L’innu et les langues algonquiennes
Cadre théorique
Introduction
Dans le but d’introduire des concepts majeurs utiles à l’analyse, cette partie expose les grandes lignes de théorisations existantes de la voix passive ainsi que de l’aspect, principale-ment en rapport aux langues algonquiennes et à l’innu. Dans la section 2.2, quelques théori-sations de la voix passive sont d’abord brièvement survolées d’un point de vue typologique. Ensuite, la description des diverses manifestations de la voix passive dans les langues algon-quiennes est présentée de façon succincte, ainsi que les différents points de vue théoriques qui y sont associés. La section 2.3 accorde une présentation théorique plus détaillée de l’as-pect, notamment au travers de l’analyse proposée par Smith (1991). Puis, elle fait également brièvement état de la théorisation des différentes expressions de ce phénomène au sein des langues algonquiennes et de l’innu. Finalement, la section 2.4 expose les quelques réflexions qui mettent en lien la voix passive et l’aspect de manière sémantique et diachronique dans la littérature scientifique et tentera d’envisager ce lien de manière appliquée à la langue innue en fonction de considérations préexistantes.
La voix passive
Description générale
Amplement théorisée depuis les débuts de la linguistique moderne, la voix et plus par-ticulièrement la voix passive a fait l’objet de nombreuses classifications typologiques. Nous proposons alors de mentionner ici quelques descriptions significatives.
Pour Shibatani (1988: 3-4), la voix est un mécanisme qui sélectionne un constituent syn-taxique grammaticalement proéminent à partir des fonctions sémantiques (par exemple les rôles sémantiques) sous-jacentes d’une proposition. Ce constituent est le sujet. Beaucoup de langues disposent d’un tel mécanisme, de sorte qu’il est possible de dégager une opposition actif-passif dans ces langues, où à la voix active, le sujet grammatical agit sur d’autres élé-ments ou les affecte, tandis qu’à la voix passive, le sujet grammatical subit un effet quelconque. Autrement dit, la voix passive est la voix marquée dont la forme prototypique fait fonctionner le patient en tant que sujet grammatical et n’encode pas syntaxiquement l’agent de l’action. Ainsi, le passif a pour rôle de supprimer l’agent de la phrase (Shibatani, 1985).Mais depuis plus récemment, comme le souligne Drapeau (2012: 175), la définition proposée par Wichmann (2008: 34) est acceptée comme le canon syntaxique de base pour catégoriser la voix passive «as a verbal derivation which involves the promotion of a Patient to subject and the reduction from n-place to (n-1) place of the valency of predication». Ce point de vue rejoint d’ailleurs celui de Keenan (1985: 273) pour qui le passif apparaît comme «a way of deriving n-place predicates from n+1-place predicates». Le fonctionnement de la voix passive en innu illustre tout à fait cette caractérisation. En effet, comme le montre Drapeau (2014), la valence du verbe passivisé en innu diminue (cf. 1.4.7).
Dans les langues algonquiennes
Plus spécifiquement, la voix passive dans les langues algonquiennes a été étudiée par Wolfart (1991) et Dalhstrom (1991) pour le cri des Plaines ainsi que par Rhodes (1991) et Valentine (2001) pour l’ojibwé. Ces recherches concernent uniquement le passif de verbes transitifs. Celui-ci implique la suppression totale de l’agent, si bien que le patient est de ce fait l’unique argument central de la phrase passive. Ces caractéristiques sont valables pour tous les dialectes du cri (Drapeau, 2012: 180). Autrement dit, les algonquinistes s’entendent effectivement sur le fait que la voix passive entraîne la suppression du rôle d’acteur ainsi que l’impossibilité de le faire apparaître de manière indirecte à l’aide de moyens périphrastiques, comme en français ou en anglais avec la préposition ‘par’ ou ‘by’ (Valentine, 2001: 687) 1.Ainsi, dans ces langues, le passif est formé en ajoutant un suffixe spécifique à la racine verbale selon qu’elle est transitive animée ou transitive inanimée. En effet, pour marquer le passif des verbes transitifs inanimés, l’ojibwé et plusieurs dialectes cris (l’attikamek, le cri des Plaines, le cri de la Baie James) utilisent le suffixe –ikate 2 (Drapeau 2012: 181). Et pour former le passif des finales verbales transitives animées, les langues de la famille algonquienne, excepté la langue innue, utilisent la morphologie transitive régulière pour la forme de la troisième personne (Drapeau, 2012: 181-182). Dans ces langues, la voix passive apparaît donc marquée, puisqu’elle est formée au moyen d’un suffixe particulier.
