L’INFERTILITE DES VACHES LAITIERES
Contexte
Les résultats publiés ces quinze dernières années aux Etats-Unis, au Québec, en France et en Espagne font l’état d’une diminution de la fertilité chez les vaches laitières « modernes » (Lucy, 2007). En France, on constate une perte de 1 point de fertilité par an entre 1995 et 2005 (Fréret et al., 2011). Cela se traduit par une baisse régulière du taux de réussite en première insémination artificielle (TRIA1) depuis les années 1980 et par une augmentation du nombre d’inséminations artificielles (IA) nécessaires pour obtenir une gestation. A titre d’exemple, en 2006, le TRIA1 moyen français était inférieur à 40% chez les vaches de race Prim’Holstein, alors qu’il était d’environ 60% en 1980. De même, en 2005, 28% des vaches Prim’Holstein avaient reçu au moins trois IA pour obtenir une gestation, contre 23% en 1998 (Saint-Dizier et Chastant, 2008).
Responsable d’une augmentation du nombre de jours où la vache est improductive, l’infertilité engendre donc de lourdes conséquences financières : diminution des revenus (moins de lait produit), augmentation des coûts de production (alimentation, vétérinaire, inséminateur, …), augmentation de la charge de travail. Le coût pour l’éleveur est estimé à 1,5 euro par vache et par jour (Hobé et al., 2008). De nombreuses enquêtes récentes (années 2000), à grande échelle, ont été réalisées en France afin de déterminer la chronologie des échecs à l’IA (Fréret et al., 2011 ; Ponsart et al., 2010 ; Ledoux, 2011). Celles-ci ont montré que plus de 50% des échecs après insémination ont lieu avant 35 jours de gestation (Fréret et al., 2011). Ces échecs sont liés pour 4 à 7% à des IA réalisées en phase lutéale (IAPL), pour 31 à 45% à de la non fécondation ou de la mortalité embryonnaire précoce (NF-MEP) (qui ne peuvent pas être différenciées cliniquement chez la vache) et pour 14 à 20% de mortalité embryonnaire tardive (MET) (qui ne peut pas être cliniquement différenciée d’une phase lutéale prolongée) (Fréret et al., 2006 ; Ledoux et al., 2006 ; Ponsart et al., 2007).
Or, les échecs à l’IA étant essentiellement très précoces (absence de fécondation et mortalité embryonnaire avant 16 jours de gestation), il est très probable que les conditions de réalisation des IA soient également en cause. Différentes constatations peuvent nous conduire à cette hypothèse. Tout d’abord, la physiologie des vaches laitières autour des chaleurs a changé : les chaleurs sont plus courtes et les manifestations comportementales sont plus discrètes (voir 1.2). Les chaleurs sont donc plus difficiles à détecter par les éleveurs, ce qui peut influencer la décision de l’éleveur d’appeler l’inséminateur s’il n’est pas sûr que la vache soit en chaleurs et donc retarder le délai entre les chaleurs et l’IA. Ainsi, il a été observé une augmentation de la fréquence de NF-MEP lorsque le délai entre l’appel de l’inséminateur et l’IA dépassait dixhuit heures et une diminution significative du taux de gestation lorsque ce délai était supérieur à vingt-quatre heures (Fréret et al., 2011). A l’inverse, cela peut également conduire à faire inséminer une vache qui n’est pas en chaleurs, ou trop tôt, « dans le doute ». Il a en effet été constaté que la fréquence des IA réalisées en phase lutéale était augmentée lorsque l’IA était décidée alors qu’un seul signe non spécifique autre que le chevauchement avait été observé (Ponsart et al., 2007) et que le taux de gestation suite à une IA décidée par l’observation de signes non spécifiques des chaleurs et non liés à un comportement sexuel était dégradé (Fréret et al., 2008 ; Fréret et al., 2011).
Les chaleurs de la vache laitière : entre bonnes pratiques et réalité du terrain
Les chaleurs sont une période du cycle sexuel pendant laquelle la femelle accepte l’accouplement avec le mâle et peut être fécondée. Elles résultent d’une séquence spécifique d’événements ovariens et hormonaux (Mauffré et al., 2013). Je n’aborderai pas ici les rappels de physiologie détaillant le cycle sexuel de la vache, de nombreuses thèses vétérinaires et articles récents ayant déjà fait l’objet de ces rappels (Dezaux, 2001 ; Chastant, 2005 ; Bosio, 2006 ; Chicoineau, 2007). Revenons, néanmoins, sur les comportements de la vache laitière qui qualifient la période de chaleurs. Le comportement spécifique des chaleurs, reconnu de tous et définissant la période des chaleurs, est l’acceptation du chevauchement. La vache en chaleurs reste immobile pendant au moins deux secondes, malgré l’autre vache qui est en équilibre sur sa croupe et qui l’enserre de ses pattes avant. Ce comportement n’est jamais observé en dehors de la période des chaleurs, ce qui en fait un signe spécifique. Il s’agit d’ailleurs du seul signe spécifique, les autres signes observés durant la période de chaleurs sont alors dits secondaires (Doucet, 2004 ; Roelofs et al., 2010). Ces derniers peuvent être manifestés en dehors de la période de chaleurs, mais, ils sont plus fréquents en période de chaleurs (Kerbrat et Disenhaus, 2004).
