chacun. Cela sous-entend un partage solidaire des responsabilités et des décisions et l’élaboration d’une cohésion d’équipe. Le degré d’interdépendance est alors élevé.
L’INTERPROFESSIONNALITE : UN BENEFICE MAJEUR POUR LA COLLECTIVITE, LES PATIENTS ET LES SOIGNANTS
L’AMELIORATION DU MAILLAGE TERRITORIAL DE L’OFFRE DE SOINS
Portées par un mouvement professionnel, les maisons de santé pluriprofessionnelles constituent un bénéfice réel en termes d’offre de soins pour un territoire, en étant attractives pour les jeunes générations de médecins et soutenues par les pouvoirs publics (aides financières à la construction ou au fonctionnement). (22)
Une étude réalisée par l’institut de recherche et de documentation en économie de la santé (IRDES) entre 2009 et 2012 a cherché à étudier les performances des maisons, pôles et centres de santé suite à leur mise en place. (23) Cette étude démontre un apport certain en termes d’accès aux soins, notamment en permettant l’implantation de structures dans des espaces où l’offre de soin y est déficitaire. On constate également une amélioration de la qualité des soins, particulièrement concernant le suivi des patients atteints de pathologies chroniques et les mesures de dépistage, ainsi qu’une baisse de 9 % des dépenses de santé annuelles.
La carte réalisée par l’IRDES en 2020 (22) montre que les maisons de santé sont majoritairement implantées dans les deux types de territoires qui ont les plus faibles niveaux d’accessibilité aux soins de premier recours, à savoir les zones rurales (35,5 %) et les espaces périurbains (25,8 %). Surtout, l’IRDES estime qu’en moyenne, l’implantation d’une maison de santé dans un territoire donné augmente de 3,4 la densité pour 100 000 habitants de médecins libéraux de moins de 45 ans. L’IRDES conclut ainsi que les espaces périurbains et zones rurales avec maisons de santé sont plus attractives auprès des jeunes généralistes et permettent ainsi de renforcer l’offre de soins dans ces territoires.
L’AMELIORATION DE LA COLLABORATION ENTRE LES PROFESSIONNELS AU PROFIT DES PATIENTS
Des avancées législatives ont permis d’encadrer le partage des tâches entre les professionnels de santé après un premier décloisonnement des compétences permis par la loi Hôpital Patient Santé Territoire (HPST), et la mise en place de protocoles de coopération pour définir les « pratiques avancées » pour les professions paramédicales. (22)
Depuis 2004, le dispositif ASALEE (Action de Santé Libérale En Équipe) permet à des médecins et des infirmiers de travailler en collaboration sur la prise en charge des patients atteints de maladies chroniques (BPCO, diabète, sevrage tabagique, maladies cardio-vasculaires, dépistage des cancers…). Cette coopération interprofessionnelle apporte l’éducation thérapeutique en médecine de ville au plus près des patients en permettant notamment une amélioration des résultats cliniques et biologiques et une autonomisation des patients. (24)
Un article publié dans la Revue Médicale Suisse en 2017 (25) fait état d’un colloque organisé par le Service de la santé publique et expose différentes situations de prise en charge. Une étude clinique menée dans une pharmacie de ville a étudié la prise en charge de l’hypertension artérielle par une équipe composée d’un médecin, d’un pharmacien et d’une infirmière. Il a été démontré que ce travail collaboratif a permis une amélioration des valeurs de pression artérielle, de glycémie, de cholestérol et une amélioration du sevrage tabagique.
En Angleterre, en Finlande, au Canada et au Québec (11) on retrouve un recours accru aux Infirmiers en Pratique Avancées (IPA) travaillant dans des centres de santé au sein d’équipes pluridisciplinaires et en première ligne. Une étude parue dans le New England Journal of Medicine (26) montre notamment l’apport des IPA dans la prise en charge des patients atteints d’un diabète mal équilibré, d’une maladie coronarienne ou d’un syndrome dépressif. A 12 mois de suivi, ces patients bénéficiaient d’une amélioration significative du taux d’hémoglobine glyquée, de LDL cholestérol, de tension artérielle systolique et de score de dépression. Une amélioration de la qualité de vie ainsi qu’une meilleure satisfaction concernant les soins liés au diabète, aux maladies cardiovasculaires ou à la dépression ont également été démontrés.
