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La réception littéraire
La recherche sur la réception a pris son essor en Allemagne avec Hans Robert Jauss et Wolfgang Iser entre les années 1960 et 1979. Selon cette théorie, un texte n’a de sens que s’il est lu. En conséquence, c’est à la lumière de l’interprétation, de la compréhension, de l’appréciation et de la réception par un public qu’un texte prend tout son sens. La lecture a donc une dimension temporelle, une relecture n’est jamais totalement identique à une première lecture. La littérature, dans ce contexte, se définit comme un processus de communication entre l’auteur, l’œuvre et le lecteur.3
Dans les théories traditionnelles, le sens du texte est supposé y être caché, alors que dans les théories modernes de la réception, « l’œuvre littéraire n’est pas un objet existant en soi et qui présenterait en tout temps à tout observateur la même apparence ».4 Chaque œuvre, définie comme un « principe vide », naît de l’activité et de la participation du lecteur en réponse aux indéterminations du texte. Le sens de l’œuvre paraît résulterait donc de l’interaction entre texte et lecteur à travers le processus de la lecture.1 Un texte, dans ce contexte, est « un processus inachevé », « un événement possible » qui a besoin d’être actualisé, concrétisé par un lecteur « coopérant » qui opérera une sélection parmi l’infinité des possibles qui se présentent à lui.2
Le lecteur dont nous parlons ici ne renvoie pas à une personne réelle mais à une construction théorique, au « lecteur implicite », c’est-à-dire au « lecteur idéal » présupposé par le texte. Ce « lecteur implicite », qui est inscrit dans le texte lui-même, comprend toutes les orientations internes du texte pour que ce dernier soit tout simplement reçu.3 Le Lecteur idéal c’est « le lecteur modèle » d’Eco. Un lecteur déjà présent, virtuellement présent avant même que le texte soit lu par les lecteurs :
Le texte est un tissu de signes. Il est ouvert, interprétable, mais doit être entrevu comme un tout cohérent. Il construit son Lecteur Modèle, et est davantage une totalité où l’auteur amène les mots puis le lecteur le sens. Le texte est en fait une machine paresseuse qui exige du lecteur un travail coopératif acharné pour remplir les espaces de non-dit ou de déjà-dit restés en blanc.4
L’interprétation, telle que la définit Eco, est une opération qui fait appel au bagage culturel du lecteur mais pas à son expérience individuelle. Empruntant le terme au sociologue Karl Mannheim, le concept d’« horizon d’attente » a été introduit dans le domaine de l’esthétique de la réception ainsi que de l’histoire littéraire, afin d’expliquer le rapport dialectique entre œuvre littéraire et société. Cette notion permettrait de saisir les conditions préalables de réception dans le système de référence collective auquel appartient le lecteur.5 Selon cette théorie, nous dirions qu’un émetteur et un récepteur partagent les mêmes codes linguistiques et culturels.6 Chaque lecteur possède son propre héritage culturel construit dans le contexte social où il vit. D’une part, c’est la tradition culturelle du lecteur qui forme son horizon d’attente. D’autre part, l’horizon d’attente de toute œuvre est basé sur la vision du monde de l’auteur. Ainsi, si les attentes du lecteur correspondent à celles de l’auteur, l’œuvre sera accueillie dans la culture cible, sinon la réception littéraire n’aura pas lieu.