Pour le cas de l’innu, la voix passive est un sujet qui n’a que très peu été décrit de manière complète. Passives in Innu de Drapeau (2012) livre la première description exhaustive de ce phénomène. En effet, cette étude apporte la description de la formation de la voix passive dans cette langue à partir de verbes non seulement transitifs, mais aussi intransitifs. Ainsi, tout comme dans les autres langues algonquiennes, le passif transitif en innu entraîne la suppression totale de l’agent et le patient devient alors l’argument manifeste unique de la proposition. Quant au passif intransitif, il encode des verbes impersonnels sans sujet. L’agent omis des passifs transitifs peut être compris comme humain ou animal, tandis que l’argument sémantique Agent implicite des passifs intransitifs impersonnels est à envisager en tant que «loosely collective human actors» (cf. (6)). Ces passifs suppriment l’agent, mais un argument Agent implicite demeure tout de même dans leur cadre conceptuel (Drapeau, 2012).
L’article de Drapeau (2012) introduit également pour la première fois une troisième sorte de passif, le médio-passif, qui n’a jamais été documenté jusque-là dans aucune autre langue de la même famille. Il est formé à l’aide du suffixe -ikushi ajouté à un radical transitif animé. De plus, cette catégorie partage les mêmes propriétés que celles des passifs simples, mais sa particularité sémantique réside dans le fait que le sujet patient est aussi l’instigateur de l’événement central relaté dans la phrase. Cette caractéristique implique un sous-événement qui précède l’événement principal et qui le motive. Enfin, Drapeau (2012) documente un qua-trième type de passif en innu, à savoir le passif lexical. Déjà amplement discuté précédemment, nous ne nous attardons pas à répéter ses caractéristiques propres et nous renvoyons le lecteur à la section 1.4.8.1. Mais il s’agit tout de même de rappeler ici que ce type de passif en innu diffère en cela qu’il n’est pas dérivationnel à l’image des passifs transitifs et intransitifs, car il est, selon Drapeau (2012) restreint lexicalement.Cependant, l’interprétation strictement passive de certaines constructions présentes dans les langues algonquiennes est sujette à controverse. En effet, il existe un débat au sein de la communauté algonquiniste au sujet de formes verbales qui, d’un point de vue sémantique, ressemblent à des propositions passives où l’agent n’est pas spécifié. Ces formes verbales sont potentiellement analysables comme des propositions passives ou comme des constructions à agent indéfini (indefinite actor constructions). Alors que Dahlstrom (1991) ou Wolfart (1991) argumentent en faveur d’une lecture passive pour ce type de constructions, Rhodes (1991) ou encore Dryer (1997) optent pour une interprétation selon un acteur indéfini. La double interprétation de ces formes verbales est illustrée en (1), un exemple en cri des plaines (Dryer, 1997 : 1): Ici, l’interprétation de cet énoncé selon une analyse passive (‘Je suis aimé’) considère le suffixe –ikawi comme la marque du passif. Donc le verbe est au passif et le ni- apparaît comme le sujet grammatical de la proposition où, d’un point de vue sémantique, il fait office de but. Quant à l’analyse d’après un agent indéfini (‘Quelqu’un m’aime’), elle envisage le suffixe –ikawi comme un acteur (quelqu’un ou quelque chose) non-spécifié. Le préfixe ni-est alors le but du verbe transitif ou, en d’autres termes, son objet grammatical. Dans cette optique, ces propositions sont en somme envisagées comme des propositions actives transitives régulières. En définitive, le fait que le but sémantique soit le sujet grammatical de ce type de propositions constitue, d’un point de vue syntaxique, l’argument de Dalhstrom (1991) qui fonde son analyse passive de la question (Dryer, 1997: 4).Dryer (1997) défend néanmoins une vision morphosyntaxique et propose une