La conception personnaliste
Certains auteurs refusent la qualification de sûreté réelle, refusant ainsi l’obligation propter rem avancée par les auteurs dits monistes. Ce courant doctrinal se base sur l’analyse de M. François Grua qui s’appuie sur la théorie dualiste de l’obligation pour distinguer le cautionnement traditionnel du cautionnement réel, et en déduit que « les deux conventions ne divergent finalement que sur les modalités de paiement. Il ne faut plus soutenir que le cautionnement réel n’est pas un véritable cautionnement. C’en est une variété, une modalité possible ».
De même, pour MM. Michel Cabrillac et Christian Mouly : « la caution réelle ajoute au droit de créance qu’elle confère comme caution une priorité sur certains biens ».
Ainsi, « l’engagement de la caution réelle est limité à la valeur du bien donné en sûreté quand aucune limite n’est précisée ». Il n’y a donc pas d’obligation propter rem puisque la caution réelle n’est pas née « de la chose, mais est seulement limitée par la chose ». Il s’ensuit que selon eux, la sûreté réelle pour autrui est un engagement personnel limité à la valeur du bien : « la caution réelle est tenue comme une caution dans la limite du bien grevé » . Par conséquent, en cas de perte de la chose, la caution réelle est tenue dans la limite du montant qu’avait la chose alors que pour les amateurs de la doctrine moniste, comme le cautionnement réel est une obligation propter rem, la disparition de la chose entraine la disparition de la sûreté.
De même pour MM. Mestre, Putman et Billiau, la caution réelle est tenue « pour la valeur de la chose et non pas par la chose » , il n’y a donc pas obligation propter rem.
Privilégiant ainsi une sûreté limitée par la chose et non une sûreté née par la chose car « si l’on estime que le cautionnement réel n’est pas autre chose qu’une sûreté réelle, il risque d’en résulter un régime moins protecteur pour le garant », par exemple, celui-ci ne pouvant se prévaloir du bénéfice de subrogation. « Inversement, refuser d’admettre que le cautionnement réel est « aussi » une sûreté personnelle risque parfois d’entrainer un régime moins avantageux pour le créancier lui-même », ils citent alors en exemple les cas où le droit de suite est inefficace et la subrogation réelle non admise.
Par conséquent, selon ces auteurs, en cas de perte de la chose, la caution réelle est tenue dans la limite du montant qu’avait la chose alors que pour les amateurs de la doctrine moniste, comme le cautionnement réel est une obligation propter rem, la disparition de la chose entraine la disparition de la sûreté. Cette vision a aussi été retenue par M. Pierre Crocq qui expliquait que « le cautionnement réel doit être analysé comme un engagement personnel de caution limité aux biens affectés à la garantie de l’engagement ».
Evolution jurisprudentielle
A l’instar de la doctrine, la jurisprudence a beaucoup hésité sur la nature juridique de cette sûreté si particulière, et sur le régime applicable, cependant nous pouvons distinguer deux étapes, tout d’abord l’affirmation de la nature réelle de la sûreté réelle pour autrui (Paragraphe 1), puis la tentative de qualification en sûreté personnelle limitée à la valeur du bien par la première chambre civile de la Cour de cassation (Paragraphe 2).
Paragraphe 1 : Application de la doctrine classique (jusqu’en 2002)
Dans un premier temps la jurisprudence est restée fidèle à la conception moniste traditionnelle en admettant cependant des exceptions (A), ce qui a abouti à une mauvaise application de l’article 1415 du Code civil (B).
Affirmation de la nature réelle de la sûreté réelle pour autrui
Pendant longtemps la jurisprudence a été hésitante quant à la qualification de la sûreté réelle pour autrui ; comme nous l’avons abordé, pendant longtemps la cour de cassation a estimé qu’il s’agissait d’une sûreté réelle tout en lui appliquant certains principes des sûretés personnelles. Cette jurisprudence chaotique de la cour de cassation laissait place à une grande insécurité juridique puisqu’elle appliquait au cas par cas le régime de la sûreté réelle ou de la sûreté personnelle. Ainsi d’une part la cour de cassation considérait le cautionnement réel comme une sûreté personnelle en refusant par exemple à la caution réelle le bénéfice de discussion et de division du cautionnement classique , ou encore en refusant la mention manuscrite de l’article 1326 du code civil à la caution réelle . Ou encore en refusant au créancier la saisie d’autres biens que l’immeuble hypothéqué par la caution . Mais d’autre part la cour de cassation appliquait parfois le régime des sûretés personnelles au cautionnement réel en donnant la possibilité par exemple pour la caution réelle d’invoquer le bénéfice de subrogation encore en permettant au conjoint de la caution réelle d’invoquer l’article 1415 du code civil.
