L’innovation agronomique dans le contexte de l’Afrique Sub-saharienne

Accompagner le changement en aidant les acteurs à innover

Le changement par la conception 

Pour faire face aux puissants facteurs de changement cités en introduction, les agronomes se mobilisent pour la mise au point de solutions innovantes en s’intéressant en particulier aux processus de conception (Meynard et al., 2012). La conception est une étape clé du processus d’innovation, que Prost et al. (2017) définissent comme un processus actif, structuré autour de boucles de rétroaction, et orienté vers un but d’invention et de mise en œuvre d’objets n’existant pas encore dans le contexte de travail. On peut distinguer différents types de conception.

Conception réglée ou conception innovante 

Les sciences de gestion distinguent, selon le processus suivi, la « conception réglée» (« rule-based design »), qui consiste en l’amélioration incrémentale de produits ou technologies existantes, et la « conception innovante » (« innovative design »), qui vise l’invention de produits ou procédés radicalement nouveaux, répondant à des attentes nouvelles (Le Masson et al., 2006). Dans le contexte rappelé en introduction, la conception réglée ne suffit plus car elle ne permet pas les ruptures nécessaires pour aller vers des systèmes plus durables. Il est donc nécessaire de développer des démarches de conception innovante. Pour cela, il faut sortir des schémas de pensée habituels, des « fixations » des agronomes aussi bien que de celles des acteurs, de manière à revisiter l’identité des objets en train d’être conçus. Cette conception doit donc se faire avec les acteurs de terrain, et si possible une large variété d’entre eux, de manière à ouvrir le champ des possibles. Du fait du changement des objectifs de conception, il n’est pas possible de complètement spécifier à l’avance les compétences qui seront nécessaires ni les méthodes de validation (Le Masson et al., 2006).

Conception « de novo » ou conception « pas-à-pas » 

Concernant les modes de production agricole, Meynard et al., 2012 différencient deux méthodes de conception innovante : la conception « de novo » et la conception « pas-à-pas », qui se différencient sur les processus suivis. La conception « de novo » vise à concevoir des systèmes de culture ou d’exploitation agricole qui se démarquent des systèmes existants. Elle consiste à ouvrir le champ des possibles, sans chercher à être immédiatement opérationnels, afin de pouvoir proposer des modifications majeures et des techniques souvent très éloignées de celles habituellement utilisées (Meynard et al., 2012). La conception assistée par modèle est un moyen très efficace de faire fonctionner la conception de novo : des modèles de systèmes de culture, de systèmes d’élevage ou d’exploitations agricoles sont utilisés pour simuler de manière dynamique les performances des objets étudiés soumis à divers choix techniques et économiques (Le Gal et al, 2012 ; Andrieu et al., 2015). Les options techniques conçues avec l’aide d’outils de simulation sont ensuite testées et ajustées sur le terrain, comme c’est le cas pour l’approche DEED (pour Describe, Explain, Explore and Design) qui utilise généralement les outils de simulation pour inventer les prototypes à tester (Falconnier et al., 2017 ; Descheemaeker et al., 2019). Cependant, les prototypes peuvent également être conçus à l’aide d’ateliers, réunissant en particulier agronomes et producteurs, puis testés, sélectionnés, améliorés et validés en milieu réel (Lançon et al., 2007). Dans cette optique, Vereijken, 1999 décrit sa méthode de prototypage de systèmes de culture suivant cinq grandes étapes : (1) hiérarchisation des objectifs à atteindre par les différents acteurs (agriculteurs, techniciens, ONG, chercheurs), (2) traduction de ces objectifs en indicateurs quantifiables et établissement d’une méthode d’évaluation multi-objectifs, (3) conception d’un prototype théorique assemblant des pratiques sélectionnées selon les objectifs à atteindre, (4) expérimentation au champ et adaptations éventuelles jusqu’à ce que le prototype soit conforme aux objectifs quantifiés souhaités, (5) dissémination des prototypes en collaboration avec les agriculteurs. L’approche DATE (Husson et al., 2016) repose également sur le test de prototypes proposés par les agronomes dans ce qui est appelé des « matrices », ayant pour but de tester une grande variété de systèmes de culture, pour en sélectionner les meilleurs, et les améliorer. Cette méthode est surtout utilisée pour des systèmes en agriculture de conservation, donc souvent très en rupture avec ce qui est pratiqué localement.