analyse alter-native au moyen de l’élément le plus élevé dans la hiérarchie sémantique. La hiérarchie des arguments d’un prédicat est une notion largement formalisée au sein de la littérature syn-taxique notamment par Baker (1988), Jackendoff (1990) et Hale, Kenneth & Keyser (1993) principalement. En effet, Ackema (2014: 331) résume cette idée en expliquant que les argu-ments syntaxiques apparaissent dans les propositions en position ordonnée de manière hiérar-chique. Parallèlement, au niveau lexical, les rôles sémantiques se caractérisent également par un ordre hiérarchisé. Tout comme il existe des principes grammaticaux qui régulent quel ar-gument syntaxique est assigné à quel rôle sémantique, des principes d’application surviennent entre ces deux hiérarchies (syntaxique et lexicale) pour faire en sorte que ces dernières soient alignées. L’exemple le plus commun de hiérarchie sémantique est représenté par l’ordre Agent > But > Thème où l’agent est la personne/la chose qui affecte quelqu’un/quelque chose; le but étant la personne/la chose vers laquelle le mouvement est dirigé et le thème comme la personne/la chose qui subit le mouvement. Si la relation entre la position des arguments syn-taxiques et les différents rôles est constante, alors elle se schématise selon la règle Agent ↔ Sujet, But ↔ Objet indirect, Thème ↔ Objet direct. Ainsi Dryer (1997) adopte la hiérar-chie Acteur ou Agent > But pour expliquer son point de vue par rapport à la controverse de l’analyse des propositions dites à agent indéfini. De ce fait, lorsque l’acteur est spécifié, comme dans les propositions actives directes, il est l’élément le plus élevé. Lorsque l’acteur est non-spécifié, comme dans les constructions comportant un agent indéfini, le but obtient le statut le plus élevé. Cette analyse permet de considérer les constructions comportant un agent indéfini comme des propositions actives et ainsi de rendre compte des propriétés mor-phologiques partagées par les deux types de propositions. À l’heure qu’il est, le débat entre les différentes analyses demeure ouvert. De surcroît, elles sont faites à l’intérieur du même continuum linguistique, ce qui rend le consensus encore plus ardu. L’enjeu étant de savoir si les formes à l’agent indéfini présentes au sein des langues algonquiennes doivent être inclues dans la catégorie du passif des langues de cette famille. Par ailleurs, bien que Drapeau (2012) ne discute pas cette question pour le cas de l’innu, elle apporte en revanche une discussion éclairante au sujet d’un autre débat qui anime les algonquinistes: celui de savoir s’il convient d’envisager les formes inverses des langues algonquiennes comme des formes passives. Étant donné que nous n’envisagerons pas les formes inverses comme des formes passives dans ce travail, nous nous contenterons ici de la présentation des arguments évoqués par Drapeau (2012) contre le point de vue inclusif.
Dans les langues algonquiennes, les verbes transitifs animés à la voix active indexent au moins deux arguments principaux qui peuvent être encodés à l’aide d’items lexicaux et le système direct-inverse fait partie de la voix active. Ce dernier provoque une alternance dans les rôles pragmatiques de ‘topic’ et de ‘focus’. En raison de la hiérarchie de topicalité (voir 1.4.4), dans les phrases directes, le topic est l’agent et dans les phrases inverses, le topic est le patient. Les phrases actives inverses indexent donc deux participants, à l’image des phrases actives directes. En revanche, les verbes à la voix passive n’encodent que le patient. Dans de nombreuses langues, le simple fait que le patient soit le topic justifie l’analyse passive. Mais ce n’est pas le cas en innu, puisque une telle possibilité est justement encodée par le système direct-inverse. Ainsi, les formes inverses demeurent des verbes à la voix actives avec un agent en surface (Drapeau, 2012: 184-185).