Cependant malgré quelques exceptions, c’est bien la conception stricte qui sera retenue par la cour de cassation, en témoigne son attendu très explicite de l’arrêt du 9 mai 1999 : « le cautionnement réel fourni par celui qui consent la constitution d’une hypothèque conventionnelle pour garantir le remboursement de la dette d’un tiers est une sûreté réelle », confirmé par un arrêt du 1 er février 2000: « le cautionnement réel…est une sûreté réelle et non pas un cautionnement personnel ».
Conception stricte et article 1415
Ces hésitations jurisprudentielles ne sont pas sans créer une certaine insécurité juridique pour la communauté. En effet suivant la conception stricte admise par la jurisprudence, l’époux commun en bien n’aurait pu se prévaloir de l’article 1415 du code civil pour protéger la communauté car celui-ci disposant que « chacun des époux ne peut engager que ses biens propres et ses revenus, par un cautionnement ou un emprunt, à moins que ceuxci n’aient été contractés avec le consentement exprès de l’autre conjoint qui, dans ce cas, n’engage pas ses biens propres », il est réservé aux sûretés personnelles.
Cependant, un arrêt de la 1ère chambre civile de la cour de cassation en date du 11 avril 1995 a admis l’application de l’article 1415 au cautionnement réel . En l’espèce, le mari avait garanti un prêt de la société dont il était le gérant avec un nantissement de titres appartenant à la communauté. Suite à la mise en liquidation judiciaire de cette société, l’épouse avait demandé la nullité de l’acte de sûreté sur le fondement de l’article 1415 du Code civil. Après avoir été débouté par la Cour d’appel , la demande de l’épouse s’est vue accordée par la Cour de cassation qui a cassé la décision, et a rappelé que l’article 1415 du code civil est applicable à la caution réelle.
Par cet arrêt, la cour de cassation a voulu protéger la communauté en appliquant l’article 1415. Si cet article ne distingue pas le cautionnement ordinaire du cautionnement réel, « son application littérale au cautionnement réel est impossible » . En effet, cet article prévoit de limiter l’action du créancier sur les biens propres de la caution, or la caution réelle n’a engagé qu’un bien commun, le créancier ne peut donc pas mettre en œuvre son droit de suite et de préférence car il porte sur un bien commun, et il ne peut pas non plus intenter une action contre la caution pour le montant de la valeur du bien car le cautionnement réel était considéré comme une sûreté réelle, il n’y a aucun engagement personnel. Par conséquent, l’application de l’article 1415 au cautionnement réel revient à imposer un régime de cogestion sous peine pour le créancier de ne pas pouvoir mettre en œuvre son action. Comme l’avait fait remarquer M. Grimaldi, « l’article 1415 n’énonce plus seulement une règle de répartition du passif, mais aussi une règle de gestion des biens communs ».
Par cet arrêt, la cour de cassation a appliqué la nullité à l’article 1415 justement en raison de la spécificité de cette sûreté. Cette solution est compréhensible comme nous l’avons vu parce que le créancier ne peut pas agir contre le bien car c’est un bien commun, ni contre la caution car il n’y a pas d’engagement personnel, mais elle revient à dénaturer la portée de l’article 1415 qui devient une condition de validité de l’acte au lieu d’être cause de la restriction du gage du créancier.
La Cour de cassation a poussé à l’extrême son raisonnement dans un arrêt en date du 26 mai 1999 dans lequel elle a admis l’application de l’article 1415 pour un cautionnement réel portant sur une hypothèque immobilière alors même que ce bien est compris dans la liste de l’article 1424 imposant une cogestion aux époux, on comprend alors mal pourquoi la cour de cassation a imposé une cogestion au prix de la dénaturation de l’article 1415 alors que l’article 1424 qui impose une cogestion était applicable.