Une revue de littérature a été réalisée en 2017 puis publiée dans la librairie de la collaboration Cochrane (27) afin d’évaluer l’impact de la collaboration interprofessionnelle entre les professionnels de santé et les services sociaux, en comparaison aux soins habituels. L’un des critères de jugement principaux
concernait la santé des patients. Selon cette revue de littérature, il existerait notamment un bénéfice à la collaboration interprofessionnelle chez les patients victimes d’un AVC, permettant une amélioration de leur état fonctionnel. Cependant, aucune influence concernant la qualité ni la continuité des soins n’a pu être démontrée.
“FROM TRIPLE TO QUADRUPLE AIM” : LA COLLABORATION PROFESSIONNELLE AU PROFIT DES SOIGNANTS
Le “Triple aim” (Triple objectif), est une approche d’optimisation du système de santé. Ce concept né aux Etats Unis en 2002 et présenté par le Dr Donald BERWICK (membre de l’institut de Harvard) indique la voie à suivre dans l’objectif d’améliorer la santé de la population ainsi que l’expérience de soins des patients et de réduire leur coût. (28)
L’Institute for Healthcare Improvement (IHI) a élaboré en 2007 cinq recommandations pour l’organisation du système de santé afin de mieux servir la population et d’aider à atteindre les objectifs interdépendants du triple objectif (29) (30) :
Impliquer les individus et les familles dans la conception des modèles de soins Réaménager les services et les structures de soins primaires
Améliorer la prévention des maladies et la promotion de la santé Construire une plate-forme de contrôle des coûts
Permettre l’intégration et l’exécution du système de soutien
Seulement depuis plusieurs années, on note un épuisement professionnel grandissant chez les soignants qui impacte directement la qualité des soins et la satisfaction des patients.
Comme vu précédemment, l’évolution de l’espérance de vie, l’incidence croissante des maladies chroniques et la baisse de la démographie médicale se répercutent notamment par une charge de travail plus importante, des tâches administratives qui s’accroissent et la crainte de l’erreur médicale, jusqu’au burn out. (31)
Le burn out des soignants met en danger ce triple objectif. La société attend de plus en plus des professionnels et notamment en soins primaires pour garantir un accès aux soins. Les patients réclament des soins de qualité, des rendez-vous rapides et efficaces avec un accès facilité aux différents professionnels de santé.
Ce constat conduit à une nouvelle réflexion suggérant la nécessité d’un quatrième objectif : améliorer la qualité de vie au travail des professionnels de santé, qui, tout comme les objectifs d’expérience patient et de réduction des coûts, doit être atteinte pour réussir in fine à améliorer la santé de la population.
Le quadruple objectif représente un défi pour notre système de santé. La collaboration interprofessionnelle en représente une solution majeure et doit pouvoir s’intensifier, à la fois chez les professionnels déjà en exercice mais également chez les étudiants en formation dont il est nécessaire de susciter l’intérêt.
Dans l’étude réalisée par la DREES en 2004 sur l’impact de l’exercice en groupe chez les médecins libéraux (32), il en ressort que ce mode d’exercice attire les jeunes professionnels sur plusieurs aspects. La proximité permise par ces structures favorise le partage de connaissances et les échanges humains, et on observe une diminution du coût de fonctionnement individuel en permettant une mutualisation des charges (locatives, foncières, cotisations…), ce qui permet notamment l’embauche de personnel administratif. La répartition des compétences entre les différents professionnels de santé regroupés au sein d’une même structure permet de dégager du temps médical et de permettre des consultations paramédicales dédiées à l’éducation thérapeutique notamment. Également, l’accès à de l’équipement professionnel est facilité pour une meilleure adaptabilité de travail et de disponibilité médicale.