L’aspect
Description générale
Bien qu’il existe une multitude de théorisations concernant l’aspect (Vendler, 1967; Verkuyl, 1972; Comrie, 1976; Smith, 1991; Binnick, 2012), tout au long de ce travail, la majeure partie des considérations aspectuelles se fonde principalement sur l’analyse qu’établit Smith (1991). Nous allons alors en présenter les principaux axes, de manière utile et pertinente au propos général.
Smith (1991: 3-4) définit tout d’abord l’aspect comme le domaine sémantique de la struc-ture temporelle de situations, que ce soit des états ou des événements, et leur présentation. Le point de vue aspectuel choisi par le locuteur donne une perspective temporelle aux phrases, si bien que la signification aspectuelle de celles-ci communique à la fois de l’information sé-mantique et pragmatique. En d’autres termes, pour reprendre la métaphore de Smith (1991: 91), un point de vue aspectuel fonctionne comme l’objectif d’un appareil photo, car celui-ci rend les objets visibles ou, dans notre cas, les situations discutées dans des phrases. En effet, il présente un événement dans une certaine mesure et selon un certain focus, tout comme un objectif d’appareil photographique. Smith (1991: 6) dégage alors cinq types de situation ba-siques, chacun possédant des traits caractéristiques conceptuels définitoires propres, à savoir ‘État’, ‘Accomplissement’, ‘Achèvement’, ‘Activité’ et ‘Semelfactif’. Ces types de situation dif-fèrent au niveau des propriétés temporelles de dynamisme, au niveau de la durée ainsi que de la télicité. Un événement sera qualifié de télique lorsqu’il possède une fin intrinsèque et natu-relle (but ou résultat). Ainsi, les États sont statiques et duratifs («savoir la réponse», «aimer Thierry»); les Accomplissements sont dynamiques, duratifs et dénotent des événements té-liques qui consistent en un processus constitué d’étapes successives et d’un résultat («monter une tente», «apprendre le norvégien»); les Achèvements sont dynamiques, téliques et dénotent des événements instantanés («gagner la course», «atteindre le sommet»); les Activités sont dynamiques, duratives et atéliques («sourire», «se promener») et les Semelfactifs sont dyna-miques, atéliques et dénotent des événements instantanés («frapper à la porte»). Par ailleurs, les types de situation dans les langues du monde ne sont pas encodés à l’aide d’un marqueur grammatical. Au contraire, ils sont exprimés par des «constellations verbales» de morphèmes lexicaux qui réfèrent à des situations. Ces constellations obtiennent un encodage syntaxique variant, de sorte que les phrases exprimant des types de situation possèdent des propriétés syntaxiques et sémantiques propres (1991: 10). Il convient néanmoins de noter que les proprié-tés des types de situation mobilisés dans l’analyse seront discutées plus amplement en temps voulu.
Concernant les point de vues aspectuels, Smith (1991: 6) en dégage trois principaux. Il s’agit des points de vue perfectif, imperfectif et neutre. L’auteure les considère en tant que catégories universelles, car ces points de vue demeurent similaires dans les langues du monde, mais ne sont toutefois pas identiques, puisqu’ils ne sont ni exprimés ni distribués de la même manière et ils possèdent une valeur sémantique propre qui doit être connue du locuteur. Le point de vue neutre ne sera pas développé outre mesure ici, car il n’apparaît pas pertinent pour le propos général.