L’arrêt du 11 avril 1995 a été confirmé par un arrêt du 25 janvier 2000 rappelant que « les dispositions de l’article 1415 du Code civil sont applicables au cautionnement réel », ajoutant que la cour d’appel avait « décidé à bon droit que l’acte de nantissement était nul ». Comme le font légitimement remarquer MM. Simler et Delebecque « ce dernier propos peut paraitre excessif. Si l’acte contesté est certes privé d’efficacité, le bien nanti ne pouvant être saisi, il n’est atteint d’aucun vice justifiant le prononcé d’une nullité » . En effet, la sanction de l’article 1415 n’est pas la nullité de l’acte mais son inopposabilité. Même si en l’espèce la sûreté est inopposable aux deux époux et ne pourra donc pas être mise en œuvre, la sûreté n’en est pas moins entachée de nullité.
Revirement de la cour de Cassation et intervention du législateur
Face à tant d’hésitations jurisprudentielles et d’insécurité juridique tant pour les garants et leurs époux que pour les banques et les rédacteurs d’actes, une harmonisation durable et légalement fondée était urgente. C’est la raison pour laquelle la première chambre civile et la chambre commerciale de la Cour de cassation ont statué définitivement pour la conception stricte de la sûreté réelle pour autrui (section 1), et que le législateur est venu entériner cette position (Section 2).
Revirement jurisprudentiel par l’arrêt du 2 décembre 2005
Etant donné les divergences entre la première chambre civile et la chambre commerciale, il était impératif qu’une chambre mixte se prononce sur la nature du cautionnement réel. L’arrêt si attendu a eu lieu le 2 décembre 2005 , la chambre mixte a par cet arrêt statué en faveur de la conception réelle du cautionnement réel (paragraphe 1) laissant ainsi un « angle mort » dans la protection du patrimoine des époux (paragraphe 2).
Paragraphe 1 : Du cautionnement réel à la sûreté réelle pour autrui
Dans l’attendu de cet arrêt, la chambre mixte insiste sur la nature strictement réelle de la sûreté réelle pour autrui, en affirmant de manière quasi-redondante que cette sûreté n’implique aucun engagement personnel (A) et qu’elle n’est pas un cautionnement (B).
L’exclusion de tout engagement personnel
Un époux marié sous le régime de la communauté a donné en nantissement à une banque des titres dépendant du patrimoine commun pour garantir l’emprunt dont son gendre est le gérant. A la suite d’une procédure collective contre cette société, l’épouse du garant a tenté d’obtenir la mainlevée du nantissement en invoquant l’article 1415 du code civil et son absence de consentement exprès. Après avoir été débouté par la Cour d’appel de Limoges , la cour de cassation rejette le pourvoi et opère par la même occasion un revirement de la jurisprudence de la chambre civile, la chambre mixte affirmant qu’ « une sûreté réelle consentie pour garantir la dette d’un tiers n’impliquant aucun engagement personnel à satisfaire l’obligation d’autrui et n’étant pas dès lors un cautionnement, lequel ne se présume pas, la cour d’appel a exactement retenu que l’article 1415 du code civil n’était pas applicable au nantissement ».
Cet arrêt est d’une importance capitale car il revient sur les arrêts du 15 mai 2002 en renonçant à la conception mixte du cautionnement réel au profit de la conception stricte. Il s’ensuit que désormais le conjoint qui affecte un bien commun en garantie de la dette d’un tiers n’est plus tenu à la fois de manière réelle et personnelle, mais uniquement d’une obligation réelle, c’est-à-dire propter rem. En effet, par ce revirement, la Cour de cassation renonce à tout engagement du garant dans la double limite de la somme garantie et des biens engagés. Désormais la sureté réelle pour autrui est uniquement engagée en qualité de propriétaire du bien, le juge ne peut en aucun cas y voir un engagement personnel si le contrat ne le prévoit pas. La portée de cet arrêt a immédiatement été entériné par la reprise par trois chambres différentes de son attendu , laissant ainsi présager la continuité de sa conception de la sûreté réelle pour autrui.