La revue de littérature de 2017 citée précédemment, évaluant l’impact de la collaboration interprofessionnelle entre les soignants et les services sociaux, a également démontré certains bénéfices au niveau des équipes professionnelles. En effet, le travail interprofessionnel améliorerait l’adhésion aux bonnes recommandations de prise en charge et permettrait une meilleure utilisation des ressources de soin. Cependant, aucune étude n’a démontré de preuve concernant la qualité du travail collaboratif, la communication d’équipe et la coordination des soins. (27)
En 2015, Sottas et Kissmann (33) ont effectué un rapport visant à élaborer l’efficacité et les avantages de la collaboration interprofessionnelle sur la base des études de cas, des méta-analyses et des revues de littérature disponibles. Cette étude rapporte notamment la preuve d’un bénéfice de la collaboration interprofessionnelle concernant la satisfaction des professionnels, leur motivation, ainsi qu’une amélioration de la communication et de la confiance mutuelle dans la prise en charge.
L’interprofessionnalité se valorise principalement grâce à cette notion de synergie et de coopération interrelationnelle. La pratique en collaboration représente l’élément clé d’un travail efficace et productif dans la promotion de la santé et le traitement des patients.
Seulement, assurer et développer les soins de santé ne peut être garanti que par l’apprentissage d’une communication efficace, une compréhension, un respect du champ d’exercice des autres professionnels ainsi qu’une définition claire des rôles et des responsabilités de chacun.
ENSEIGNEMENT DE L’INTERPROFESSIONNALITE
La prise en compte de l’évolution nécessaire des pratiques professionnelles en réponse au changement épidémiologique et démographique de la santé a donc déjà permis des adaptations en soins primaires. L’appel des institutions à la mise en place d’une collaboration interprofessionnelle s’intensifie et il se pose alors la question de la nécessaire sensibilisation des étudiants en santé à ce concept afin que ces futurs professionnels puissent faire face aux nouveaux défis de demain.
DEFINITION
La formation interprofessionnelle (FIP) est une approche visant à former les étudiants en soins de santé pour les futures équipes interprofessionnelles.
Selon le Center for Advancement of Interprofessional Education du Royaume-Uni (CAIPE), l’enseignement de l’IP désigne le fait que “deux ou plusieurs personnes se forment ensemble, apprennent à se connaître et apprennent des autres pour améliorer leur collaboration et la qualité des soins”. (34)
Dans ses travaux de recherche sur l’interprofessionnalisme, D’Amour distingue les “initiatives éducatives qui visent à améliorer les résultats des apprenants” et “la pratique collaborative pour améliorer les résultats des patients”. (11) La FIP nécessite des milieux de pratique en collaboration où les étudiants sont exposés à des expériences éducatives.
L’objectif principal de la FIP est de permettre in fine une collaboration efficace entre les professionnels de la santé afin d’améliorer la qualité des soins.
L’INTERET DE LA FORMATION INTERPROFESSIONNELLE (FIP) DANS LE DEVELOPPEMENT DE L’INTERPROFESSIONNALITE
Les étudiants formés à l’interprofessionnalité sont plus susceptibles de devenir des membres d’une équipe interprofessionnelle collaborative faisant preuve de respect et d’attitudes positives les uns envers les autres. (35)
Trois facteurs expliquent l’intérêt croissant pour la FIP (36) :
La qualité des soins et la sécurité des patients : la performance d’une équipe joue un rôle capital dans la sécurité des patients ;
L’évolution des types de soins : l’évolution de la démographie et des pathologies conduisent de plus en plus les professionnels à prendre en charge une population vieillissante et souffrant de problèmes de santé chroniques, souvent complexes. Face à ces défis, aucune profession ne possède à elle seule toute l’expertise requise pour répondre de manière satisfaisante et efficace
à la gamme complexe de besoins de nombreux usagers des services de santé ni garantir des soins prenant en compte la totalité des besoins du patient ;
La pénurie en matière de professionnels de la santé : comme vu plus haut, la pénurie actuelle et les prédictions pessimistes en la matière invitent à une utilisation efficiente des ressources soignantes. L’OMS considère l’enseignement de l’IP comme un des moyens de répondre à cette pénurie, suggérant qu’une collaboration interprofessionnelle efficace augmente la satisfaction des professionnels et facilite leur recrutement et leur rétention dans les structures de soins (quadruple objectif).
