L’insuffisance cardiaque chez la personne âgée
La population insuffisante cardiaque âgée
La prévalence de l’insuffisance cardiaque serait de 2,3% dans la population française (2), ce qui concernerait 1,5 millions de personnes en France en 2017. Cette pathologie concerne une population âgée puisque l’âge moyen est de 78 ans et l’âge médian de 81 ans. Parmi les patients IC, 75% ont 75 ans ou plus avec une proportion plus importante de femmes, passant de 51 % à 61% chez les plus de 75 ans. Chaque année, 120 000 nouveaux patients atteints d’IC sont diagnostiqués .
Un enjeu de santé publique actuel
D’après la CNAM, la prise en charge de l’insuffisance cardiaque chronique représenterait 0,8% des dépenses de santé en 2017 ; ce qui correspond à 1 339 millions d’euros dont 84% pour les soins de ville, 12% pour les dépenses hospitalières et 4% pour les prestations en service. L’évolution de l’insuffisance cardiaque est émaillée d’épisodes de décompensation aiguë. Ceux-ci sont à l’origine d’hospitalisations fréquentes chez les personnes âgées. Ainsi, 165 093 hospitalisations ayant pour cause principale l’insuffisance cardiaque ont été recensées en 2014 (1). Parmi ces hospitalisations pour insuffisance cardiaque, les patients de 85 ans et plus représentent une part importante avec 43,4% dont 2/3 de femmes. Pour une première hospitalisation, l’âge moyen en 2008 était de 79 ans (4). En 2014, les taux standardisés régionaux de patients hospitalisés pour insuffisance cardiaque montrent des disparités régionales avec les taux les plus élevés dans les Hauts-de-France, en Normandie et à La Réunion. Ces taux peuvent s’expliquer par une prévalence plus importante de facteurs de risque cardio-vasculaires et par des inégalités sociales dans ces territoires.
Le nombre de décès pour insuffisance cardiaque était en 2010 de 23 882 en cause initiale et de 72 809 en cause associée. Ce chiffre reste stable en 2013 avec 70 213 décès en cause associée. Les décès pour insuffisance cardiaque concernent une population très âgée avec un âge moyen de 86,4 ans et un âge médian de 88 ans. La mortalité de l’IC à court et moyen terme est élevée puisqu’elle est de 25% à 1 an et de 50% à 5 ans pour les stades III et IV de la NYHA. (5) (1) La mortalité est plus importante au décours d’une hospitalisation pour insuffisance cardiaque avec une survie moyenne de 5 ans en 2008 (5). Ces notions incitent à mieux prendre en charge les patients IC en ambulatoire afin de diminuer le risque d’épisode aigu, d’hospitalisation et de réduire les coûts liés à cette pathologie. Dans ce contexte, l’assurance maladie a étendu, depuis 2013, le service de retour à domicile des patients hospitalisés, le PRADO, aux patients insuffisants cardiaques. Ce service a pour objectif de faciliter le retour au domicile et d’éviter les nouvelles hospitalisations en anticipant les besoins du patient. Il permet également une anticipation des consultations et du suivi nécessaires après l’hospitalisation. Parmi les enjeux de ce service, nous pouvons souligner la préservation de la qualité de vie, de l’autonomie des patients et le rôle du médecin traitant pour les soins ambulatoires. Le patient, au cours de son hospitalisation, doit cependant être adhérent au projet pour en bénéficier. Dans les premières semaines après la sortie du patient, une consultation doit être prévue avec le médecin traitant, ainsi qu’une consultation longue dans les 2 mois. Une consultation avec le cardiologue est prévue au cours du 2ème mois et des séances hebdomadaires de surveillance et d’éducation sont programmées avec une infirmière.
Des perspectives d’augmentation à l’avenir
L’augmentation du nombre de patient atteints d’insuffisance cardiaque s’explique par plusieurs points : l’augmentation de la population générale et plus particulièrement de la population âgée, une meilleure prise en charge des pathologies cardio-vasculaires, des évènements aigus cardio-vasculaires et de l’IC en elle même. Le patient IC âgé est donc un patient polypathologique ce qui complexifie sa prise en charge optimale.
La prévalence des consultations en médecine générale pour insuffisance cardiaque est de 11,9% chez les patients âgés de 60 ans et plus et de 20% chez les plus de 80 ans. (5) (3) L’insuffisance cardiaque est ainsi un motif fréquent de consultation au cabinet du médecin généraliste, d’autant plus chez les personnes âgées. Ces éléments soulignent que l’insuffisance cardiaque chronique, au travers de son histoire naturelle émaillée d’épisodes aigus et par l’augmentation du nombre de patients atteints, est une pathologie dont le coût sera de plus en plus conséquent. De plus, le MG sera amené à gérer un nombre plus important de consultations en rapport avec cette pathologie.