L’exclusion du cautionnement
La chambre mixte de la cour de cassation entend tirer clairement les conclusions de l’absence d’engagement personnel en affirmant que la sûreté réelle pour autrui n’est alors pas un cautionnement. Elle ajoute d’ailleurs que celui-ci ne se présume pas. Par cet acte, la Cour de cassation relie avec la lettre de l’article 2292 (anciennement 2015) selon lequel « le cautionnement ne se présume point ; il doit être exprès… ». Désormais toute sûreté réelle consentie pour garantir la dette d’un tiers ne prévoyant d’engagement personnel ne pourra pas être requalifiée par le juge de cautionnement.
Une « protection à géométrie variable » de la communauté
Si ce revirement de jurisprudence est un retour à l’orthodoxie en droit des sûretés, il n’en reste pas moins la cause d’une inégalité en droit des régimes matrimoniaux. Puisqu’en refusant l’application de l’article 1415 à l’époux d’un garant réel pour autrui, la cour de cassation a refusé toute protection à la communauté, ce qui n’est pas forcément justifié économiquement.
Suite à cet arrêt, une « protection à géométrie variable » a été mise en place pour la communauté et l’époux du garant en fonction du bien mis en garantie. Nous retrouvons d’une part l’article 1415, dont on sait désormais qu’il ne s’applique pas à la sûreté réelle pour autrui, qui protège l’époux de la caution. En effet, si un époux décide de garantir la dette d’un tiers par l’ensemble de son patrimoine (ce que l’on appelle communément se porter caution), l’époux n’ayant pas donné son consentement pourra protéger ses biens propres et la communauté par la règle de passif de l’article 1415.
Si un époux ne garantit la dette d’un tiers que par une sûreté réelle sur un bien énoncé à l’article 1424 (concerne les immeubles, fonds de commerce, exploitations dépendant de la communauté, droits sociaux non négociables et les meubles corporels dont l’aliénation est soumise à publicité) ou à l’article 215 alinéa 3 (concerne le logement familial et les meubles meublant dont il est garni) alors son époux pourra demander la nullité de l’acte sur le fondement de l’article 1427 et 215 alinéa 3 du code civil. « Au vu de ces deux textes, on devine rapidement qu’un certain nombre de garanties échappe aux mailles des filets, soit de la réduction du gage des créanciers, soit de la cogestion » , ce sera le cas d’un époux garantissant la dette d’un tiers par une sûreté réelle sur un bien non énoncé par ces articles, la communauté ne bénéficiera alors d’aucune protection et se verra engager même en l’absence du consentement des deux époux. Cet « angle mort » peut être discuté car si dans une certaine mesure il parait logique de donner une totale liberté aux époux de passer un acte qui ne met pas en péril toute la communauté , il ne faut pas oublier que la sûreté réelle pour autrui expose la communauté sans contrepartie d’autant plus que depuis ces dernières décennies, les valeurs mobilières ont pris une place de plus en plus importante dans la communauté des époux.
Une intervention laissant quelques interrogations
Il est cependant à noter que le code civil n’admet toujours pas explicitement la sûreté réelle pour autrui. Seul l’article 1422 évoque un bien à la garantie de la dette d’un tiers.
Ainsi, aucune définition n’est donnée, et encore moins un régime. Le juriste doit déduire le caractère réel de cette sûreté de la jurisprudence et de l’alinéa 2 de l’article 1422. En effet, en évoquant la sûreté réelle pour autrui dans cet article régissant la disposition des biens à titre gratuit et non à l’article 1415 régissant le cautionnement, le législateur affirme le caractère réel de cette sûreté. La sûreté réelle pour autrui et son régime apparaissent aussi implicitement dans l’article 2334 du code civil : « le gage peut être consenti par le débiteur ou par un tiers ; dans ce cas, le créancier n’a d’action que sur le bien affecté en garantie ». On peut aussi évoquer l’article 1020 du Code civil qui fait référence à l’hypothèque pour la dette d’un tiers.
