L’influence des politiques d’activation sur le jugement porté sur les chômeurs varie selon les situations macro-économiques 

Le contexte européen

Les États-providence et les conséquences de la crise Au sortir de la crise des subprimes, si la croissance chute dans tous les pays européens, la situation de l’emploi est, elle, beaucoup plus contrastée. Certains ont en effet subi une hausse rapide et forte du chômage (Espagne, Grèce…), tandis que d’autres ont paru peu touchés par cette crise internationale majeure (Allemagne, Pays-Bas, pays scandinaves…).
Les performances des pays européens sont donc variées. Afin de retrouver la croissance partout en Europe et de permettre aux pays les plus touchés de faire baisser les taux de chômage parfois très importants, l’Union Européenne s’est dotée d’outils et d’une stratégie commune pour l’emploi. En effet, rapidement après la crise, les gouvernements européens se sont mis d’accord sur une série de mesures destinées à remettre l’Europe sur les rails de l’emploi : la Stratégie Européenne pour l’Emploi (SEE) a donc été créée en 1997 afin de réaliser un objectif de création d’emplois de qualité en Europe. Elle fait aujourd’hui partie de la stratégie « Europe 2020 » en faveur de la croissance qui a été établie lors du traité de Lisbonne en 2010. Ainsi, les pays membres se sont entendus sur les solutions à apporter au chômage en Europe et parmi elles figure l’activation des politiques de l’emploi. Les lignes directrices de la stratégie « Europe 2020 » énoncent alors : « les États membres devraient réexaminer les systèmes fiscaux, les régimes de prestations sociales et la capacité des services publics à apporter l’aide nécessaire afin d’accroître la participation au marché du travail et de stimuler la demande de main-d’œuvre » (2010). Si le terme d’ « activation » n’est ici pas employé, il est évoqué quelques lignes plus bas dans le même paragraphe : « les services de l’emploi jouent un rôle important dans l’activation et l’appariement; aussi devraient-ils être renforcés par des services personnalisés et des mesures d’action et de prévention par rapport au marché du travail à un stade précoce » (2010). Malgré la diversité des institutions et de la situation économique des États-membres, il semble qu’en définissant une stratégie commune pour l’emploi et de lutte contre le chômage, l’Union Européenne soit le prisme par lequel passe la convergence des politiques de l’emploi.
Les performances diverses qui sont pourtant montrées par les pays européens doivent notamment être attribuées à la variété des institutions qui existent en Europe. Les « institutions » sont les différents systèmes politiques qui régissent une société, comme les systèmes de sécurité sociale, les partis politiques, les syndicats… En revanche, leur définition n’inclut pas les faits sociaux comme les interactions familiales ou les structures de classes qui ne sont pas des « objets » créés sciemment par les individus pour les individus (Svallfors, 2003). Ici, ce sont notamment les politiques de l’emploi mises en place et le système de protection sociale qui ont joué un rôle déterminant dans la résilience des économies. Les institutions diffèrent en Europe selon la forme qu’a pris l’État-providence ou de ce qui se rapproche le plus d’un système de protection sociale. La totalité des institutions compétentes dans les domaines de la protection sociale et de la redistribution des richesses est constitutive de l’État-providence. Les systèmes de protection sociale modernes sont apparus en Europe à la fin du XIXe siècle et se sont développés progressivement jusqu’aux années 1970 en élargissant leurs compétences. En Europe, les deux modèles fondateurs de l’État-providence sont les modèles « bismarckien » et « béveridgien ». Le premier repose sur un mécanisme d’assurance sociale dans lequel les prestations sont les contreparties des cotisations versées par les individus. Ce modèle s’est surtout développé en Europe continentale et en particulier en Allemagne et en France. Le second modèle a, quant à lui, plutôt été mis en application dans les pays anglo-saxons. Dans l’État-providence « béveridgien », le système de protection sociale est financé par l’impôt et fournit des prestations universelles d’un niveau relativement faible. Dans ce modèle, de nombreuses autres allocations complémentaires d’assistance viennent compléter ce système (Rosanvallon, 1995).
