L’INGENIERIE DU RISQUE ET LES SCIENCES DU DANGERย
Dans la littรฉrature comme dans la vie courante sont employรฉs frรฉquemment les termes de risque, danger, menace, accidentโฆ Aucun de ces termes ne recouvre pourtant lesย mรชmes concepts ou les mรชmes situations. Leur utilisation est trรจs souvent induite par l’apprรฉciation des dommages qui dรฉcoulent de la situation et par la connaissance de l’รฉvรฉnement qui l’a dรฉclenchรฉe. Par exemple, pour la circulation automobile, le danger est souvent rattachรฉ aux consรฉquences d’un accident รฉventuel, alors que pour le terrorisme, le danger est liรฉ ร une menace identifiรฉe, quelles que soient les consรฉquences des actions, celles-ci รฉtant par dรฉfinition lรฉtales. L’utilisation d’un terme ou d’un autre est souvent associรฉe ร la perception qu’ร un interlocuteur des dommages connus ou supposรฉs rรฉsultant d’un รฉvรฉnement ou d’une situation et de leur potentialitรฉ. La confusion qui peut dรฉcouler de leur interprรฉtation vient de ce qu’ils sont porteurs d’une information complexe qui va รชtre distordue par les รฉchelles de valeurs du locuteur et par l’expression de son incertitude face ร l’รฉvรฉnement ou face aux consรฉquences. Ainsi l’amalgame de ces termes dรฉgagรฉs de leur contexte peut aboutir ร des confusions. Il est donc illusoire de chercher une dรฉfinition suffisante et non subjective des termes de danger, de risque, etc.
Quelles que soient les interprรฉtations que chacun attribue ร ces termes, ils vont porter une information relative ร une sรฉquence รฉvรฉnement โ situation โ consรฉquence. Se dรฉgagent alors de faรงon claire et non ambigรผe, les notions suivantes :
โข Evรฉnement : fait survenant ou pouvant survenir. Cet รฉvรฉnement sera alors normal, opportun, redoutรฉ, indรฉsirableโฆ
โข Situation : rรฉsultat d’une combinaison d’รฉvรฉnements. La potentialitรฉ d’une situation est donc directement liรฉe ร la potentialitรฉ des รฉvรฉnements. Une situation sera normale, dรฉgradรฉe, redoutรฉe, indรฉsirableโฆ
โข Consรฉquences : impact d’une situation sur le monde environnant: objets, humains, environnementโฆ
โข Gravitรฉ : pondรฉration des consรฉquences dommageables d’une situation.
โข Occurrence : probabilitรฉ qu’a une situation de survenir sur un horizon de temps dรฉterminรฉ.
Les notions d’รฉvรฉnement, de situation et de consรฉquence sont des notions descriptives. Compte tenu du lien qui existe entre รฉvรฉnements et situations, et, entre situations et consรฉquences, il serait tentant d’essayer de rรฉduire encore les notions utilisรฉes. Or, il n’est pas possible de dรฉcrire un systรจme uniquement ร partir des รฉvรฉnements et des consรฉquences ou mรชme des seules situations.
La notion de risque associe un รฉvรฉnement qualifiรฉ de redoutรฉ avec la probabilitรฉ de le voir se produire, on parle de gravitรฉ et dโoccurrence. Les notions de gravitรฉ et d’occurrence sont des notions qualificatives complรจtement indรฉpendantes. La notion d’occurrence est fondรฉe sur une mesure (probabilitรฉ, statistique ou estimation) ; la notion de gravitรฉ rรฉfรจre ร la graduation de l’ampleur des consรฉquences de l’รฉvรฉnement par rapport ร une รฉchelle de rรฉfรฉrence. La qualification du risque est constituรฉe ร la fois dโun critรจre objectif quantifiable, lโoccurrence, et dโun critรจre subjectif de valeur, la gravitรฉ des consรฉquences ; il est communรฉment admis de dire que le risque se dรฉfinit par le couple gravitรฉ โ occurrence .