Cependant le législateur reste ambigu sur la nature de la sûreté réelle pour autrui, comme le relèveM. Pierre Crocq : « le décret (n°2006-936 du 27 juillet 2006, JO 29 juillet 2006, relatif à la réforme de la saisie immobilière) ne considère pas la caution réelle comme un tiers détenteur mais comme un débiteur puisque son régime juridique, énoncé à l’article 15 du décret, relève d’une sous-section relative à la ‘délivrance du commandement de payer valant saisie au tiers détenteur’. Il s’agit, certes, d’un débiteur peu particulier, puisque le délai de huit jours pour payer, laissé au débiteur principal par l’article 15, 3°, du décret, est remplacé, dans son cas, par un délai d’un mois, comme pour le tiers détenteur, mais il demeure que la caution hypothécaire est bien envisagée par le décret comme étant un débiteur, ce qui a pour conséquence que parmi les mentions obligatoires du commandement de payer qui lui est adressé ne figure pas l’indication de la faculté de délaisser alors que l’on pouvait s’attendre à ce qu’elle soit mentionnée »
Mme Cristina Corgas-Bernard évoque la possibilité que « cette lacune aurait pu s’expliquer par l’étroitesse du cadre défini par la loi d’habilitation du 26 juillet 2005, excluant le cautionnement (L.n°2005-845, 26 juill. 2005, JO 27 juill. 2005) » tout en relevant que « la sûreté réelle pour autrui relevant des suretés réelles, le gouvernement aurait pu s’estimer compétent pour légiférer », avant de regretter qu’ « une telle intervention légale aurait permis non seulement de corroborer explicitement la jurisprudence, mais surtout aurait pu être l’occasion de penser son régime juridique ».
L’absence de position claire et non équivoque de la part du législateur n’est pas sans créer d’interrogations, notamment tenant au régime applicable. En effet, étant donné la spécificité de la sûreté réelle pour autrui, doit-on uniquement appliquer le régime des sûretés réelles ou dont-on adapter certaines règles du régime des sûretés réelles ? La question reste d’actualité, le législateur n’ayant répondu qu’à la cause du problème sans en traiter le fond.
Ce rôle revient par conséquent à la jurisprudence qui semble appliquer strictement le régime des sûretés réelles, elle a par exemple écarté l’information de la caution de l’article L 313-22 du CMF , le devoir de mise en garde de la caution , ou encore le principe de proportionnalité de l’article L 313-10 du Code de la consommation , ce qui n’est pas sans créer certaines critiques.
L’avant-projet dirigé par M. Michel Grimaldi remis au garde des Sceaux le 31 mars 2005 suggérait la création d’un nouvel article 2295 disposant que « le cautionnement réel est une sûreté réelle constituée pour garantir la dette d’autrui. Le créancier n’a d’action que sur le bien qui en forme l’objet ». Les choses auraient sûrement été plus claires si le législateur avait pris la peine de définir la notion de sûreté réelle pour autrui et le régime qui lui est applicable, à défaut ce rôle revient à la jurisprudence.
Un nouveau cas de cogestion
La double volonté du législateur est de protéger la communauté tout en conservant l’efficacité de la sûreté. En effet, il ne faut pas rendre la sûreté réelle pour autrui trop facilement inefficace sinon cette sûreté va être délaissée par les créanciers, mais il faut tout de même protéger la communauté et éviter qu’elle ne s’appauvrisse trop à cause d’un des époux.
C’est pour répondre à cet objectif que le code civil prévoit en son alinéa 1415 qu’un conjoint qui se porte caution seul « ne peut engager que ses biens propres ». Cette solution est intéressante car elle protège le conjoint non signataire de l’acte en réduisant les biens propres de cet époux et les biens communs de l’assiette du gage général du créancier, tout en préservant l’efficacité de la sûreté car le créancier pourra agir contre les biens propres de la caution. On parle ainsi de la question du passif des époux.
Mais comme nous l’avons vu, cette solution est difficilement applicable à la sûreté réelle pour autrui. En effet, cette garantie étant une sûreté réelle, l’application stricte de l’article 1415 conduit à réduire à zéro l’assiette du gage du créancier. Une solution a alors été de retenir l’engagement du garant pour la valeur du bien mis en garantie, mais cette solution a été critiquée car elle rompait avec l’article 2292 selon lequel le cautionnement ne se présume pas. Le législateur est donc intervenu pour ajouter un nouveau cas de cogestion puisque l’alinéa 2 de l’article 1422 du code civil nous apprend que les époux « ne peuvent non plus, l’un sans l’autre, affecter l’un de ces biens à la garantie de la dette d’un tiers ».
