L’influence de la culture sur l’intervention ergothérapique

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Critique des modèles et concepts fondamentaux de la profession

Certains modèles conceptuels en ergothérapie comme le Modèle de l’Occupation Humaine (MOH) ou le Modèle Canadien du Rendement et de l’Engagement Occupationnel (MCREO) reconnaissent l’influence de la culture et tendent à favoriser la sensibilité culturelle dans la profession (21). Cependant, de nombreuses critiques sont faites à leur égard dans la littérature. La plus importante est que ces modèles ont été pensés et formulés par des ergothérapeutes issus de pays occidentaux, représentant une population loin d’être majoritaire dans le monde (22). Ces modèles reflètent donc des croyances, des valeurs et un mode de pensée spécifique à la culture occidentale. Le problème rapporté est que ces théories sont présentées comme générales et universelles alors qu’elles ne le sont pas (23).
En effet, plusieurs exemples prouvent que certains concepts fondamentaux ne sont pas généralisables à toutes les cultures. Le modèle de rééducation-réadaptation dominant en France se base sur l’objectif de favoriser l’indépendance de la personne en restaurant au maximum la fonction défaillante. Or diverses cultures valorisent l’interdépendance, les relations sociales, le bien-être de la société et le prendre-soins de l’autre (22) (19). Ainsi, le concept d’indépendance est plus souvent remplacé par l’interdépendance à la famille et au groupe social. Par exemple, à Singapour, la culture veut que la famille prenne en charge la personne en situation de handicap ou la personne âgée dépendante. En raison de ces valeurs les personnes ne comprennent souvent pas l’intérêt de développer leur indépendance (16). Ces résultats concordent avec l’expérience de Bourke-Taylor en République Dominicaine « L’informateur a déclaré […] qu’il y a toujours quelqu’un pour vous aider, […] que l’indépendance n’était pas aussi recherchée qu’aux États-Unis » (19). Un autre exemple peut être donné par Hopton avec la culture chinoise pour laquelle « L’interdépendance est le fondement du système de croyances […] lorsqu’une personne est malade, on s’attend à ce qu’elle joue un rôle passif et à ce qu’elle soit soignée par d’autres » (24).
En Europe, d’après Meyer, les occupations sont traditionnellement classifiées en trois catégories : productivité, loisirs et soins-personnels (4). Cependant cette façon de catégoriser les occupations et notamment la distinction entre productivité et loisirs est propre à la culture occidentale. Peu de preuves rapportent que d’autres cultures classent leurs occupations d’une telle façon (25) (23) (22). Les loisirs, en particulier, sont considérés comme « liés à une classe » et réservés aux « privilégiés » (22). Par exemple, dans l’étude sur la pratique de l’ergothérapie à Singapour, les résultats font ressortir que la principale préoccupation des patients est le travail ou l’éducation et que les loisirs ne font pas partie des occupations signifiantes pour eux (16).
L’équilibre est aussi une notion qui diffère selon les cultures. En ergothérapie, l’équilibre se traduit dans les occupations par leur durée et leur fréquence. Dans la culture chinoise, l’équilibre, selon le Yin et le Yang, se mesure à travers la perception de l’harmonie individuelle, c’est un équilibre entre le corps, l’esprit et l’environnement (24).
Concernant la thérapie, l’intervention orientée vers des objectifs et dans un but de performance occupationnelle ne sont probablement pas non plus des concepts partagés par toutes les cultures (25). En effet les ergothérapeutes partent du principe que les personnes savent ce qu’elles veulent et peuvent avoir des objectifs en fonction de leurs besoins. Or dans certaines culture la famille, ses besoins, sa hiérarchie et son fonctionnement dans les obligations de chacun de ses membres sont supérieurs aux besoins et aux aspirations de chaque individu. Ainsi être passif et peu décisionnaire de sa prise en charge est la conduite normale et attendue.
Ces différents exemples montrent bien que le concept de culture aurait besoin d’avoir une place plus importante dans les théories qui soutiennent l’ergothérapie ; et ce même si un changement de paradigme, avec une vision plus centrée sur la personne et l’émergence de modèles conceptuels basés sur la culture comme le modèle Kawa, prend forme (23). Afin de soutenir l’inclusion de la culture comme dimension à part entière de la personne, différentes approches culturelles ont été formulées pour guider les ergothérapeutes dans leur pratique qui tend à être culturellement compétente.