Mais d’autres classifications des États-providence ont été proposées afin de rassembler au mieux les pays possédant des institutions similaires. Étant donné la variété des institutions existantes dans chaque pays et les particularismes nationaux, la catégorisation des Étatsprovidence renvoie surtout à une hybridation de modèles plus ou moins proches (Arts & Gelissen, 2002), ce qui explique également pourquoi plusieurs typologies sont possibles. Gøsta Esping-Andersen est le premier à en distinguer trois et à définir leurs caractéristiques : le modèle « social-démocratique » des pays scandinaves qui allie un fort degré de démarchandisation (« decommodification » ; c’est-à-dire le degré auquel une personne peut maintenir un niveau de vie correct sans dépendre du marché du travail ; Arts & Gelissen, 2002) à un certain universalisme des aides sociales ; le modèle « corporatiste-conservateur » des pays continentaux qui fait notamment varier les bénéfices reçus en fonction du précédent statut et qui propose un degré de « decommodification » moyen ; le modèle « libéral » anglo-saxon où le degré de « decommodification » est faible, dans lequel l’accent est mis sur la responsabilité personnelle de sa situation et où les aides sociales sont, certes,subordonnées à certaines conditions mais d’un niveau moyen (Esping-Andersen, 1990).
Chacun de ces types possède des institutions aux caractéristiques et aux finalités plus ou moins proches, qui les différencie cependant des autres types.
Or, les institutions qui constituent les types d’États-providence sont tout autant définies par les préférences des individus qu’elles ne les définissent. Les politiques de l’emploi mises en application dans les pays européens peuvent résulter d’une certaine demande de la population, mais l’opinion de la population semble également déterminée en partie par les politiques appliquées et leurs effets réels ou supposés (Svallfors, 2002). Ainsi, en déterminant ce qui est « normal » et ce qui est « déviant » à travers un système de récompenses et de punitions, elles tendent à faire apparaître certaines attitudes plutôt que d’autres. Si l’on suit Svallfors et que l’on s’intéresse à l’influence des institutions selon le type d’État-providence, il apparaît que le régime corporatiste-conservateur créerait de fortes disparités entre « insiders » et « outsiders », entre ceux qui disposent d’une bonne position sur le marché du travail et ceux qui sont au chômage ou en emploi précaire. Le modèle social-démocratique, lui, tendrait à générer des différences entre hommes (majoritairement dans le privé) et femmes (majoritairement dans le public), tandis que le modèle libéral favoriserait les divisions et les inégalités entre classes sociales (Svallfors, 2002).
Cependant, les changements politiques majeurs faisant suite aux chocs externes tels que les crises pétrolières et les crises financières vont profondément transformer le rôle et les pouvoirs de l’État social en Europe. En s’adaptant à la nouvelle donne économique, les Étatsprovidence entament donc leur mutation.

La libéralisation des institutions dans les pays européens

Depuis les années 1970 et les premiers chocs pétroliers qui ont apporté les premiers taux de chômage importants en Europe, la théorie keynésienne de l’équilibre optimal a été mise à mal, et le libéralisme économique, théorisé principalement par Milton Friedman (2002), est allé croissant. Cette doctrine économique considère que les dépenses publiques doivent être équilibrées par les revenus de l’État et ainsi obtenir un budget public de l’État qui soit neutre. La baisse des coûts salariaux et des coûts de production est préconisée, notamment au moyen de l’innovation, d’une meilleure compétitivité et d’une meilleure productivité (Amador, 2014). Les États-providence, garants d’une certaine protection sociale et d’un niveau de vie minimum à tous se sont donc d’abord développés en rupture avec les principes du libéralisme. Mais ils n’ont pas échappé au changement de paradigme économique et se sont eux aussi libéralisés à la fin du XXe siècle jusqu’à aujourd’hui en flexibilisant, à des degrés variés, le marché du travail, en limitant le rôle des syndicats et en réduisant les dépenses publiques (Streeck & Mertens, 2011). D’après la pensée des économistes classiques, être au chômage ne peut résulter que d’un choix personnel et volontaire puisque le marché doit mécaniquement équilibrer l’offre et la demande (Arrignon, 2014). Ainsi, en « activant » les chômeurs, l’État social imagine des procédés qui rendent la situation des personnes sans emploi beaucoup moins favorable que celle des personnes en emploi. C’est en fait un choix rationnel qui leur est proposé.
