L’innovation à la Bibliothèque de l’EPFL
Les « faux synonymes de l’innovation »
Gérald Gaglio (9) a regroupé certains termes sous l’appellation « faux synonymes de l’innovation » afin de mettre en évidence les concepts qui sont régulièrement confondus avec la notion d’innovation. Tout d’abord, il existe une confusion entre « innovation » et « invention ». Ce dernier désigne : « L’acte de produire par ses propres moyens un élément, un objet ou un processus original ; plus généralement, de produire ou de créer en utilisant son imagination […] par extension, il désigne plus spécialement l’acte d’inventer ou de créer un produit réel. » (10) Etant donné que l’innovation consiste à mettre en oeuvre de façon effective et durable une invention, ce sont deux notions qui s’enchevêtrent plus qu’elles ne signifient la même chose (9). Ensuite, Il est également important de distinguer la notion d’innovation de celles de « nouveauté », « mode » et « tendances » car comme le rappelle Gérard Gaglio (9), dans le premier cas, il n’existe pas beaucoup de nouveautés qui se concrétisent en innovations. Dans le second, contrairement à l’innovation, la mode est par nature passagère tout comme « les tendances ». Enfin, la notion de créativité ne peut pas se substituer au processus d’innovation même si celle-ci fait partie d’une de ses principales composantes.
Management et innovation
L’innovation est régulièrement associée à la notion de management, puisque les interrogations sur sa gouvernance renvoient irrémédiablement à cette dernière (11). De plus, compte tenu de l’importance que revêt l’innovation en tant que moteur de croissance pour de nombreuses industries à travers le monde, il est normal que sa gestion prenne une place de plus en plus centrale (12). James March, professeur en Sciences du Management à l’université de Stanford, a été l’un des premiers à identifier le fait que pour survivre, les organisations doivent insuffler de la créativité et de l’innovation dans leur environnement organisationnel. Il s’est donc intéressé, entre autres, aux conditions propices à l’innovation au sein des organisations (2). Ainsi l’importance des rouages organisationnels pour faciliter l’innovation est démontré dans ses travaux (2). Notamment le fait qu’une organisation doit tout autant « exploiter », qu’« explorer ». Autrement dit « il s’agit de mettre en place un management ambidextre […] » qui fasse cohabiter la liberté nécessaire pour exprimer de la créativité avec la rigueur qu’impose la gestion d’une organisation efficace (13). Fernez-Walch (14), représente plus précisément ce processus comme étant : « […] l’ensemble des actions conduites, des choix effectués et des structures mises en oeuvre par une entreprise, en interaction avec son environnement économique et social, pour favoriser l’émergence, décider du lancement et mener à bien ses projets d’innovation. » (14, p. 69) Piloter l’innovation revient donc à conduire des actions qui favorisent l’émergence et la mise en oeuvre de projets innovants.
Les raisons de l’innovation en bibliothèque Jusqu’à présent, les bibliothèques académiques étaient des lieux privilégiés pour l’accès à l’information scientifique (15) mais l’émergence du web et plus spécifiquement de l’accès à l’information sur Internet, qui a donné l’illusion aux usagers-ères d’un accès illimité à l’information (16) ainsi que l’apparition de technologies perturbatrices comme les livres numériques et les tablettes ont contribué à détacher progressivement les enseignant-e-s, chercheurs-ses de certains services offerts. Cela soumet à terme, les bibliothèques académiques à une certaine pression et les obligent à démontrer leur valeur ajoutée. (15, 17, 18). D’une manière générale, ce contexte de dématérialisation des produits culturels conduit les bibliothèques à s’interroger sur leur coeur de métier. En effet, celui-ci est passé de la conception et mise à disposition des collections aux usagers-ères à la création et mise à disposition de services multiples. Cette logique de service se base sur les besoins des usagers-ères (16) et nécessite de la part des bibliothécaires de sortir de leur rôle de prescripteurs-trices pour inclure l’usager-ère dans les processus de conception de ses services. En effet, selon Raphaël Gilbert (16), « il devient en effet difficile de proposer une offre de masse essentiellement prescriptive à un public de plus en plus habitué à des relations horizontales, participatives et personnalisées. ». Les usagers-ères estiment que leur rôle est aussi de prendre part à l’élaboration des services qui leur sont adressés (19).