La compétence culturelle de l’ergothérapeute

Ces revues plus ou moins récentes sur le thème de la culture explorent la littérature en ergothérapie à ce sujet. Une des notions les plus récurrentes concerne les approches culturelles et, particulièrement, la compétence culturelle de l’ergothérapeute (26).
D’après Awaad, la compétence culturelle est définie comme la capacité du thérapeute à « développer des connaissances culturellement suffisantes pour pouvoir créer un équilibre entre l’adhésion aux normes culturelles et l’introduction de nouveaux cadres de référence » (25). Pour cela le thérapeute doit comprendre le concept et la nature de la culture, connaître et utiliser des informations culturellement spécifiques et avoir conscience de ses propres croyances et valeurs (21).
Cette notion de compétence culturelle apparaît dans la littérature sous d’autres termes tel que conscience ou sensibilité. En effet, d’après Hopton, la conscience culturelle est un processus en trois parties : la culture de l’ergothérapeute personnelle et professionnelle, que celui-ci doit prendre en compte, la culture du patient et la sensibilisation à la culture par la profession dans la formation en ergothérapie (24). On retrouve ici les caractéristiques de la compétence culturelle.
Cependant, cette approche semble être critiquée par de nombreux auteurs comme le rapportent Beagan ou Hammell (26) (23). En effet, Beagan met en avant que cette approche réduit la culture à son sens ethnique en oubliant les critères tels que la religion, la classe sociale, l’identité sexuelle, l’âge, qu’elle met le thérapeute dans une position d’individu culturellement neutre alors qu’il est lui-même influencé par sa propre culture. D’après les résultats de son analyse, l’approche d’humilité culturelle semble être plus pertinente en raison de son attention concernant les relations de pouvoir ayant lieu dans la thérapie. Pour compléter cela, l’humilité culturelle est définie par Hammell comme une approche qui comprend « une conscience critique de ses propres hypothèses, croyances, valeurs et préjugés ; une compréhension de la façon dont ses propres perspectives peuvent différer de celles des autres ; et une reconnaissance des avantages, privilèges et pouvoirs non acquis qui découlent de sa situation sociale particulière » (23). De plus, au regard des critiques retrouvées précédemment à propos des modèles théoriques, il paraît essentiel d’adopter une position d’humilité culturelle qui permettrait de rendre plus pertinents et plus inclusifs les modèles théoriques en ergothérapie.
Pour conclure, les principes communs à ces approches culturelles sont la connaissance de soi, la connaissance des autres groupes socio-culturels et le respect de l’autre. De plus, la sensibilité est une des caractéristiques de l’approche holistique, qui est un des concepts fondamentaux de l’ergothérapie (25). Il est donc nécessaire pour les ergothérapeutes de mettre en application ces différentes approches afin de limiter les impacts négatifs, décrit au début de l’analyse, tel que les difficultés rencontrées lors des évaluations, du choix des activités, ou sur la relation thérapeutique.

Problématisation pratique

Divers questionnements émergent de cette analyse de la littérature. Les sources utilisées proviennent de la littérature internationale et, à ce jour, aucunes données sur le sujet n’existent en France. Qu’en est-il donc de la pratique des ergothérapeutes en France ?
La France n’est pas un pays historiquement issu du croisement de différentes cultures comme aux Etats-Unis ou dans les pays d’Amérique Latine. Elle accueille cependant différentes populations issues de l’immigration depuis plusieurs générations. De plus en plus les ergothérapeutes français sont amenés à travailler auprès de populations ne partageant pas la culture occidentale française. Quelles stratégies ont-ils mis en place pour concilier leur culture et celle de leur patient ? Les ergothérapeutes français ont-ils conscience des enjeux à avoir une pratique culturellement pertinente ? Comment développent-ils leur compétence culturelle dans leur pratique ? Sont-ils dans une démarche active de recherche et d’apprentissage de connaissance culturelle tout au long de leur carrière ? Les modèles conceptuels peuvent-ils les aider dans ce cheminement ?
Les ergothérapeutes français sont-ils sensibles à la question de la différence culturelle dans leur pratique ? Ont-ils conscience de l’influence de leurs croyances, valeurs et préjugés sur la prise en soins de leur patient ? Comment développent-ils leurs connaissances en matière de culture ? Comment se présente la compétence culturelle chez les ergothérapeutes français ?
La formation des ergothérapeutes français permet-elle aux étudiants de développer leur compétence culturelle ? Quelle part prend la culture dans les enseignements transmis ? Leur contenu permet-il aux étudiants d’acquérir suffisamment de connaissances pour être à l’aise dans la compétence culturelle ? Quelle est leur vision et leur perception à ce sujet ?
De manière générale une question se pose :
Comment les ergothérapeutes français se forment-ils à la compétence culturelle et quelles stratégies mettent-ils en place pour développer une pratique culturellement compétente ?