Les démarches de « conception pas-à-pas » (« step-by-step design ») ont pour but d’organiser une transition progressive vers des systèmes de culture innovants grâce à des boucles d’apprentissage. La conception pas-à-pas commence par un diagnostic initial sur les pratiques actuelles, afin de comprendre en quoi elles doivent être améliorées, suivi par la mise en œuvre d’options techniques pouvant répondre au diagnostic. Puis un nouveau diagnostic est établi, de nouvelles évolutions des systèmes suivent, s’engageant ainsi dans une spirale d’amélioration continue (Meynard et al., 2012). Ces améliorations pas-à-pas du système peuvent aboutir à des changements profonds par l’accumulation de petites transformations : Deffontaines et al., 2020 montrent que l’adoption de pratiques élémentaires peut faire partie d’une trajectoire de changement permise par l’acquisition graduelle de nouveaux savoirs. Ce type de trajectoire est particulièrement pertinent lorsqu’on veut effectuer un changement de paradigme avec de nouvelles pratiques « knowledge intensive » comme c’est le cas de l’agroécologie (Toffolini et al., 2017).

Dans les démarches de prototypage, le prototype initial est généralement créé « de novo » car un nouveau système (de culture, d’élevage, de production…) est inventé, mais sans proposition sur la transition entre le système actuel et le système inventé. Les prototypes peuvent ensuite être améliorés de manière ncrémentale, « pas-à-pas», on est donc dans une combinaison entre les deux types de conception, ce qui est souvent le cas en situation opérationnelle

La conception participative

En agronomie, l’approche descendante de l’innovation (l’agronome innove, l’agriculteur applique) constitue une tradition fortement ancrée, comme le soulignent Salembier et al. (2018). Cependant, il est généralement admis aujourd’hui que faire participer les acteurs à la résolution de leurs problèmes augmente les chances de réussite. L’idée d’une science « objective », capable de définir et de résoudre des problèmes liés à l’humain (comme c’est le cas sur les problématiques agricoles et rurales), est de plus en plus remise en question. Les parties prenantes sont reconnues comme légitimes, non seulement pour participer à la résolution des problèmes, mais également pour questionner le travail des scientifiques (Faure et al., 2010b). Avec ce changement de paradigme, un certain nombre de chercheurs se sont employés à étudier les meilleures manières de faire participer les acteurs à des démarches d’innovation participative et de recherche-action, visant à valoriser les savoirs des acteurs (Faure et al., 2010b).

Les différents degrés de participation 

Il existe de nombreuses échelles traduisant des degrés de participation (Gouttenoire et al., 2014). Parmi celles-ci, une des plus connues est l’échelle de Biggs, avec 4 types de relation entre les agriculteurs et les chercheurs agronomes selon un gradient croissant de participation (Lilja and Bellon, 2008) :
– Relation contractuelle : l’agriculteur loue ou prête ses services ou ressources aux chercheurs (par exemple une parcelle)
– Relation consultative : les chercheurs consultent les agriculteurs, font un diagnostic de leurs problèmes afin de leur proposer des solutions.
– Relation collaborative : Les chercheurs et les agriculteurs sont partenaires dans le processus de recherche collaborent dans la mise en place des activités tout au long du processus
– Relation collégiale : Les chercheurs encouragent la mise en place d’un processus informel de recherche et de développement par les producteurs.

Une même démarche peut être utilisée de manière plus ou moins participative et ainsi aboutir à des résultats très variés. C’est le cas par exemple des « champs-écoles » ou « Farmer field schools » (FFS), initialement proposés par la FAO dans les pays en voie de développement, qui constituent un outil d’accompagnement des producteurs, via une parcelle « école » permettant leur participation. Dans certains cas, les producteurs sont impliqués de manière collaborative dès la phase de diagnostic sociotechnique, qui va permettre d’établir les objectifs du champ-école, ainsi que dans le choix des pratiques mises en place. Les producteurs ont alors un pouvoir décisionnel dans le processus. Dans d’autres cas, ce sont les agronomes qui établissent le curriculum à partir de leur diagnostic d’expert, souvent centré sur la pertinence agronomique, en établissant eux même les contraintes et les objectifs socio-économiques des paysans. Ici, la relation agriculteur agronome se rapproche d’une relation formés-formateurs. Bakker et al., (2021) montrent que les champs écoles peuvent d’autant mieux permettre un processus d’apprentissage transformatif (Duveskog et al., 2011) que les producteurs sont impliqués dans la prise de décision.

Mise à part certains cas où les politiques publiques s’engagent fortement (exemple de la révolution verte, cf. introduction), les démarches dites « top-down », ou privilégiant des relations contractuelles ou consultatives, aboutissent rarement à des changements durables (Birner et al., 2009). En revanche des approches très participatives, de type collaboratives ou collégiales, se sont montrées pertinentes pour accompagner le changement et l’innovation (Vall et al., 2016). En effet, il existe un lien fort entre l’implication des acteurs dans le processus de conception et la légitimité des innovations :
– La participation des producteurs permet notamment de prendre en compte leurs critères d’évaluation, ce qui permet de travailler sur des systèmes pertinents pour eux (Salembier et al., 2016; Lairez et al., 2020). Par exemple, Andrieu et al. (2015) montrent qu’au Burkina Faso, les producteurs sont attentifs aux aspects opérationnels et à la flexibilité de leur système de production, ce qui les aide à s’adapter au changement climatique : au-delà des performances agronomiques, ce sont des critères importants à prendre en compte pour la conception d’innovations.
– Un haut degré de participation permet aux acteurs de se mobiliser et de se responsabiliser vis-à-vis des innovations. Pour cela, les acteurs doivent être partie prenante dès le début de la conception, par exemple via un dialogue constant avec les agronomes (Cerf et al., 2012). Ces échanges entre agriculteurs et agronomes permettent un processus de co-apprentissage (Falconnier et al., 2017) et une hybridation entre savoirs scientifiques et savoirs paysans (Berthet et al., 2016), nourrissant la conception. Les savoirs des producteurs sont souvent spécifiques du contexte local, on les qualifie de situés (« situated knowledge ») (Toffolini et al., 2017). Lorsqu’ils sont ainsi mobilisés pour la conception et la mise en place d’un nouveau système, il s’agit de savoirs dits « actionnables » (Leclère et al., 2018).

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Table des matières

Remerciements
Table des matières
Liste des acronymes, abréviations et sigles
Glossaire Anglais-Français
Introduction générale
PARTIE 1 : Problématique de recherche
1. L’innovation agronomique dans le contexte de l’Afrique Sub-saharienne
1.1. Accompagner le changement en aidant les acteurs à innover
Le changement par la conception
La conception participative
1.2. Les innovations sont contraintes par le système sociotechnique
Le système sociotechnique
Lever les freins par la mise en place de plateformes d’innovation
1.3. Concevoir des systèmes de culture à l’échelle du village
Concevoir des systèmes de culture
Des systèmes de culture inclus dans des exploitations agricoles
Diversité et dynamique des exploitations agricoles au sein d’un territoire
2. Contexte de l’étude : la zone cotonnière du Burkina Faso
2.1. Présentation de la zone d’étude
2.2. Le choix de développer les légumineuses
3. Démarche et problématique
3.1. Proposition d’une démarche de conception distribuée
3.2. Organisation de la thèse autour de trois chapitres
PARTIE 2 : Résultats
CHAPITRE 1. Articulation de la traque aux innovations avec des essais de prototypage
participatifs pour l’évaluation collective des Systèmes de Culture Innovants (ICS)
Résumé
Abstract
1.1. Introduction
1.2. Materials and Methods
1.2.1. Context: Studying innovations in the cotton-production area of Burkina Faso
1.2.2. On-farm innovation tracking
1.2.3. Participatory workshops and Participatory prototyping trials (PPTS) in two communities
1.2.4. Surveys to characterize field day farmers
1.3. Results
1.3.1. ICSs characterized through the on-farm innovation tracking and innovative farmers’ evaluations
1.3.2. Participatory Prototyping Trials and Field Days
1.3.3. Characteristics of Farmers and their participation and contribution
1.4. Discussion
1.4.1. Introducing innovative legume-based cropping systems
1.4.2. Innovative farmers’ evaluations of ICSs and links to local drivers of change
1.4.3. Comparison between evaluations made by innovative farmers and field-day farmers
1.4.4. Use of ICSs and PPTs to introduce innovation
1.4.5. Farmers’ knowledge and co-learning
1.4.6. Initiation of a co-design process with a wide range of farmers
1.5. Conclusion
CHAPITRE 2. Quel système innovant pour quel producteur ? Rôle des activités collectives sur les PPT pour alimenter le choix de chaque producteur
2.1 Introduction
2.2 Matériel et méthode
2.2.1. Les essais de prototypages participatifs (PPT) et les visites commentées sur les PPT
2.2.2. Modalités d’organisation des Farmers’ Adaptation Trials (FAT)
2.2.3. Enquêtes Rhomis (Rural Household Multi-Indicator Survey)
2.2.4. Analyses statistiques
2.2.5. Etablissement d’une typologie d’exploitations
2.2.6. Entretiens semi-directifs sur les choix des producteurs
2.2.7. Analyse des critères de choix
2.3. Résultats
2.3.1. Relation entre les critères d’évaluation exprimés par les producteurs lors des visites des PPT1 et leurs critères de choix des ICS mis en test dans les FAT 1
2.3.2. Les producteurs choisissent un ICS à tester, selon des critères dépendant peu de leur système d’exploitation
2.3.3. L’évolution des choix des producteurs entre la première et la deuxième année d’essais, et les critères sousjacents
2.4. Discussion
2.4.1. Des producteurs diversifiés
2.4.2. Des critères de choix des ICS de nature variée
2.4.3. Une approche permettant de répondre aux spécificités de chaque producteur
2.5. Conclusion partielle
CHAPITRE 3. Un processus de conception pas-à-pas nourri par l’expérimentation paysanne et les échanges entre producteurs
3.1. Introduction
3.2. Matériel et méthode
3.2.1. Les PPT, mise en place et suivi
3.2.2. Les FAT: description du dispositif
3.2.3. Suivi des FAT
3.2.4. Analyse de données
3.3. Résultats
3.3.1. Les associations sorgho-légumineuses ont suscité plus de propositions d’amélioration que les fourrages et les successions intra-annuelles
3.3.2. Une grande diversité dans l’adaptation des modes de semis des associations, liée à la gestion des adventices et à la réduction de la compétition interspécifique
3.4. Discussion
3.4.1. Un processus de conception pas-à-pas initié de manière collective dans les PTT et poursuivi par chaque producteur dans son exploitation
3.4.2. Certains systèmes de culture, et certaines opérations de l’itinéraire technique, se prêtent davantage à la conception pas-à-pas que d’autres
3.4.3. La posture de l’agronome dans l’accompagnement de la conception pas-à-pas
3.5. Conclusion partielle
Conclusion générale

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