L’insécurité linguistique des professeurs de langues étrangères non natifs

La présente thèse porte le titre : « l’insécurité linguistique des professeurs non natifs de langues étrangères : le cas des professeurs grecs de français ». Il signale que nous cherchons à examiner la notion d’insécurité linguistique perçue à travers le vécu des professeurs. L’examen de la bibliographie montre que cet aspect de l’affect linguistique a commencé par être étudié par E. Haugen puisqu’il a développé le concept de schizoglossie (comme une situation d’insécurité vis à vis de la norme). Ces travaux ont été repris par W. Labov dans les années 1960, lorsqu’il a travaillé à une étude sur les questions relatives à la prononciation dans un grand magasin new yorkais. Cette première approche, reconnaissant et nommant l’insécurité linguistique, concernait, avant tout, les normes de prononciation et recouvrait donc des distinctions sociales au sein des locuteurs d’une même langue. En 1972, les travaux d’A. Rey, décrivant les normes subjectives, objectives et prescriptives permettent d’affiner cette problématique. N. Gueunier (1978), avec d’autres, a étendu l’acception de W. Labov aux situations de « langues en contact », à ce que l’on appelle aujourd’hui communément la diglossie, attentive aux clivages linguistiques à l’œuvre, dès lors qu’on est en présence d’une minorité et d’une majorité. M. Francard a complété cette approche en liant insécurité linguistique et niveau de scolarisation. Puis il a mis en avant, comme facteur générateur de la notion, les questions de la norme, notamment à travers des travaux sur la francophonie périphérique. L.-J. Calvet a appliqué ces recherches aux contextes plurilingues, permettant d’affiner des définitions de l’insécurité linguistique comme étant le résultat de rapports interlinguistiques. En d’autres termes, l’insécurité linguistique peut aussi bien résulter de la comparaison de son parler avec le parler légitime que du statut accordé à ce parler et intériorisé par le locuteur.

Toutefois, la recherche sur le domaine de l’insécurité linguistique se limite, à notre connaissance, aux locuteurs des langues, qu’ils en soient natifs ou non. Des chercheurs se sont aussi penchés sur les apprenants de langues comme sujets à l’insécurité linguistique, mais jusqu’à présent le groupe socioprofessionnel des professeurs de langues n’a pas été questionné. La présente recherche vient combler ce manque : si de « simples » locuteurs d’une langue se sentent en insécurité linguistique, qu’en est-il des professeurs de langues, pour qui la langue n’est pas simplement un moyen de communication mais constitue leur métier ? Ce sujet est vaste ; nous avons décidé de limiter notre champ de recherche aux professeurs non natifs d’une langue étrangère et, puisque nous faisons potentiellement partie du corpus, nous avons décidé de nous pencher sur les professeurs grecs de français en Grèce. Les résultats présentés proviennent d’une étude qualitative portant sur des professeurs de français en Grèce, pays ayant officiellement adhéré à l’Organisation Internationale de la Francophonie en 2004. Il est à noter que le statut des professeurs de langues est varié, allant d’une très haute reconnaissance sociale à une précarité de fonction et de statut lié à la structure même du système éducatif grec. La formation initiale pour la plupart des enseignants est le passage « obligé » par les départements de langue et de littérature françaises de l’université qui n’ont pas vocation à préparer à l’enseignement mais qui donnent une formation complète et élargie à la civilisation, l’histoire et la littérature. Par ailleurs, la culture éducative grecque promeut un certain nombre d’attentes vis-à-vis des professeurs de langues : l’image du professeur omniscient, idéal du locuteur natif ou encore l’idée que le français est une langue qui doit nécessairement être objet d’un haut niveau de maîtrise grammaticale davantage qu’un outil de communication.

La notion d’insécurité linguistique : étapes d’une élaboration 

L’analyse théorique et méthodologique du sentiment d’insécurité linguistique montre qu’il s’agit d’une réalité complexe. L’absence d’une définition unanimement acceptée en est la preuve (Bretegnier, A., 1996) , ce qui permet à différentes approches de coexister, voire de s’opposer. Dans un premier temps, une brève présentation du cadre théorique de la notion d’insécurité linguistique permettra d’éclaircir le champ. Ainsi que le précise N. Gueunier, dans le bilan des travaux du colloque de Louvain-la-Neuve, les recherches sur l’insécurité linguistique sont, en général, menées à partir de trois types d’enquêtes, à savoir l’enquête sociolinguistique de type labovien, les analyses du contenu des discours épilinguistiques (sollicités ou non ; il est à se demander s’il ne faut pas établir une distinction entre les discours sollicités et ceux qui ne le sont pas) et enfin l’analyse conversationnelle et les enquêtes qui se rattachent au courant interactionniste.

