L’insertion professionnelle: un défi de taille
Les premières années de pratique d’un enseignant ne sont pas toujours vécues de manière positive. Un peu partout dans le monde, de nombreuses études font état d’une insertion professionnelle en enseignement particulièrement difficile, critique et frustrante (Delvaux, Desmarez, Dupriez, Lothaire et Veinstein, 2013 ; Eurydice, 2002; Mukamurera, 2011). C’ est pourquoi, cette période est souvent qualifiée de « choc de la réalité » pour l’enseignant débutant qui démarre sa carrière. De désillusions en déstabilisations, le débutant passe par des remises en question et doit s’ adapter constamment à un environnement changeant et complexe, tout en éprouvant bien souvent des sentiments de survie, d’ incompétence pédagogique, de vulnérabilité et d’ impuissance (Mukamurera, Martineau, Bouthiette et Ndoreraho, 2013). Faisant face à une multitude de défis, l’ enseignant débutant traverse une triple crise individuelle, impliquant sa socialisation professionnelle, sa professionnalisation ainsi que plusieurs transformations identitaires (Vallerand, Martineau et Bergevin, 2006).
Le défi de l’ insertion professionnelle serait donc à considérer selon une approche transversale. Les embûches que peut rencontrer le débutant à l’ aulne de sa carrière sont nombreuses et sont attribuées à divers facteurs tels que la socialisation organisationnelle et la professionnalité (Mukamurera et al., 2013). Cette réalité dépasse les frontières: il ne concerne pas seulement l’Amérique du nord. En Europe et ailleurs dans le monde, les embûches sont semblables et à chacun de ces facteurs s’associent divers défis (De Stercke, 2014). Parmi les plus marquants, il y a celui du passage d’ un statut d’ étudiant à celui d’ enseignant (Huberman, 1989 ; Mukamurera, 2005) sans progression dans les responsabilités confiées (Duchesne et Kane, 2010 ; Jensen, Sandoval-Hernandez, Knoll et Gonzalez, 2012) et sans véritable soutien ou collaboration de la part de l’équipe-école (Boies, 2012 ; Mukamurera, Bourque et Gingras, 2008).
Il Y a aussi les conditions dans lesquelles se fait la prise de fonction qui sont, elles aussi, ardues. L’embauche se fait souvent à la dernière minute ou en cours d’année et le nouvel enseignant reçoit souvent les tâches « restantes» dont personne ne veut. La lourdeur de la tâche sera particulièrement marquante et souvent, le nouvel enseignant sera amené à enseigner une matière pour laquelle il ne détient pas toutes les qualifications. Les débuts en enseignement se caractérisent fréquemment par une précarité d’ emploi, une instabilité professionnelle et une discontinuité pédagogique (Mukamurera et al., 2013) lesquelles varient également selon l’ordre d’enseignement (Gouvernement Canada, 2014). Au Québec, la situation s’ avère particulièrement problématique au secondaire (Ndoreraho, 2014).
De Stercke, De Lièvre, Temperman, Cambier, Renson, Beckers, Leemans et Marechal (2010) montrent qu’en Belgique les défis auxquels l’ enseignant débutant est confronté touchent des aspects à la fois pédagogiques/didactiques, administratifs/organisationnels/matériels et relationnels. De Stercke (2010) ajoute que les difficultés des enseignants débutants reliées à leur insertion professionnelle diffèrent en fonction de leur cheminement. Et, si la nature des difficultés semble relativement semblable dans un milieu ou un autre à travers le monde (Corneau, 1998 ; De Stercke, 2010; Veen man, 1984), leur ampleur ne semble toutefois pas toujours identique (Martineau et Ndoreraho, 2006). Ainsi, par exemple, la précarité du statut, l’ allongement de la période d’ insertion professionnelle et la discontinuité professionnelle seraient plus préoccupants au Québec ou aux États-Unis qu’en Europe (Mukamurera, 2006).
Implications liées à une insertion professionnelle difficile
Une insertion professionnelle difficile peut mener à des conséquences néfastes, tant pour les personnes concernées que pour la profession et pour le système éducatif. Et, de manière indirecte mais non moins préoccupante, elle peut finalement avoir des implications pour les élèves et leur apprentissage. Au-delà de conséquences individuelles telles qu ‘un taux de stress élevé (Konermann, 2011 ; Royer, Loiselle, Dussault, Cossette et Deaudelin, 2001), des troubles psychologiques plus fréquents chez les enseignants débutants que chez leurs collègues expérimentés ou par rapport à d’ autres professions (Martineau et Ndoreraho, 2006) ou encore l’épuisement professionnel (Comité d’Orientation de la Formation du Personnel Enseignant, 2002), une conséquence majeure est en jeu, à savoir un taux important de décrochage chez les enseignants débutants. Certains chiffres, que ce soit aux États Unis (Ingersoll, 2002), au Québec (Kirsch, 2006), en France (Huberman, 1989) ou encore en Belgique, tant francophone que néerlandophone (Delvaux et al. , 2013; Vlaams Ministerie van Onderwijs en Vorming, 2009) font état de taux de décrochage allant de 8% à 46% durant les premières années d’ enseignement.