Par l’activation, les États-providence visent également à relier les politiques sociales au marché du travail (« recommodification ») et s’inscrivent donc, selon Jean-Claude Barbier, dans une logique « néo-libérale » puisque l’Etat ne se désengage pas des politiques sociales mais applique au contraire « un ciblage nouveau des politiques sociales pour en faire des politiques économiques de soutien au marché » (Barbier, 2009). Le rôle traditionnel de l’État-providence est donc remis en question par ces nouvelles logiques de liens au marché du travail, sans toutefois qu’il ne soit victime d’un « retranchement » ou d’une baisse de son niveau d’intervention. D’autres auteurs sont plus réservés sur ce constat. En effet, certains estiment que le retranchement des États-providence a bien eu lieu depuis la mise en application à marche forcée du libéralisme économique – et continue certainement – mais reste toutefois largement contenu puisqu’il est relativement impopulaire auprès des électeurs (Pierson, 1993 ; 1996 ; Vis et al., 2008). Le retrait de l’État social n’aurait donc lieu qu’en des circonstances particulières (notamment lorsque les partisans d’une faible intervention de l’État sont au pouvoir) ou lorsque l’État prévoit suffisamment de contreparties pour ne pas trop perdre en popularité (Giger & Nelson, 2010). Ainsi, les politiques sociales n’ont plus comme finalité la garantie de revenus mais la garantie d’obtenir un revenu une fois sur le marché du travail. L’État devient l’ « intermédiaire entre les personnes pauvres et le marché », qui assure la rencontre entre l’offre et la demande (Arrignon, 2014). L’Etat social actif, loin d’être non-interventionniste, est donc au service de l’économie et réalise des réformes favorables au marché du travail. En contraignant les personnes sans emploi et précaires à retrouver un travail (parfois faiblement payé), l’activation des politiques de l’emploi compense l’effet pervers supposé de la protection sociale – qui inciterait les individus à ne pas chercher d’emploi – en ramenant les chômeurs sur le marché. Les politiques actives peuvent ainsi compenser les pertes dues aux politiques passives par l’augmentation du nombre de personnes travaillant en entreprises et qui acceptent des offres de salaires relativement faibles. Depuis plusieurs années, la plupart des pays européens mettent également en place des politiques de l’emploi qui tendent toutes vers le même modèle dit de « flexisécurité » (ou « flexicurité » ; Barbier, 2009). Ces dispositifs de « flexisécurité » doivent permettre la rencontre entre l’offre et la demande d’emplois et favoriser le maintien en emploi des salariés grâce à une flexibilité de la durée du travail ou du coût du travail pour l’entreprise (Erhel, 2010). Parmi eux, les dispositifs de chômage partiel se sont largement répandus à travers l’Europe afin de maintenir la croissance et les taux d’emplois (en Allemagne, 1,53 million de salariés étaient dans cette situation en 2009 ; Koch & Massol, 2014). L’application de ces mesures s’est réalisée petit à petit, selon le principe de « layering » développé par Streeck & Thelen (2005), redéfinissant ainsi peu à peu les fonctions et les buts du système de protection sociale et des politiques de l’emploi.
La convergence des politiques de l’emploi observée provient en tout état de cause d’une vague de libéralisation des politiques publiques à l’œuvre depuis les années 1980, qui s’est amplifiée après la crise (Lefresne, 2010). La pression sur le marché du travail se faisant plus forte, la logique corporatiste traditionnelle de certains États-providence européens et la « decommodification » se sont effacées au profit de la conditionnalité des aides au sein d’une stratégie d’activation de l’emploi. On constate cependant que chaque pays adopte un modèle d’activation qui lui est propre, en mettant en œuvre à des degrés variés les différents outils à sa disposition. Par exemple, le modèle de flexisécurité développé en Scandinavie flexibilise le marché du travail en favorisant notamment les licenciements en échange d’une assurance d’allocations généreuses. Le modèle anglo-saxon, lui, active les politiques de l’emploi en conditionnant le versement de prestations à l’occupation d’un emploi et en mettant l’accent sur la responsabilité individuelle des récipiendaires des aides sociales. Selon certains auteurs, ces différences dans la convergence des politiques de l’emploi vers l’activation rendent cette thèse critiquable. Patrizia Aurich voit, par exemple, plutôt une convergence dans la nature des politiques qui se libéralisent mais pas dans le degré d’application (Aurich, 2011). La grande variété des facultés des pays européens à résister au choc externe de la crise de 2008 semble en effet plutôt en accord avec cette hypothèse. Si les politiques de l’emploi convergeaient réellement en tous points, les performances des différents États-providence ne devraient pas être aussi hétérogènes.