Cet horizon d’attente d’un public de lecteurs est constitué par l’expérience préalable qu’il a du genre dont une œuvre relève, et par la hiérarchie des valeurs esthétiques d’une époque donnée. Cette opinion publique littéraire, qui est lisible dans le texte même de l’œuvre, fait implicitement référence à un déjà-là littéraire et social : des textes déjà connus et des habitudes de lecture largement partagées. Cependant, l’objet n’est pas tant les pratiques individuelles de lecteurs isolés qu’une expérience esthétique commune. De ce fait, cet horizon d’attente fonctionne comme un sujet de la culture littéraire en tant que schéma que convoque nécessairement tout acte de lecture individuel.1
Le lien entre études de réception et comparatisme s’explique par le fait que les comparatistes développent leurs recherches dans une perspective transnationale. La question « l’accueil de l’étranger » constitue donc une matière particulièrement riche pour les études.2 Le concept de réception est également intéressant dans le domaine de la traductologie où il nous amène à étendre la réflexion
théorique sur toutes les traductions d’une œuvre. Dans ce cadre, le récepteur visé d’un texte cible est le destinataire de la traduction et toute information relative au destinataire comme son contexte socioculturel, ses attentes, sa sensibilité ou sa vision du monde sera d’une importance fondamentale pour le traducteur.3 Généralement, l’accent mis sur la réception d’un texte par son lecteur va dans le sens cibliste de la traduction. Ici, c’est la « lecture-interprétation » du texte source qui mène à une réception interne à la lecture elle-même, c’est-à-dire l’attention portée aux effets qu’induit le texte-source. Ce concept d’« effet » mérite par conséquent d’être considéré comme un concept clé de la traductologie.4
La première traduction de L’Étranger en persan
La première rencontre des Iraniens avec Camus a lieu grâce à la traduction de L’Étranger par Djalal Al-e-Ahmad, en collaboration avec Ali Asghar Khebreh Zadeh, en 1949, sept ans après la parution de l’œuvre originale. L’Étranger a été traduit à l’époque des Pahlavi, durant laquelle on traduit des œuvres littéraires du monde et surtout de la littérature française en Iran.
Né en 1923 à Téhéran, Al-e-Ahmad, est un écrivain qui, outre des œuvres romanesques, dont la plus appréciée s’intitule Le directeur d’école, écrit plusieurs articles critiques et des récits de voyage. Il effectue une dizaine de traductions en choisissant des ouvrages proches de ses idées. Il traduit des œuvres du français et du russe en persan, de grands écrivains comme Sartre (Les Mains sales), Gide (Retour d’U.R.S.S et Les Nourritures terrestres), Ionesco (Rhinocéros et Le Soif et la faim) et Dostoïevski (Le Joueur).4 Parmi les œuvres de Camus, Al-e-Ahmad a traduit L’Étranger, Le Malentendu, et une partie de La Peste.
Albert Camus, qui, comme Jean-Paul Sartre, est considéré aujourd’hui comme l’un des plus importants écrivains français, n’est pas un romancier ordinaire qui, pour divertir les lecteurs, rend un homme amoureux d’une femme et crée ensuite les obstacles pour les relier afin d’augmenter le nombre de pages de l’histoire. Les œuvres de cet homme sont des récits philosophiques dans lesquels l’auteur exprime sa conception précise de la vie et de la mort, de la société et de ses coutumes, et des buts pour lesquels il vaut la peine de vivre.2
En plus des aspects philosophiques, Al-e-Ahmad apprécie également les qualités esthétiques des œuvres de Camus. Selon lui :
Une autre particularité de Camus est l’importance qu’il donne à l’expression de la beauté, des sentiments, des émotions et de l’amour. Bien qu’il soit considéré comme un écrivain pessimiste et étranger, pour lui le monde est plein de beautés qui peuvent rendre la vie digne d’être vécue. Dans Le Malentendu, par exemple, sa description précise de la splendeur des plages ensoleillées illumine le cœur. Et c’est à cause de cet attachement à la beauté que Camus considère l’amour comme la solution unique pour vivre sur la terre.3
La première traduction de L’Étranger en persan par Al-e-Ahmad correspond au moment où il se sépare du parti communiste. En effet, la production littéraire d’Al-e-Ahmad se déroule en trois phases distinctes. Né dans une famille chiite, Al-e-Ahmad renonce à la religion en 1944 et rejoint le parti marxiste, intitulé Tudeh en Iran. Durant cette période, influencé par Sartre, il met l’accent sur l’engagement social dans la littérature et se concentre donc sur les problèmes de la classe ouvrière dans ces œuvres. Puis, entre 1948 et 1952, après sa séparation du parti marxiste, Al-e-Ahmad s’oriente vers l’existentialisme et commence à traduire les œuvres de ce mouvement. La troisième période est celle où les réflexions d’Al-e-Ahmad se concentrent sur la notion de « retour à soi » et d’« occidentalité »4, Gharbzadegi en persan, avec un léger retour à la religion. Ce qui nous importe dans cette recherche est d’analyser les raisons personnelles et sociales qui expliquent l’intérêt d’Al-e-Ahmad pour la traduction de L’Étranger de Camus en 1949, dans la deuxième période de son activité littéraire.
