« La communication orale est le propre de l’Homme ; elle définit sa nature et sa fonction sociale » (Brel et al., 2010). Or, les personnes qui subissent une laryngectomie totale ne peuvent plus utiliser leur voix laryngée et communiquer comme avant. Ainsi, ce bouleversement au niveau de leur communication a un impact sur leurs relations sociales et sur leur autonomie ; et donc sur certains aspects de leur qualité de vie. Cependant, aucune étude n’a encore permis de mettre en évidence l’impact des changements de communication sur la qualité de vie des personnes laryngectomisées (Sharpe et al., 2019). Par ailleurs, le patient devient dépendant de son entourage et plus particulièrement de son aidant. Celui ci a un rôle primordial et indispensable dans l’accompagnement au quotidien du sujet laryngectomisé. La communication entre le patient et son partenaire est donc essentielle. Cependant, trop peu d’études concernent l’amélioration de la communication au sein du couple patientaidant (Morgan, 2009; Porter et al., 2012). Par conséquent, proposer d’optimiser conjointement la communication du patient et de la personne qui l’aide au quotidien semble approprié dans le cadre de la laryngectomie totale. Il nous a ainsi semblé judicieux de proposer un atelier de communication dont les objectifs sont d’améliorer la communication du sujet laryngectomisé et de permettre à l’aidant de devenir un soutien dans la communication du patient. Cet atelier a été proposé à un groupe de sujets laryngectomisés, venusseuls à l’atelier, et à un autre groupe, venus avec leur aidant.
Le cancer du larynx
Epidémiologie et facteurs de risques
Chaque année, 130 000 nouveaux cas de cancer du larynx sont diagnostiqués dans le monde (Wong et al., 2017), dont 80 000 décèdent. Cela représente 5% de la totalité des cancers et 25% des cancers des Voies Aéro-Digestives Supérieures (VADS). L’incidence est bien plus importante chez les hommes que chez les femmes. Ce cancer est généralement diagnostiqué entre 50 et 70 ans. (Babin et al., 2014). C’est une maladie multifactorielle. Le tabac et l’alcool sont les principaux facteurs de risque de cette maladie (Babin et al., 2014; Thompson et al., 2020). Un autre facteur est un contexte socio-économique défavorable : il peut engendrer une mauvaise gestion de la santé, une dépendance à l’alcool, des habitudes alimentaires défavorables. D’autres facteurs de risque sont mis en évidence tels que la génétique, la présence de certains virus, l’exposition à certains matériaux tel que l’amiante, les microparticules métalliques, les agents sulfuriques, goudronneux, le bois,… (Prades & Reyt, 2013).
Sémiologie
De nombreux signes sémiologiques permettent de suspecter un cancer du larynx (Babin et al., 2014; Prades et Preyt, 2013) :
– Une dysphonie : si présente pendant plus de trois semaines cela doit interpeller.
– Une dysphagie : symptôme courant lors de la présence d’une tumeur laryngée.
– Une odynophagie : douleur au niveau du pharynx.
– Une otalgie : douleur au niveau de l’oreille.
– D’autres signes tels qu’une dyspnée, un gonflement latéro-cervical et des fausses routes.
Un diagnostic peut ainsi être suspecté si plusieurs de ces symptômes sont présents, ou bien si le sujet présente une altération de son état général ou encore un amaigrissement pouvant être lié à la dysphagie (Haute Autorité de Santé, 2012). Malgré un nombre important de signes sémiologiques, de nombreuses tumeurs laryngées sont diagnostiquées tardivement (Prades & Reyt, 2013).