Dans cette perspective, les bibliothèques peuvent s’ouvrir à des méthodes issues d’autres secteurs économiques pour les aider à concevoir une offre adéquate de services. Cette démarche est déjà utilisée dans le secteur public, car comme le souligne Christelle Di Pietro (19), on assiste actuellement à la diffusion dans le secteur public de méthodes pour innover issues du secteur privé. Pour revenir au contexte spécifique des bibliothèques académiques, il est à noter que ce sont des institutions intégrées dans des universités, organisations généralement très hiérarchisées et formalisées. Dans ce contexte, elles rencontrent souvent des difficultés à créer des modèles innovants de gestion ainsi que des stratégies novatrices (15). Elaborer des approches d’innovation peut donc se révéler être compliqué. Toutefois, face aux réductions significatives des budgets et des ressources qui leur sont alloués, il apparaît comme étant indispensable aux bibliothèques de faire des choix sur une réduction de l’activité ou sur les services proposés (19). Outre l’évolution des pratiques et des usages du public, la question des contraintes budgétaires se révèle être une justification de l’intégration de démarches d’innovation en bibliothèque. Maintenant que les bibliothèques savent pourquoi elles se doivent d’innover, la question du « comment faire » s’avère essentielle (20). Il est désormais utile d’avoir une réflexion d’une part au niveau des outils et des méthodes à utiliser et d’autre part au niveau des stratégies et politiques à mettre en place au sein de l’organisation afin de rendre pérenne cette démarche.
Les raisons qui poussent la Bibliothèque à innover Tel que mentionné précédemment, l’entrevue avec notre mandante nous a permis de mieux comprendre les raisons qui poussent la Bibliothèque à innover. Dans le cadre de la nouvelle organisation du service, il était important pour la Bibliothèque d’intégrer le concept d’innovation dans son fonctionnement, car elle se veut être une structure évolutive et flexible. Le secteur « Soutien au pilotage et à l’innovation », dont notre mandante est la responsable a été mis en place notamment dans le but d’aider les collaborateurs-trices à imaginer de nouveaux services et de nouveaux projets innovants. Le secteur souhaiterait établir un système de gestion des propositions ou des idées d’innovation des collaborateurs-trices ou des usagers-ères et voir comment ces propositions et idées peuvent être concrétisées et mises en oeuvre. Pour ce faire, le secteur a formalisé un axe stratégique en ce sens. Selon notre mandante, cette mesure montre la volonté du service d’instaurer le concept de l’innovation dans son fonctionnement. Au niveau des démarches plus concrètes, notre mandante nous a indiqué que cela est assez difficile à définir au vu de l’aspect implicite que peut prendre l’innovation. Selon notre mandante9 « La dernière chose innovante un peu visible qui ait été faite, c’est la mise en place de l’application Affluence, qui était vraiment une nouveauté : donner la possibilité aux utilisateurs de savoir à distance s’il y a de la place ou pas dans la Bibliothèque ».
Diagnostic de l’innovation
A présent, nous disposons de suffisamment d’informations sur la situation de la Bibliothèque ainsi que sur ses pratiques en matière d’innovation. Il est maintenant possible de déterminer son potentiel d’innovation afin de voir ce qui pourrait être amélioré et qui n’a pas été exprimé dans les besoins des chef-fe-s de secteur. Pour ce faire, nous avons choisi d’utiliser la « roue de l’innovation » (48). C’est un outil de diagnostic dont le but est de déterminer le « potentiel d’innovation » d’une organisation, d’un secteur ou d’une équipe en évaluant certaines spécificités humaines et organisationnelles (48). Cette évaluation est réalisée selon six critères que nous avons décidés de décliner sous forme de questions : Tableau 6 : Critère d’évaluation de la « roue de l’innovation. Au moins deux « repères concrets » doivent être utilisés pour évaluer chaque critère. Autrement dit, pour chaque critère, la personne en charge doit pouvoir se poser au moins deux questions en rapport avec le critère qu’elle souhaite évaluer. Les critères s’évaluent sur une échelle de 1 à 3.
L’échelle 3 correspond à un niveau élevé du critère sur le terrain, l’échelle 2 à une existence partielle et à l’échelle 1, le critère est inexistant (48). Sur la base des informations que nous avons pu recueillir et en fonction de nos réponses aux questions du tableau 6, nous avons pu établir le diagnostic suivant : Tableau 7 : Evaluation du potentiel d’innovation de la Bibliothèque Concernant les données qui se trouvent dans le tableau 7, nous constatons tout d’abord que le critère intitulé « Ouverture d’esprit » est l’un des critères ayant la valeur la plus élevée. Les entretiens ont permis de démontrer qu’il existe une bonne dynamique au sein de l’institution pour inciter les collaborateurs-trices à échanger avec d’autres professionnels ou entre eux, à surveiller les tendances qui se profilent dans leur domaine d’activité ainsi qu’à faire preuve de curiosité10. Nous avons également attribué une valeur élevée au critère « alignement stratégique », car comme exposé précédemment11, l’innovation fait partie des axes stratégiques de la Bibliothèque et tous les responsables sont chargés de l’insuffler dans leur secteur respectif12. Une valeur élevée est aussi attribuée au critère « Analyse du marché » car la Bibliothèque est au plus près des utilisateurs avec les liens étroits qu’entretiennent les bibliothécaires de liaison et autres services avec les usagers-ères. La Bibliothèque connaît donc bien les besoins de son public cible13.
