Télécharger le fichier pdf d’un mémoire de fin d’études
Le stockage en couche géologique profonde
Suite à la loi n°91-1381 du 30 décembre 1991 dite loi Bataille et pendant 15 années, trois axes de recherche concernant la gestion des déchets nucléaires ont été développés afin d’acquérir les connaissances nécessaires à la prise d’une décision quant à leur devenir. Ces trois voies de recherche concernent :
– la séparation et la transmutation des éléments radioactifs à vie longue
L’objectif est de séparer les radionucléides transmutables à vie longue des autres et de réduire leur impact soit en diminuant leur activité soit en ramenant leur durée de vie à des échelles de temps plus acceptables. Cela s’applique tout particulièrement aux actinides.
– l’étude des procédés de conditionnement et d’entreposage de longue durée en surface
Il s’agit d’une solution temporaire tout au plus pour quelques centaines d’années dans l’attente d’une décision définitive ou d’une évolution technologique qui permettrait un meilleur retraitement des déchets.
– Le stockage dans les couches géologiques profondes
L’ANDRA a été désigné afin d’évaluer la faisabilité d’un stockage en toute sécurité des déchets HAVL dans les formations géologiques profondes.
Au terme de ces études, le CEA, en charge des deux premiers axes, a réalisé de grands progrès dans la séparation des actinides et a montré l’intérêt de poursuivre les recherches sur leur transmutation. Il confirme aussi que l’entreposage en surface ne peut être qu’une étape provisoire. A ce stade des recherches, la seule voie possible à long terme pour les déchets HAVL est celle d’un stockage géologique dont l’ANDRA a démontré la faisabilité (ANDRA, 05a). Cette option a donc été désignée comme concept de référence pour la gestion de ces déchets.
Le calendrier décisionnel pour la mise en place de ce projet fait l’objet de la loi du 28 juin 2006 ; celle-ci prévoit entre autre de soumettre ce projet au Parlement en 2015. D’ici là, le choix de ce concept doit encore être validé d’un point de vue technique afin de garantir une sécurité maximale et des questions politiques sur la localisation du site de stockage doivent être débattues. Sous réserve de l’autorisation de création, l’exploitation de ce site de stockage débuterait en 2025.
La stratégie du stockage géologique est d’isoler les déchets nucléaires dans des lieux inaccessibles à l’homme le temps nécessaire à la décroissance de leur radiotoxicité. Il s’agit d’une solution définitive destinée à garantir la sécurité des populations contre les émissions radioactives. Ce concept répond ainsi aux critères de la règle fondamentale de sûreté (RFS.III.2.f) concernant la protection des personnes et de l’environnement et concernant la limitation de l’impact radiologique. Cette solution évite aussi aux générations futures de devoir assurer une maintenance et une surveillance active de ces sites tout en leur laissant la possibilité de récupérer les colis et de changer de stratégie, notamment en cas d’avancées scientifiques qui permettraient d’envisager une meilleure solution. Ce principe de réversibilité est un point fort de ce mode de gestion des déchets.
Deux milieux géologiques, l’argile et le granite, remplissent les exigences de la RFS et peuvent être envisagés pour le stockage des déchets HAVL. Jusqu’à présent, seul le milieu argileux a pu être testé expérimentalement sur un site réel grâce au laboratoire souterrain de Bure (Meuse) qui permet de réaliser une étude approfondie de la faisabilité technique de ce concept (cf. Figure 2). Ce laboratoire se situe à 490 m de profondeur dans la couche géologique du Callovo-Oxfordien, constituée d’argilite.
Les raisons du choix de cette couche géologique sont multiples. Il s’agit à la fois d’un milieu dépourvu de ressources exploitables pour l’homme (qui ne devrait donc pas susciter d’intérêt pour les populations futures) et qui présente des propriétés physiques intéressantes :
– C’est une formation géologique stable (sans faille active ou volcanisme), profonde (à l’abri de l’érosion et des tremblements de terre) et homogène sur plusieurs centaines de km2 ;
– Ce milieu est très peu perméable et s’oppose donc à la circulation de l’eau, principale cause de la dégradation des colis et de la dissémination des radioéléments ;
– Ces propriétés chimiques comme sa capacité de sorption des éléments radioactifs permettent un bon confinement. Cette roche d’accueil est aussi dotée d’un pouvoir tampon qui stabilise les conditions chimiques du milieu.
La couche du Callovo-Oxfordien présente ainsi toutes les caractéristiques nécessaires pour retarder la migration des radionucléides.
Figure 2 : Le principe du stockage géologique : l’exemple du laboratoire souterrain de Bure (Figure ANDRA)
Le concept multi-barrières de l’ANDRA
La roche d’accueil n’est pas seule à retarder la migration des radionucléides. En effet, afin d’assurer la protection la plus efficace possible, l’ANDRA a opté pour un concept multi-barrières : plusieurs barrières sont interposées entre les déchets et l’homme qui sont autant d’obstacles à la dispersion de la radioactivité dans la biosphère. Cela permet ainsi de renforcer le confinement des déchets et de minimiser les conséquences de la dégradation de l’une de ces composantes. L’application de ce concept doit être adaptée à chaque type de déchet. La version proposée dans le Dossier 2005 (ANDRA, 05c) pour le stockage des déchets HAVL va être décrite ci-dessous. Dans ce projet, le premier module du stockage correspond au colis primaire, constitué du verre nucléaire de type R7T7 et du conteneur dans lequel il a été coulé. Chacun de ces conteneurs (de 40 cm de diamètre et d’1,3 m de hauteur) peut contenir 150 litres de verre et pèse 400 kg. Cette enveloppe constituée d’acier inoxydable de type NS24 et épaisse de 5 mm n’est pourtant pas considérée comme une barrière à part entière, associée à une performance. En effet, le processus de corrosion des aciers inoxydables par piqûre (qui entraîne une destruction des parois très localement) empêche une prévision fiable de son altération et donc du temps pendant lequel ces conteneurs vont protéger le verre de l’arrivée de l’eau.
Ce colis primaire est disposé dans un surconteneur étanche en acier non allié de 55 mm d’épaisseur, qui constitue cette fois-ci une véritable barrière de protection pour le verre ; l’ensemble de ces deux éléments est appelé colis de stockage. Ce dernier est alors introduit dans des alvéoles, tunnels de 70 cm de diamètre et de 40 m de long, creusées horizontalement dans l’argilite. Un chemisage en acier non allié assure le maintien des galeries pour permettre la mise en place et le retrait éventuel des colis. Cette architecture contribue ainsi à la réversibilité du stockage.
Les dimensions de cette structure sont imposées par le dégagement thermique des colis. En effet, au centre du verre nucléaire, une température maximale de 400°C est atteinte en raison de la radioactivité (radioactivité d’un conteneur : 5800 Ci, 400 000 Ci).
Figure 3 : Schéma d’une alvéole de stockage des déchets de haute activité (d’après ANDRA, 05c) Le confinement des radioéléments est donc garanti grâce à la succession de trois barrières constituées de matériaux distincts :
– une matrice de confinement des déchets en verre qui stabilise et retient les déchets,
– une barrière ouvragée (conteneur, surconteneur) à base de fer qui protège la matrice et retarde le relâchement des radionucléides,
– une barrière géologique en argilite qui ralentit la migration des radionucléides et permet leur dilution.
Trois matériaux seront donc principalement en contact au cours de l’altération : le verre, le fer et l’argile.
Le choix des matériaux
Les propriétés de la barrière géologique en argile ayant été discutées dans le paragraphe I.A.2, nous nous focaliserons ici sur les deux matériaux qui font plus spécifiquement l’objet de cette thèse : le verre et le fer.
a) Le verre
Le choix du verre comme matrice de confinement des radionucléides a été motivé par plusieurs raisons qui concernent aussi bien les propriétés intrinsèques à ce matériau que des questions pratiques comme sa facilité de mise en œuvre. Ces raisons sont explicitées dans le dossier de référence de Godon (04).
La principale raison de ce choix se rapporte à la structure amorphe du verre. La flexibilité du réseau vitreux permet d’incorporer, de façon homogène, la large variété d’éléments provenant de la solution de produits de fission (cf. Figure 4). Ainsi le verre intègre une forte quantité de ces déchets (jusqu’à 18,5% en masse) grâce à sa structure désordonnée à l’échelle microscopique, à l’instar d’un liquide, tout en ayant, à l’échelle macroscopique, les caractéristiques d’un solide. L’état solide du verre est un deuxième argument en faveur de ce matériau. La solidification permet à la fois de mieux confiner les déchets, de répondre aux exigences de sureté, de faciliter la manipulation des déchets et de réduire les volumes (en passant de l’état liquide à solide, 500 à 700 L de solution de produits de fission correspondent à 100 L environ de verre). La vitrification est aussi un des rares procédés connus actuellement qui peut être mis en place de manière industrielle.
