Une critique des sources
Avant d’aborder le fond du sujet, il nous semble utile de nous pencher sur nos sources. C’est l’occasion à la fois de réfléchir sur le parcours de recherche et de critiquer les documents utilisés. Le cœur de notre information est Elstat, l’institut statistique de la Grèce, première approche du sujet. Mais avant de travailler sur les statistiques relatives à l’industrie, il a été nécessaire d’interroger le passé, à travers une riche historiographie, d’y repérer les grandes thématiques autour de l’industrie, en Grèce et dans le monde, et d’approfondir nos propres hypothèses. Ce n’est qu’ensuite que le travail statistique a trouvé son sens, pour valider ou infirmer nos hypothèses, puis, pour remédier à des insuffisances avérées de la statistique officielle, que l’on a dépouillé des sources plus directes (entreprises, professions) et parcouru le terrain.
Ainsi, trois types de sources, d’inégale valeur, ont été utilisés.
L’histoire de l’industrie en général comme celle de l’industrie en Grèce, permet d’éclairer notre problématique, en replaçant l’industrie dans un mouvement général qui affecte son champ, sa place, ses branches, son fonctionnement, l’importance qui lui est accordée par la recherche universitaire. Elle est une source précieuse d’information. La revue que nous en faisons est évidemment indicative et non exhaustive. L’appareil statistique grec a été très largement utilisé. Compte tenu de la contestation dont les « statistiques grecques » ont fait l’objet au début de la crise, il a paru nécessaire de le soumettre à une critique attentive. Cette contestation est elle même « orientée » et nous avons cherché à en faire justice. Si, bien encadré par Eurostat, il présente aujourd’hui un ensemble cohérent et solide, il n’en est pas moins limité dans ses moyens et dans ses objets. Il a fallu ainsi compléter les données statistiques par des observations de terrain, une lecture attentive de la presse spécialisée, une analyse financière et économique des comptes et rapports d’entreprise, et par des études de branche réalisées pour le compte d’organisations professionnelles.
Histoires de l’industrie
La littérature sur l’industrie est abondante. Il n’est pas question de la parcourir en entier, mais seulement d’en saisir les tendances et les problématiques récentes. C’est pour le chercheur le moyen de situer son travail dans un champ plus large et de mieux définir son objet ou de mieux apprécier ses résultats.
L’industrie grecque reste à ce jour en France, un sujet original, plus par sa localisation que par son objet. Les études suivies sur l’industrie néolithique, antique ou byzantine (Mines du Laurion par Edouard Ardaillon puis Christophe Flament et Denis Morin, industries lithiques de Catherine Perlès et archéologie du territoire de Georgia Kourtessi , soie, verreries byzantines d’André Grabar, industries du luxe à Byzance de Louis Brehier) ne manquent pas d’intérêt pour la réflexion sur le présent. Les récits des voyageurs, de Pouqueville à Leconte, en passant par Boulanger, Burnouf et Beaujour, décrivent les ressources du pays (par exemple l’industrie d’Ambelakia, véritable district proto-industriel). En revanche, les travaux sur l’industrie moderne demeurent rares. Ce n’était pas la vocation de l’Ecole Française d’Athènes ni de l’Inalco. On relève en France des travaux intéressants sur Aluminium de Grèce .
En réalité, ce sont les géographes qui ont le mieux écrit sur la Grèce moderne et sur son industrie. Vieille tradition évoquée par Michel Sivignon que celle des géographes français de la première moitié du XXème siècle : Jacques Ancel et Jacques Bruhnes d’abord, qui ont travaillé sur la Macédoine au moment des guerres balkaniques. Puis, en 1962, le ministère grec de la coordination nationale, à l’initiative de John Peristiany, crée le Centre de recherches sociales, l’EKKE , et y invite Bernard Kayser. Celui-ci donne élan à une école franco grecque de géographie. L’Atlas de Kayser-Thomson-Vaternelle-Koukis de 1964 est une source précieuse pour l’industrie grecque. Kayser fait venir de jeunes collaborateurs de France. Guy Burgel décrit la concentration industrielle de son temps à Athènes-Le Pirée, Michel Sivignon parcourant la Thessalie découvre le flocati (φλοκάτη) des Saracatsanes et plus tard, Olivier Deslondes la fourrure à Kastoria, décrivant ainsi deux « districts » industriels ; Yves Péchoux s’intéresse à la pétrochimie, qui rénove le tissu économique de Kavala après l’effacement du tabac ; Emile Kolodny analyse les fonctions insulaires en Méditerranée et celles de Syros en particulier, qui ne cesse de fasciner les historiens. Lorsque 40 ans plus tard, en 2003, Michel Sivignon prend la tête d’une équipe pour produire un 2ème Atlas de la Grèce, y participent Thomas Maloutas, Ion Sayas, Dimitris Goussios, formés à Nanterre. L’université de Thessalie, les universités Charokopeio et de l’Egée, ont aujourd’hui l’une une section, les autres un département de géographie bien vivant. Les travaux de Kostis Chatzimichalis et de Dina Vaiou sur les districts et paysages industriels, ceux de Theodosia Anthopoulou sur les Systèmes Agroalimentaires Localisés (SYALS) témoignent de la vivacité de l’héritage. Feu de paille en France sans lendemain, mais richesse de la réflexion sur l’espace en Grèce.