Cadre conceptuel

Afin de préciser et orienter la question de recherche, un cadre conceptuel est développé pour éclairer le phénomène interrogé. L’analyse des concepts soulevés par la question initiale de recherche va permettre de prendre de la distance et d’orienter le positionnement du chercheur pour la recherche à venir. Ce sont donc les concepts d’identité professionnelle, de compétence et de compétence culturelle qui vont être développés ici.

Identité professionnelle

Le concept d’identité professionnelle a été et est toujours beaucoup étudié et analysé dans la littérature. De nombreux auteurs se sont penchés sur sa définition et sur l’analyse du processus de construction de cette identité. La notion d’identité professionnelle semble importante pour apporter un sens à la pratique professionnelle d’une personne et la façon qu’un individu se définie dans sa pratique va l’aider à mieux comprendre qui il est dans sa vie de manière globale (32). Selon Castro, l’identité professionnelle est la base sur laquelle le professionnel se construit tout au long de sa vie. Grace à elle il va pouvoir s’approprier, développer et approfondir ses compétences et connaissances, donner une cohérence et un sens à son travail et donc participer à son bien-être au travail (33).
La définition de l’identité professionnelle donnée ici se base sur l’analyse développée par Dubar. Ce sociologue voit l’identité de manière duale c’est-à-dire qu’elle est à la fois pour soi-même et pour l’autre. Ces deux faces de l’identité sont irrémédiablement liées entre elles « je ne sais jamais qui je suis que dans le regard d’Autrui » (34). Elle est donc issue des différents processus de socialisation vécus par l’individu. Un individu va construire son identité en alternant entre ce que les autres lui attribuent et ce à quoi lui-même décide d’appartenir, alterner entre « l’identité virtuelle » par autrui et « l’identité réelle » de soi. Il explique aussi que l’identité se construit et se développe grâce à divers processus de socialisation dont le premier concerne la famille et la socialisation dans la petite enfance (35). Cependant le travail et la formation prennent une part importante dans la vie des individus. C’est pourquoi l’identité social et l’identité professionnelle sont de plus en plus liées.
Concernant les ergothérapeutes, Turner et Knight considèrent l’identité professionnelle comme un ensemble de croyances, de valeurs, de connaissances, de compétences, partagées entre les membres d’un groupe professionnel (36). Elle est à la fois la façon dont l’individu se considère mais aussi la façon dont il est perçu par les autres et la façon dont il se perçoit en tant que professionnel (36). La question de l’identité professionnelle des ergothérapeutes est une préoccupation internationale depuis toujours. En effet, la revue de littérature de ces auteurs montre un manque de compréhension et de reconnaissance tant à l’intérieur de la profession qu’à l’extérieur et que les ergothérapeutes, de manière générale, ont des difficultés à définir leur profession et à l’expliquer aux autres (36).
C’est à partir de ce constat et dans le but de mieux comprendre le développement de l’identité professionnelle des ergothérapeutes que Drolet et Sauvageau s’appuient sur le modèle développé par Gohier et al. à propos du développement de l’identité professionnelle des enseignants (37) (38). Les auteurs de ce modèle expliquent que la construction de l’identité professionnelle des enseignants commence là où la représentation que l’individu a de lui-même entre en interaction avec la représentation qu’il se fait du groupe des enseignants et celle qu’il se fait de lui en tant qu’enseignant. Des « moments de rencontre avec l’autre » entraînent une remise en question, une crise qui va amener le professionnel à explorer, s’engager, s’auto-évaluer. Ce retour sur la situation, facilité par le sentiment de contiguïté avec l’autre, va ainsi renforcer des composantes de l’identité professionnelle : le sentiment de congruence, de compétence, d’estime de soi et de direction de soi (Cf figure 1 p.30). À partir de là, le professionnel va constamment faire des aller-retours entre sa représentation de lui et sa représentation de la communauté des enseignants. Ce modèle représente donc la construction de l’identité professionnelle comme un processus dynamique et interactif qui serait sous-tendu par des phénomènes d’identification et d’identisation. Un accent est mis à plusieurs reprise sur la place importante que prend la connaissance de soi et le rapport à l’autre dans le processus de construction de son identité professionnelle (38). L’ergothérapeute, comme l’enseignant à une pratique basée sur la relation à l’autre (37). Le sentiment de « nous » d’un ergothérapeute est influencé par différents facteurs comme son rapport au travail, c’est-à-dire sa pratique centrée sur l’occupation lui permettant d’exercer dans des domaines très variés. Ces savoirs, compétences et champs de pratique larges ont une influence sur sa construction identitaire car favorisent l’apparition de crise identitaire. Le rapport aux responsabilités en tant que professionnel, d’ordres éthiques, déontologiques, légales et axiologiques, peut aussi amener à des conflits de valeurs et à une crise identitaire. Son rapport aux patients et à l’image qu’ils ont de lui et de la profession aide aussi à se remettre en question et développer son identité. Le rapport qu’il entretient avec ses collègues en tant que professionnel devant constamment expliquer sa profession peu connue peut aussi altérer et influencer l’image qu’il a de lui en tant qu’ergothérapeute. Enfin, le rapport à l’institution et au milieu de travail peut aussi influencer la représentation qu’a l’ergothérapeute de son métier car il existe souvent une confrontation entre la vision biopsychosocial de l’ergothérapie et la vision biomédicale des institutions qui peut parfois être déroutante pour l’ergothérapeute dans sa pratique. Ces différentes situations amènent l’ergothérapeute à vivre ces phénomènes d’identification et d’identisation décrits dans le modèle. Grâce à ce modèle on voit bien que l’identité professionnelle a un rôle à jouer dans la façon d’agir du professionnel face à une situation, elle guide l’action dans sa pratique, oriente ses comportements, ses attitudes et croyances. Elle permet aussi de se définir en tant que professionnel, se reconnaître mais aussi s’affirmer par rapport à ses collègues (39).

