La définition même de l’incarcération du parent dans un établissement pénitentiaire fermé est en contradiction avec la notion d’intérêt de l’enfant. En effet, les psychanalystes ont établi depuis longtemps qu’un enfant a besoin de ses deux parents pour se construire (Bastard & al, 2003 : p.96). L’enfant n’est pas pris en considération et son avis n’est pas pris en compte lorsque la société choisit de pénaliser un parent, de le placer en détention et de ce fait, de l’éloigner physiquement de son enfant. Cependant, dans les situations ou le parent représente un danger pour l’enfant, une incarcération peut être préférable pour l’enfant, et l’éloignement va dans son intérêt. C’est le cas des parents abuseurs ou violents par exemple. Néanmoins, l’incarcération a inévitablement des conséquences sur le détenu parent, mais affecte également les proches, et tout particulièrement les enfants.
Les effets de la détention
Si la sanction ne s’adresse officiellement qu’au détenu, tout l’entourage est concerné par une mise en détention d’un proche. Au niveau social, lorsqu’un parent est incarcéré, le réseau du détenu se voit disloqué. Les liens familiaux en particulier traversent cette épreuve avec beaucoup de difficultés. Les relations qu’entretenaient les détenus avec le monde extérieur sont brisées, ou du moins bouleversées en profondeur. La honte liée à l‘incarcération affecte le détenu et ses proches, qui risquent de s’isoler de leur réseau social. Si la prison éloigne physiquement le détenu de ses proches, elle réduit également de manière considérable les moyens de communication. En effet, le téléphone, internet et tous les nouveaux modes de communication sont très restreint, surtout en détention préventive, c’est-à-dire avant le jugement. Les proches sont donc privés de la liberté qu’ils avaient de voir mais également de communiquer avec le détenu.
Du point de vue économique, la famille est privée du salaire, parfois unique et indispensable source de revenu du parent incarcéré. Les risques de précarisation sont considérables. Cela implique une réorganisation totale du mode de fonctionnement économique de la famille (Schekter, 2009).
Enfin, la détention peut avoir des répercussions psychologiques non négligeables sur les proches de détenus : Le stress, les secrets ou encore les conflits de loyauté risquent de compromettre le bien-être psychologique des familles et proches de détenus, allant jusqu’à provoquer des symptômes anxieux et dépressifs notamment (Schekter, 2009).
Les conséquences pour l’enfant
Ces séparations, souvent soudaines, brutales et non préparées peuvent avoir des conséquences sur le développement affectif, intellectuel et social des enfants (Bastard & al, 2003). Selon Bouregba (2014), « l’impact émotionnel de l’incarcération d’un parent sur son enfant est certain » (p.8). Pourtant, il nuance en affirmant que si l’incarcération expose l’enfant à des risques de perturbations psychologiques, on ne peut affirmer qu’elle est un facteur déterminant de trouble chez l’enfant. En effet, les sentiments et émotions que vivent ces enfants ne sont pas nécessairement pathogènes. Bouregba (2016) explique par ailleurs que l’enfant ne se sent pas nécessairement mal lorsque son parent est incarcéré, mais que la relation est troublée par le cadre stricte qu’impose la détention.
L’incarcération d’un parent (Bastard & al, 2003) provoque des effets qui dépendent de nombreux paramètres : l’âge de l’enfant, la qualité de son lien avec son parent avant la détention, le délit ou crime qui est à son origine, etc. Néanmoins, il est avéré que dans de nombreux cas, la rupture soudaine est vécue comme un événement traumatique pour l’enfant. Des observations cliniques prouvent que « certaines ruptures des liens enfants parents, compromettant la capacité de l’enfant à ériger en lui une représentation stable et continue du monde et de soi, entravent son développement » (Bouregba, 2002 : p.7). Les risques de ces séparations sont de compromettre les compétences des enfants à supporter les séparations futures. (p.8) « Grandir, c’est intérioriser ses objets d’attachement au point de pouvoir supporter qu’ils s’éloignent » (Schekter, 2009 : p.93). L’individualisation progresse avec l’âge et permet aux enfants de mieux supporter les séparations. En outre, « si une séparation est vécue comme un traumatisme, elle va entraver le développement de l’enfant » (Schekter, 2009 : p.93). Cela pourra se traduire ensuite par une impression d’immaturité et de fragilité affective.