Une phrase qui porte un point de vue aspectuel perfectif présente une situation comme un tout unique qui inclut le début (I) et la fin (F) de la situation en question ou, autrement dit, comme un événement fermé. L’aspect perfectif non marqué peut être schématisé alors comme suit (Smith, 1991: 103):Ce point de vue présente les situations comme ponctuelles qu’elles aient ou non une structure interne ou qu’elles prennent du temps ou pas. Mais, pour reprendre les termes de Lyons (1977) (cité in: Smith, 1991: 104), la notion de ponctualité est subjective et pragmatique: la durée peut alors également tout à fait être exprimée dans des phrases perfectives, comme par exemple dans la phrase française ‘Le roi régna pendant trente ans’. Cependant, ce point de vue ne s’applique pas aux situations statives, étant donné que le début et la fin d’une situation ne font pas partie de leur schéma temporel (1991: 104). Aussi, l’aspect perfectif entraîne l’idée de complétion ou de terme d’une situation plutôt que l’idée d’occurrence d’une situation vue comme un tout (1991: 105). Quant à l’aspect perfectif marqué, il apparaît le plus souvent dans des constructions de type parfait. Celles-ci sont typiquement perfectives et durent au-delà du point final (F) de la situation. En effet, les phrases de type parfait désignent un état présent situé au temps de référence, un état dû au déroulement antérieur d’une situation fermée. Si cette situation implique un changement d’état, l’état résultant n’a pas forcément cours au temps de référence. Aussi, ces phrases attribuent au sujet l’attribut de participant étant donné que le sujet participe à la situation (1991: 149), comme l’illustre la phrase anglaise suivante Henry has been fired.Enfin, l’aspect imperfectif présente seulement une partie d’une situation donnée, sans faire mention de son début ou de sa fin. C’est pourquoi les phrases imperfectives sont considérées comme ouvertes, de sorte que ce point de vue aspectuel couvre un intervalle interne à une situation donnée, tel que reproduit schématiquement ici (Smith, 1991: 111):Les barres obliques de ce schéma indiquent l’étendue de l’aspect imperfectif non marqué et ce, pour tous les types de situation. Par exemple, le temps verbal ‘imparfait’ du français illustre le point de vue aspectuel imperfectif général, comme dans la phrase qui désigne un état La mer était calme ou dans la phrase L’enfant pleurait qui désigne une activité (1991: 112). En ce qui concerne l’aspect imperfectif marqué, le focus se pose sur les étapes préliminaires d’un événement ou sur les intervalles résultants des événements téliques. Le schéma suivant permet d’illustrer les trois intervalles qui peuvent être focalisés par un imperfectif marqué (1991: 114):Ce schéma indique aussi que l’aspect imperfectif peut également être appliqué à des Achève-ments, comme par exemple dans la phrase anglaise She was winning the race, étant donné que ce type de situation inclut des étapes préliminaires, celles justement sur lesquelles se base le point de vue aspectuel imperfectif marqué (1991: 114-115).
Dans les langues algonquiennes
L’aspect a fait l’objet d’une théorisation tardive au sein de la littérature algonquienne et demeure à ce jour peu abondante. À ce sujet, on peut citer Cyr (1990: 67) qui résume l’état de la question comme suit: «Il va sans dire que la tradition en aspectologie algonquienne est donc pratiquement inexistante. […] L’explication d’une absence de recherche en aspectologie algonquienne tient probablement au fait que les premiers algonquinistes, qui ont pour ainsi dire tracé les grandes lignes de la recherche en ce domaine, ne se sont tout simplement pas intéressés à cette catégorie». De plus, Cyr (1991: 58-59) explique par exemple que Bloomfield et ses disciples n’ont pas porté une attention particulière à la sémantique et aux propriétés fonctionnelles des ordres dans les langues algonquiennes, entraînant ainsi une description uniquement syntaxique distributionnelle incapable d’expliquer leur véritable rôle grammatical. Ce manquement descriptif était dû notamment à l’approche linguistique même de Bloomfield ainsi qu’au manque de connaissances, à l’époque, par rapport à la catégorie générale de l’aspect. Si la description du rôle des ordres a donc été longtemps négligée par la tradition algonquiniste, il est donc tout à fait possible d’affirmer qu’il en a été de même au sujet de la catégorie de l’aspect, car elle demeure très peu investiguée au sein des langues algonquiennes. Toutefois, il convient de mentionner ici quelques travaux traitant de l’expression de l’aspect dans quelques langues algonquiennes qui apparaissent pertinents pour notre propos et qui seront mobilisés tout au long de notre analyse dans les parties 3 et 4 du présent travail.