Site d’exploration

En lien avec le contexte sanitaire (Covid 19) et pour des raisons d’organisation, l’entretien a été réalisé par appel visuel avec le logiciel Zoom®.

Choix et construction de l’outil de recueil de données

L’outil utilisé est l’entretien par récit de vie. L’approche par récit de vie a pour but de « comprendre et donner du sens à l’expérience à travers des conversations, des dialogues et la participation à la vie des participants » (45). Le récit de vie s’inscrit aussi dans une tradition de transmission orale partagée par différentes cultures sur différents continents. Son utilisation dans une recherche à propos de la culture coïncide avec la thématique qui sous-tend ce travail. L’entretien quant à lui est un outil couramment utilisé en recherche qualitative. Il permet de faire parler les participants plus en profondeur et en détails du sujet par rapport à un questionnaire, il donne accès aux sens que la personne met sur ses expériences de vie, et son point de vue et permet au chercheur de préciser ou clarifier certains points, orienter la discussion. L’entretien se base sur une question inaugurale formulée à partir de la question de recherche et des concepts développés. Elle permet d’amorcer le discours de la personne. Par la suite, des techniques de relance et d’écoutes actives sont utilisées pour alimenter le discours. Le déroulement de l’entretien est présenté dans le guide d’entretien en annexe (Cf. Annexe 7 p.85).

Choix de l’outil de traitement et d’analyse de données

Pour les naturalistes, il est important de comprendre de manière précise le cas étudié. L’analyse du récit du participant va donc être réalisée grâce à la méthode de récit de vie décrite par Fraser (47). Cette méthode consiste en sept étapes qui ont pour but de soutenir la réflexion d’un chercheur lors de son analyse. Ces étapes ne sont pas exhaustives ni linéaires, elles s’entremêlent et peuvent être adaptées en fonction des cas. Les étapes se présentent ainsi :
1. Entendre les histoires racontées et ressentir les émotions des participants et de l’intervieweur. Un journal peut être utilisé pour décrire les sentiments qui émergent. Prendre des notes sur le temps, le lieu et le climat émotionnel des entretiens.
2. Transcription de l’entretien en respectant les temps de pause et de silence, les hésitations. La transcription peut être envoyée aux participants pour vérification de la véracité des informations transcrites.
3. Interprétation de la transcription individuelle en identifiant les contradictions, les histoires racontées, en recherchant l’ordre chronologique et le début et la fin des histoires racontées. Des numéros ou des noms peuvent être donnés aux histoires pour aider au repérage lors des citations.
4. Analyse du récit selon différents domaines d’expérience : intrapersonnel, interpersonnel, culturel et structurel. Ces domaines sont interconnectés et servent à mieux comprendre l’influence des différentes dimensions de l’environnement de la personne sur son récit et sur sa vie et son discours.
5. Établir un lien entre le personnel et le politique. Liée à l’étape précédente, cette étape cherche à comprendre comment les discours populaires et les conventions sociales peuvent aider à interpréter le discours de la personne.
6. Dans le cas où plusieurs entretiens sont réalisés cette étape consiste à rechercher des points communs et des différences entre les participants. Elle ne sera pas utilisée ici.
7. Rédiger des récits académiques sur des histoires personnelles. Dans cette étape l’importance est de vérifier si l’analyse correspond à l’histoire racontée et aux objectifs de la recherche tout en ayant conscience qu’il n’existe pas une bonne façon de rédiger. Ecrire permet aussi de continuer à développer l’analyse.
Un premier niveau d’analyse est réalisé grâce à ces étapes. Un deuxième niveau d’analyse de l’entretien est réalisé à la main par une analyse thématique interprétative adaptée à la méthode par récit de vie. Les champs lexicaux ont aussi été analysés pour faire du lien entre le fond et la forme du discours.