Toutefois, la thèse de la convergence des politiques de l’emploi peut encore reposer sur la différence des points de départ de chaque pays. En effet, les institutions de chaque pays n’ont pas pu montrer les mêmes capacités d’adaptation aux politiques néo-libérales (Barbier, 2009), à cause de leur mise en œuvre historique, de leurs finalités et de leurs performances. Ainsi, au vu des résultats économiques et sociaux, les politiques de flexibilisation du marché du travail ont été relativement efficaces dans les pays nordiques qui bénéficiaient d’un terrain favorable à leur implantation : une protection sociale et des aides importantes, un marché du travail actif, des offres de formation variées et un taux de syndicalisation élevé (Barbier, 2009). Cependant, d’autres pays, comme l’Espagne ou dans une moindre mesure la France, ont fait converger leurs institutions vers ce modèle de flexisécurité sans pour autant avoir le même terreau favorable, ce qui a eu pour conséquence de rendre difficile l’accès à l’emploi pour de nombreuses personnes et la précarisation des populations fragiles. Bien souvent, les jeunes sont les personnes les plus touchées par le chômage, soit parce qu’ils sont moins bien protégés dans l’emploi, soit parce que leur insertion professionnelle devient plus difficile (Erhel, 2010). Il est donc probable qu’une convergence des politiques de l’emploi soit à l’œuvre dans les pays européens suite à la libéralisation intensive qui est appliquée, mais chaque pays l’applique à sa manière et à son rythme.
La libéralisation des institutions des pays européens en œuvre depuis la fin des années 1970 a donc constitué une réponse à la nouvelle donne économique et à l’apparition d’un chômage important qui mettait en péril l’existence des États-providence. Le nouveau paradigme économique a alors transformé les finalités de l’État-providence et de nouveaux outils ont été créés afin de mener à bien ses nouvelles missions, notamment celle du retour à l’emploi des bénéficiaires des aides sociales.

L’activation

Retrouver le chemin de l’emploi par l’incitation

Les politiques de l’emploi sont variées. Elles peuvent revêtir différentes formes, être destinées à plusieurs publics et servir différents objectifs. Certaines sont dites « passives » lorsqu’elles ont pour but de réduire le chômage en modifiant la répartition du travail et d’améliorer la condition des chômeurs, d’autres sont dites « actives » lorsqu’elles visent à encourager la reprise d’un travail pour les chômeurs. Ces dernières ont vu le jour dans les pays scandinaves, probablement en Suède (Barbier, 2002 ; Pagnac, 2013), mais se sont surtout développées au Royaume-Uni dans les années 1990, par l’intermédiaire des instigateurs du « Third Way » (Clasen & Clegg, 2004). Les politiques passives sont des politiques inconditionnelles de soutien au revenu, qui ne visent pas directement à augmenter le niveau de l’emploi mais à verser des revenus de remplacement aux personnes sans emploi. De nos jours, elles font face à de vives critiques qui les accusent d’inciter les bénéficiaires des aides sociales à rester en dehors de l’emploi. La désincitation à chercher un emploi a été baptisée « trappe à inactivité » (« inactivity trap ») et déplore le fait que les revenus peu élevés suite à une reprise d’emploi ainsi que les efforts fournis pour y parvenir ne compensent pas la perte des revenus d’assistance. Plus généralement, la critique des trappes à inactivité est une critique de l’organisation des aides sociales et de l’Étatprovidence.
Ainsi, les politiques passives de l’emploi sont « activées » et sont davantage liées au marché du travail, ce qui les éloigne, de fait, de leur but premier, à savoir le versement d’une prestation sans condition. Les réformes actives, renforcées depuis l’augmentation du chômage après la crise, visent uniquement à faire en sorte que les prestations perçues par les bénéficiaires contribuent au retour à l’emploi. Pour ce faire, les aides sont davantage liées au marché du travail et deviennent conditionnelles à des contreparties comme des exigences de formation ou de recherche active d’emploi, ou bien conditionnelles à des niveaux de revenus, afin de favoriser le retour à l’emploi. Les politiques d’activation mêlent donc des instruments coercitifs et incitatifs afin de réduire le chômage : elles utilisent des mécanismes d’encouragements (« carrots ») et de sanctions (« sticks ») (Serrano Pascual, 2004). « Activer » les chômeurs s’est alors parfois traduit par le renforcement d’obligations imposées aux allocataires d’aides sociales mais également par la mise en place de crédits d’impôt ou par la fiscalisation des dépenses sociales remplaçant le financement par les cotisations (Barbier, 2009). Au final, l’activation serait « la mise en conformité du secteur social sur des modes de pensées et des objectifs économiques, une manière économique de concevoir les politiques sociales, de se représenter les choix des personnes pauvres et de gouverner leurs comportements » (Arrignon, 2014).