Traditionnellement, l’insécurité linguistique entre dans le cadre de la sociolinguistique. Les attitudes véhiculent les jugements de valeurs envers les différentes variétés linguistiques et constituent ainsi le discours épilinguistique. Ces attitudes sont profondément liées à la question de la norme. Les études sociolinguistiques exposées par la suite, montrent que la norme est une réalité plurielle, régie surtout par des forces sociales. En d’autres termes, c’est la communauté linguistique qui attribue des valeurs extra linguistiques à la variation linguistique sanctionnant ainsi certains emplois langagiers.

Les premières avancées 

L’étude de l’insécurité linguistique est relativement récente puisqu’elle remonte aux années 1960. Quoique les premiers travaux qui traitent la problématique se caractérisent par une absence de définition et de réelle théorisation, l’insécurité linguistique a fait l’objet de plusieurs études. Parmi elles, notamment au sein de l’école variationniste, celles de W. Labov sont les plus remarquables. L’insécurité linguistique est alors considérée comme une conséquence de la variation linguistique. Cette perspective postule que la variation des structures linguistiques entretient une relation étroite avec les structures sociales d’une communauté linguistique.

L’approche sociolinguistique de W. Labov et la catégorisation des normes 

La notion d’insécurité linguistique naît en 1962 avec E. Haugen qui emploie le terme de schizoglossia. E. Haugen utilisait la notion d’insécurité en référence à des situations dans lesquelles coexistaient différentes normes. W. Labov, influencé par le structuralisme européen, reprend la théorie de E. Haugen en 1964 et donne une première définition portant sur les différences de prononciation, tout en reliant les résultats de ces recherches à la sociologie. Il crée le concept d’indice d’insécurité linguistique qu’il définit comme « le nombre d’items pour lesquels un locuteur distingue entre sa propre prononciation et la prononciation correcte ». La notion est donc constituée par le rapport entre un jugement de normativité (l’usage correct selon le locuteur) et une autoévaluation (l’usage personnel selon le locuteur). Pour W. Labov l’insécurité linguistique n’est qu’un indice permettant de montrer quel est le groupe social moteur dans l’évolution linguistique. En d’autres termes, il expliquait le changement linguistique par des raisons sociales.

Mais W. Labov travaillait dans les limites d’une même langue, et cette limitation s’est maintenue jusqu’à aujourd’hui dans la majorité des études portant sur la notion d’insécurité linguistique se réclamant de lui : « In general, we may say that those who adopt a standard of correctness which is imposed from without, and from beyond the group which helped form their native speech pattern, are bound to show signs of linguistic insecurity ». (Tout indique que les locuteurs de la petite bourgeoisie sont particulièrement inclines à l’insécurité linguistique: Labov, W., 1976 ; 183).

Le contexte géopolitique et la question de diglossie (Nicole Gueunier) 

N. Gueunier (1978) s’intéresse à l’insécurité linguistique dans l’espace francophone. Ses recherches sont axées sur des thèmes suivants : la norme (Gueunier, et al., 1978), le continuum créole acrolectal-français régional à partir de corpus oraux (Gueunier, 1980, 1983, etc.), l’évaluation des compétences en français (Gueunier, 1994 et 1995). Ses travaux s’inscrivent dans la continuité des sociolinguistes variationnistes américains et notamment de W. Labov, même si les travaux qu’elle a menés sur le terrain s’en détachent par ailleurs. Ainsi, la structure de l’enquête faite au Liban présuppose, selon R. Tirvassen, la dichotomie compétence / performance et se fonde sur l’indice d’insécurité linguistique, défini par W. Labov, même si N. Gueunier et les autres auteurs présentent un outil d’enquête plus abouti que celui établi par W. Labov lors de son enquête dans les grands magasins new-yorkais. En d’autres termes, N. Gueunier et son équipe outre la phonétique prennent également en compte les autres aspects de la langue.