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Table des matières
Déclaration
Remerciements
Résumé
Liste des tableaux
Liste des figures
Abréviations
1. Introduction
1.1 Problématique et cadre de travail
1.2 Objectifs
1.3 Méthodologie générale
2. Contexte théorique
2.1 L’innovation : un concept multiforme
2.1.1 La différenciation de l’innovation par l’objet
2.1.2 Les « faux synonymes de l’innovation »
2.2 Management et innovation
2.3 Les raisons de l’innovation en bibliothèque
3. Contexte général de l’étude
3.1 L’EPFL
3.1.1 Missions et positionnement
3.1.2 Structure organisationnelle
3.1.3 Les formations de l’Ecole
3.1.4 Les membres de l’Ecole
3.2 Bibliothèque de l’EPFL
3.2.1 Histoire
3.2.2 Missions
3.2.3 Axes stratégiques et positionnement
3.2.4 Organigramme
3.2.5 Ressources humaines
3.2.6 Ressources financières
3.2.7 Ressources matérielles
3.2.7.1 Les collections
3.2.7.2 Les locaux
3.3 L’innovation à la Bibliothèque de l’EPFL
3.3.1 Entretiens
3.3.1.1 Déroulement des entretiens
3.3.2 Synthèses des entretiens
3.3.2.1 Les dispositifs en place
3.3.2.2 Les besoins
3.3.2.3 Les freins à l’innovation
3.3.2.4 Les raisons qui poussent la Bibliothèque à innover
3.3.3 Diagnostic de l’innovation
4. Les principes du pilotage de l’innovation en bibliothèque
4.1 Les choix de management
4.1.1 Définir une structure
4.1.2 Choisir les équipes
4.1.3 Conduire le changement
4.1.4 Conduire la créativité
4.1.4.1 Les facteurs favorables
4.1.4.2 Les freins à l’innovation
4.2 Les méthodes et les outils pour innover
4.2.1 Formaliser sa démarche
4.2.1.1 La stratégie d’innovation : se poser les bonnes questions
4.2.1.2 Le processus d’innovation
4.2.2 Design thinking, UX design, veille stratégique, merchandising, gamification : entre créativité et outils d’aide au pilotage
4.2.2.1 Design thinking
4.2.2.2 UX design
4.2.2.3 Veille stratégique
4.2.2.4 Gamification
4.2.2.5 Merchandising
4.2.3 La communication
4.2.4 L’évaluation
5. Enquête : identification des démarches d’innovation
5.1 Méthodologie
5.1.1 Contraintes
5.1.2 Ecriture
5.1.2.1 Format du questionnaire
5.1.2.2 Format des questions
5.1.3 Choix du logiciel
5.1.4 Diffusion
5.1.5 Récolte des résultats
5.2 Analyse des résultats
5.2.1 Préambule
5.2.2 Environnement des institutions répondantes
5.2.3 L’innovation dans les institutions répondantes
5.2.4 Les moyens de suivi et d’évaluation des démarches d’innovation
5.2.5 Les conclusions de l’enquête
6. Propositions d’actions
6.1 Vers une stratégie d’innovation : séance de lancement
6.1.1 Le groupe de travail
6.1.2 Déroulement de la séance
6.2 Choix du processus
6.2.1 Déterminer les phases du processus
6.2.2 Déterminer les tâches de chaque phase
6.2.2.1 Surveillance de l’environnement
6.2.2.2 Génération d’idées
6.2.2.3 Tri des idées et évaluation de ces idées
6.2.2.4 Etude de faisabilité
6.2.2.5 Mise en oeuvre
6.2.3 Déterminer les résultats attendus pour chaque phase
6.3 Valorisation des projets
6.3.1 Communication interne
6.3.2 Communication externe
6.4 Vers une pérennisation de la démarche
7. Conclusion
Bibliographie
Annexe 1 : Plan des collections de la Bibliothèque
Annexe 2 : Guide d’entretien semi-structuré
Annexe 3 : Courriel envoyé aux chef-fe-s de secteur
Annexe 4 : Entretien semi-structuré, P. Bouton
Annexe 5 : Entretien semi-structuré, G. Vittoz
Annexe 6 : Entretien semi-structuré, F. Borel
Annexe 7 : Entretien semi-structuré, C. Bosia
Annexe 8 : Courriel envoyé aux bibliothèques académiques
Annexe 9 : Questionnaire
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