Laryngectomie totale
La laryngectomie totale (LT) est une « ablation chirurgicale de l’ensemble du larynx et de son squelette » (Courrier et al., 2018). L’exérèse concerne donc la tumeur, le larynx dont les cordes vocales, l’épiglotte et les cartilages thyroïde, cricoïde et aryténoïdes (figure 1). Elle peut être indiquée dans le cas d’un cancer du larynx, du pharynx ou du tiers supérieur de l’œsophage. En fonction de l’étendue de la tumeur et de l’origine du cancer, l’exérèse pourra s’étendre à des régions voisines telles que l’hypopharynx, la base de la langue (subglossolaryngectomie totale), la glande thyroïde, les muscles prélaryngés, ou la peau (Babin et al., 2014). Ici, nous parlerons seulement d’une atteinte isolée du larynx. La LT est une intervention vitale pour de nombreux patients. Actuellement, les tendances préfèrent se diriger vers des protocoles de préservation laryngée. Néanmoins, la LT a longtemps été une chirurgie incontournable permettant d’offrir un taux de survie élevé pour les sujets avec une maladie locale avancée. Ainsi, elle est préconisée lorsque l’extension de la tumeur est telle qu’une laryngectomie partielle fonctionnelle est contre-indiquée ou suite à un échec de tentative de préservation de l’organe (Thompson et al., 2020; Wong et al., 2017). Lors de cette intervention, les modifications anatomiques sont multiples. La LT supprime les cordes vocales. Suite au retrait du larynx, les voies respiratoire et digestive sont rendues indépendantes ; le carrefour aéro-digestif est supprimé. Le trachéostome est un orifice permanent : la trachée est abouchée à la paroi antérieure du cou. L’oropharynx est maintenant seulement relié à l’œsophage. En effet, lors du retrait du larynx, le chirurgien réalise une brèche dans le pharynx qu’il referme ensuite avec une suture. Dans certains cas, pour conserver un pharynx ample et une déglutition fonctionnelle, il peut être nécessaire de le reconstruire avec un lambeau musculo-cutané, prélevé à un autre endroit du corps du patient (pour la LT, c’est souvent un morceau du grand pectoral). La suture doit être suffisamment cicatrisée pour avoir une alimentation orale sans fausses routes ; c’est la raison pour laquelle les patients ont une sonde naso-gastrique (SNG) le temps de la cicatrisation. (Le Huche et al., 2015). Pendant l’intervention ou en post-opératoire, le chirurgien peut créer une fistule entre la trachée et l’œsophage pour y insérer un implant phonatoire. C’est une valve sans retour qui permet le passage du souffle phonatoire vers la bouche œsophagienne (orifice d’entrée de l’œsophage) lors de l’obturation du trachéostome (Le Huche et al., 2015).
Traitements complémentaires
La laryngectomie totale est souvent une chirurgie de sauvetage. Elle est donc souvent accompagnée d’un traitement chimiothérapique et/ou d’un traitement radiothérapique avec des rayons. L’indication courante suite au diagnostic d’un carcinome laryngé avancé est une LT associée à une radiothérapie post-opératoire (Prades & Reyt, 2013). La radiothérapie peut complexifier la réhabilitation vocale puisqu’elle entraîne un durcissement de l’épiderme et peut rigidifier le cou, en fonction de l’endroit où les rayons sont projetés.
Moyens de communication à disposition des personnes laryngectomisées
Après l’intervention, la parole telle que nous avons l’habitude de la produire n’est plus possible. Les personnes qui ont subi une LT peuvent utiliser divers moyens de communication, en fonction de leurs envies et de leurs capacités physiques et psychiques. Souvent, après l’opération, les sujets utilisent plus d’un moyen de communication (Happ et al., 2005). Malgré cela, Happ et al. constatent qu’après la chirurgie, les sujets ont souvent une communication frustrante et isolante (2005).
La voix chuchotée
La voix chuchotée peut être utilisée très rapidement en post-opératoire. Elle peut être utilisée en tant que moyen de communication à part entière. Goddet et Guillard explique que pour être bien audible, « l’articulation doit être nette et précise » (2007). La principale difficulté dans l’acquisition de cette voix est de réussir à faire disparaître l’automatisme d’expirer pendant la phonation car dans le cas de la LT, le souffle sort bruyamment par le trachéostome. Or, l’expiration n’est pas utile pour la voix chuchotée, elle masque le chuchotement et rend la compréhension plus difficile. En plus des bruits de souffle trachéal, des bruits de raclement de la base de langue contre le palais ou « grenouillages » vont venir interférer avec le chuchotement. De plus, les phonèmes qui ne se distinguent que par une vibration du larynx (phonèmes sourds et sonores) ne sont plus différenciés. Cependant, il est important de noter que cette option de communication est rapidement utilisable, et parfois bien compréhensible en face à face et dans un milieu calme (Heuillet Martin & Conrad, 2003). Elle permet également de maintenir une bonne articulation qui servira lors de l’apprentissage de la Voix Oro-Œsophagienne (VOO) et de la Voix Trachéo-Œsophagienne (VTO) ou avec un laryngophone.
Le langage écrit
Juste après l’intervention, l’écrit est très souvent utilisé, si les patients le maîtrisent, car il permet de continuer à communiquer (Dooks et al., 2012). De nombreux supports sont utilisables : blocs-notes, cahiers, ardoises effaçables, « ardoises magiques », mails, SMS,… (Happ et al., 2005). Le langage écrit permet d’être précis et de donner des détails. Cependant, cette option de communication est beaucoup plus lente que le langage oral et le contenu est limité dans le temps (Sharpe et al., 2019). De plus, par écrit, il est plus difficile de faire passer ses émotions.