Les comorbidités chez l’insuffisant cardiaque
Une population âgée dont la prise en charge est rendue complexe
L’insuffisance cardiaque est en lien avec plusieurs comorbidités dont la connaissance et la prise en charge sont essentielles pour le praticien et le patient. Chez les patients de 85 ans et plus, un tiers des insuffisants cardiaques présente au moins six affections associées. (6) Etant donné que les patients IC sont de plus en plus âgés, leur prise en charge ne peut se concevoir sans celle de ces comorbidités. De plus, les patients IC à FE préservée et modérément réduite représentent plus de la moitié des IC âgés chez lesquels ces comorbidités ont une place primordiale dans la prise en charge. Elles ont un impact sur plusieurs points : les possibilités thérapeutiques, la survenue d’épisodes de décompensation, leur traitement pouvant interférer avec celui de l’insuffisance cardiaque. Certaines constituent un facteur de mauvais pronostic chez l’IC. D’un point de vue clinique, elles compliquent le diagnostic par les symptômes et signes communs à plusieurs pathologies. Pour le patient, elles sont source d’aggravation de la qualité de vie. Enfin, elles représentent un critère d’exclusion dans les études, ce qui provoque un manque d’information chez ces patients âgés atteints de multimorbidité.
La dénutrition chez le patient insuffisant cardiaque
L’alimentation représente un élément essentiel dans la prise en charge de l’IC chronique. En effet, elle intervient sur l’aspect préventif des maladies cardiovasculaires initialement, puis dans la prise en charge globale lorsqu’une insuffisance cardiaque est diagnostiquée et enfin au niveau du pronostic et de la qualité de vie des patients IC âgés. Ainsi en matière de prévention, il est recommandé selon le PNNS de 2006, une prise en charge des facteurs de risque cardio-vasculaire via une alimentation limitée en sel et en lipides athérogènes, de favoriser un régime « méditerranéen » et la lutte contre la masse grasse qui augmente lors du vieillissement. (7) De plus, l’alimentation fait partie de la prise en charge non médicamenteuse via les conseils diététiques dispensés au patient.
Dans ce contexte, il faut être vigilant à la notion de dénutrition, surtout chez les patients âgés IC chez lesquels elle représente un syndrome gériatrique. Cependant, la dénutrition reste largement sous diagnostiquée chez ces patients dans la population hospitalisée et ambulatoire. (8) Si le stade extrême de cachexie est atteint dans une pathologie chronique, son traitement est difficile en raison de l’impact négatif et de l’avancée de la pathologie. Sa prévention est donc un élément essentiel afin d’éviter la survenue d’un stade avancé et d’une cachexie cardiaque. (22) La dénutrition apparaît comme une comorbidité claire de l’IC. La prévention, le repérage et la prise en charge adaptée doivent être les plus précoces possibles.
Epidémiologie, prévalence
En ce qui concerne la population IC, la prévalence de la dénutrition serait de 16 à 62% pour les patients stables et plus encore pour les patients en situation aiguë ou au stade IV de la NYHA puisqu’elle serait de 75 à 90%. (10) La dénutrition chez le patient IC est un facteur prédictif de mortalité. (11) La présence d’une dénutrition après un épisode de décompensation cardiaque multiplie par 4 le risque de décès dans l’année suivante.
La sarcopénie et la cachexie cardiaque : possibilités de prise en charge limitées
La prise en charge nutritionnelle chez ces patients IC âgés concerne plusieurs pathologies : la sarcopénie, qui est majorée lors du vieillissement, la cachexie cardiaque liée à l’IC à un stade avancé et la dénutrition.
