L’intégration par les structures d’accueil scolaire
Le cadre officiel européen définit dans les grandes lignes la conduite à adopter dans la prise en charge des enfants migrants. Plusieurs directives de l’Union européenne se sont succédé ces dernières décennies. Dans un rapport de 1994 : Il est souligné combien l’éducation interculturelle s’est progressivement imposée dans la plupart des États membres pour favoriser le respect et la compréhension mutuels entre tous les élèves, quelles que soient leurs origines culturelles, linguistiques, ethniques ou religieuses (Auger, 2010, p. 10). Comment ces directives européennes s’inscrivent-elles dans les contextes cantonaux suisses ? En effet, « dans l’État fédéraliste qu’est la Suisse, les offres du domaine de la pédagogie spécialisée varient d’un canton à l’autre. Cela concerne non seulement la terminologie, mais aussi les catégories et les formes de scolarisation » (Sahrai, 2015, p. 51).
Perregaux, Changkakoti, Hutter, Gremion (2008) expliquent que dans tous les cantons suisses, mis à part le Tessin, il existe des structures spécifiques d’accueil pour les élèves handicapés physiques, handicapés mentaux, en difficulté scolaire ou nouvellement arrivés notamment. Étant donné que la Constitution suisse garantit la souveraineté cantonale et communale également en matière d’éducation, il y a une variété dans la mise en place de structures d’accueil. De plus, Francequin et Réal-Douté (2001, p. 81) expliquent que ces classes : Visent à ce que les élèves allophones acquièrent des compétences langagières (capacité d’exprimer sa pensée), des compétences linguistiques (capacité d’organiser une phrase et de faire des choix grammaticaux et sémantiques) et des compétences de communication (quand parler, quand ne pas parler, de quoi parler, avec qui, à quel moment, où, de quelle manière) et des compétences transversales (règles de vie collective, projet de travail individuel ou collectif, organisation et gestion du temps, du soin, recherches d’informations, autonomie) pour regagner rapidement les classes ordinaires dans l’ensemble des matières
L’apport de Bruni (2008) est plus nuancé, parce qu’il ne prend pas seulement en compte les savoirs et savoir-être demandés par l’école, mais démontre aussi que ces structures d’accueil représentent un « lieu où célébrer la transition ». C’est un lieu qui fait office de remède contre les carences résultant du processus migratoire. Cet espace permet à l’enfant migrant d’avoir « un lieu et un temps de transition entre le pays objet maternel et le monde extérieur, où existent des temporalités différentes, étant donné qu’en principe les objets d’enseignement sensibles en classe de soutien ne le sont plus en classe ordinaire » (Bocchi, 2014, p. 172). Ainsi, l’école et les structures d’accueil ne représentent pas que des lieux où il est nécessaire d’acquérir le plus vite possible un bagage scolaire mobilisable pour retourner en classe ordinaire, mais également un lieu où ils peuvent reconstruire leur histoire.
En effet, ces enfants ont été « déracinés à des moments plus ou moins lointains et il s’agit souvent de liens coupés qui doivent être recousus, d’un passé ambivalent ou fragmenté qu’il faut reconstruire » (Bruni, 2008, p. 274). Le dispositif d’accueil consiste alors à « aménager la situation de rupture forte que vivent les élèves migrants, rupture linguistique, scolaire, culturelle et sociale. » (Nicolet et Rastoldo, 1997, p. 109). De plus, ils sont devant la nécessité de se transformer dans un laps de temps relativement court en élèves du système scolaire qu’ils ont rejoint. De leur côté, Perret-Clermont et Zittoun (2001, p. 1) proposent à cette notion de transition deux moments clefs : « d’un côté, que la personne vit une forme de « rupture » avec une forme de vie antérieure ; de l’autre, que la personne est nécessairement « en changement » pour s’adapter à de nouvelles conditions. » La question ouverte que suppose ce moment transitoire est de voir comment l’école peut créer un nouvel espace propice à l’articulation harmonieuse des différents champs liés à la migration.
Intégration scolaire et linguistique
Le concept d’intégration scolaire a été longtemps opposé au terme d’assimilation dans une perspective migratoire. C’est pourquoi l’utilisation du terme intégration est plus souvent mobilisée que celui d’inclusion lorsqu’il est question d’enfants migrants, et ce même au sein du contexte scolaire (Perregaux, Changkakoti, Hutter, Gremion, 2008). Brunet et Wagner (1996) estiment plutôt que le « processus d’intégration » correspond à une catégorie d’enfants qui ne seraient pas ou pas tout de suite admis dans les classes d’école ordinaire. Perregaux, Changkakoti, Hutter, Gremion, (2008) pensent que le choix du terme séparation représente un concept qu’il serait plus judicieux de mobiliser. Or c’est précisément le cas des classes d’accueil sur lesquelles repose en partie la présente recherche. En effet, ces classes traduisent des choix politiques, instaurant une séparation des élèves nouvellement arrivés des élèves ordinaires. Suivant les communes, ces choix proposeront soit une séparation complète entre classe d’accueil et classe ordinaire, soit une forme d’inclusion. Dans tous les cas, il est attendu de l’élève qu’il ait acquis un certain nombre de connaissances, et ce principalement dans l’apprentissage du français. Dans ce sens, Chiss (2005, p. 127) propose quelques pistes pour l’acquisition en classe d’accueil d’un bagage linguistique suffisant en langue française. Pour lui, il est indispensable que l’élève puisse maîtriser le français comme « langue des disciplines ».
