Le 20ème siècle s’est caractérisé par une croissance démographique et économique inédite. A l’échelle planétaire, la population a quadruplé à 6,4 milliards d’êtres humains. Le PIB a plus que doublé (Maddison, 2001).
Cette formidable expansion consacre la pensée occidentale moderne, née sous les Lumières, et à laquelle la révolution industrielle a donné corps (Bourg & Fragnière, 2014). Elle s’est cependant accompagnée d’une altération sans précédent des systèmes naturels (McNeill, 2001; Steffen, Crutzen, & McNeill, 2007). Le besoin d’apport en matières premières aux systèmes socioéconomiques est devenu sans commune mesure avec celui prévalant durant l’ère préindustrielle. Il en va de même pour le niveau des émissions de déchets et de pollutions issues des activités humaines (Fischer-Kowalski & Haberl, 1998, 2007; Steffen et al., 2007).
Ce phénomène est toujours actuel. Compte tenu des dernières projections socioéconomiques, il est même voué à s’amplifier. La planète compte 7,5 milliards d’habitants en 2017, et ce nombre devrait croître de 2,7 milliards d’ici 2060 (ONU, 2017). Dans le même temps, à l’échelle mondiale, le PIB/hab. est amené à tripler pour atteindre le niveau moyen actuel des pays de l’OCDE (OECD, 2019b). D’ici 2050, trois milliards de personnes sont susceptibles de rejoindre la classe moyenne mondiale (WBCSD, 2009).
Environnementalement, cette situation n’est pas viable. Le système socioéconomique en vigueur entretient un lien démontré entre démographie, PIB, et consommation de ressources naturelles (Krausmann et al., 2009). Or, depuis les années 1980, les activités socioéconomiques génèrent d’ores et déjà une surexploitation permanente des capacités régénératives du système Terre (Figure 1). En particulier, aujourd’hui, l’utilisation des terres, la biodiversité, le climat, et les cycles biogéochimiques de l’azote et du phosphore rencontrent un point de rupture (Gerland et al., 2014; GIEC, 2018; Meadows, Randers, & Meadows, 2009; Rockström et al., 2009; Steffen et al., 2011; Wackernagel & Galli, 2007; Wackernagel et al., 1999).
Ce contexte impose une transition vers des systèmes socioéconomiques prenant en compte la contrainte environnementale. Dès les années 1970, les appels en ce sens se sont multipliés. Depuis, l’écologie s’est définitivement érigée comme un courant de pensée (Bourg & Fragnière, 2014). Elle est désormais intégrée à l’agenda des institutions internationales (ex. UNEP, 2015, 2017). En Asie et en Europe, elle imprègne tous les pans de la société : opinions publiques, société civile organisée, communautés scientifiques, milieux d’affaires, et sphères politiques (EC, 2017; Ghisellini, Cialani, & Ulgiati, 2016; INSEE, 2019; Lacroix & Zaccai, 2010; Murray, Skene, & Haynes, 2017). Pourtant, malgré des avancées notables, la transition écologique se heurte à une inertie collective. En témoigne des ressources naturelles demeurant en état de surtension et l’absence de signe d’inversion de la tendance de fond (OECD, 2019b).
Un modèle d’opérationnalisation des principes écologiques manque. C’est l’une des principales raisons à l’inertie avancée par les milieux d’affaires et industriels (Murray et al., 2017). C’était une critique forte adressée au concept de développement durable (Bourg & Fragnière, 2014; Kirchherr, Reike, & Hekkert, 2017; Lélé, 1991; Robinson, 2004). C’est à ce stade de la mise en pratique que l’économie circulaire a émergé.
L’économie circulaire est apparue dès les années 1980. Elle s’impose depuis les années 2000 comme un modèle d’opérationnalisation des principes écologiques, voire de ceux relevant du développement durable (Blomsma & Brennan, 2017; Geissdoerfer, Savaget, Bocken, & Hultink, 2017; Murray et al., 2017). Elle poursuit ainsi l’objectif de réduire l’impact environnemental des activités humaines. Sa mise en pratique implique, via un bouclage des flux de matière, de limiter consommation des ressources naturelles, production de déchets, et émission de pollutions (ADEME, 2014; EMF, 2012; Geissdoerfer et al., 2017; Ghisellini et al., 2016; Korhonen, Honkasalo, & Seppälä, 2018; Murray et al., 2017; UNEP, 2017).