Le monde anglo-saxon, de son côté, a été et reste attentif à la Grèce industrielle. Il a aussi ses voyageurs orientalistes comme William Leake, Edward Daniel Clarke, Henry Holland, Michael Mulhall. Les études récentes concernent plus souvent les problèmes monétaires ou ceux de la reconstruction que ceux du développement. Elles sont souvent liées à la Grèce par la guerre ou l’intérêt pour la résistance (Dakin, Clogg, Mazower). Michael Palairet a bien étudié la proto industrie des Balkans et montré avec les exemples grecs de la garance d’Ambelakia, Tirnavo et Rapsani et des skoutia (σκουτιά) étoffes de laine grossière) de Livadia, le rapport complexe et non linéaire entre ces districts industriels et le développement de la Révolution industrielle. Cette historiographie est particulièrement riche dans sa dimension anthropologique avec Thomas Gallant (ethnologie et économie), Michael Herzfeld (Ethnographie de la bureaucratie), Renée Hirschon (ethnologie des réfugiés), John K Campbell (anthropologie des Saracatsanes), Ernestine Friedl, John Peristiany directeur de l’EKKE. Elle éclaire, de notre point de vue, un pan essentiel de l’entrepreneurialité en Grèce.
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Table des matières
Introduction
Préambule : Une critique des sources
1. Histoires de l’industrie ; essai d’historiographie de l’industrie en Grèce
2. Vérités statistiques : l’appareil statistique
3. A la recherche d’autres sources ; le terrain industriel
I ERE PARTIE. DES PRODUITS
Chapitre 1 La formation du produit industriel grec
1) La construction de la base industrielle grecque, entre capitalisme d’état et libéralisme
clientéliste.
1. 1950-1980 : la construction volontariste d’une base industrielle
2. 1980-2008 : un processus libéralisé de destruction créatrice
3. 2008-2014 : les effets de spécialisation de la crise
2) La physionomie actuelle du produit industriel intérieur brut
1. Produit industriel intérieur brut : réflexions sur la distribution sectorielle des
produits
2. Profils industriels : spécialisations et méditerranéité
Chapitre 2 La formation des Espaces industriels
1) Une activité mieux répartie dans un espace intérieur unifié
1. Localisation industrielle
2. Unification de l’espace industriel intérieur
2) Des espaces extérieurs ouverts
1. Avantages comparatifs et division internationale du travail
2. Analyse par produit. Effets de spécialisation
3. Analyse par pays. Effets d’ouverture
2EME PARTIE. DES HOMMES
L’autonomie de l’entreprise
Chapitre 3 L’adaptation de l’entreprise à la crise
1) L’industrie en crise : économies de crise
1. Le recul du nombre des entreprises et de l’emploi
2. La décroissance des résultats et l’évolution de la productivité
3. La baisse des investissements
2) La restructuration industrielle : les formes de l’adaptation des entreprises
1. La restructuration de l’emploi
2. La restructuration de l’entreprise
3) L’autonomie du financement
1. Insuffisance des capitaux ou excès de bureaucratie ?
2. Credit crunch ou inefficacité de la gestion des crédits
3. L’aléa moral ou l’impayé généralisé
4. L’autofinancement, instrument privilégié de la résilience
Chapitre 4 Essai sur les fondements de l’esprit d’entreprise en Grèce
1) Un esprit d’entreprise vigoureux
1. Entreprise et population
2. Prosopographies 2) Au cœur de la société grecque, la famille, comme une libre entreprise
Approche quantitative
1. Forme juridique de l’entreprise
2. Taille des entreprises
3. Les formes de l’emploi
3) De la petite propriété foncière à la petite entreprise industrielle
Approche qualitative
1. La famille sous-tend l’entreprise
2. Les stratégies familiales orientent les activités économiques
3. Evergétisme et capital étranger
4. Patronage
Conclusion
Bibliographie
Chronologie simplifiée
Liste des abréviations
Répertoire des tableaux, graphiques, photos et cartes
Annexes
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