Les facteurs de risque précédemment décrits sont fréquemment observés dans l’élevage français moderne de race Prim’Holstein (PH). C’est un des éléments qui puissent expliquer que le comportement d’acceptation du chevauchement n’est pas exprimé par toutes les vaches de cette race : entre 12 à 58% des vaches selon les études (Van Eerdenburg et al., 1996 ; Kerbrat et Disenhaus, 2004 ; Roelofs et al., 2005). De plus, même lorsqu’il est exprimé, il n’est pas toujours facile à observer. En effet, le nombre d’acceptations du chevauchement par une vache au cours de la période de chaleurs est, en moyenne, assez faible : entre trois et six fois au cours de chaleurs d’une durée moyenne de douze heures et selon le nombre de vaches en chaleurs, d’après l’étude de Roelofs et al. (2005).
Ainsi, grâce à un calcul simple et en considérant qu’un comportement d’acceptation du chevauchement dure environ 2 secondes et demie, la vache laitière PH accepte le pendant au total environ 8 et 16 secondes durant la période des chaleurs, soit moins de 1% de ce temps. Le seul critère d’acceptation du chevauchement n’est donc pas suffisant pour une détection efficace de la période des chaleurs. La prise en compte des signes secondaires dans la détection de la période de chaleurs est alors indispensable ; mais cela requiert de la prudence. Comme introduit plus haut, ces signes sont peu spécifiques, c’est-à-dire qu’ils sont exprimés aussi bien lors de la période des chaleurs qu’en phase lutéale. Ainsi, il faut considérer l’augmentation de fréquence de ces interactions pour définir la période de chaleurs. Il s’agit d’une « période de comportements intensifiés » d’après Roelofs et al. (2010). Ainsi, Kerbrat et Disenhaus, en considérant l’augmentation de la fréquence d’expression de certains comportements dits secondaires, ont qualifié 11 vaches comme étant en chaleurs alors que seulement 8 d’entre-elles avaient accepté le chevauchement.
Pour faciliter l’utilisation des signes secondaires dans la détection des chaleurs et pour mieux définir la période de comportements intensifiés, une grille de score des signes secondaires a été élaborée par Van Eerdenburg et al. (1996). Cette grille attribuait à chaque signe secondaire initié un nombre de points. Cela permettait d’obtenir un score comportemental qui, s’il dépassait un seuil, autorisait à considérer la vache en chaleurs (Van Eerdenburg et al., 1996). Néanmoins, la mise en place de ce protocole dans trente élevages néerlandais de PH s’est avérée décevante et n’a permis la détection que de 47% des vaches en chaleurs (Heres et al., 2000). Devant la difficulté d’identifier les vaches en chaleurs, des recommandations sur la manière de conduire l’observation des animaux ont été faites permettant d’atteindre une sensibilité de détection optimale. Ainsi, il a été établi que le moment de l’observation des animaux dans la journée, le nombre de séances d’observation par jour et la durée de ces séances étaient des paramètres à considérer car influençant l’efficacité de la détection visuelle des chaleurs. Il est classiquement recommandé à l’éleveur d’observer les vaches le matin et le soir, au minimum trente minutes et en période calme, c’est-à-dire ni lors de la traite, ni lors de l’affouragement (Saint-Dizier, 2005). En effet, Diskin et Sreenan (2000) ont observé que l’acceptation du chevauchement était plus fréquemment manifestée tôt le matin et tard le soir. D’après cette étude, l’observation des vaches pendant ces tranches horaires dans de bonnes conditions permettrait d’observer jusqu’à 70% des vaches en chaleurs (Diskin et Sreenan, 2000).
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Table des matières
INTRODUCTION
1 CONTEXTE DE L’ETUDE
1.1 L’INFERTILITE DES VACHES LAITIERES : CONSTAT D’UN TROUBLE MAJEUR AUX ORIGINES MULTIPLES
1.2 LES CHALEURS DE LA VACHE LAITIERE : ENTRE BONNES PRATIQUES ET REALITE DU TERRAIN
1.3 FIXER LE MOMENT DE L’IA : ENTRE TRADITIONS ET INNOVATIONS
2 OBJECTIFS DE L’ETUDE
3 MATERIEL ET METHODES
3.1 ANIMAUX
3.2 VETERINAIRES ET ELEVAGES
3.3 PROTOCOLES EXPERIMENTAUX
3.3.1 LOT TEMOIN
3.3.2 LOT TRAITE
3.3.3 PRISE DE SANG ET PREDI’BOV®
3.3.4 ENREGISTREMENT DES DONNEES
3.3.5 COLLECTE DES DONNEES ET SUIVI DE L’ETUDE
3.3.6 TRAITEMENT DES DONNEES ET ANALYSE STATISTIQUE
4 RESULTATS
4.1 DESCRIPTION DE L’ECHANTILLON
4.1.1 ELEVEURS PARTICIPANTS, SITUATION GEOGRAPHIQUE ET STATUT
4.1.2 ANIMAUX
4.1.3 RESULTATS DES PREDI’BOV® ET IA
4.1.4 QUALITE DE L’ENREGISTREMENT PAR L’ELEVEUR DES DONNEES « SECONDAIRES » ET CARACTERISTIQUES DES LOTS
4.2 ANALYSE DES TAUX DE GESTATION
4.2.1 COMPARAISON DES TAUX DE GESTATION DANS LES DEUX LOTS
4.2.2 COMPARAISON DES TAUX DE GESTATION SELON LA FENETRE D’INSEMINATION
4.3 EXPRESSION DES CHALEURS ET PIC DE LH
5 DISCUSSION
5.1 DIFFICULTES LIEES A L’ETUDE
5.2 CHALEURS ET PICS DE LH
5.3 FENETRE D’INSEMINATION ET TAUX DE GESTATION
5.4 TAUX DE GESTATION DANS LES LOTS TEMOINS ET TRAITES
CONCLUSION
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