La synthèse vocale
La synthèse vocale est accessible via des appareils électroniques. C’est une aide à la communication par sortie vocale, elle produit une voix numérisée pré-enregistrée. Il est possible d’utiliser un clavier pour y écrire le message que nous faisons ensuite entendre à l’interlocuteur, ou bien de programmer des messages pertinents et qui sont utiles régulièrement comme « j’ai mal ». Ces messages sont ainsi pré-enregistrés et accessibles facilement sur l’écran. C’est un outil intéressant car il permet de communiquer assez rapidement. Toutefois, il dépend de la familiarité des patients avec les outils numériques (Happ et al., 2005).
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Table des matières
INTRODUCTION
PARTIE THEORIQUE
1 LE CANCER DU LARYNX
1.1 Epidémiologie et facteurs de risques
1.2 Sémiologie
1.3 Laryngectomie totale
1.4 Traitements complémentaires
1.5 Conséquences physiologiques
1.6 Moyens de communication à disposition des personnes laryngectomisées
1.6.1 La voix chuchotée
1.6.2 Le langage écrit
1.6.3 La synthèse vocale
1.6.4 Le non verbal
1.6.5 La voix oro-œsophagienne
1.6.6 La voix trachéo-œsophagienne
1.6.7 La voix par prothèse externe
2 CONSEQUENCES PSYCHOSOCIALES ET COMMUNICATIONNELLES
2.1 La communication
2.1.1 Définition
2.1.2 Impacts de la laryngectomie totale sur la communication
2.2 La qualité de vie
2.2.1 Définition
2.2.2 Impacts de la laryngectomie totale sur la qualité de vie
2.3 L’image de soi
2.3.1 Définition
2.3.2 Impact de la laryngectomie totale sur l’image de soi
3 LA PLACE DE L’AIDANT DANS L’EDUCATION THERAPEUTIQUE
3.1 L’aidant
3.1.1 Définition et rôle
3.1.2 Impact de la LT sur la vie de l’aidant
3.1.3 L’aidant dans la LT : le premier partenaire de communication
3.2 Education thérapeutique du patient et de l’aidant
3.2.1 Définition de l’Education Thérapeutique du Patient
3.2.2 L’ETP dans la laryngectomie totale
3.2.3 Le programme PETAL : intégration de l’aidant au sein de l’ETP dans le cadre de la LT
PROBLEMATIQUE ET HYPOTHESES
1 PROBLEMATIQUE
2 HYPOTHESES
2.1 Hypothèses générales
2.2 Hypothèses opérationnelles
PARTIE PRATIQUE
1 METHODOLOGIE
1.1 Echantillon
1.1.1 Critères d’inclusion
1.1.2 Description de l’échantillon
1.1.2.1 Les sujets laryngectomisés vus seuls (groupe A)
1.1.2.2 Les sujets laryngectomisés vus avec leur aidant (groupe B)
1.2 Matériel
1.2.1 Description de l’atelier
1.2.1.1 Première activité
1.2.1.2 Deuxième activité
1.2.1.3 Troisième activité
1.2.2 Description du questionnaire
1.3 Procédure
1.4 Méthodologie d’analyse des données recueillies
2 RESULTATS
2.1 Analyse des résultats au sein de l’échantillon total (8 sujets laryngectomisés)
2.1.1 Hypothèse 1 : les capacités communicationnelles
2.1.2 Hypothèse 2 : Qualité de vie et image de soi
2.2 Comparaison des résultats pré et post atelier entre le groupe avec aidant et le groupe sans aidant
2.2.1 Hypothèse 3 : Capacités communicationnelles
2.2.2 Qualité de vie et image de soi
DISCUSSION
1 RE-CONTEXTUALISATION
2 INTERPRETATION DES RESULTATS ET CONFRONTATION AUX DONNEES DE LA LITTERATURE
2.1 Hypothèse 1
2.2 Hypothèse 2
2.3 Hypothèse 3
2.4 Hypothèse 4
3 LIMITES ET PERSPECTIVES DE L’ETUDE
3.1 Limites
3.1.1 Période sanitaire
3.1.2 Les sujets
3.1.2.1 Critères d’inclusion
3.1.2.2 Effectif
3.1.2.3 Répartition des groupes A et B
3.1.3 Pertinence du questionnaire
3.1.3.1 Création du questionnaire pour les sujets laryngectomisés
3.1.3.2 Création du questionnaire pour les aidants
3.1.3.3 Cotation du questionnaire
3.1.4 Pertinence du protocole de passation
3.1.4.1 Atelier individuel
3.1.4.2 Atelier unique
3.1.4.3 Effet à long terme
3.2 Perspectives
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES