«Nous voulons que la pauvreté devienne un concept du passé». Pour un pays en voie de développement plus particulièrement, ce discours semble plus que familier. Les évocations de l’économie politique ainsi que ses divers postulats sont quotidiennement mis et encore remis à jour. Commerce équitable, allègement de la dette, étirement de l’aide internationale etc. Ces débats de fond sont incontestablement primordiaux pour une réduction à long terme de la pauvreté. Mais pour les trois milliards de personnes qui subsistent avec moins de deux dollars par jour, l’accès aux services financiers les plus élémentaires peut constituer un élément décisif de l’allègement de la pauvreté. Chez un grand nombre d’habitants des pays en voie de développement, c’est à dire la majorité de la population mondiale, les services financiers formels sont impénétrables. Très peu d’entre eux seulement peuvent jouir d’un compte épargne, d’un prêt ou d’un moyen aisé de transférer des fonds. Ceux qui réussissent, par exemple, à ouvrir un compte bancaire doivent souvent se contenter d’une moindre qualité de service.
L’inclusion financière selon l’approche classique
L’une des principales approches néolibérales favorables à la promotion de la croissance financière fut celle développée par McKinnon et Shaw (1973). Par la suite, elle sera renforcée par la théorie des coûts de transaction, déterminante sur la question de l’intégration financière des agents du secteur informel.
Les acquis de la promotion d’une croissance financière et le modèle néolibéral de la répression financière de McKinnon et Shaw
Selon McKinnon et Shaw l’incitation de la croissance financière, particulièrement micro-financière, est une composante essentielle de la croissance économique et donc du développement des pays pauvres. De ce fait, ils divergent par rapport au principe libéral traditionnel fondé sur une politique d’incitation à l’investissement. Rappelons que Keynes accorde un rôle essentiel à l’investissement en prônant la faiblesse des taux débiteurs obligée aux entreprises. Cette faiblesse limiterait le coût du crédit et assurerait une demande d’investissement élevée, l’investissement étant une composante de la demande globale. Un faible degré de développement économique est donc attribuable à une carence du taux d’accumulation du capital. La politique monétaire a pour but de faire baisser le taux d’intérêt qui est le coût du crédit, via une offre expansive de monnaie. La demande en biens d’investissements serait ainsi incitée. Toutefois, d’après les néolibéraux, cette politique d’origine keynésienne de l’expansion monétaire serait la cause de la faiblesse de l’épargne financière et du sous-développement financier, qui caractérisent les pays en voie de développement. Associée à une forte inflation produite principalement par un financement monétaire du budget de l’Etat, cette politique a proliféré des taux d’intérêt réels négatifs, découragé l’épargne et conduit à une allocation sous-optimale des ressources disponibles.
La théorie de la répression financière réside dans la problématique de la mobilisation de l’épargne intérieure en vue du développement économique. Elle réagit face à certaines mesures restrictives étatiques à l’exercice de l’activité financière au niveau d’ une économie.
Ces limitations concernent spécialement la fixation administrative des taux d’intérêt, la constitution des coefficients de réserve obligatoires, la régulation de la concurrence, ou encore le contrôle des changes. Les conséquences sont nombreuses. Par exemple, concernant la fixation des taux d’intérêts, la banque centrale pratique dans certains pays en voie de développement une politique sélective de crédit en privilège à des secteurs « prioritaires » en clouant les taux débiteurs à un moindre niveau pour l’ensemble de l’économie nationale.
En outre, les taux créditeurs, à cause de la répression financière, sont également plafonnés à des niveaux plus bas que les taux d’équilibre. Le besoin pour les médiateurs financiers de s’assurer une marge minimale les amène à rémunérer piteusement l’épargne quand elle est mobilisée. Les épargnants seront ensuite lassés à cause de la maigre rétribution qui leur est proposée. Ceci peut embarrasser la mobilisation de l’épargne par les institutions réglementées. Il est clair que dans ces situations de limitation des fonds prêtables, ces institutions rationnent le crédit. Les micro-entrepreneurs sont parmi les plus touchés par ce rationnement, une des raisons qui justifient l’utilité des institutions de microfinance à répondre à la répression financière, notamment par l’inclusion de tous dans les secteurs financiers. Nous pouvons prétendre que l’émergence et le développement de la micro-intermédiation n’est qu’une « émanation de la libéralisation financière » entreprise dans les pays en voie de développement et, de temps à autre, une réplique endogène critique à la politique de répression financière et aux plans d’aide qui favorisent une approche subventionnée du crédit par l’État, et qui se sont avérés un échec. Par exemple, à travers la pure nationalisation des Banques, la répression financière va de mainmise de l’État sur le système financier.