Désormais chacun des époux doit nécessairement donner son accord pour pouvoir passer une sûreté réelle pour autrui sur un bien commun, sous peine de nullité de l’acte. En effet, si les deux époux ne donnent pas leur consentement, il manque l’un des bases essentielles du contrat : la capacité (article 1108 du Code civil), l’acte sera alors nul. C’est ce que rappelle l’article 1427 : « Si l’un des époux a outrepassé ses pouvoirs sur les biens communs, l’autre, à moins qu’il n’ait ratifié l’acte, peut en demander l’annulation. L’action en nullité est ouverte au conjoint pendant deux années à partir du jour où il a eu connaissance de l’acte, sans pouvoir jamais être intentée plus de deux ans après la dissolution de la communauté ».
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Table des matières
INTRODUCTION
PARTIE I – L’INFLUENCE DES REGIMES MATRIMONIAUX SUR LA NATURE DE LA SURETE REELLE POUR AUTRUI
CHAPITRE I : CONTROVERSE DOCTRINALE ET EVOLUTION JURISPRUDENTIELLE
Section 1 : Controverse doctrinale
Paragraphe 1 : Conception stricte de la sûreté réelle pour autrui
A- Les combinaisons alliant sûreté réelle et sûreté personnelle
B- L’analyse moniste
Paragraphe 2 : Conception mixte de la sûreté réelle pour autrui
A- La conception hybride
B- La conception personnaliste
Section 2 : Evolution jurisprudentielle
Paragraphe 1 : Application de la doctrine classique (jusqu’en 2002)
A- Affirmation de la nature réelle de la sûreté réelle pour autrui
B- Conception stricte et article 1415
Paragraphe 2 : Revirement et tentative de protection (entre 2002 à 2005)
A- Le revirement jurisprudentiel des arrêts du 15 mai 2002
B- Dissociation entre les chambres de la Cour de cassation
CHAPITRE II : REVIREMENT DE LA COUR DE CASSATION ET INTERVENTION DU LEGISLATEUR
Section 1 : Revirement jurisprudentiel par l’arrêt du 2 décembre 2005
Paragraphe 1 : Du cautionnement réel à la sûreté réelle pour autrui
A- L’exclusion de tout engagement personnel
B- L’exclusion du cautionnement
Paragraphe 2 : La chambre mixte et la protection de la communauté
A- La non application de l’article 1415
B- Une « protection à géométrie variable » de la communauté
Section 2 : Intervention du législateur
Paragraphe 1 : Le nouvel alinéa de l’article 1422
A- La création d’un nouveau cas de cogestion
B- Une intervention laissant quelques interrogations
Paragraphe 2 : L’application dans le temps de l’ordonnance de 2006
A- Affirmation de la non rétroactivité du nouvel alinéa de l’article 1422
B- Régime applicable aux sûretés réelles pour autrui constituée avant le 25 mars 2006
Sûreté réelle pour autrui et régime matrimonial légal
PARTIE II – L’INFLUENCE DU NOUVEAU REGIME DE LA SURETE REELLE POUR AUTRUI SUR LE REGIME MATRIMONIAL LEGAL
CHAPITRE I : CONSEQUENCES SUR LES POUVOIRS DES EPOUX
Section 1 : Un régime protecteur de la communauté
Paragraphe 1 : Protection de la communauté
A-Un nouveau cas de cogestion
B- La question de la forme du consentement
Paragraphe 2 : Un régime opportun et complémentaire
A- Une intervention nécessaire aux vues de l’évolution de l’économie des ménages
B- La cogestion, un choix pratique justifié
Section 2 : Les dangers du régime pour la communauté
Paragraphe 1 : Le danger des présomptions du régime primaire
A- Sûreté réelle pour autrui et présomption de l’article 222
B- Sûreté réelle pour autrui et présomptions des articles 221 et 223
Paragraphe 2 : la réduction de la gestion concurrente
CHAPITRE II : SURETE REELLE POUR AUTRUI, SURETE PERSONNELLE ET COMMUNAUTE
Section 1 : L’addition d’une sûreté personnelle et d’u ne sûreté réelle pour autrui
Paragraphe 1 : Validité d’une telle sûreté
Paragraphe 2 : Addition et régime matrimonial
Section 2 : La superposition d’une sûreté personnelle et d’une sûreté réelle pour autrui
Paragraphe 1 : Superposition et article 1422
Paragraphe 2 : Superposition et article 1415
Section 3 : L’engagement personnel d’un époux limité à un bien commun
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
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