En travaillant dans les années 1970 sur diverses situations de « diglossie », en France métropolitaine d’une part et à la Réunion d’autre part, et en les comparant avec la situation tourangelle, réputée la plus monolingue en France, N. Gueunier a cru pouvoir repérer une corrélation entre diglossie et insécurité linguistique. En effet, les taux maxima de sécurité linguistique, calculés par test de type labovien, étaient obtenus à Tours, où étaient également tenus les discours les plus « sécures », alors qu’en Picardie, à Limoges et par ailleurs à Saint-Denis de la Réunion, on obtenait les résultats inverses. Ce déterminant-là, « régional » ou « diatopique » l’emportait sur tous les autres comme l’âge, le sexe l’appartenance sociale ou la scolarisation. Dans la décennie suivante, M. Francard enquêtant à Lutrebois, village de la Wallonie du  sud, montrerait au contraire que les sujets les plus insécures ne sont pas dialectophones (et les moins bons francophones) mais, de façon apparemment paradoxale, et au moins chez les aînés, les plus scolarisés. Ce que M. Francard explique ainsi : « […] leur scolarité leur a permis de prendre la mesure du fossé qui sépare la légitimité des usages linguistiques attestés dans leur communauté – et qu’ils pratiquent sans se l’avouer – et celle du ‘ bon usage’ véhiculé par l’institution scolaire. Par l’école, ils sont devenus porte-parole d’un ostracisme qui les frappe eux-mêmes ». (1989, pp. 151).

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Table des matières

INTRODUCTION
CHAPITRE 1. La notion d’insécurité linguistique : étapes d’une élaboration
1.1 Les premières avancées
1.2 L’insécurité linguistique et l’aire francophone
1.3. L’insécurité linguistique et le plurilinguisme
CHAPITRE 2. Discussion des notions-clés liées à l’insécurité linguistique
2.1. La catégorisation de la notion d’insécurité linguistique
2.2. La question de la légitimité
2.3. L’intimité et l’imaginaire linguistiques
2.4. Insécurité linguistique « saine » et « pathologique »
2.5. La structuration normative de l’insécurité linguistique
2.6. Cadre théorique macro et micro de la notion de l’insécurité linguistique
2.7. La typologie des locuteurs
2.8. Le plurilinguisme dans le contexte européen d’apprentissage des langues
2.9. Les enseignants de langues et le plurilinguisme
Conclusion
CHAPITRE 3. Le corps enseignant dans le système éducatif grec autrefois
3.1. La dimension historique de la politique linguistique éducative en Grèce
Conclusion
CHAPITRE 4. Le système éducatif grec actuel
4.1. Bref aperçu sur le système éducatif grec
4.2. Réformes en cours et priorités
4.3. L’enseignement des langues étrangères et du français Les langues étrangères dans le lycée public et privé
CHAPITRE 5. Le corps enseignant dans le système éducatif grec aujourd’hui
5.1. Les données démographiques relatives aux enseignants de français en Grèce
5.2. Les conditions professionnelles des enseignants de français en Grèce
5.3. Le statut social des professeurs
CHAPITRE 6. La formation des enseignants
6.1. La formation linguistique pré universitaire
6.2. La formation initiale
6.3. La compétence linguistique dans la formation initiale
6.4. Les études de 3e cycle
6.5. La formation continue
6.6. La formation vue par les enseignants
CHAPITRE 7. La méthodologie de recherche
7.1. L’échantillon
7.2. Le guide d’entretien
7.3. La méthodologie et les techniques d’analyse des entretiens
CHAPITRE 8. L’analyse linéaire des entretiens : les témoignages des professeurs de 25 à 35 ans
CHAPITRE 9. Les témoignages des professeurs de 50 à 60 ans
CHAPITRE 10. Deux entretiens spécifiques
10.1. IG : « Là, alors, oui vraiment je me sens très mal à l’aise, je me dis mais alors où est passé mon français ? »
10.2. SS : « Je m’adresse à vous entant que professeur de français pas entant que locutrice native »
CHAPITRE 11. Analyse transversale : Les représentations discursives de l’insécurité linguistique
11.1. Convergences et divergences entre les discours des interviewés
11.2. Des définitions de l’insécurité linguistique
11.3. Les origines de l’insécurité linguistique
11.4. Contextes anxiogènes générateurs d’insécurité linguistique
11.5. Des stratégies pour combattre l’insécurité linguistique
11.6. De l’insécurité linguistique à la construction d’une légitimité professionnelle
CHAPITRE 12. Discussion des résultats de l’enquête
12.1. Quelques relations sémiotiques de l’insécurité linguistique
12.2. Revisiter les catégories de l’insécurité linguistique
12.3. Reformuler les hypothèses de travail
12.5. Elaborer des propositions de formation pour gérer l’insécurité linguistique
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE

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