L’inclusion dans la ville des personnes en fragilité psychique vieillissantes

Avant les années 1960, les espaces de vie des personnes en fragilité psychique étaient le plus souvent limités aux murs de l’asile ou de l’hôpital psychiatrique. La politique de sectorisation, mise en place après la Seconde Guerre mondiale, visait alors à rompre avec cette logique de mise à l’écart . La sectorisation correspond à la fermeture de lits d’hôpitaux psychiatriques et à la mise en place de structures ambulatoires de soins directement implantées dans la ville. Les implications sur la vie quotidienne des patients ont été considérées comme majeures, puisque leur prise en charge se déroule désormais au sein de leur milieu de vie et non plus uniquement à l’hôpital. Néanmoins, suffit-il d’être présent dans la ville pour y être et s’y sentir inclus ? Aujourd’hui la grande majorité des personnes en fragilité psychique vivent et vieillissent dans la ville, comme tout un chacun. Mais peut-on affirmer pour autant qu’elles y trouvent leur place ? Ont-elles véritablement droit de cité ? La présente recherche s’intéresse aux personnes en fragilité psychique non pas parce qu’elles fréquentent des services de psychiatrie, mais parce qu’elles sont des habitantes de la ville. Dit autrement, ce ne sont pas les manières d’être patient qui constituent l’objet d’étude, mais bien les manières de vivre avec et dans la ville quand on est une personne en fragilité psychique qui vieillit.

Vieillissement, santé mentale et population d’étude, des repères théoriques

Regard sur le vieillissement

Le vieillissement fait l’objet d’au moins autant de définitions qu’il existe de champs de recherche. Les sciences sociales n’étudient pas le vieillissement de la même manière que la médecine par exemple. Cette première section vise à préciser la manière dont le vieillissement est envisagé dans cette thèse.

Le vieillissement comme processus construit, pluriel et multidimensionnel 

Précisions sur l’approche en gérontologie sociale
Cette thèse s’appuie majoritairement sur des recherches menées en géographie sociale sur les personnes âgées (Bigo, 2015 ; Bigo et Séchet, 2016 ; Chaudet, 2009 ; Hallier Nader, 2011 ; Pihet, 2006 ; Plard, 2012, etc.) et sur des travaux issus de la sociologie du vieillissement (Caradec, 2001, 2009 ; Clément et al, 1996 ; Hummel et al, 2014 ; Mallon, 2004, etc.). Mais mon regard a aussi été largement nourri par mes séjours au Québec au sein de l’équipe VIES et du CREGES, qui regroupent des chercheurs issus de différentes disciplines (géographie, sociologie, anthropologie, travail social, psychologie, sciences politiques, etc.) se retrouvant au sein d’une même approche, celle de la gérontologie sociale (Billette et al, 2012b ; Charpentier et al, 2010 ; Phillipson, 2007 ; Rowles, 1978, 1983 ; Scharf et Keating, 2012, etc.).

Ces différents champs de recherche et disciplines ont en commun de penser le vieillissement comme un processus pluriel et multidimensionnel, qui est à la fois biologique, physique, social, culturel, économique et politique. Les chercheurs s’entendent sur le fait que le vieillissement est un objet complexe, qui s’appréhende à plusieurs échelles imbriquées les unes dans les autres. Il s’agit d’une réalité démographique qui pose de nombreux défis, tant à l’échelle mondiale que locale, en particulier concernant la manière dont nos sociétés vont pouvoir répondre aux besoins des individus vieillissants et âgés. Les estimations de l’OMS indiquent que le nombre de personnes de 60 ans et plus devrait passer de 900 millions en 2015 à 2 milliards d’ici 2050. En France, une personne sur trois aura plus de 60 ans en 2050 selon l’INSEE . Mais s’il est un processus collectif, le vieillissement peut également être appréhendé à une échelle bien plus micro, celle de l’individu, car il est aussi une expérience individuelle qui peut modifier le rapport de l’individu à son milieu de vie, de manière différenciée selon la combinaison entre le vécu, les caractéristiques personnelles et les contextes.

Une volonté affichée de transformation sociale 

Les réflexions menées au sein des différents champs de recherche et disciplines se rejoignent sur de nombreux points (notamment l’attention portée aux parcours de vie et aux contextes locaux), qui seront exposés un peu plus loin. Mais avant, il faut rappeler quelques particularités de la gérontologie sociale, car c’est une approche assez peu implantée en France. Moulaert (2012) précise même que c’est souvent « avec prudence » que le terme de gérontologie y est utilisé, les chercheurs préférant en général se définir par leur discipline suivie du mot « vieillissement » (par exemple : sociologie du vieillissement). Ce n’est pas le cas au Québec, où plusieurs centres de recherche et d’expertise et équipes de recherche telle que celle où j’ai effectué une partie de mon doctorat affichent clairement leur rattachement à la gérontologie sociale. Ces centres ont la particularité d’associer des chercheurs issus de disciplines différentes avec des professionnels de terrain, et proposent d’allier recherche scientifique et intervention dans les milieux de pratique (Moulaert, 2012). Cette multiplicité des entrées vise à offrir une lecture riche et transversale de cet objet complexe qu’est le vieillissement.