L’activation des politiques de l’emploi dispose donc d’au moins deux leviers pour encourager les chômeurs à retrouver un emploi. Le premier de ceux-ci est l’incitation à retrouver un travail. Par un effet de miroir, rendre l’emploi attractif revient à rendre la situation de chômage la moins soutenable possible. Les récentes réformes des États-providence se sont donc engagées sur cette voie et conditionnent de plus en plus le versement des prestations à la recherche active et prouvée d’un emploi. Ainsi, si la générosité globale des prestations en Europe ne semble pas s’atténuer (Erhel, 2010), celles-ci peuvent être drastiquement réduites voire annulées si le chômeur ne fait pas preuve de bonne volonté selon l’organisme chargé de lui retrouver un emploi. De plus, des aides supplémentaires sont attribuées aux personnes disposant d’un emploi mais offrant de faibles revenus, comme par exemple les situations de chômage partiel ou plus largement pour les travailleurs précaires. Ces aides, qui peuvent être importantes, telles que la « Prime d’activité » en France, ou le « Working Tax Credit » au Royaume-Uni incitent donc fortement les personnes à retrouver un travail.
De même, le versement des prestations n’est pas à durée illimitée. Au bout d’une certaine période, variable selon les pays, les chômeurs sont ainsi plus qu’incités à trouver un emploi, sous peine de voir leurs revenus s’amoindrir. Tout est fait pour rendre l’emploi attractif afin que les entreprises disposent d’une main d’œuvre importante. Cette logique s’inscrit donc complètement dans le cadre de la flexisécurité. Mais l’incitation à retrouver un emploi n’est pas uniquement financière. En effet, l’activation des politiques sociales et des chômeurs passe également par des offres de formation, notamment professionnelles, qui permettent aux personnes sans emploi de se rapprocher du monde du travail. L’assiduité à certaines formations peut d’ailleurs parfois être obligatoire . Des entretiens personnalisés avec des conseillers qui suivent précisément des dossiers de chômeurs peuvent également être proposés dans certains pays, ce qui constitue une aide simple pouvant augmenter les chances de retour à l’emploi des individus.
L’objectif premier des politiques d’activation de l’emploi est donc l’augmentation de l’« employabilité » des chômeurs. En les formant, en les forçant à accepter des offres d’emploi parfois éloignées de leurs souhaits initiaux, ils sont plus à-mêmes à entrer sur le marché du travail (Ben Hassen & Hofaidhllaoui, 2012). Dans la droite lignée des objectifs des politiques d’activation, l’Organisation Internationale du Travail (OIT) donne une définition de l’employabilité très individualisée : « l’aptitude de chacun à trouver et conserver un emploi, à progresser au travail et à s’adapter au changement tout au long de la vie professionnelle » . L’employabilité dépend donc en partie des qualifications mais aussi du comportement des chômeurs, elle relève de leur propre responsabilité. L’activation des chômeurs vise donc à rendre « employables » ces personnes aux yeux des employeurs en les incitant à se former et à réaliser les démarches nécessaires.
Après avoir manié la « carotte » matérialisée notamment par des incitations financières et des opportunités de formations personnelles et professionnelles, les politiques d’activation de l’emploi doivent également user du « bâton ».