Dans cette perspective, le français ne doit pas être qu’une langue à enseigner, mais devrait peu à peu devenir une langue dans laquelle l’élève arrive à se développer cognitivement, afin qu’elle puisse participer elle aussi à la construction des savoirs de l’élève. L’apprentissage d’une langue doit aussi permettre à l’élève d’accéder à des discours plus spécialisés qui « s’ouvrent sur la complexité du déchiffrage des manuels scolaires, du maniement des pratiques explicatives – argumentatives, des modalités d’exposition d’un problème ou d’une démonstration et des usages cognitifs de l’écrit » (Chiss, 2005, p. 130). Toujours selon cet auteur, il est important d’acquérir les codes d’une communication scolaire. Certaines formulations ne sont pas attendues dans le contexte scolaire, alors que d’autres oui. Cette volonté de faire acquérir des usages et habitudes à utiliser en classe aux élèves migrants provoque parfois un sentiment d’étrangeté et d’artificialité chez ces derniers qui peinent à en saisir le sens. Cependant, ces capacités métalinguistiques, qui permettent, par la langue d’accéder aux savoirs, ne peuvent s’effectuer que si elles peuvent être appuyées sur des bases d’une langue de référence déjà solide. Lucchini (2005, p. 311) apporte un éclairage intéressant sur la distinction qu’il faudrait opérer entre « la langue de référence et la langue maternelle ». Dans cette perspective, il est important pour l’élève qu’il puisse se constituer une langue de référence « dans la mesure où elle conditionne toute acquisition linguistique ultérieure, en ce qui concerne tant les langues étrangères que les langues standards » (Lucchini, 2005, p. 313).
Différenciation
Autant dans les classes d’accueil que dans des classes ordinaires, les enseignants doivent composer avec l’hétérogénéité des élèves. Ceux-ci doivent composer avec les réalités propres à chacun des élèves et proposer une offre pédagogique appropriée, répondant aux besoins de chacun. Une définition du concept de « différenciation » me permettra de comprendre comment les enseignants prennent en compte l’hétérogénéité de la classe. Selon Morandi et La Broderie, (2006, p. 116), La différenciation représente « l’ensemble des dispositifs éducatifs et pédagogiques pouvant répondre aux différences dans les manières d’apprendre et réduire les effets réducteurs de pratiques standardisées ». Ce terme ne se situe pas seulement au niveau pédagogique, mais revêt également une importance éducative, dans la mesure où il est essentiel de prendre en compte les ressources de chaque élève. Morandi et La Broderie ajoutent (2006) qu’il ne faut pas considérer le concept de différenciation comme une nouvelle forme pédagogique, mais plutôt comme une « variété organisée d’approches, de situations utilisables. Elle permet de multiplier les parcours, les itinéraires, afin que chaque élève accède aux meilleures conditions pour apprendre ». C’est donc une ouverture d’esprit qui permet à l’enseignant de considérer sa classe également comme une somme d’individualités, qu’il faut parfois pouvoir prendre en considération, notamment lorsqu’il est question d’un élève migrant ou en difficulté scolaire. Cependant, Hüver et Goï (2010, p. 104), pour leur part, expliquent qu’il est possible de considérer ces élèves « non pas comme incompétents, mais comme dotés de compétences construites avant, ailleurs, autrement ». Dans ce sens, Fargeas (2007) invite les enseignants à également s’interroger sur les « contenus culturels adéquats » à privilégier lors des démarches pédagogiques, où une attention particulière devra être portée quant aux afférences culturelles.
|
Table des matières
Introduction
1. Définition et importance de l’objet de recherche
1.1 Contexte international et raison d’être de l’étude
1.2 Présentation du problème
1.3 Intérêt de l’objet de recherche
2. Bref historique et repères conceptuels
2.1 Bref historique
2.2 Concepts en migration et en sociolinguistique
2.3 Hypothèses intermédiaires
3. Cadre théorique : champs d’influence et parcours scolaire de l’enfant migrant
3.1 L’intégration par les structures d’accueil scolaire
3.1.1 Intégration sociale et implicites culturels
3.1.2 Intégration scolaire et linguistique
3.1.3 Hypothèses intermédiaires
3.2 Capital social
3.2.1 Acteurs scolaires
3.2.1.1 Différenciation
3.2.2 École et famille migrante
3.2.2.1 Communication
3.2.2.2 Parcours migratoire des familles migrantes
3.2.3 Hypothèses intermédiaires
4. Question de recherche et hypothèses
4.1 Hypothèses et sous-questions de recherche
4.2 Question de recherche
5. Méthodologie
5.1 Fondements méthodologiques
5.1.1 Type de recherche
5.1.2 Type t’approche
5.1.3 Type de démarche
5.1.4 Choix de la méthode
5.2 Nature du corpus
5.2.1 Choix de la population et de l’échantillonnage
5.2.1.1 Portraits des enseignants
5.2.2 Des outils qui évoluent
5.2.2.1 Le plan
5.2.2.2 La grille
5.3 Technique d’analyse des données
5.3.1 Pré-analyse : la retranscription
5.3.2 Traitement des données
5.3.3 Analyse du contenu et interprétation
6. Analyse des données
6.1 Structures scolaires
6.1.1 Intégration sociale et implicites culturels
6.1.2 Intégration scolaire et linguistique
6.1.3 Aides structurelles
6.2 Capital social
6.2.1 Accueil dans la nouvelle classe
6.2.1.1 Avant la transition
6.2.1.2 Transition dans la nouvelle classe
6.2.1.3 Pratiques pédagogiques différenciées
6.2.1.4 Aide des pairs
6.3.2 Communication parents-école
6.3.2.1 En classe d’accueil
6.3.2.2 En classe régulière
6.3.2.3 Prise en compte du parcours migratoire des familles
7. Conclusions
7.1 Synthèse générale
7.2 Limites de la recherche
7.3 Recommandations
7.4 Nouvelles perspectives pour d’éventuelles recherches
Ressources bibliographiques
Télécharger le rapport complet