Retraduction de L’Étranger en Iran
Selon les statistiques de la Bibliothèque Nationale Iranienne un nombre important d’œuvres littéraires mondiales sont retraduites plusieurs fois en persan y compris La Ferme des animaux de George Orwell (au moins 40 fois), Le Vieil Homme et la Mer d’Ernest Hemingway (au moins 20 fois), Crime et Châtiment de Fiodor Dostoïevski (au moins 12 fois), Madame Bovary de Gustave Flaubert (au moins 9 fois) et etc. La raison principale de ce phénomène de retraduction des œuvres en persan c’est, l’absence de loi de copyright en Iran. Comme les traducteurs n’ont pas besoin de l’autorisation de l’écrivain ou de l’éditeur pour traduire un livre, cette situation est donc normale et un livre comme Le Petit Prince est traduit environ 30 fois en persan. En plus, les traducteurs iraniens sont toujours très intéressés par les chefs-d’œuvre de la littérature classique comme par exemple Les Misérables de Victor Hugo ou les livres d’Hemingway ou de Charles Dickens qui sont retraduits plusieurs fois. La réputation et le succès des livres qui obtiennent les prix littéraires mondiaux comme le prix Nobel de la littérature ou le prix Goncourt incite également les iraniens à les traduire. Les livres qui dans une période courte connaissent un succès massif et passager comme Harry Potter ou Da Vinci Code et qui sont adaptés au cinéma et aux jeux vidéo sont aussi retraduits en Iran. Les livres sacrés comme le Coran ou la Bible sont traduits plusieurs fois en persan.1
Quant aux œuvres de Camus, certaines sont traduites plusieurs fois en persan par différents traducteurs. Les premières traductions sont effectuées sous l’influence de la langue française, en tant que langue étrangère non coloniale, en Iran qui était populaire parmi les intellectuels iraniens. En ce qui concerne L’Étranger, sa retraduction en Iran est multifactorielle : Le manque de copyright en Iran, la popularité mondiale du roman, l’écriture simple du texte original, le désir personnel des traducteurs, la faible qualité des traductions précédentes et enfin, l’intérêt commercial. La retraduction de L’Étranger, en fonction de la situation socioculturelle, a connu des hauts et des bas. Ce roman a été traduit trente-deux fois en persan jusqu’à présent, dont vingt-trois traductions à partir du texte original et neuf à partir de la langue anglaise.
Parmi ces traductions, la version d’Al-e-Ahmad, publié en 1949 par les éditions Kânoon Marefat et republié par les éditions Negah en 2003, est la plus célèbre. Afin de mieux faire comprendre le roman, le traducteur ajoute une partie de l’interprétation de Jean Paul Sartre de L’Étranger, publiée dans le premier chapitre de son livre Situation, en début d’ouvrage. Cette traduction est faite à partir de la cinquante-cinquième édition de l’œuvre publiée en 1948.
La traduction de Lili Golestân aux éditions Markaz en 2007, est aussi l’une des célèbres retraductions de L’Étranger. Ce livre se distingue surtout par son introduction très riche, consacrée à la biographie et aux idées de Camus, à la publication du roman et à plusieurs critiques importants telles que celle de Sartre et de Roland Barthes ce qui offre au lecteur beaucoup d’informations. Golestân affirme que son intérêt pour retraduire L’Étranger était seulement un désir personnel :
« J’avais toujours envie de traduire une œuvre de Camus. »2 La traduction de Golestân est republiée quarante fois à ce jour. Il semble que Golestân ait fait de grands efforts pour traduire le style de Camus en persan. Pour cette raison, l’atmosphère du romans français est bien restituée dans cette retraduction.