La mise en place de politiques coercitives

Les critiques envers les politiques d’activation sont, en vérité, surtout tournées vers leur caractère coercitif (Barbier, 2001 ; Friedli & Stearn, 2017). L’activation par la contrainte est parfois jugée contre-productive puisqu’elle aurait tendance à diviser la société entre « capables » et « incapables », entre « employables » et « non-employables », ce qui aurait, entre autres résultats, pour effet d’éloigner encore plus de l’emploi les personnes les plus fragiles et qui nécessitent un accompagnement de longue durée. D’autres estiment plus radicalement que ces politiques sont dangereuses pour les individus précaires et effritent le lien social, déjà fragile, existant au sein de la société (Duvoux, 2009). Cependant, les promoteurs de ces politiques néo-libérales jugent nécessaires les mesures coercitives dans l’objectif de limitation du taux de chômage. De plus, l’accès à l’emploi permettrait à ces personnes d’obtenir un niveau de vie décent et une utilité retrouvée dans la société (White, 2004). Ce raisonnement, que l’on pourrait qualifier de paternaliste, se veut, encore une fois, porté vers la bonne santé du marché du travail et de l’économie nationale.
On l’a vu, le montant des prestations versées depuis plusieurs années dans les pays européens n’a pas tendance à diminuer. Il suit au contraire une pente très légèrement ascendante, en lien avec la lente montée de l’inflation en Europe depuis 2015 environ.
L’activation des politiques de l’emploi n’a donc pas grand-chose à voir avec la générosité des aides, mais plutôt avec leur conditionnalité. L’extension de la conditionnalité des aides va de pair avec l’élargissement des sanctions possibles si la personne en recherche d’emploi manque à ses devoirs. Tout se passe comme si un contrat était passé entre le chômeur et l’État : la personne sans emploi s’engage à chercher activement un travail, à respecter les règles établies par l’organisme chargé de l’aider à retrouver un emploi, alors que l’Étatprovidence s’engage à verser une prestation au chômeur afin qu’il continue à vivre de manière décente. Le versement de la « JobSeeker Allowance » au Royaume-Uni est par exemple soumis à certaines conditions d’éligibilité : revenus, temps de travail, obligation de rendez-vous réguliers avec des conseillers… et la durée de la prestation est limitée. De même, les sanctions en cas de non-respect des règles d’éligibilité sont de plus en plus dures (Friedli & Stearn, 2017). On attend de plus en plus des individus qu’ils aient une bonne « attitude », un comportement conforme aux exigences des agences pour l’emploi, au nom d’un certain respect des personnes en emploi qui cotisent afin de payer, entre autres, les prestations versées aux chômeurs.
Les mesures coercitives prises afin de ramener les chômeurs sur le chemin de l’emploi se développent partout en Europe. D’une part, le caractère conditionnel des aides sociales se durcit fortement : le versement des prestations n’est justifié que lorsque le bénéficiaire est dans la « bonne » situation (s’il a l’âge requis, le niveau de revenus nécessaire le cas échéant, s’il a cotisé suffisamment longtemps pour prétendre toucher les aides…) et si celui-ci fait preuve de bonne volonté et d’une attitude positive envers la possibilité de retrouver un emploi. Le volet « psychologique » (défini ainsi par Friedli & Stearn, 2017) des réformes des États-providence comporte par exemple un « code de bonne conduite » à suivre : être disponible pour travailler, rechercher activement un emploi, ne pas refuser trop d’offres considérées comme « acceptables » par les organismes de l’emploi, se rendre régulièrement aux rendez-vous prévus avec les conseillers, sont autant de conditions nécessaires au versement des prestations. Ces dispositifs de « workfare » à l’anglo-saxonne sont jugés indispensables afin d’éviter les passagers clandestins, ceux qui se complairaient dans leur vie relativement précaire et qui vivraient grâce aux aides sociales ou d’autres moyens. D’autre part, le durcissement de l’accès aux aides est complémentaire de l’approfondissement et l’élargissement des possibilités de sanctions à l’encontre des individus récalcitrants. Ainsi, si une personne sans emploi refuse plusieurs offres d’emplois jugées « acceptables » par l’État (selon une définition précise encadrée par les organismes compétents), elle se verra infliger des suspensions de ses prestations qui augmenteront graduellement si les manquements au contrat passé entre l’individu et l’État continuent. Le degré de ces sanctions varie énormément selon les pays. C’est dans les pays de l’Est et plus particulièrement en Slovénie que celles-ci semblent les plus dures, alors que dans les pays nordiques comme la Suède ou la Finlande et certains pays continentaux les sanctions apparaissent plus modérées (Venn, 2012). Le caractère coercitif des mesures d’activation de l’emploi complète donc le versant « incitatif ». En réalité, on peut voir dans ces deux termes les deux côtés d’une même pièce, puisque l’incitation peut parfois paraître forcée, tant il reste peu pour vivre si l’individu ne coopère pas, tandis que la coercition est une incitation forte à choisir une certaine voie. Les politiques d’activation de l’emploi sont ainsi créées à partir de ces deux outils.