Triangulation des résultats

Une triangulation des résultats a été réalisée par les pairs et par le participant pour augmenter la rigueur des résultats. La référente professionnelle a endossé le rôle de co-chercheuse en lisant la retranscription de l’entretien puis une discussion a eu lieu pour discuter des résultats retrouvés par la chercheuse. La retranscription a été envoyée au participant pour une vérification de son exactitude puis la première rédaction des résultats lui ont été transmis. Un deuxième temps d’entretien téléphonique a été effectué pour échanger sur l’interprétation des résultats et des éléments à ajouter, modifier.

Considérations éthiques

L’approche par récit de vie étant basée sur la relation entre la chercheuse et le participant, il est important de prendre en compte les questions éthiques de protection des personnes et des données. Cette recherche implique une personne à travers la réalisation de l’entretien mais n’est pas réalisée sur cette personne directement, la Loi Jardé ne s’applique pas. Cependant l’anonymat et la confidentialité des données ainsi que le consentement éclairé et la garanti du droit de retrait doivent être mis en place. Une notice d’information et une fiche de consentement sont envoyées au participant (Cf. Annexe 8 p.87). Les noms propres et les lieux pouvant permettre d’identifier le participant ont été noircis et ses initiales changées dans la retranscription de l’entretien et l’analyse des résultats.