La majorité de ces études chiffrent le décrochage entre les trois et les sept premières années d’ enseignement. Touchant ainsi la profession, le décrochage enseignant implique des coûts considérables pour les systèmes éducatifs, et ce, qu’on se trouve en Amérique ou Il ailleurs dans le monde (AEE, 2004; OCDE, 2005).
En effet, ce phénomène interpellant affecte la profession en tant que telle puisqu’ il engendre une perte de fonds investis dans la formation initiale (Martineau et Ndoreraho, 2006). Il affecte également le recrutement, l’embauche et la dynamique du développement professionnel des enseignants (Karsenti, Collin, Villeneuve, Dumouchel et Roy, 2008) ainsi que le maintien de personnel prometteur (Martineau et Ndoreraho, 2006). Au-delà des coûts directs qu ‘ il engendre, le décrochage accentue la pénurie d’enseignants, pouvant dès lors impliquer des conséquences néfastes sur le plan organisàtionnel d’une école. Le fait de quitter la profession implique également une rotation importante d’enseignants. Celle-ci touche indéniablement les élèves et a des retombées sur la qualité de l’enseignement qui leur est dispensé (De Stercke et al. , 2010).
Or il est évident que celle-ci est essentielle pour assurer l’ apprentissage. La précarité d’emploi associée à ce phénomène de rotation enseignante est la cause d’ un manque de stabilité dans la vie scolaire des élèves. Ceux-ci devront sans cesse s’adapter à de nouveaux enseignants qui sont de passage dans l’école. Au lieu de faire des apprentissages scolaires, l’ élève apprend à s’ adapter à son enseignant. Ces enseignants sont d’ ailleurs souvent des débutants (OCDE, 2005; Stoel et Thant, 2002) et n’ont donc pas encore largement développé leurs compétences professionnelles. Leur expertise est encore en train de se construire (Karsenti, Collin, Villeneuve, Dumouchel et Roy, 2008). La qualité de l’enseignement offert par les nouvelles recrues sera dès lors possiblement moins élevée que celle d’un enseignant ayant persisté et ayant atteint le stade de stabilisation (OCDE, 2005).
Cette rotation met aussi en péril la cohésion d’une équipe-école (AEE, 2004) et complexifie par ailleurs l’ instauration de mesures d’ entraide entre les collègues novices et expérimentés (Karsenti et Collin, 2009).
Premières expériences en enseignement et développement professionnel Raymond (2001) indique que les premières années de pratique influencent largement l’attitude de l’ enseignant débutant face à son développement professionnel. Et c’ est à travers ses premières expériences que le débutant développe une vision de la profession et de l’enseignement, laquelle influencera l’engagement dans son processus de développement professionnel. Autrement dit, elle aura un impact sur sa motivation à réfléchir sur sa pratique et à adapter celle-ci en fonction de l’efficacité de son agir auprès de ses élèves (Gervais, 1999).
Les premières expériences s’ avèrent donc cruciales puisqu ‘ elles jettent les bases de la dynamique motivationnelle de l’ enseignant (Raymond, 2001). La motivation de l’enseignant débutant sera par ailleurs influencée par son sentiment de contrôlabilité de la tâche, lui-même associé au sentiment de compétence (Wigfield et Eccles, 2000). Or la perception de la contrôlabilité de la tâche apparaît comme étant une variable essentielle dans la réalisation adéquate et efficace des tâches liées à la profession (Martineau et Presseau, 2006). Le sentiment de compétence aura quant à lui pour effet d’augmenter la confiance du débutant et induira l’émergence de pratiques nouvelles. A contrario, si ce dernier se considère incompétent, il risque de se réfugier dans des pratiques peu novatrices (Gervais, 1999).
Le sentiment de compétence trouvera sa source dans une dimension essentielle et de nature à valoriser la profession, à savoir l’autonomie professionnelle de l’enseignant (Conseil supérieur de l’éducation (CSE), 2004). Pour Zarifian (2004), celle-ci serait d’ ailleurs une condition sine qua non au développement des compétences du professionnel. La compétence n’ existerait d’ ailleurs que si l’enseignant dispose d’une marge de décision et d’initiative et se détourne de prescriptions pour agir. Perrenoud (2002) précise que c.’est en se donnant ou en obtenant une certaine marge de manoeuvre dans les décisions ou les initiatives qu’ il prend que le professionnel pourra déployer ses compétences. L’autonomie sera nécessaire pour que le professionnel puisse prendre des initiatives, décider et agir (El Andoulsi, 2008). L’autonomie professionnelle et les compétences sont dès lors interdépendantes.