La théorie des coûts de transaction
En se référant à R. Coase, l’explication de l’existence de la firme dans l’économie conventionnelle réside dans les « coûts de l’utilisation du mécanisme des prix » ou les « coûts de fonctionnement d’un marché ». Ce sont des coûts qui portent sur la recherche des prix adéquats et sur la négociation de contrats séparés. Lorsque ces coûts sont élevés, un individu peut préférer de travailler dans une firme, se mettant intentionnellement sous l’autorité d’un entrepreneur plutôt que de vendre directement ses services ou ses produits sur le marché. Ainsi, « les transactions de marché sont éliminées et l’on substitue à la structure compliquée du marché et de ses transactions d’échange, l’entrepreneur coordinateur qui dirige la production. Il est clair que ce sont là des méthodes alternatives de coordination de la production» . La firme remplace dans ce cas le marché, permettant d’économiser les coûts de détermination des prix ; toutefois, avec la progression de la taille des firmes, un mouvement contraire d’augmentation des coûts de direction et de gestion se fera sentir. La firme s’explique donc par la capacité d’effectuer des transactions en interne.
Une « transaction » peut se décrire comme étant la spécification contractuelle d’une date et d’un lieu d’échange d’un bien particulier entre deux agents. Selon Williamson, la transaction produit des coûts qui justifient l’existence des entreprises au regard d’un marché qui suffirait en l’absence de tels coûts. En d’autres termes, la firme est plus efficace que le marché pour gérer certaines actions, par exemple lors d’un contrat de travail. Il est aussitôt important d’évoquer la nature et l’origine de ces coûts dits de transaction. En effet, ces coûts indiquent le prix de la mise en œuvre d’une transaction entre deux agents individuels ou collectifs. En général, des coûts de deux ordres sont reliés à une transaction :
– d’une part, des coûts ex-anté engagés pour la conception du contrat permettant le transfert des droits de propriété d’un individu à l’autre et qui sont des coûts primaires de nature juridique ;
– d’autre part, des coûts ex-post d’ajustement qui apparaissent après la signature du contrat, pour la correction des dérives soit par rapport à l’accord initial, soit par rapport à un autre accord jugé préférable. Ce qui explique l’idée de contrats, voire de marchés incomplets.
Par ailleurs, il est clair que tous les ménages d’une part, et toutes les entreprises d’autre part, ont besoin de services financiers. Or, les coûts de transaction semblent déterminants dans la décision de prêter à un montant aussi petit que ce qu’a besoin la majorité des particuliers et des entreprises. En effet, pour la banque, les coûts de transaction sont l’ensemble des frais qu’elle et le client ont à engager dans l’intervalle temporel séparant la formulation de la demande de services financiers et la réalisation de l’opération, hors coûts financiers, comme le taux d’intérêt. Si des coûts de transaction existent pour tous types de services financiers, ils sont particulièrement importants dans le cas de l’octroi d’un prêt :
❖Du côté de la banque, les coûts de transaction incluent les frais occasionnés par l’ouverture d’un dossier, l’étude du risque, le temps consacré à des entretiens avec l’emprunteur… Ces coûts sont en grande partie des coûts fixes, c’est-à-dire que leur montant n’est pas lié au montant du prêt. Or un petit prêt ne générera que des revenus d’intérêt modestes. Les petits prêts ne sont donc pas rentables pour une banque dont les procédures sont prévues pour des prêts de montants plus importants ;
❖Du côté du client, les coûts de transaction incluent la préparation des documents nécessaires pour une instruction de son prêt – documents souvent inexistants dans une économie informelle – les frais de dossier qui lui sont facturés, le coût des déplacements à la banque, souvent éloignée et, enfin, le coût d’opportunité du temps passé à demander son prêt et à attendre la réponse de la banque, un temps qu’il aurait pu employer à des activités rentables.
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Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
I. Revue de littérature sur les courants dominants relatifs à la micro-intermédiation et le développement
I-1. L’inclusion financière selon l’approche classique
I-1-1. Les acquis de la promotion d’une croissance financière et le modèle néolibéral de la répression financière de McKinnon et Shaw
I-1-2. La théorie des coûts de transaction
I-2. La théorie néokeynésienne et la micro-intermédiation financière
I-2-1. La théorie de l’asymétrie de l’information
I-2-2. Le modèle de Stiglitz et Weiss et le rationnement du crédit
I-3. La microfinance : une réponse au rationnement du crédit
I-3-1. La libéralisation financière par opposition à la répression financière et l’exclusion du marché du crédit
I-3-2. L’importance des marchés financiers informels
II. Microfinance, intégration financière et économies en développement
I-1. Le microfinancement: une pratique appropriée à des besoins essentiels
I-1-1. Une immense demande insatiable et la réplique à cette demande : les institutions financières « de détail »
I-1-2. La portée de la microfinance
I-2. Les bases pour la construction de systèmes financiers inclusifs
I-2-1. Les facteurs limitant l’accès aux services financiers formels
I-2-2. L’intégration progressive des services financiers destinés aux pauvres dans le système financier général des pays en voie de développement
I-3. L’accessibilité financière : porteuse de dynamisme économique ?
I-3-1. L’inclusion financière et les défis fondamentaux à relever
I-3-2. Les problèmes relevant de l’économie politique : rarement définitivement résolus
CONCLUSION GENERALE
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
WEBOGRAPHIE