G. utilise des outils et des approches pour mieux comprendre l’autre.

G. fait preuve d’intérêt pour ces questions de diversité, de culture. Cela lui offre des opportunités pour développer sa compétence culturelle à travers différentes expériences comme son voyage au Brésil ou l’accompagnement d’un groupe de femmes vivant dans un habitat autogéré. Au Brésil, il a découvert l’ergothérapie sociale notamment dans les favelas, le métissage de culture au Brésil et une réserve d’indigènes dans lequel il a réalisé différentes immersions. Son projet auprès de ce village était une initiation à l’ergothérapie sociale autour des problématiques culturelles et de santé. Lors de ses différents séjours, il s’est immergé dans leur quotidien, dans leurs traditions « À chaque fois qu’on m’a proposé d’aller plus loin dans les rituels pour comprendre cette culture je l’ai accepté. ».
Il explique qu’étant un invité, même s’il était là-bas en tant qu’ergothérapeute, il devait participer aux rituels et aux temps traditionnels comme les autres pour pouvoir s’intégrer et se faire accepter des villageois.
En parallèle, il a travaillé avec un groupe de femmes âgées militantes féministes qui ont oeuvré à la création d’un habitat collectif partagé et autogéré en France. Il s’est intéressé à leurs problématiques et leur combat et aux liens entretenus avec les mouvements de lutte pour les droits des personnes LGBT.
Actuellement il exerce auprès de populations très diverses : des enfants, des personnes âgées, des acteurs du monde commercial, des étudiants, des demandeurs d’asiles. Les personnes migrantes qu’il rencontre viennent de différents pays d’Afrique et du Moyen-Orient. G. partage le fait que ces personnes sont très différentes dans leur rapport à la parole, au silence, dans leur façon de voir la vie, de traverser les épreuves.
G. est une personne érudite qui s’appuie sur les sciences humaines pour approfondir sa compréhension de l’humain et de sa culture, ses habitudes, sa façon de réaliser ses occupations. Il s’est intéressé aux sciences humaines et sociales (philosophie, psychanalyse, anthropologie, linguistique) pour y puiser des connaissances nouvelles et développer sa compétence culturelle. Il s’intéresse à l’histoire de certaines cultures et à l’actualité politique et socio-économique des pays des personnes qu’il accompagne. Il évoque l’importance de mieux comprendre leur contexte de vie, les rapports sociétaux et les situations dans lesquelles elles se trouvent. Il a besoin de toujours en savoir plus et de ne pas se reposer sur ses acquis. L’ensemble de ces démarches ont pour but de pouvoir développer des espaces de contact avec l’autre et l’accompagner vers ses occupations signifiantes et favoriser une bonne santé.
Son introspection et ses questionnements l’aident à développer sa compétence culturelle. La question de la culture a commencé à émerger chez G. lorsqu’il exerçait dans une maison d’arrêt. Il n’était cependant pas dans une démarche volontaire de questionner la dimension culturelle de l’autre. Il s’exprime ainsi « la question de la diversité culturelle se posait… mais ne s’imposait pas à moi en fait ». Il était plutôt attiré par l’autre différent de lui et différent du fait d’une culture différente de la sienne. À chaque récit où est évoqué une histoire de rencontre, il questionne la culture « La culture c’est quoi ? c’est rencontrer l’autre et en même temps c’est un champ vaste ». Il va jusqu’à se questionner sur l’existence d’une culture LGBT4, d’une culture SDF5.
À la fois il est attiré par ces questions de différences culturelles et à la fois il refuse de se centrer sur la culture par peur de réduire l’autre à sa dimension culturelle. Pour G., la culture est la différence générale, mais à l’échelle de l’individu. L’important étant de rencontrer l’autre, au-delà de sa culture. Lui-même se perd dans cette notion et saute d’exemple en exemple pour illustrer son rapport à la culture.
« Je crois que mon souci de la culture de l’autre c’est surtout un souci de ne pas le digérer… Quand on se rencontre, symboliquement il digère certains éléments et moi je digère certains de sa culture mais je ne le fais pas disparaître ! »
Il fait preuve ici d’humilité culturelle, il a conscience de son désir d’en apprendre plus et d’aller au contact de l’autre mais il a peur de l’envahir et de faire disparaître ce que l’autre lui donne.
Cette humilité se retrouve lorsqu’il parle de son rapport à la langue. Il dit vouloir performer dans sa parole mais ne peut le faire qu’avec sa langue maternelle. Il évoque ses résistances à apprendre la langue de l’autre par peur d’affadir ses propos, mais aussi, d’une certaine façon, ses craintes de ne pas réussir à faire passer le message qu’il voudrait faire passer. Dans ce souci de ne pas dénaturer une parole en ne maîtrisant pas la langue, il montre son humilité en préférant se centrer sur la rencontre avec l’autre. En effet la parole et la transmission orales sont très importantes pour lui « La parole est un véhicule important à saisir dans la culture de l’autre et on n’en a pas tous le même usage ». Se questionner sur l’utilisation de la parole lui a permis de questionner la façon dont les populations apprennent et transmettent leur savoir, comment agir avec le savoir de leur médecine traditionnelle. Prendre en compte la culture de l’autre revient pour lui à prendre en compte leur médecine et leur rapport au soin, comprendre leur manière d’apprendre.
Son expérience d’immersion au Brésil lui a permis de questionner son héritage culturel et de se rendre compte que tous les pays ne sont pas pris dans une histoire similaire. Il évoque un souvenir concernant ses premières heures au Brésil et revient sur le nom d’un boulevard qui le conduit vers la ville : celui-ci s’appelle « Imigrantes ». Il profite de cette histoire pour expliquer que chaque pays ne perçoit pas la notion de migration de la même manière. L’intérêt pour lui de vivre et d’éprouver les temps traditionnels et les rituels était « de ressentir des choses en dehors de [ses] représentations culturelles ». De retour en France, cela l’amène à se questionner sur « Comment se rencontrent des populations qui viennent d’ailleurs ? », comment accueillir ces personnes qui ont une autre culture que nous, comment créer des espaces de rencontre, pour fraterniser et créer un espace de contact comme lui a pu en créer en étant accueilli en tant qu’étranger au Brésil. Il prend conscience de ce dont l’étranger pourrait avoir besoin et remet en question l’accompagnement proposé pour pouvoir le repenser et l’adapter.