Un changement de paradigme pédagogique est devenu nécessaire (37). En effet, au début du XXème siècle, les programmes d’enseignement étaient basés sur les sciences, ce qu’on appelle “l’apprentissage informatif”, dont le but était de produire des experts. Progressivement, vers le milieu du XXème siècle, l’enseignement a amorcé une approche basée sur des problèmes, appelé “apprentissage formatif”. Celui-ci consiste à acquérir des connaissances et des compétences dans un domaine donné.
Depuis quelques années, une troisième génération de réforme éducative voit le jour, basée cette fois-ci sur les moyens à mettre en œuvre pour améliorer la performance des systèmes de santé. Elle vise notamment à former les professionnels de santé de demain à mobiliser leurs connaissances et à s’engager dans un raisonnement critique et une conduite éthique pour prodiguer des soins “centrés patients”, en travaillant les uns avec les autres. On parle alors d’un “apprentissage transformateur”.
En tant que résultat valorisé, l’apprentissage transformateur implique trois changements fondamentaux (37) :
– De la mémorisation des faits à la recherche, l’analyse et la synthèse d’informations pour la prise de décision ;
– De la recherche de diplômes professionnels à l’acquisition des compétences de base pour un travail d’équipe efficace dans les systèmes de santé ;
– De l’adoption non critique de modèles éducatifs à l’adaptation créative des ressources mondiales pour répondre aux priorités locales.
En 2010, le rapport du Lancet rendu par Julio Frenk et al (37) intitulé “Les professionnels de santé pour un nouveau siècle : transformer l’éducation pour renforcer les systèmes de santé dans un monde interdépendant” a mis en avant le retard dans la formation des professionnels de santé vis à-vis de ces défis sanitaires. Les auteurs soulèvent ainsi plusieurs problématiques systémiques : Une inadéquation des compétences face aux besoins des patients et de la population ;
Un mauvais travail d’équipe ;
Une focalisation technique étroite sans compréhension contextuelle plus large ; Des rencontres épisodiques plutôt que des soins continus ;
Une orientation hospitalière prédominante au détriment des soins primaires.
A l’image de notre système de santé actuel, la formation des professionnels de santé doit intégrer une approche d’équipe cohésive. Plus l’expérience éducative sera développée et mieux les professionnels de la santé seront outillés pour s’adapter au travail d’équipe.
BENEFICES DE LA FORMATION INTERPROFESSIONNELLE SUR LA QUALITE DES SOINS
L’apport de la formation interprofessionnelle chez les étudiants en santé est une caractéristique aujourd’hui peu étudiée dans le secteur de la recherche. Selon la revue réalisée par Zwarenstein en 2005 (38), il n’y a aucune preuve de l’efficacité d’une formation interprofessionnelle sur la qualité des soins délivrés chez les étudiants n’ayant pas encore la possibilité d’exercer. Concernant les étudiants en cours d’exercice professionnel, il existe un nombre croissant de preuves suggérant des effets positifs sur la qualité des soins, avec cependant des niveaux de preuve inégaux et peu relatifs aux soins primaires.
Un essai contrôlé réalisé en 2009 a cherché à comparer l’apport que pourrait avoir l’intervention d’étudiants ayant participé à une formation interprofessionnelle sur les maladies chroniques, en comparaison avec les soins habituels proposés dans les services de Médecine Interne de deux cliniques de San Francisco. Ces interventions étaient réalisées conjointement par des internes en médecine générale, des étudiants en soins infirmiers et des étudiants en pharmacie auprès de patients diabétiques de type 2 durant 18 mois. A la fin du suivi, il a été démontré que les patients du groupe d’intervention ont bénéficié d’un meilleur suivi de leur diabète en termes d’hémoglobine glyquée, de LDL cholestérol, de tension artérielle, de recherche de microalbuminurie et d’évaluation du statut tabagique. Concernant les étudiants, ils ont évalué un apport positif de cette expérience sur la réalisation, la préparation et l’efficacité des soins prodigués chez les patients atteints de pathologies chroniques. (39)
LE ROLE ESSENTIEL DES FACULTES DE MEDECINE DANS L’ENSEIGNEMENT DE L’INTERPROFESSIONNALITE : ETAT DES LIEUX DES PROGRAMMES DE FORMATION EN FRANCE
Les facultés de médecine ont une responsabilité sociale déterminante et doivent garantir aux patients un haut niveau de compétences des professionnels de santé. Au cours du deuxième cycle des études médicales, les étudiants sont surtout formés dans une logique d’acquisition de savoirs disciplinaires.