LES FONDEMENTS DE L’INGENIERIE DU RISQUEย
L’รฉvaluation du risque acceptableย
La norme MIL-STD-882 [MIL 2002] dรฉfinit la sรฉcuritรฉ d’un systรจme comme ยซย รฉgale au degrรฉ de sรฉcuritรฉ optimale compatible avec les contraintes d’efficacitรฉ opรฉrationnelle, les coรปts et les dรฉlais, et qui doit รชtre obtenu par application systรฉmatique des principes de sรฉcuritรฉ (conception et conduite) au cours des phases successives de la vie du systรจmeย ยป. Cette phrase rรฉvรจle toute la difficultรฉ qu’il y a ร รฉvaluer le niveau de risque acceptable รฉtant donnรฉ que cette รฉvaluation rรฉsulte d’un compromis entre les connaissances ร un instant donnรฉ et le contexte รฉconomique dans lequel opรจre le systรจme. La dรฉtermination de ce niveau de risque acceptable est la pierre angulaire de tout programme de gestion des risques car il va dรฉfinir le niveau de la qualitรฉ et la quantitรฉ des moyens ร mettre en ลuvre pendant tout le cycle de vie du systรจme. La dรฉtermination des objectifs de sรฉcuritรฉ, en particulier leur quantification, est une รฉtape capitale et souvent dรฉlicate des processus de gestion des risques. La dรฉmarche est souvent une combinaison d’acquis personnel, de sentiments, et d’un rรฉfรฉrentiel de connaissances normatives dont on suit les prescriptions sans forcรฉment en connaรฎtre les raisons.
Etablissement d’un rรฉfรฉrentiel quantifiรฉ du risque acceptableย
D’une maniรจre gรฉnรฉrale la dรฉtermination de la gravitรฉ est fortement liรฉe l’รฉchelle d’รฉvaluation utilisรฉe. Une approche communรฉment utilisรฉe pour quantifier la gravitรฉ des consรฉquences d’un accident sur un systรจme de transport est le recensement des vies humaines perdues. La valeur de gravitรฉ รฉtablie est donnรฉe en ยซย รฉquivalent victimesย ยป. En comptant 1 une vie perdue, les personnes sรฉrieusement blessรฉes peuvent รชtre comptรฉes 0.1, et les personnes lรฉgรจrement atteinte 0.01 รฉquivalent victime. Cependant cette approche ne tient pas compte des dommages matรฉriels ou mรชme du coรปt d’incapacitรฉ des blessures.
Il existe diffรฉrentes รฉchelles de gravitรฉ pour l’accident corporel selon le type d’accident et le pays d’application, citons par exemple:
โข Le barรจme dit du Docteur Rousseau, publiรฉ dans la revue Le Concours Mรฉdical en 1982, est un barรจme anatomo-fonctionnel encore utilisรฉ par les assureurs en France pour l’รฉvaluation mรฉdico-lรฉgale des handicaps rรฉsultants d’accidents de la route, le taux de 100% dโincapacitรฉ correspond ร la mort.
โข L’Injury Severity Score dรฉfini par LโAmerican Association for Automotive Medecine pour lequel les lรฉsions de faible gravitรฉ sont รฉvaluรฉes sur une รฉchelle de 1ร 5, les lรฉsions intermรฉdiaires de 5 ร 9 et les lรฉsions graves รฉvoluant au dessus de 10.
Nous constatons que dans un systรจme mettant en commun la vie humaine et des infrastructures coรปteuses la gravitรฉ est souvent le rรฉsultat d’une combinaison du nombre de victimes et du coรปt des dommages matรฉriels. La dรฉtermination de ces รฉchelles implique de dรฉfinir les unitรฉs qui permettent de quantifier les gravitรฉs (coรปts, nombre de jours dโarrรชt de travail, taux dโinvaliditรฉ, etcโฆ) et de prendre en compte de nombreux paramรจtres comme les consรฉquences pour lโenvironnement ou le public, les effets sur lโรฉconomie ou le marchรฉ de lโemploi, ou mรชme le confort de la communautรฉ.
Des รฉchelles de gravitรฉ prenant en compte les consรฉquences humaines (atteinte ou ressenti) et matรฉrielles et leurs effets dans le temps sont quelquefois dรฉterminรฉes. Citons par exemple:
โข l’รฉchelle EMS-98 [EMS 1998], dรฉfinie par le Conseil de lโEurope ร partir de lโรฉchelle MSK (du nom des trois sismologues Medvedev, Sponheuer et Karik qui lโont proposรฉe en 1964). Cette รฉchelle ร cinq niveaux prend en considรฉration le ressenti d’un tremblement de terre et les diffรฉrents types de dรฉgรขts qu’il a pu occasionner.