L’économie circulaire a initialement été adressée aux entreprises industrielles. A cet égard, elle recouvre les pratiques d’éco-efficience qui diminuent l’intensité matière des processus de production (Huppes & Ishikawa, 2009) ; elle permet de penser les déchets comme des ressources à réintégrer aux chaines de valeurs (Perey, Benn, Agarwal, & Edwards, 2018) ; et elle réoriente les modèles d’échanges serviciels de sorte à améliorer la gestion du cycle de vie du produit (Mont, 2002; Stahel, 1976; Vandermerwe & Rada, 1988). L’intention est alors double : limiter les risques et coûts afférents à l’environnement, et développer une nouvelle forme d’avantage concurrentiel.
La recherche en management fait état de la mise en œuvre de ces pratiques (Ghisellini et al., 2016; Murray et al., 2017). Pourtant, malgré les avancées considérables de la recherche et des succès de mise en œuvre certains, un changement de focale est nécessaire pour opérer un passage à l’échelle sociétale. La multiplication des politiques publiques portant sur l’économie circulaire depuis les années 2010 va en ce sens. Aussi, plusieurs chercheurs ont appelé à renouer avec une approche holistique apte à rendre compte du caractère systémique de la transition vers une économie circulaire. (Ghisellini et al., 2016; Kirchherr et al., 2017; Murray et al., 2017).
La présente thèse s’inscrit dans cette perspective. Elle rejoint cette idée que la diffusion des pratiques d’économie circulaire tient aussi, et peut-être surtout, à des facteurs institutionnels, au sens de la sociologie des institutions (DiMaggio & Powell, 1983; Meyer & Rowan, 1977; Zucker, 1977). Les cas de mise en œuvre qui ont réussi au niveau de l’organisation ou du réseau d’organisations (ex. parcs éco-industriels) ne révèlent pas la dynamique transitionnelle opérant au niveau de la société, ou même de ses sous-parties. La transition est pourtant aussi appelée à ce niveau (CMED, 1987; EC, 2019; OECD, 2019a, 2019b; UNEP, 2015). Et malgré un constat qui tend à l’unanimité, malgré une préoccupation environnementale qui semble au plus haut, force est de constater que le système socioéconomique dominant se caractérise toujours par le triptyque consacré « extraire – fabriquer – jeter ».
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Table des matières
Introduction Générale
1. Chapitre 1 – L’économie circulaire comme objet de recherche
1.1 L’écologie comme courant de pensée
1.1.1 D’une nature sacrée à une nature instrumentalisée
1.1.2 Prise de conscience, appareillage conceptuel et premières actions
1.1.3 Montée en puissance et entrée dans les institutions internationales
1.1.4 L’avènement d’une pensée écologique
1.2 Du rapport Brundtland à l’Agenda 2030, le bilan mitigé du développement durable
1.3 L’économie circulaire, entre conceptualisations et mises en pratique
1.3.1 Contenu conceptuel et mises en pratique
1.3.2 Une diffusion amplifiée par les actions législatives à travers le monde
1.4 Economie circulaire et recherche en management, approches présentes et axes à venir
2. Chapitre 2 – La sociologie néo-institutionnelle, de la théorie de l’isomorphisme à la diffusion de pratiques innovantes
2.1 La sociologie institutionnelle, travaux princeps et construits clefs
2.1.1 De l’économie à la sociologie – Une vision extensive des institutions
2.1.2 Du mythe à l’isomorphisme
2.1.3 L’environnement institutionnel, effets et caractéristiques
2.1.4 Le champ organisationnel, construit central de l’approche sociologique
2.2 Le changement institutionnel
2.2.1 Une stabilité trompeuse
2.2.2 Entre structure et agence, quelles conditions au changement ?
2.2.3 De la dés-institutionnalisation à la ré-institutionnalisation, le processus de changement institutionnel
2.3 Logiques institutionnelles et travail institutionnel, deux points de vue opposés sur les dynamiques institutionnelles ?
2.3.1 Les logiques institutionnelles, une approche culturelle des pratiques institutionnelles
2.3.2 Le travail institutionnel, des pratiques qui résultent d’intérêts individuels
Conclusion Générale
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