L’indifference dans l’etranger

Comme celle de 1914-18, la guerre mondiale de 1939-45 a profondément ébranlé la société française. Ce que l’événement et ses suites ont manifesté correspondait à des changements moins visibles qui s’étaient depuis longtemps opérés dans les structures économiques et sociales autant que dans les esprits. La guerre devait outrepasser les limites qui avaient été tacitement reconnues et dérouler, à son tour, une série de conséquences imprévues. Quand on sortit du cauchemar, on s’aperçu que des valeurs depuis longtemps mises en doute étaient bien mortes. Le temps du nihilisme dont on attendait et redoutait la venue, cette fois nous le vivons. La faim, les ruines, les exactions, les tortures, l’assassinat délibérément perpétré de masses humaines tendaient à l’homme une image de lui-même qu’il ne reconnaissait pas. Les croyances morales, philosophiques, métaphysiques qui représentaient la conquête dure et patiente des meilleurs esprits de tous les siècles avaient été consumées dans les conséquences de la guerre. On voit fleurir l’exaltation des instincts biologiques, les fanatismes religieux, et nationaux, la confiance aveugle soit en Dieu soit au destin. L’homme reprenait pieds, hagard dans un univers saccagé.

Sur cette toile de fond sombre, le mouvement artistique et littéraire d’après-guerre a déroulé des fastes brillants. En littérature, plus précisément dans le roman, on apprend l’habitude d’enfermer dans une même dénomination la vie de toute une société. Quelle commune mesure existe-t-il dans le roman d’après-guerre ? Cette question nous préserve de la facile tentation du tableau d’histoire-panorama dans les cases duquel viennent se loger, en bon ordre, tendances, mouvements, genres, générations. C’est dans cette mouvance que s’inscrit le roman au XXe siècle avec une nouveauté surtout sur le plan de la thématique et d’ailleurs Maurice Nadeau déclare sur cet angle : « Le romancier crée un univers qui constitue l’équivalent exact, lisible et significatif du monde qui l’entoure ». Cette dernière entre en ligne directe avec le contexte historique et social de L’étranger (1957) d’Albert Camus et du Procès-verbal (1963) de Jean Marie Gustave Le Clézio qui constituent des copies conformes de la vie quotidienne des générations de la période d’après-guerre. Ainsi, L’étranger en constitue une illustration parce qu’il appartient à une époque angoissante. Très exactement entre la guerre d’Espagne et la débâcle de 1940, ce roman ne peut que refléter les tendances de la philosophie du moment. Le sentiment de l’absurde et de l’indifférence est fondamental: intuitivement ou intellectuellement on perçoit le non-sens de la vie, de l’automatisme des gestes humains, de l’incommunicabilité des êtres, du spectacle d’un monde irréductible à la pensée, de la présence inéluctable de la mort.

En dépit des positions souvent proches et d’un vocabulaire commun, Le procès-verbal partage avec L’étranger la notion essentielle d’indifférence soigneusement localisée au rapport de l’homme et du monde. C’est dans cette mouvance que vont s’inscrire bon nombre d’écrivains privilégiant les thèmes sociaux qui résultent de la pauvreté, de la crise, des faits divers et du traumatisme intellectuel et psychologique.

Un contexte historique instable

Le caractère atypique des personnages 

Plusieurs raisons nous invitent à nous demander si Albert Camus n’a pas, en imaginant son personnage, donné forme à la partie la plus médiocre de l’homme. Parmi ces raisons on peut en citer deux plus illustres et justificatives :
– La première est qu’il le dote d’une conscience étroite alors qu’il a toujours étonné son entourage par son ouverture d’esprit.
– La deuxième est qu’il lui refuse l’ambition et les chances dont il a lui-même disposé.

Cette condamnation du personnage à voir les choses par le contraire provoque chez Adam Pollo un caractère mettant en relief une vie solitaire. Le Clézio l’affirme lorsqu’il dit : « La concentration d’esprit nécessaire à l’intuition de vivre, oui, de vivre tout seul dans son coin » . Pour dire que rien ne préoccupait Adam, il était convaincu que seule sa vie comptait. Meursault, quant à lui, n’est déterminé par rien, sinon par la pulsion et le hasard de l’instant. Il travaille donc dans une compagnie maritime et apparaît, jusque dans son métier, comme un homme de la mer. Son aspect physique ne se devine qu’à son dégoût pour les gens qui ont la peau blanche.

Il est vrai que Meursault et Adam ne répondent guère aux caractéristiques d’un personnage exemplaire. Adam Pollo, personnage principal du procès-verbal, renferme, l’on peut dire, toutes les caractéristiques de la folie. Dans ce roman, Le Clézio revient sur la question de la folie à travers ce personnage. Adam est perdu pour la société mais non pour luimême. Donc il est caractérisé par cette image qui a parcouru toute l’œuvre selon son auteur qui dit :

Le livre se termine par une description de la cellule dans laquelle Adam Pollo est enfermé, et qui se rapporte au thème astrologique, à cette idée de la maison du ciel qui contient les éléments de votre destin. Je pensais que la littérature devait servir aussi à accomplir une sorte de recherche d’une surdimension psychologique, qui n’aurait rien à voir avec la dimension astrologique qui serait davantage médicale ou pour le moins clinique .

Ceci permet de déduire qu’Adam Pollo est aussi caractérisé par l’errance en considérant la nature (plus particulièrement le soleil et la mer) comme objet de consolation au quotidien et par ailleurs cette nature peut revêtir un asile en qualité clinique ou médicale pour lui.