Khashayar Deyhimi est l’un des traducteurs d’œuvres littéraires et philosophiques en persan. Il a notamment traduit Carnets et Le Malentendu de Camus, ainsi que des livres de Gide et de Sartre. La prose de sa traduction de L’Étranger, publiée en 2007, est très fluide, familière et accordée à la structure de la langue persane. Cette traduction qui a fait l’objet de dix-neuf éditions à ce jour est l’une des traductions les plus populaires de L’Étranger en persan. Khashayar Deyhimi, en expliquant pourquoi il a retraduit l’Étranger, affirme qu’il désirait traduire toutes les œuvres d’Albert Camus car il les aime.1
La retraduction de l’Étranger en 1987 par Amir Jalâleddin Alam, le traducteur de La Nausée de Sartre en persan, comme celle de Parviz Shahdi (2003), sont plus difficiles que les autres. Il semble que ces deux traducteurs apprécient plutôt la qualité littéraire du roman, ce qui estompe le réalisme du quotidien dans le texte original. Les retraductions de Mohammad Reza Parsayar (2009) et Amir Lahooti (2014) sont très simples et courtes. Leur introduction ne présente qu’une simple biographie de Camus. Elles sont donc qualifiées de pratiques et ordinaires. 2
Bahareh DJavaheri, professeure à l’Université islamique Azad de Téhéran, rédige une nouvelle traduction de L’Étranger en 2016, affirmant que beaucoup des précédentes étaient ambiguës et ne reflétaient pas bien les idées de Camus. Dans sa traduction, elle essaye de différencier la notion d’absurdité camusienne du nihilisme. Elle insiste sur le fait que Camus, en tant que pionnier du l’absurde, n’est pas nihiliste et n’était donc pas d’accord avec le suicide.3
La réception littéraire de Camus en Iran
Le succès de l’Étranger en Iran tient à son originalité, à ses caractéristiques propres qui lui ont valu sa popularité mondiale. Pour étudier la réception de L’Étranger en Iran plus précisément, il faut d’abord étudier les raisons culturelles et se référer à une image préexistante et « déjà-là » en littérature iranienne. Ensuite, il faut prendre en compte le contexte socio-politique. Nous allons étudier ces deux facteurs dans cette partie, sans oublier des aspects tels que la réputation des maisons d’édition (Gallimard en France et Djâmi, AmirKabir, Cheshmeh, etc. en Iran), la réputation des traducteurs, et les critiques favorables des universitaires sur cet œuvre qui conduisent tous à l’opinion favorable du public et à la réception de L’Étranger en Iran.
des raisons culturelles
Généralement, face à la question de la mort, les théologiens proposent de penser à l’« Au-delà » y compris le Paradis et l’Enfer. Les mystiques, privilégiant le monde intérieur, préfèrent ne pas s’attacher au monde réel. Certains décident de mettre fin à leur vie parce qu’ils pensent que la vie ne vaut pas la peine d’être vécue, tels Sadegh Hedayat, Ernest Hemingway, Romain Gary et Virginia Woolf. Et enfin il y a des penseurs qui acceptent la vie comme elle est, avec tous ses aléas comme Camus, Nietzche, Khayyâm et Hafiz ; qui essayent de vivre les contradictions de la vie, ce qui fait leur grandeur.
Khayyâm est aujourd’hui mondialement connu pour ses Robaïyat, traduits dans la plupart des langues du monde. D’après lui la seule vérité indéniable de l’existence humaine est la mort, le fondement du monde est absurde, rien n’a de sens, ni paradis ni enfer. Le monde n’a ni commencement ni fin, et tout est condamné à disparaître. Selon Dâriush Shâyegân « Khayyâm est le seul penseur classique iranien qui ait complètement renversé la topographie platonicienne du haut et du bas »1. En rejetant toutes les hypothèses métaphysiques et toute présupposition concernant le passé et l’avenir, Khayyâm dit simplement qu’on ne sait rien des mystères de l’univers ou que peut-être il n’existe pas de secret du tout.2 Son monde est marqué par un pessimisme existentiel, qui met en évidence le néant de l’univers, et en même temps, il nous conseille de profiter de tous les moments de la vie.
Différents dans la forme, mais bien semblables dans le fond, L’Étranger de Camus et les Robaïyat de Khayyâm sont deux documents de deux époques différentes, sur une manière d’être et de voir les choses.3 Pour Camus aussi l’existence n’est pas seulement l’absurde et la révolte mais aussi la joie, le soleil et la mer.