En s’intéressant aux différences dans le degré d’application et la nature des politiques d’activation mises en œuvre dans les pays européens, on peut retrouver des « familles » d’activation, des politiques assez proches pour qu’elles soient considérées comme relevant d’une même logique, et ce, malgré les variations inévitables dans leur mise en pratique. En regroupant des pays proposant des politiques d’activation de l’emploi aux caractéristiques relativement proches sans être toutefois identiques, des chercheurs ont donc pu aboutir à des typologies de ces politiques sociales. Lødemel & Trickey (2000) et Barbier (2002) proposent par exemple une opposition de deux « régimes polaires d’activation » (Arrignon, 2014), qui sépare un régime scandinave fondé sur le développement des ressources humaines et généreux, et un régime libéral anglo-saxon qui privilégie une approche coercitive et punitive afin de ramener les récipiendaires de l’aide sociale vers le travail.
D’autres classifications ont été proposées : van Berkel & Hornemann Møller (2002) proposent quant à eux un modèle où trois types de politiques d’activation s’opposent, faisant partie de zones géographiques bien distinctes. D’abord, ils distinguent les pays anglosaxons, qui s’appuieraient sur des instruments incitatifs pour ramener au travail les bénéficiaires des aides, comme des primes au retour au travail, tout en diminuant les ressources hors du travail. Le deuxième régime que van Berkel et Hornemann Møller décrivent serait celui en vigueur dans les pays d’Europe continentale, où le partage entre droits et devoirs est rééquilibré à travers une prise en charge paternaliste des chômeurs, le durcissement des conditions d’accès aux prestations et le développement de contreparties aux aides. Enfin, les politiques d’activation scandinaves insisteraient, selon eux, davantage sur l’objectif d’intégration sociale et la générosité des prestations.
L’activation des politiques de l’emploi et des chômeurs utilise donc plusieurs méthodes afin de ramener les personnes sans emploi vers le marché du travail. Les politiques passives de l’emploi sont « activées » puisqu’elles deviennent conditionnelles et des politiques actives sont implantées, usant aussi bien d’incitations que de mesures de coercition. On l’a vu, ces mesures ont un impact macroéconomique qui est notable. Bien que les résultats diffèrent selon les pays, les taux de chômage sont globalement réduits (il était supérieur à 11 % en Allemagne avant la série des lois Hartz, il est aujourd’hui aux alentours des 3 % ) et les dettes publiques se résorbent légèrement. Cependant, il a été dit que ces mesures comportent un volet « psychologique » (Friedli & Stearn, 2017). Or, très peu d’études se sont jusqu’alors intéressées aux conséquences psychologiques et sociales de ces politiques.

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Table des matières
Introduction 
I) Le contexte européen 
1) Les États-providence et les conséquences de la crise
2) La libéralisation des institutions dans les pays européens
II) L’activation 
1) Retrouver le chemin de l’emploi par l’incitation
2) La mise en place de politiques coercitives
3) L’impact sur les chômeurs
III) Méthodologie
1) La méthode quantitative et les jeux de données disponibles
2) Le recodage et la création des variables utiles à l’analyse
IV) Résultats 
1) Les antagonismes sociaux selon les politiques d’activation
a) Des groupes sociaux plus prompts à stigmatiser les chômeurs que d’autres
b) Des chômeurs plus « méritants » que d’autres ?
2) L’environnement économique et social de l’activation
a) L’influence des politiques d’activation sur le jugement porté sur les chômeurs varie selon les situations macro-économiques
b) Les États-providence et la mise en œuvre de l’activation
3) Le coût et la forme des politiques d’activation : des paramètres importants
a) Quand on ne compte pas, on aime
b) Coercition et incitation : deux leviers, deux effets
V) Discussion des résultats et implications 
1) L’activation accentuerait les antagonismes sociaux
2) L’activation doit s’adapter à la situation économique et institutionnelle
3) Entre efficacité économique et solidarité sociale, il faut choisir
Conclusion 
Bibliographie 
Table des matières
Table des illustrations
Table des annexes

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