L’autonomie professionnelle de l’ enseignant débutant devient ainsi une dimension essentielle de son développement professionnel. Il sera en effet essentiel que ce dernier développe son autonomie puisqu’ elle aura une influence directe sur son processus de développement professionnel en plus de toucher sa motivation au travail et sa persévérance professionnelle, sa compétence et son efficacité dans la profession (OCDE, 2005). Il convient néanmoins de garder à l’ esprit que l’autonomie comporte une dimension personnelle puisqu ‘elle touche le sentiment de compétence de l’enseignant.
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Table des matières
LISTE DES FIGURES
LISTE DES TABLEAUX
Résumé
INTRODUCTION
CHAPITRE 1 PROBLÉMATIQUE
1.1 L’ insertion professionnelle: un défi de taille
1.2 Implications liées à une insertion professionnelle difficile
1.3 Premières expériences en enseignement et développement professionnel
1.4 Faciliter les premières expériences en enseignement: oui, mais comment?
1.5 L’accompagnement comme mesure de soutien privilégiée
1.6 L’accompagnement: potentialités et risques
1.7 L’accompagnement et le développement professionnel
1.8 De l’ importance des compétences et des postures d’accompagnement
1.9 L’état de la question
1.10 Question et objectif général de recherche
CHAPITRE II CADRE CONCEPTUEL
2.1 Le développement professionnel en enseignement
2.1.1 Perspectives développementale et professionnalisante
2.1.2 Perspective organisationnelle
2.1.3 Le développement et l’ insertion professionnels
2.2 Le développement et l’autonomie professionnels
2.2.1 L’autonomie
2.2.2 L’autonomie professionnelle
2.2.3 L’ autonom ie professionnelle de l’enseignant
2.3 Le développement et l’émancipation professionnels
2.3.1 L’émancipation
2.3.2 L’ émancipation professionnelle
2.3.3 L’émancipation professionnelle de l’enseignant
2.4 L’accompagnement
2.4.1 Repères socio-historiques
2.4.2 Visée ou processus ?
2.4.3 Dimension relationnelle
2.4.4 Au-delà de la dimension relationnelle
2.4.5 Synthèse
2.5 La compétence et les compétences d’accompagnement
2.5.1 Émergence
2.5.2 Particularités
2.5.3 Les compétences d’accompagnement: cadre de référence
2.6 La posture et les postures d’ accompagnement
2.6.1 Posture et accompagnement
2.6.2 Posture et principes éthiques
2.6.3 Postures et rôles situés
2.6.4 Postures: entre conceptions et intentions
2.6.5 Les postures d’accompagnement: cadre de référence
2.7 Objectifs spécifiques
CHAPITRE III MÉTHODOLOGIE
3.1 Choix méthodologiques et justification
3.1.1 Positionnement épistémologique
3.1.2 Approche de recherche
3.1.3 Démarche méthodologique: l’étude de cas
3.2 Devis méthodologique: opérationnalisation et instrumentation
3.2.1 Recrutement des participants
3.2.2 Considérations éthiques
3.2.3 Collecte de données: étapes et outils d’investigation
3.2.4 Traitement et analyse des données
3.3. Valeur scientifique de la recherche
3.3.1 Fiabilité
3.3.2 Validité
CHAPITRE IV RÉSULTATS
4.1 Le Cas de la dyade « Roxane – Alix »
4.1.1 La dyade et ses membres
4.1.2 L’accompagnateur et son accompagnement
4.1.3 L’enseignant débutant et son développement professionnel
4.2 Le Cas de la dyade « Nelly – Clémence »
4.2.1 La dyade et ses membres
4.2.2 L’accompagnateur et son accompagnement
4.2.3 L’enseignant débutant et son développement professionnel
4.3 Le Cas de la dyade « Thierry – Gilles »
4.3.1 La dyade et ses membres
4.3.2 L’accompagnateur et son accompagnement
4.3.3 L’enseignant débutant et son développement professionnel
4.4 Le Cas de la dyade « Denis – Maud »
4.4.1 La dyade et ses membres
4.4.2 L’accompagnateur et son accompagnement
4.4.3 L’enseignant débutant et son développement professionnel
CHAPITRE V INTERPRÉTATION
5.1 Principaux résultats de la recherche
5.1.1 L’accompagnement, tel qu’il est conçu
5.1.2 L’accompagnement, tel qu’ il se révèle
5.1.3 L’accompagnement, tel qu’ il est perçu
5.2 De l’accompagnement au développement professionnel des débutants
5.2.1 L’accompagnement au service des ressources
5.2.2 L’accompagnement au service de la réflexion
5.2.3 L’accompagnement au service de l’action
CONCLUSION
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