Camus tente, à l’instar de Nietzsche, de rester indéfectiblement fidèle à la terre contre l’invocation d’une autre vie et le recours aux arrière-mondes. Il refuse en ce sens cet autre réel, désigné par le discours métaphysique, et qui semble donner sens et réalité à l’univers.4
Dans la conscience khayyâmienne et camusienne le fondement du monde est absurde mais ils nous invitent à jouir du peu de temps de notre vie. La philosophie de Camus sur la question de la vie et de la mort est donc déjà présente dans la culture et la littérature iraniennes, non seulement chez Khayyâm, mais aussi chez Roudaki, Hafiz et le prophète iranien Zoroastre, dont la religion est fondée sur la vie agricole, sur la terre, et n’a rien à voir avec le mysticisme et l’ascétisme. Donc, la réception de Camus en Iran a d’abord une raison culturelle qui relève d’un rapprochement d’une pensée profonde.
des raisons sociopolitiques
La communauté intellectuelle iranienne à l’époque des Pahlavi voulait connaître de nouvelles idées mondiales qui correspondaient à la situation sociopolitique de cette période. Parmi les idées modernes de la littérature française, d’abord c’est la notion de « l’absurde » qui a attiré l’attention des Iraniens au cours des années 1950 et 1960, période de déception sociale en Iran. Ayant subi une sorte de frustration due à la chute de Mohammad Mossadegh1 en 1953 (1332), les intellectuels iraniens se sont intéressés à l’absurdité camusienne qui conduit à une forme de révolte. A cette époque, les intellectuels ont tenté d’expliquer des notions existentielles telles que la liberté, la responsabilité et le déterminisme dans le cadre islamique afin d’inviter les gens à se révolter contre le destin et l’absurdité de la vie.
Inspirée par les idées de Sartre, Camus, Frantz Fanon, Aimé Césaire, André Gide, etc., l’intellectualité iranienne, tentait de critiquer le pouvoir en place et d’éveiller la conscience du peuple contre le système politique de l’époque.2
Donc, les œuvres de de Camus, ainsi que l’affirme Javad Mojabi, l’un des poètes de cette période, ont influencé sa génération comme un message de rébellion contre les situations sociales et un modèle de changement de pensée :
Les livres de Sartre et de Camus nous disaient de nous révolter contre ce que l’autrui et la situation ont construit de nous, et de choisir notre vie comme nous le souhaitons, en abandonnant celle qui nous a été imposée.3
Ainsi, dans la période en question, le contexte sociopolitique iranien était prêt à traduire et à accueillir ce type d’idéologies, la responsabilité existentielle, l’absurdité de la vie, et la révolution contre la situation.
Dans ses propos tenus le 7 novembre 2013, à l’occasion du 100e anniversaire de Camus qui a été célébré en Iran, Faraj Sarkoohi, journaliste iranien, affirme que les idées politiques de Camus ont largement influencé la pensée de la gauche iranienne moderne des années 1950 et 1970. Les intellectuels des années 1950-1960, encore touchés par le coup d’État de 1953, étaient plus influencés par l’absurde camusien, tandis que les penseurs des années 1960-1970, plus éloignés de ces années noires, mettaient davantage l’accent sur la révolte contre le destin.1 Les Iraniens ont donc profité des idées camusiennes afin d’atteindre des objectifs sociaux, mais ils ont iranisé et interprété ces concepts en fonction de leur situation sociale.
L’influence de L’Étranger sur la littérature persane moderne
L’influence de Camus sur la littérature persane concerne le thème et la structure de l’œuvre. Parmi les écrivains iraniens, Djalal Al-e-Ahmad, est le meilleur exemple pour étudier l’influence de Camus en Iran. Non seulement inspiré par la philosophie de Camus dans ses œuvres et notamment dans le roman Le directeur d’école, Al-e-Ahmad a également été influencé par le style de Camus dans sa prose.
Deux écrivains se rattachent à Al Ahmad et à Camus, ce qui nous montre la proximité de pensée de ces écrivains. Le premier c’est l’écrivain russe Dostoïevski, apprécié par Camus2 et traduit (Le Joueur) par Al-e-Ahmad en persan. Séduit par les idées politiques de Gide, Al-e-Ahmad a traduit Retour de l’U.R.S.S. en 1954, un écrivain qui est cité onze fois dans les deux premiers volumes des Carnets de Camus.3 Al-e-Ahmad et Camus sont, tous les deux, plutôt des journalistes et des essayistes que des écrivains.4 Tous les deux étaient membres d’un parti politique, qu’ils ont quitté. Et tous les deux ont utilisé des formes littéraires pour exprimer leurs opinions politiques et philosophiques.