Ses expériences de relation à l’autre lui ont permis de développer sa posture professionnelle

Chacune de ses expériences, de ses aventures lui ont permis d’apprendre, de découvrir des choses sur l’autre mais aussi sur lui et sur sa pratique en tant que professionnel de santé. Au Brésil, il a vécu dans une communauté indigène avec les membres de cette communauté. Il a assisté à des temps de traitement collectifs de problèmes de santé.
« Comment il oeuvre ce village ? Il va y avoir le Paje. Le Paje est celui qui va faire quelque chose sur le problème de l’autre. Pendant que le Paje va enlever le mal, il faut qu’il soit protégé. Autour de lui, il va y avoir des aides Paje. […] Mais pour que les aides du Paje puissent travailler, il a fallu qu’il y ait des gens qui fument. Et puis pour que les gens fument, il a fallu qu’il y ait des musiciens. Et puisqu’il y a eu des musiciens, il a fallu qu’il y ait des gens qui marquent le rythme. Des femmes. Et puis, il a fallu avoir des danses et des chants. En fait, c’est tout le village qui traite. »
Ce Paje est une figure de soin mais il ne peut soigner sans le village, le village se met en oeuvre pour soigner.
« C’est important parce que je me suis rendu compte combien l’action collective pouvait permettre dans des questions de santé d’envelopper l’autre. Cette approche du soin n’est pas pareille, elle a forcément impacté le soignant que je suis. »
G. s’est donc rendu compte que la figure traditionnelle que l’on a d’un gourou est illusoire, nous avons une image d’un seul intervenant mais qui est en réalité soutenue par une dimension collective. Cette dimension peut faire changer de position le soigné pour devenir celui qui a son tour prend soin. Cela l’a amené à observer notre vision occidentale du soin et à questionner sa position de soignant. Pour lui il n’est pas celui qui a le pouvoir unique de soigner l’autre, il cherche donc à s’appuyer sur la capacité du « prendre soin » du collectif, de la communauté. Cela lui a permis de construire son identité, sa posture professionnelle. En tant qu’ergothérapeute dans une pratique sociale il se décrit comme « accompagnant », « intervenant ». Il « conduit à » mais jamais il ne se décrit comme soignant ou thérapeute.
« Je suis celui qui va « conduire à », je ne suis pas celui qui va soigner mais pourtant « conduire à » c’est une manière de soigner l’autre. »
Il cherche donc à développer une posture symétrique avec les personnes qu’il accompagne en partant du principe que l’autre a un savoir et des compétences et en le plaçant dans une autre posture que celle du malade. La personne n’est plus seulement le sujet d’un soin mais peut-être acteur d’un soin apporté à un autre. Pour G. cela donne une richesse à l’autre qu’il n’a pas si on reste dans une posture asymétrique.
G. donne un exemple de cette relation symétrique en parlant d’une intervention auprès d’un afghan qui a des difficultés de sommeil. Il repère une relation de confiance entre lui et ce jeune homme et une compétence à parler l’anglais que G. n’a pas. Il lui propose donc de participer à une intervention qu’il doit réaliser auprès d’un groupe d’Afghans. Il sait l’importance du rôle de la communauté pour les Afghans. Il met donc en place une collaboration avec cet homme pour traduire son échange avec le groupe d’afghans qu’il doit aller voir et entrer en relation avec eux. Ce jeune homme a pris le rôle de médiateur car G. lui a offert l’espace pour prendre cette place. Cela a permis à G. d’obtenir la confiance du groupe d’être accompagné de l’un des leurs et de sortir cet homme de son rôle de malade en lui permettant de réaliser quelque chose de signifiant.
« Le matin, je l’ai vu comme un malade, dans l’après-midi, je l’ai fait basculer dans une autre posture sociale. Il n’était plus mon malade. Et cela, lui a fait du bien. »
Un autre résultat de cette relation symétrique est qu’à plusieurs reprises, le jeune afghan a envoyé vers G. des amis qui avaient des difficultés, pour qu’il les aide. Cette posture de symétrie permet à G. d’accélérer sa mise au contact avec des populations qui ne viendraient pas d’elles-mêmes vers lui. Ce jeune homme devient un élément facilitateur et de médiation pour pouvoir toucher des personnes qu’il n’aurait pas rencontré seul à cause de son manque de connaissances ou de savoir-faire en lien avec leur culture. Il intègre progressivement ces valeurs qu’il a développées à travers ses expériences, dans sa pratique auprès des migrants non seulement car cela correspond à la culture de ces personnes mais également parce que cela a des effets positifs en redonnant un pouvoir d’action à ces personnes.
Le coeur de son métier c’est la relation. Quand il entre en relation avec quelqu’un d’une autre culture, cette relation évolue. Elle a un impact autant sur lui en tant qu’ergothérapeute que sur l’autre. Cette relation est vécue à travers des émotions parfois fortes ce qui la rend difficile pour lui car il doit « être vigilant à la distance affective », afin de trouver le bon équilibre entre s’impliquer pour découvrir la culture de l’autre, obtenir sa confiance mais ne pas se perdre en tant qu’ergothérapeute.
Un jour, il venait de participer à un mariage, il avait pris le repas, chanté, dansé avec les membres de la famille puis un orage a eu lieu et la foudre est tombée sur trois jeunes. Etant le seul acteur de santé présent dans le village, c’est lui qui a proposé d’aller faire contrôler l’état de santé des jeunes à l’hôpital. Les parents lui ont confié, à lui, les papiers des enfants pour les amener à l’hôpital et non pas à son collègue qu’ils connaissaient mieux. Dans sa nature et son identité de soignant il s’est montré fiable, solide. Il représentait aussi le plus occidental d’entre eux et donc une forme de modernité sans être cependant dans un rapport impérialiste et supérieur. En effet il explique que dans le monde indigène il y a un rapport au silence différent dans le sens où les Indiens sont parfois très silencieux contrairement à notre mode latin d’utiliser la parole comme un pouvoir. Il a donc appris à s’adapter à cela et à se rendre disponible pour aller là où cette communauté a bien voulu l’emmener et pas d’emmener la communauté là où lui l’aurait voulu. Cela lui a demandé du temps de se laisser porter vers là où ils avaient besoin et d’apprendre à ne pas tout contrôler. Finalement il a pris le temps d’apprendre à connaître leur mode de fonctionnement, de mettre de côté sa façon de pratiquer, il s’est investi dans la relation qu’il a développée avec eux mais il a quand même trouvé un équilibre et n’a pas perdu sa posture d’ergothérapeute. Devoir maintenir cet équilibre pour reconnaître son identité d’ergothérapeute lui permet de vivre des expériences tout en questionnant sa pratique pour développer sa compétence culturelle. Il exprime se sentir pleinement heureux et légitime en tant qu’ergothérapeute mais a parfois du mal à trouver la place pour cette parole qu’il porte dans le milieu de l’ergothérapie en France. Il cherche toujours de nouvelles expériences pour arriver à faire entendre ce qu’il défend.