La réflexion se porte donc depuis quelques années sur l’intégration de l’interprofessionnalité aux programmes pédagogiques. Il n’existe pas de consensus quant au moment et à la meilleure façon d’inclure cette formation dans le parcours des étudiants en santé, ni sur le contenu d’une telle formation.
Un état des lieux de l’enseignement de l’interprofessionnalisme en France a été réalisé en 2018 par le Dr DE BREMOND D’ARS dans le cadre de sa thèse d’exercice de Médecine Générale. (41) Il en ressort que l’enseignement de l’interprofessionnalité existe sous différentes formes : des projets de rapprochements avec les enseignants des autres professions de santé, des projets de séminaires regroupant les étudiants des différentes formations, l’augmentation de l’exposition en stage aux autres professions de santé ou encore la création de groupes d’échanges de pratiques interprofessionnelles. Sur les 35 Départements de Médecine Générale inclus dans l’étude :
– 50% présentaient des cours sur les compétences et les champs d’actions des autres professions de santé ainsi que la présence d’enseignants non-médecins ;
– 60% disposaient de formations pratiques sous la forme de réunions communes de travail avec les différents étudiants en santé autour de situations de patients.
A Grenoble, l’équipe de l’UFR de santé a mené une étude descriptive des différents programmes d’éducation interprofessionnelle en France réunissant les filières de médecine générale et de pharmacie d’officine sur l’année universitaire 2016-2017. (42) L’étude a inclus l’ensemble des UFR de médecine française soit 24 en pharmacie et 36 en médecine. Il en ressort que 13 binômes proposaient un programme d’éducation interprofessionnelle, sous différentes formes : jeux de rôles, situations cliniques avec présentation d’une production de groupe, conférences, mini congrès.
A Rennes, l’équipe du réseau Diabète 35 a créé depuis 2009 un séminaire “Apprendre à travailler ensemble” qui regroupe des étudiants en formation initiale en santé et en sanitaire et social. (43) Il a été conçu par un groupe de travail réunissant le département de Médecine Générale de l’UFR de Rennes, le Centre de simulation des écoles du CHU de Rennes et l’Association Française pour le Développement de l’Éducation Thérapeutique (AFDET). Ce séminaire est organisé sur 3 sessions espacées de 2 à 3 mois et selon 3 piliers : se rencontrer pour se connaître, réfléchir ensemble et construire ensemble.
L’objectif était de permettre à des étudiants en santé de 7 filières différentes (diététiciens, ergothérapeutes, infirmiers, kinésithérapeutes, médecins généralistes, pharmaciens, pédicures-podologues et sage-femmes) de se rencontrer et d’échanger sur un temps bref de 7 minutes. (44) Le but pour les étudiants était de décrire son travail, son quotidien, écouter l’autre et se convaincre de travailler ensemble au service du patient. Le deuxième temps de ce travail consistait à évaluer la satisfaction des étudiants de façon quantitative, par le biais d’une échelle de Likert avec 4 niveaux de satisfaction, et de façon qualitative via des entretiens semi-dirigés auprès des étudiants.
DEVELOPPEMENT D’UN ENSEIGNEMENT INTERPROFESSIONNEL CHEZ LES ETUDIANTS EN SANTE A ROUEN : SEMINAIRE DE RENCONTRE
DEROULEMENT DU SEMINAIRE
Dans cette dynamique pédagogique centrée sur l’interprofessionnalité, l’équipe du département de Médecine Générale de Rouen a mis en place un programme de formation interactif sous forme de séminaire en février 2022.