Les influences de la philosophie de Camus apparaissent dans le premier recueil d’Al-e-Ahmad, Échange de visites5. On y décèle les premières traces de l’existentialisme français. Dans la nouvelle de Sham-e Ghadi6, par exemple, Baba Saleh est un vieil homme qui travaille dans une mosquée. Il a une vie monotone. Chaque matin, il se rend à la mosquée, il fait l’appel à la prière, il balaie et nettoie la mosquée et le soir, il rentre chez lui et se couche avec sa vieille femme et n’est même pas fatigué de cette monotonie. C’est exactement le cercle absurde de Camus dans Le mythe de Sisyphe, qu’Al-e-Ahmad expérimente dans ces nouvelles. La monotonie de la vie comprend toujours une sorte de joie vague. Et c’est grâce à cette idée que Baba Saleh se sent toujours gai, malgré les routines quotidiennes et épuisantes qu’il subit.1
Inspiré par l’Étranger de Camus, Al-e-Ahmad crée des personnages indifférents dans ses œuvres. « Dès ses première récits, Al-e-Ahmad révèle la caractéristique la plus fondamentale de sa narration : le narrateur est un homme étranger à la foule »2. Le personnage du roman Le Directeur d’école en est le meilleur exemple. Dans ce roman, paru en 1958, un professeur de lycée, fatigué par la routine de l’enseignement, décide de devenir directeur d’école primaire. Il pense qu’il peut se protéger des répétitions et des problèmes de travail grâce aux hauts murs de cette école de construction récente au milieu de nulle part. Mais, une fois dans la place, ce n’est pas si simple. Il doit composer avec sept enseignants et des élèves. Finalement, il n’échappe pas aux petits et grands arrangements et donc, déçu et désespéré, il démissionne.3 Le but principal d’Al-e-Ahmad dans ce roman est non seulement de montrer les bouleversements de l’Éducation en Iran du milieu des années 1950, mais aussi de parler du problème commun à tous les intellectuels du XXe siècle, à savoir le sentiment d’aliénation. Il confirme dans une interview qu’il a créé le personnage du directeur en s’inspirant de Meursault à la différence que : « l’Étranger de Camus est indifférent et choqué, alors que mon directeur d’école est très attentif et perdu. »4
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Table des matières
Remerciements
Introduction
Chapitre 1
1- L’aperçu théorique
1-1-La traduction
1-2- Le phénomène de retraduction
1-3- La réception littéraire
Chapitre 2
2- L’Étranger en Iran
2-1- La première traduction de L’Étranger en persan
2-2- Retraduction de L’Étranger en Iran
2-3- La réception littéraire de Camus en Iran
2-3-1- des raisons culturelles
2-3-2- des raisons sociopolitiques
2-4- L’influence de L’Étranger sur la littérature persane moderne
Chapitre 3
3- Analyse comparée de trois traductions persanes de L’Étranger
3-1- Le Titre
3-2- L’Incipit
3-3- Analyse des traductions à travers des passages du texte original
3-3-1- Fidélité/ infidélité selon les tendances déformantes bermanienne
3-3-1-1-La rationalisation
3-3-1-2- La clarification/ L’allongement
3-3-1-3- L’ennoblissement et la vulgarisation
3-3-1-4- L’appauvrissement qualitatif / l’appauvrissement quantitatif
3-3-1-5-La destruction des réseaux signifiants sous-jacents/ La destruction des systématismes
3-3-2- La traduction mot à mot / la traduction libre
3-3-3- Transmission du message philosophique de l’œuvre
3-3-4- Influence de l’environnement socio-culturel
3-3-5- Intraduisiblité
3-4- La couverture
Conclusion
Annex
Annexe n° 1 : Les retraductions de L’Étranger en persan
Annexe n° 2 : Tableaux supplémentaires
Annexe n° 3 : Les traducteurs de L’Étranger
Bibliographie
1) Œuvre française
2) Traductions à l’étude
3) Littérature secondaire
3-1) Sur littérature persane moderne
3-2) Critiques persanes
4) Corpus d’étude
5) Sur l’aperçu théorique
6) Sur Camus et son œuvre
7) Thèses et Mémoires
8) Dictionnaires
9) Sites internet
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