โข L’รฉchelle internationale des รฉvรฉnements nuclรฉaires [INES 2001], dรฉfinie aprรจs Tchernobyl qui propose une classification ร sept niveaux, de l’incident ร l’accident majeur. Les รฉvรฉnements sont classifiรฉs en fonction des rejets vers l’extรฉrieur de produits radioactifs mais aussi des dรฉgรขts causรฉs ร l’installation et des moyens d’intervention mis en ลuvre.
โข L’รฉchelle de gravitรฉ des accidents industriels รฉlaborรฉe par lโOCDE en 1994 pour lโapplication de la directive SEVESO รฉtablit un indice de gravitรฉ ร partir de dix-huit paramรจtres permettant de dรฉterminer six niveaux de gravitรฉ en fonction des consรฉquences humaines, environnementales et financiรจres [ARIA 2006].
Il est aussi possible dโutiliser une approche รฉconomique optimisant le rapport entre lโutilitรฉ sociale du systรจme et le coรปt direct ou indirect que la communautรฉ aurait ร supporter pour mettre en ลuvre le systรจme. Lโutilitรฉ sociale dโun systรจme est รฉgale ร la contribution de lโactivitรฉ au revenu annuel moyen de lโindividu. Lโutilitรฉ dโun systรจme de transport fait intervenir le coรปt direct supportรฉ par le passager et le temps gagnรฉ par rapport ร un systรจme moins rapide. Ces รฉchelles dรฉterminent un niveau de gravitรฉ auquel il est possible d’associer un seuil d’acceptabilitรฉ mais ne fournissent aucune indication sur les moyens ร mettre en ลuvre pour rรฉduire le risque associรฉ.
La dรฉtermination d’une combinaison de valeurs de gravitรฉ et d’occurrence reste problรฉmatique. S’il est possible de choisir une unitรฉ de rรฉfรฉrence dans la dรฉtermination des consรฉquences en se basant sur les coรปts des dommages matรฉriels, les coรปts de reconstruction ou mรชme sur les coรปts des assurances pour รฉvaluer les dommages humains, ces paramรจtres ne peuvent pas prendre en compte le facteur psychologique associรฉ au risque que reprรฉsente la crainte et l’aversion qu’a le public pour les accidents matรฉriels en particulier lorsque le risque n’est pas pris volontairement. Un bon indicateur de cette rรฉalitรฉ est le temps d’antenne accordรฉ aux 350 morts dans le monde par catastrophe aรฉrienne ร comparer au temps d’antenne accordรฉ aux 4500 morts par accident de la route sur le seul territoire franรงais. Diffรฉrentes approches ont รฉtรฉ menรฉes pour dรฉterminer des niveaux quantifiรฉs de risques acceptables : par exemple les approches de Chauncey Starr [STARR 1969], de F.C. Farmer [LIEVENS 1976], de Kuhlmann [KULHMANN 1986], de Kafka [KAFAK 1999]. Nous allons voir que ces approches sont assez similaires dans la dรฉmarche et aboutissent toutes ร l’รฉlaboration d’un diagramme ร deux dimensions sur lequel il est possible de reprรฉsenter les zones de risques acceptables et les zones de risques inacceptables. Starr [STARR 1969] a tentรฉ dโรฉtablir une corrรฉlation entre la probabilitรฉ dโaccident mortel par heure dโexposition au risque et lโutilitรฉ sociale. Lโheure dโexposition a รฉtรฉ retenue comme la plus simple unitรฉ utilisable pour des activitรฉs de caractรจres trรจs diffรฉrents. En revanche, cette unitรฉ devient critiquable lorsquโil sโagit dโรฉvaluer la sรฉcuritรฉ de moyens de transports pour un trajet donnรฉ ; le kilomรจtre parcouru ou le nombre de passagers transportรฉs peuvent รชtre alors plus pertinent.