La sarcopénie
La sarcopénie a été définie comme une perte progressive de la masse musculaire et de la force avec un risque d’effets indésirables tels que l’invalidité, la mauvaise qualité de vie et le décès. (27) (12) (8) La masse musculaire diminue progressivement avec l’âge chez les personnes en bonne santé ; ce phénomène s’accélère vers 50 ans et après la ménopause chez les femmes. (13) La sarcopénie est associée à la notion de vieillissement de l’organisme mais peut se rencontrer chez des patients moins âgés dans un contexte de dénutrition, de maladies inflammatoires ou de troubles endocriniens. (8) La sarcopénie se rencontre chez les personnes âgées même indemnes de pathologie chronique. (12) (14) Elle représente un problème gériatrique, puisque se retrouvant plus fréquemment chez la personne âgée (8) (14) : elle est retrouvée chez 5 à 13% des patients âgés de 60 à 70 ans et ce chiffre augmente jusqu’à 50% chez les plus de 80 ans. (33) La sarcopénie est une comorbidité de l’IC présente chez 30 à 50% des patients et est associée à un mauvais pronostic (33) (15) ainsi qu’à un stade avancé de la maladie. (16) Sa prévalence concerne aussi bien les patients à FE préservée qu’à FE réduite. La sarcopénie majore le risque infectieux d’un facteur de 2 à 8 et le risque de chute de 6 avec pour conséquence : fracture, perte d’autonomie, dépression, pouvant aller jusqu’au décès. Sur le plan tissulaire, la sarcopénie se manifeste par une atrophie des fibres musculaires de type II dites rapides et celles de type I, d’une baisse du nombre d’unités motrices, d’une augmentation de la graisse et du tissu conjonctif musculaire, d’une altération des protéines musculaires et d’une diminution du nombre d’unités motrices. (8) (12) Ces phénomènes sont provoqués par un déséquilibre de la balance entre anabolisme et catabolisme de la synthèse protéique musculaire. Plusieurs éléments interviennent en ce sens :
– Une réduction des hormones anabolisantes : testostérone, hormone de croissance, IGF-1. (8) La synthèse protéique est diminuée par une insulinorésistance et une baisse de la testostéronémie et de l’IGF-1, molécules activant les voies cellulaires de synthèse et inhibant les voies cellulaires de la dégradation protéique. Ces effets sont altérés avec le vieillissement : l’insulinorésistance est majorée et les taux de testostérone et d’IGF-1 diminuent
– Une diminution de la stimulation musculaire : immobilité, déconditionnement à l’effort, sédentarité. (13) (17) Situations qui peuvent être fréquentes chez les patients IC âgés
– Une inflammation chronique avec augmentation des cytokines proinflammatoires notamment TNF-α et IL-6. Celle-ci majore la protéolyse musculaire, rencontrée chez les personnes âgées polypathologiques
– Enfin, un apport protéino-énergétique insuffisant majore cette perte protéique .
Ces phénomènes sont retrouvés dans le cadre d’une ICC. Ils majorent la survenue d’une sarcopénie et peuvent aboutir plus rapidement à un état de véritable cachexie cardiaque. Le diagnostic de sarcopénie a été abordé par le groupe de travail européen sur la sarcopénie chez les personnes âgées en 2010. Elle comprend deux critères :
– Une masse musculaire supérieure ou égale à 2 écarts types sous la moyenne mesurée chez les jeunes adultes de même sexe et origine ethnique. L’évaluation de la composition corporelle peut s’effectuer par diverses techniques qui permettent d’obtenir directement la masse musculaire et adipeuse : l’absorptiométrie à rayons X à double énergie (DEXA) qui permet également d’apprécier la masse osseuse, l’analyse d’impédancemétrie bioélectrique, la tomodensitométrie et l’IRM (18)
– Le deuxième critère est une faible vitesse de marche (inférieure à 0,8 m/s pour 4 mètres parcourus). Ce deuxième critère décrit peut être remplacé par un autre test fonctionnel rencontré dans l’évaluation gériatrique. (8) Le deuxième critère est réalisable en pratique clinique à l’inverse du premier critère qui sous-entend une évaluation de la composition corporelle et donc peu accessible en médecine générale .
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Table des matières
INTRODUCTION
I. L’insuffisance cardiaque chez la personne âgée
A. La population insuffisante cardiaque âgée
B. Un enjeu de santé publique actuel
C. Des perspectives d’augmentation à l’avenir
II. Les comorbidités chez l’insuffisant cardiaque
A. Une population âgée dont la prise en charge est rendue complexe
B. Les principales comorbidités
III. La dénutrition chez le patient insuffisant cardiaque
A. Epidémiologie, prévalence
B. La sarcopénie et la cachexie cardiaque : possibilités de prise en charge limitées
C. Anémie, carence martiale
IV. La dénutrition en médecine générale
A. Epidémiologie : quelques chiffres clés
B. Le rôle du médecin généraliste dans la dénutrition chez le sujet âgé
C. Les difficultés du médecin généraliste en matière de dénutrition
V. Présentation de la question de recherche
Matériel et méthode
I. Type d’étude
A. Enquête qualitative
B. Entretiens individuels semi-dirigés
II. Echantillonnage
A. Caractéristiques de l’échantillon
B. Mode de recrutement
III. Recueil des données
A. Déroulement du recueil
B. Guide d’entretien
IV. Méthode d’analyse
A. Retranscription
B. Analyse des entretiens
V. Procédure réglementaire
Résultats
I. Résultats descriptifs
II. Résultats qualitatifs
A. Objectifs des médecins généralistes
B. Moyens utilisés par les médecins
Les moyens propres au médecin
Les moyens externes
C. Difficultés et freins pour la prévention
Discussion
I. Forces et faiblesses de l’étude
A. Forces
B. Faiblesses
II. Résultats principaux
A. Objectifs des médecins
B. Les moyens utilisés par les médecins généralistes
C. Difficultés et freins
III. Perspectives
Conclusion
Références bibliographiques
Annexes