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Table des matières

1 Introduction
1.1 Emergence du thème
1.2 Revue de littérature méthodologie
1.3 Revue de littérature analyse critique
1.3.1 L’influence de la culture sur l’intervention ergothérapique
1.3.2 Critique des modèles et concepts fondamentaux de la profession
1.3.3 La compétence culturelle de l’ergothérapeute
1.3.4 Stratégies et recommandations
1.4 Résonance du thème
1.5 Problématisation pratique
1.6 Enquête exploratoire
1.6.1 Objectifs visés
1.6.2 Méthodologie
1.6.3 Résultats et analyse critique
1.7 Question initiale de recherche
1.8 Cadre conceptuel
1.8.1 Identité professionnelle
1.8.2 La compétence
1.8.3 La compétence culturelle
1.9 Question et objet de recherche
2 Matériel et Méthode
2.1 Choix de la méthode
2.2 Population
2.3 Site d’exploration
2.4 Choix et construction de l’outil de recueil de données
2.5 Déroulement de l’enquête
2.6 Choix de l’outil de traitement et d’analyse de données
2.7 Triangulation des résultats
2.8 Considérations éthiques
3 Résultats
3.1 G. a besoin d’explorer et de rencontrer l’autre, il se nourrit de l’autre.
3.2 G. utilise des outils et des approches pour mieux comprendre l’autre.
3.3 Ses expériences de relation à l’autre lui ont permis de développer sa posture professionnelle.
3.4 G. présente des limites à sa compétence culturelle.
4 Discussion
4.1 Interprétation
4.2 Réponse à l’objet de recherche
4.3 Critique du dispositif de recherche
4.4 Apports, intérêts et limites des résultats pour la pratique professionnelle
4.5 Proposition et transférabilité vers la pratique professionnelle
4.6 Perspectives de recherches et ouverture vers une nouvelle question de recherche
Bibliographie

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