Figure 4 : Principe du confinement de produits de fission dans le verre nucléaire (d’après Godon et al., 04)
Les propriétés de résistance face aux irradiations (pas de recristallisation ni de perte des propriétés mécaniques et même réparation des liaisons rompues sous l’effet des radiations ionisantes) et face à la corrosion par l’eau ont aussi contribué de façon importante à la sélection de ce matériau.
Le choix d’une matrice borosilicatée résulte d’un compromis entre la volonté de procurer à ce verre de bonnes propriétés chimiques et de parvenir à une mise en œuvre viable, économiquement et techniquement, à grande échelle. Les oxydes de silicium, très résistants, apportent une bonne durabilité chimique tandis que les oxydes de bore permettent d’abaisser la température de fusion et facilitent ainsi l’élaboration. En outre, une fois en solution, le bore joue le rôle d’un tampon vis-à-vis du pH.
b) Le fer
Les matériaux métalliques ferreux interviennent à différents niveaux du concept de stockage décrit par l’ANDRA. Ils sont présents sous forme d’acier inoxydable pour le conteneur du verre nucléaire et d’acier non ou faiblement allié pour le surconteneur et le chemisage de l’alvéole de stockage. L’acier inoxydable est un matériau passivable c’est-à-dire qu’une fine couche dite couche passive se forme à la surface du métal et le protège de la corrosion aqueuse. Ainsi, avec ce type de corrosion, l’altération est très lente (entre 0,01 et 0,1 µm/an selon l’environnement). Cependant, comme cela a été précisé dans le paragraphe précédent, un autre type de corrosion, locale cette fois-ci, appelé corrosion par piqûre, peut aussi se produire ayant pour conséquence de rompre l’étanchéité du conteneur beaucoup plus rapidement et ainsi de permettre à l’eau d’accéder directement au verre.
Pour cette raison, des enveloppes supplémentaires, en acier non ou faiblement allié, sont ajoutées. Pour ces alliages, un mécanisme de corrosion généralisée sur l’ensemble de la surface des parois prédomine et les vitesses d’altération sont faibles (entre 0,1 et 1 µm par an) dans les conditions environnementales dominantes du stockage géologique (milieu réducteur). Pour ce type de corrosion, des modèles de l’altération peuvent être développés pour évaluer la durée de vie de ces enveloppes. Un autre intérêt provient aussi du fait que ce matériau est connu depuis longtemps ; des retours d’expérience sur leur dégradation sont notamment connus grâce aux analogues archéologiques (cf. paragraphe I.C.d.).
Scénario envisagé pour l’évolution du stockage géologique : les mécanismes clés
Au cours du temps, le site de stockage en couche géologique profonde va évoluer et chaque barrière mise en place pour retenir les radioéléments va se dégrader principalement par l’action de l’eau. D’après les études menées dans le cadre de la loi Bataille et du 28 juin 2006, l’ANDRA (05b) prévoit un scénario d’évolution du stockage sur le long terme en plusieurs phases (cf. Figure 5) qui décrivent la détérioration des différentes enveloppes en tenant compte du changement des conditions environnementales :
Phase I : Evolution thermique et resaturation du site
Pendant le premier millier d’années, les colis de déchets de haute activité vont dégager une importante quantité de chaleur qui va se propager au milieu environnant. La température de la roche en contact va donc augmenter jusqu’à atteindre environ 90°C. Par la suite, celle-ci devrait diminuer en même temps que la radioactivité des déchets décroît et, peu à peu, revenir à la valeur initiale du milieu géologique (~ 22°C).
Durant cette phase thermique, le milieu est sec et le verre ne devrait subir que très peu de dommages. La principale cause de dégradation vient du phénomène d’auto-irradiation mais les recherches indiquent que les conséquences devraient être négligeables (faible variation volumique sous irradiation, peu d’évolution de la microstructure). L’auto-irradiation peut même améliorer les propriétés mécaniques du verre (sa fragilité diminue et sa résistance à la fracturation augmente). En outre, en dessous de 400°C, la volatilité des radionucléides reste faible, on ne devrait donc pas assister à un relâchement de ces derniers.