Eu égard aux caractéristiques de ces deux héros, Meursault et Adam, il est aisé de dire que Camus et Le Clézio nous présentent deux adeptes de la mer (les plages) ou même on peut parler de la dichotomie mer-soleil. Tel est d’ailleurs l’acronyme du nom de Meursault ou même si cela est un nom, il n’a pas de prénom (on ignore comment Marie l’appelle) : les deux syllabes qui suffisent à le désigner y gagnent une valeur symbolique pour certains critiques qui ont lu dans le nom du héros d’abord nommé « Mersault » qui veut dire mer ou meurtre et soleil.

Aussi deviennent-ils l’un et l’autre, sans faiblesse, les héros d’une morale personnelle qui tient tout entière de la fidélité en soi. De cette intensité, de cet isolement et de ce refus de se conformer aux réalités sociales naîtra le vertige criminel d’Adam. Il marque donc cette distance, souvent ironique, à l’égard des gens de la société qui, selon lui, s’occupent de sa personne en tentant de le sauver ou de l’accabler. L’attitude de Meursault apparaît exactement semblable à celle d’Adam. Les deux héros entendent protéger le trésor des longues journées ou heures d’une vie vide d’ambitions et qui n’obéit qu’aux désirs personnels. Ils conçoivent les événements à leur manière surtout Meursault qui présente une figure d’indifférence extraordinaire face au décès de sa maman en disant ceci :

En me réveillant, j’ai compris pourquoi mon patron avait l’air mécontent quand je lui ai demandé mes deux jours de congé : c’est aujourd’hui samedi (…) Mon patron tout naturellement, a pensé que j’aurais ainsi quatre jours de vacances avec mon dimanche et cela ne pouvait pas lui faire plaisir. Mais d’une part, ce n’est pas de ma faute si on a enterré maman hier au lieu d’aujourd’hui et d’autre part, j’aurais eu mon samedi et mon dimanche de toutes façons. Bien entendu, cela ne m’empêche pas de comprendre tout de même mon patron .

Ce passage, exposant certains caractères essentiels du personnage de Meursault, suffit également à définir le caractère d’Adam Pollo qui se nourrit d’un désintérêt total par rapport à la vie sociale et se présente comme un personnage violent avec un esprit rebelle et parfois furieux à l’égard des événements. Son image est inquiétant car ne présentant aucun sentiment de tristesse par rapport à un incident. Il raconte :

Quand on a vu un noyé, une fois, à peine retiré dans l’eau, encore couché sur la route, on n’a pas grand-chose à ajouter. Surtout quand on a compris pourquoi il y a des gens qui se noient, certains jours. Le reste ne compte pas. Qu’il pleuve ou qu’il fasse beau temps, que ce soit un enfant ou un homme ou une femme nue avec un collier de diamants, […], cela indiffère. C’est l’espèce de décor d’un drame permanent .

Admettons que ces caractères non moins identiques des deux personnages principaux laissent apparaître en marge la quasi-totalité de l’essentiel de la vie et ne reconnaissant que la beauté de la nature (mer et soleil surtout) et les promenades (errance). L’attachement et l’amour de cette vie privée montrent combien l’indifférence des héros face aux événements a été un sujet au quotidien soit dans le cadre social soit dans le cadre religieux.

L’indifférence sociale 

Le manque d’ambition, qui caractérise Meursault et Adam Pollo, n’est rien d’autre qu’un refus de conformité et un rejet de la société. Ces deux figures de personnages inconscients, si l’on peut parler ainsi, n’accordent aucune importance aux mœurs, lois et coutumes de la société dans laquelle ils vivent parce que tout simplement ils refusent toutes les règles du jeu inventé par cette société. Ainsi, Camus dit dans L’étranger : « Peu de gens comprennent qu’il y a un refus qui n’a rien de commun avec le renoncement. Que signifient ici les mots d’avenir, de mieux-être, de situation? Que signifie le progrès du cœur ? Si je refuse obstinément tous les « plus tard » du monde c’est qu’il s’agit aussi bien de ne pas renoncer à ma richesse » .

Ces phrases paraissent bien en accord avec l’indifférence de Meursault qui refuse d’accepter la promotion que lui propose son patron parce qu’il trouve cela sans importance.

Peut-on trouver dans Le procès-verbal comme dans L’étranger une tentation de démonstration d’un personnage indifférent ? Ainsi pour dire que rien de ce qui est important ne préoccupait Adam, c’est-à-dire aucun domaine ou une question intellectuelle concernant la société. Il était convaincu que seule sa vie comptait et rien n’était important à ses yeux, d’où cette affirmation de Le Clézio : « La concentration d’esprit nécessaire à l’intuition de vivre, oui, de vivre tout seul dans son coin » .

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Table des matières

INTRODUCTION
Première Partie : Un contexte historique instable
Chapitre 1 : Le caractère atypique des personnages
1-1 : L’indifférence sociale
1-1-1 : Un personnage solitaire
1-1-2 : Le non-sens de la vie
1-2 : L’indifférence religieuse
1-2-1 : Un héros libre
1-2-2 : L’absence de foi
Chapitre 2 : La psychologie des personnages
2-1 : L’absurdité
2-1-1 : Un monde extatique
2-1-2 : L’obsession sensorielle
2-2 : L’errance
2-2-1 : La pauvreté du héros
2-2-2 : La révolte
Deuxième Partie : L’univers poétique
Chapitre 3 : L’architecture romanesque
3-1 : la spécificité de l’écriture
3-1-1 : Critique du langage
3-2 : Le tragique du discours
3-2 -1 : La vie de l’écriture
Chapitre 4 : Les procédés d’écriture de l’indifférence
4-1 : Les exagérations et les métaphores
4-1-1 : Technique de la description
4-2 : L’approche philosophique du discours
4-2-1 : L’écriture de l’imperfection
CONCLUSION

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