Charpentier et al proposent de définir la gérontologie sociale comme « l’étude des différentes dimensions et enjeux sociaux liés au vieillissement. Ce domaine de recherche, qui se situe dans le champ des sciences humaines et sociales, s’inscrit pour nous [membres du CREGES] dans un paradigme plus critique et vise à établir comment la société influence le processus de vieillissement et comment celui-ci, à son tour, influence la société » (2010 :31). En gérontologie sociale, il n’est pas rare que les chercheurs affichent leur volonté de contribuer par leurs travaux aux transformations sociales et à l’émancipation des aînés (Phillipson et Walker, 1987 ; Bernard et Scharf, 2007 ; Grenier, 2012 ; Biggs et al, 2003 ; Charpentier et al, 2010). L’équipe VIES s’inscrit dans une posture similaire en marquant l’importance qu’elle accorde à la pertinence sociale de ses recherches. Elle se définit comme suit : « l’équipe croit fermement à l’importance de concevoir les aînés comme des acteurs de leur vieillissement, de mettre en lumière leurs paroles et leurs gestes, leurs capacités, leurs contributions, ainsi que leurs besoins et leurs difficultés. Cette perspective tend à éviter le piège de voir les aînés comme objets de recherche passifs ou uniquement comme êtres de besoins, dépendants des politiques et des services. […] L’équipe met en œuvre des projets ayant pour objectif de trouver les moyens et les pistes d’action pour favoriser une réelle inclusion sociale des personnes âgées et, par conséquent, améliorer leurs conditions de vie » (Séguin et al, 2015 : 3-5). C’est dans cette lignée que se situe cette recherche doctorale.

Le recours à la notion d’exclusion sociale

Pour répondre à cet engagement social et politique, plusieurs chercheurs en gérontologie sociale, tant dans la littérature francophone qu’anglophone, mobilisent largement la notion d’exclusion sociale pour documenter les situations de vie des aînés (Billette et al, 2012ab, Cann et Dean, 2009 ; Charpentier et al, 2010 ; Kneale, 2012 ; Scharf et Keating, 2012 ; Scharf et al., 2005 ; Walsh et al, 2017), ce concept étant considéré comme un « révélateur des dynamiques sociales, des rapports de pouvoir, des inégalités et des fondements de l’être-ensemble contemporain » (Billette et Lavoie, 2010 :2). Charpentier et al (2010) rappellent que les inégalités ne disparaissent pas avec l’âge et que la précarité économique et sociale exacerbe les problèmes quotidiens du vieillissement, en particulier pour les personnes âgées vivant seules. En France, si statistiquement les personnes âgées semblent moins touchées par la pauvreté que les personnes d’âge actif, les organisations caritatives font état depuis plusieurs années d’un vieillissement de leur public. Le Secours populaire français indique que le nombre de personnes âgées de 60 ans et plus accueillies par l’association est passé de 165 644 en 2010 à 246 000 en 2016. Dans son 11e baromètre sur la pauvreté en France (Ipsos et SPF , 2017 ; SPF, 2017), l’association s’inquiète du nombre important de personnes âgées, en particulier des femmes, vivant encore en dessous du seuil de pauvreté (1 015 euros à 60 % du revenu médian en 2017).

Plus d’un demi-million de personnes bénéficient en effet d’allocations du minimum vieillesse (soit 803 euros par mois pour une personne seule au 1er avril 2017), parmi lesquelles plus de 55% sont des femmes (INSEE, 2015). Une récente étude de la DREES (Arnold et Barthélémy, 2014) dresse le panorama des difficultés rencontrées par ces personnes. On y apprend que ces allocataires ont un parcours professionnel bien plus marqué par des périodes de chômage et d’inactivité que l’ensemble des personnes de plus de 60 ans. Plus de la moitié ont commencé à percevoir l’allocation avant 65 ans, ce qui n’est possible qu’en cas d’invalidité ou d’inaptitude au travail. Avant de devenir bénéficiaire, 27% des allocataires touchaient l’AAH ou recevaient une pension d’invalidité ou de longue maladie . Comme le soulignent les auteurs de l’étude, ces chiffres sont un indice des modestes ressources dont ces personnes ont pu disposer au cours de leur vie.

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Table des matières

Introduction générale
PARTIE I : Environnement de recherche
Introduction de la partie I
Chapitre 1 – Vieillissement, santé mentale et population d’étude, des repères théoriques
Chapitre 2 – Problématisation et approche
Chapitre 3 – La démarche méthodologique
Conclusion de la partie I
PARTIE II : Des géographies quotidiennes oscillant entre prises et manque de prises, marquées par un sentiment mitigé d’appropriation des espaces
Introduction de la partie II
Chapitre 4 – L’analyse des lieux du quotidien : une première lecture des modalités d’appropriation de la ville
Chapitre 5 – Vivre avec et parmi les autres dans la ville ?
Chapitre 6 – Pratiques et expériences de loisirs dans la ville
Chapitre 7 – « Chez moi, je me sens bien sans me sentir bien » – l’appropriation du chez soi
Conclusion de la partie II
PARTIE III : Le GEM, une association qui aide à retrouver prise sur la ville
Introduction de la partie III
Chapitre 8 – Offrir un espace-ressource dans la ville
Chapitre 9 – Des géographies individuelles aux pratiques collectives : s’ouvrir et agir sur la ville par l’intermédiaire du GEM
Conclusion de la partie III
Conclusion générale
Bibliographie

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