Dans le même temps, la barrière géologique va peu à peu se resaturer en eau. En effet, il est prévu que le site de stockage soit situé à quelques centaines de mètres de profondeur, en dessous des nappes phréatiques. Ainsi non loin de ces sites, la roche d’accueil est saturée en eau. Celle-ci devrait a priori atteindre les installations rapidement : on s’attend à une resaturation des bouchons de scellement en une centaine d’années. La resaturation complète du site, quant à elle, devrait être beaucoup plus lente (plusieurs milliers d’années).
|
Table des matières
Introduction
A. Le contexte de l’étude
1. Les déchets radioactifs
2. Le stockage en couche géologique profonde
3. Le concept multi-barrières de l’ANDRA
4. Le choix des matériaux
a) Le verre
b) Le fer
5. Scénario envisagé pour l’évolution du stockage géologique : les mécanismes clés
B. Altération du verre en milieu aqueux
1. Les mécanismes d’altération des verres silicatés
a) L’hydratation
b) L’interdiffusion ou échange ionique
c) L’hydrolyse
d) La compétition entre interdiffusion et hydrolyse
e) L’évolution des mécanismes en milieu concentré : condensation et précipitation
2. L’altération du verre nucléaire
a) Le faciès d’altération
b) La cinétique d’altération en fonction du temps
c) La modélisation des cinétiques d’altération
3. Les analogues naturels et archéologiques des verres nucléaires
a) Les analogues retenus et les raisons de l’analogie
b) L’apport des analogues sur le long terme
C. L’influence de l’environnement sur l’altération du verre : le cas du fer
1. La corrosion du fer en milieu aqueux
a) Les conditions d’altération
b) Les réactions
c) Les produits de corrosion
d) La corrosion en milieu carbonaté et anoxique
2. L’influence du fer sur le court terme : l’altération des systèmes verre/fer en laboratoire
a) La sorption du silicium
b) La formation de silicate de fer
c) L’influence du fer sur la structure du gel
3. L’influence du fer sur le long terme : le système verre/fer en milieu naturel
D. Les objectifs de la thèse
Chapitre II : Méthodologie, corpus et techniques expérimentales
A. La méthodologie
B. Corpus expérimental
1. Les objets archéologiques
a) Description du site
b) Les laitiers de hauts fourneaux
c) Description d’un bloc de laitier
2. Les objets de synthèse
C. Techniques expérimentales et protocoles d’altération
1. Caractérisation des objets archéologiques
a) Le réseau de fissures
b) Le matériau sain/ Les faciès d’altération
2. Etude de l’altération du verre de synthèse
a) L’ altération du verre seul en eau pure
b) Les expériences intégrales
c) Le code géochimique JCHESS
Chapitre III : Altération à long terme -Caractérisation du système archéologique
A. Caractérisation du réseau de fissures
1. Description générale du réseau
2. Colmatage et circulation de l’eau
B. Caractérisation du verre sain
1. Echelles millimétrique et micrométrique
2. Echelle sub micrométrique
C. Caractérisation des faciès d’altération au sein des fissures
1. Partie centrale
2. Zone intermédiaire
3. Couche en contact avec le verre sain
a) Les deux faciès d’altération
b) La valence du fer dans les faciès d’altération
c) L’épaisseur de la zone de verre altéré
Chapitre IV : Altération à court terme – Etude expérimentale d’un système synthétique
A. Lixiviation en température et en eau pure
1. Détermination de la vitesse initiale de dissolution
a) Test en Soxhlet dérivé à 30°C
b) Test en Soxhlet dérivé à 50°C
c) Test en Soxhlet dérivé à 70°C
d) Test en Soxhlet à 100°C
2. Etude de la chute de vitesse
a) Evolution du pH
b) Comportement des différents éléments
B. Expériences intégrales
1. Sur le site de Glinet
a) Réplique du laitier en contact avec du fer
b) Verre SON68 en contact avec du fer
2. En laboratoire
a) Fissures modèles sans ajout de fer
b) Fissures modèles avec sidérite
c) Fissures modèles avec fer
Chapitre V : Discussion
A. Mécanismes d’altération du verre
1. Mécanismes d’altération des laitiers archéologiques
a) Altération d’un verre démixté
b) Interprétation des différentes zones des faciès dans les mécanismes d’altération
c) Chronologie et compétition entre les différents mécanismes
d) Scénario d’altération
e) Influence du fer sur les mécanismes d’altération
2. Mécanismes d’altération du verre synthétique
a) Altération du verre sans ajout de fer
b) Altération des fissures modèles avec sidérite
c) Altération des fissures modèles avec fer métallique
B. Cinétiques d’altération du verre
1. Le couplage chimie-transport
2. Influence des mécanismes liés à la présence du fer sur l’état d’altération du verre
a) Les premiers stades de l’altération
b) Le long terme
C. Du laitier archéologique au verre nucléaire
1. Différences entre systèmes archéologique et nucléaire
2. Apport de l’étude des laitiers archéologiques à celle des verres nucléaires
Conclusion
Bibliographie
Annexes
Télécharger le rapport complet