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Table des matiรจres
1 INTRODUCTION
2 L’INGENIERIE DU RISQUE ET LES SCIENCES DU DANGER
2.1 INTRODUCTION
2.2 LES FONDEMENTS DE L’INGENIERIE DU RISQUE
2.2.1 L’รฉvaluation du risque acceptable
2.2.2 La classification des risques
2.2.3 L’identification des risques
2.2.4 La rรฉduction des risques en phase conception et rรฉalisation
2.2.5 La rรฉduction du risque en phase d’exploitation
2.2.6 La dualitรฉ sรฉcuritรฉ – fiabilitรฉ
2.3 L’APPROCHE SYSTEME : LA GESTION DU RISQUE
2.3.1 La maรฎtrise des risques
2.3.2 L’ingรฉnierie du risque : un processus parallรจle
2.3.3 Le cycle de vie du systรจme
2.3.4 Le processus de dรฉmonstration de la sรฉcuritรฉ
2.4 LES APPROCHES SYSTEMIQUES
2.4.1 Systรจme, complexitรฉ et systรฉmique
2.4.2 Les mรฉthodologies systรฉmiques
2.5 L’APPROCHE COGNITIVE
2.5.1 Les principes de l’approche cognitive
2.5.2 MKSM: en exemple de mรฉthodologie liรฉe ร la connaissance
2.6 SCIENCES DU DANGER ET CINDYNIQUES
2.7 CONCLUSION
3 VERS UNE NOUVELLE APPROCHE DE MODELISATION
3.1 INTRODUCTION
3.2 LES OBJECTIFS D’UNE NOUVELLE APPROCHE
3.3 LES CONTRAINTES DE LA MODELISATION
3.3.1 La conceptualisation
3.3.2 Complexitรฉ, raffinage et dรฉcidabilitรฉ
3.4 LA VISION D’UN SYSTEME
3.4.1 La dรฉmarche analytique : une vision limitรฉe de la dynamique d’un systรจme
3.4.2 La dรฉmarche systรฉmique : une vision dโun systรจme par sa dynamique
3.5 CONCLUSION
4 PROPOSITION D’UN MODELE CONCEPTUEL
4.1 INTRODUCTION
4.2 PROPOSITION DโUNE APPROCHE ESPACES โ PROCESSUS
4.3 PROPOSITION D’UN MODELE DES ESPACES
4.3.1 Espaces
4.3.2 Propriรฉtรฉs
4.3.3 Relations
4.3.4 Lโespace gรฉnรฉral
4.4 LA DYNAMIQUE DES ESPACES : LES PROCESSUS
4.4.1 L’instanciation : premiรจre dimension de la dynamique des espaces
4.4.2 La transformation : seconde dimension de la dynamique des espaces
4.5 CONCLUSION
5 PROPOSITION D’UN MODELE DE REPRESENTATION
5.1 INTRODUCTION
5.2 PROPRIETES, OBJETS ET ESPACES: DEFINITION UNIFIEE
5.3 LANGAGE ET EXPRESSIONS RATIONNELLES DE PROPRIETES
5.3.1 Introduction
5.3.2 Dรฉfinition des opรฉrateurs d’expressions
5.3.3 Exemple applicatif
5.3.4 Conclusion de la premiรจre รฉtape de conceptualisation
5.4 PROPOSITION D’UNE FORME DES EXPRESSIONS DE COMPORTEMENT
5.4.1 Introduction
5.4.2 De l’expression rationnelle vers une forme algรฉbrique
5.4.3 Dรฉfinition d’un espace algรฉbrique des expressions
5.4.4 Dรฉfinition des opรฉrateurs d’expressions de comportement
5.4.5 Conclusion de la seconde รฉtape de conceptualisation
5.5 UTILISATION DES EXPRESSIONS DE COMPORTEMENT DANS LA MODELISATION
5.5.1 Expression d’un comportement rรฉpรฉtitif
5.5.1 Expression d’une chronologie
5.5.2 Expressions de comportement, graphes, matrices et automates
5.6 EXPRESSIONS DE COMPORTEMENT, OPERATEURS ET RELATIONS
5.7 EXPRESSIONS DE COMPORTEMENT, CHRONOLOGIE ET REFERENTIEL D’INSTANCIATION
5.8 CONCLUSION
6 CONCLUSION
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