En amont du séminaire, une vidéo de présentation des concepts et des outils de l’interprofessionnalisme leur a été présentée. Cette vidéo était illustrée par des professionnels de santé en exercice et la présentation des travaux personnels de formalisation de ses représentations sur les autres professionnels de santé. Il a également été demandé aux étudiants d’interviewer un professionnel de santé d’une filière qui leur était attribuée.
Les étudiants ont ensuite dû remplir un tableau visant à recueillir leurs représentations vis-à-vis des professionnels de santé présentés au cours de cette journée de formation. Cette démarche permettait de préparer les rencontres futures entre étudiants.
La journée du 24 février 2022 s’est organisée dans un premier temps sous forme de « speed meeting », selon le modèle expérimenté à l’université de Rennes. Ce speed meeting s’en est suivi d’un travail sous forme d’atelier visant à établir la fiche d’identité et les champs de compétence de chaque profession représentée. À la suite, une mise en commun en plénière a été réalisée, confrontant les travaux des étudiants au regard des enseignants des professions représentées. La mise en commun de ces travaux collaboratifs lors d’une restitution en amphithéâtre a permis l’élaboration de fiches-métiers sur chaque profession.
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Table des matières
ABREVIATIONS
I. INTRODUCTION
A. Definition de la sante
B. Aperçu de la démographie médicale en France
C. L’interprofessionnalité, une solution émergente : l’exemple des centres de sante et maisons de sante pluriprofessionnelles
D. Les différents concepts
1. Discipline et Profession
2. Pluridisciplinarité et Multidisciplinarité
3. Pluriprofessionnalité
4. Interdisciplinarité et Interprofessionnalité
E. La notion de continuum des pratiques
F. L’interprofessionnalité : un bénéfice majeur pour la collectivité, les patients et les soignants
1. L’amélioration du maillage territorial de l’offre de soins
2. L’amélioration de la collaboration entre les professionnels au profit des patients
3. “From Triple to Quadruple aim” : la collaboration professionnelle au profit des soignants
G. Enseignement de l’interprofessionnalité
1. Définition
2. L’intérêt de la formation interprofessionnelle (FIP) dans le développement de l’interprofessionnalité
3. Bénéfices de la formation interprofessionnelle sur la qualité des soins
4. Le rôle essentiel des facultés de médecine dans l’enseignement de l’interprofessionnalité : état deslieux des programmes de formation en France
H. Développement d’un enseignement interprofessionnel chez les étudiants en santé à Rouen : séminaire de rencontre
1. Déroulement du séminaire
2. Notre travail de recherche
II. MATERIEL ET METHODE
A. L’organisation du séminaire
B. Phase quantitative
C. Phase qualitative
D. Méthode d’analyse des entretiens
III. RÉSULTATS
A. Analyse quantitative
1. Questionnaire de connaissances
2. Satisfaction de la journée
B. Analyse qualitative
1. Description de la population étudiée
2. Analyse thématique des entretiens
IV. DISCUSSION
A. Comparaison des résultats avec les données de la littérature
1. Une progression dans l’apprentissage des compétences interprofessionnelles
2. La disparité du niveau d’étude : un frein dans les échanges et l’exploration des champs de compétences
3. Un regard critique sur les stéréotypes négatifs
4. Une vision positive et plus précise du travail en exercice coordonné mais encore mal intégrée : la notion de leadership collaboratif
5. La collaboration interprofessionnelle : une prise en charge centrée patient
6. Un impact positif quant à la projection professionnelle future
B. Forces de notre travail
C. Biais et limites
D. Perspectives et pistes d’amélioration
1. La recherche de mise en pratique pour consolider les apprentissages
2. Une évaluation basée sur des autoquestionnaires spécifiques à l’enseignement interprofessionnel
V. CONCLUSION
VI. BIBLIOGRAPHIE
VII. ANNEXES
VIII. RESUME
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