Dans deux articles phares, Denny (1978; 1984) analyse la sémantique des finales abstraites du cri et de l’ojibwé, tout en associant chacune d’entre elles à un type de classe verbale particulier, c’est-à-dire à une classe aspectuelle ou aktionsart 3, à savoir ‘état’, ‘processus’ ou ‘événement’. L’auteur dresse ainsi une classification aspectuelle des finales abstraites en cri et en ojibwé, applicable à l’ensemble des langues algonquiennes.Les travaux de James (1982; 1986) sur le cri de Moose, quant à eux, portent principale-ment sur l’aspect dans le discours, autrement dit, sur la fonction pragmatique du marquage aspectuel en lien avec le temps verbal utilisé. Dans les grandes lignes, il en ressort que l’aspect imperfectif marque des activités en cours ou habituelles ainsi que des états généraux et que l’aspect perfectif présente les événements comme ponctuels et complétés. De plus, l’auteure propose que le ‘prétérit’ indique l’aspect imperfectif dans le passé.
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Table des matières
Introduction
1 L’innu et les langues algonquiennes
1.1 Introduction
1.2 Contexte linguistique et géographique
1.3 Contexte démolinguistique et sociolinguistique
1.3.1 Résistance culturelle
1.3.2 An Antane Kapesh
1.4 Caractéristiques typologiques
1.4.1 L’analyse « polysynthétique »
1.4.2 Le genre
1.4.3 Marquage sur la tête
1.4.4 L’obviation et la hiérarchie des personnes
1.4.5 Morphologie verbale
1.4.5.1 La formation des verbes
1.4.5.2 Les différents types de verbes intransitifs
1.4.6 Système direct et système inverse
1.4.7 La voix passive
1.4.7.1 Les passifs transitifs
1.4.7.2 Les passifs intransitifs
1.4.7.3 Les médio-passifs
1.4.8 Le passif lexical
1.4.8.1 En innu
1.4.8.2 En ojibwé
1.4.8.3 En cri
1.5 Remarques conclusives
2 Cadre théorique
2.1 Introduction
2.2 La voix passive
2.2.1 Description générale
2.2.2 Dans les langues algonquiennes
2.3 L’aspect
2.3.1 Description générale
2.3.2 Dans les langues algonquiennes
2.4 L’aspect et la voix passive
2.4.1 Description générale
2.4.2 En innu
2.5 Remarques conclusives
3 Le passif lexical en innu
3.1 Introduction
3.2 Le corpus
3.2.1 Données écrites
3.2.2 Étude de cas
3.2.2.1 Méthodologie
3.2.2.2 Résultats attendus
3.2.2.3 Résultats obtenus
3.3 Forme et sémantique des suffixes passifs
3.4 Catégorisation sémantique des données
3.4.1 Types de situation
3.4.1.1 Accomplissement
3.4.1.2 Achèvement
3.4.2 « Grams » et types de gram
3.5 Considérations diachroniques
3.6 Considérations syntaxiques
3.7 Considérations pragmatiques
3.8 Considérations translinguistiques
3.9 Passif lexical ou passif lexicalisé ?
3.10 Remarques conclusives
4 Les formes en -(i)kuan/-(i)kushu
4.1 Introduction
4.2 Les relationnels de TA à sujet logique inanimé
4.3 Forme et sémantique des suffixes -(i)kuan / -(i)kushu
4.4 Considérations translinguistiques
4.5 Remarques conclusives
Conclusion
Annexe A Sélection de formes passives transitives issues du dictionnaire innu en ligne
Traduction imperfective
Traduction ambiguë
Traduction impersonnelle
Traduction active transitive
Annexe B Corpus de phrases passives extraites de Eukuan matshimanitu innu-iskueu (Kapesh, 1976)
Annexe C Sélection de formes verbales passives issues de l’étude de cas, encodant des images dénotant des états/résultats
C.1 Accomplissements
C.2 Achèvements
Annexe D Sélection de formes en -(i)kuan/-(i)kushu extraites du dictionnaire innu en ligne
Bibliographie
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