La maturité psycho-affective de l’enfant sera donc mise en danger. Cette problématique de rupture des liens liée à la détention relève ainsi de la santé publique des enfants.
De plus, la situation de détention ainsi que ses origines sont dans de très nombreux cas cachés aux enfants : en effet, les parents ou les proches estiment qu’il est préférable de ne pas dire la vérité au sujet de l’absence du parent détenu à leur(s) enfant(s). Selon Ricordeau (2008), la dissimulation de l’incarcération se justifie notamment par le désir de maintenir une image positive du parent détenu, mais également par la peur que l’enfant rejette son parent. La crainte qu’il ne le répète à l’école, au voisinage ou à la famille, la crainte de ne pas trouver les mots, la conviction de l’innocence du parent ou encore la peur de choquer et perturber son enfant sont autant de raisons qui poussent les familles à ne pas être transparentes sur ces situations. S’ils partent d’une bonne intention, malheureusement ces mensonges ne sont pas bénéfiques pour l’enfant : cela peut créer chez lui de graves perturbations psychiques (Bastard & al, 2003). D’une part, l’enfant peut imaginer que c’est de sa faute et d’autre part, il risque de perdre la confiance qu’il porte aux adultes lorsque plus tard il apprendra la vérité. Il peut également penser que son parent ne l’aime plus : « Si papa est au travail, pourquoi il ne vient pas me voir à mon anniversaire ? » Ou encore imaginer le pire pour son parent. « S’il ne répond plus à son téléphone, peut-être qu’il est très malade ou qu’il est mort ? » C’est également trahir une partie de son histoire que de travestir la réalité.
Si la position des professionnels est d’orienter les familles à dire la vérité, il ne s’agit pas forcément de tout dire et les intervenants sont là pour aider les parents à trouver des mots adaptés à l’âge de l’enfant. Le droit à l’information des enfants (art. 17 CDE) se confronte au droit qu’ont les parents de garder secret des éléments de leur histoire. Bourgeba (2014) encourage les professionnels du Relais Parent Enfant à respecter ce choix, tout en les informant des conséquences de ces dissimulations. Il faut soutenir le parent et l’aider à trouver les ressources pour dire lui-même où il se trouve (Bouregba, 2016). Il conseille également aux accompagnants de ne pas être complices du mensonge, et de ne pas induire l’enfant en erreur. Les informations données aux enfants doivent être en accord avec son âge et son degré de maturité. Les mots doivent être choisis avec finesse. Un enfant de 4 ans est apte à appréhender le mot bêtise, alors qu’on peut parler d’acte interdit pour un enfant plus âgé (Bastard & al, 2003). De même, en ce qui concerne l’infraction, il n’est pas nécessaire de donner tous les détails dès le plus jeune âge, mais de répondre aux questions de l’enfant en lui donnant quelques éléments, sans pour autant le choquer. « Les questions des enfants sur la prison et/ou les crimes et/ou délits sont particulièrement difficiles pour les parents. D’abord, il y a un âge pour le dire. Il faut ensuite trouver la bonne version et la juste mesure (savoir en dire assez et éviter d’en dire trop), car certains actes sont particulièrement difficiles à expliquer » (Ricordeau, 2008 : p.131). Cette finesse dans l’explication que Ricordeau préconise d’un point de vue objectif et distant peut s’avérer particulièrement difficile à appliquer quand on est soi-même confronté directement à la situation.
Bien que ces situations soient difficiles à vivre pour l’entourage, il est nécessaire de mentionner que l’incarcération suit généralement une période ou un acte délictueux qui avait également un impact sur les familles. Ainsi, les proches et notamment les enfants peuvent parfois ressentir une forme de soulagement au moment de la mise en détention de leur parent (Bastard & al, 2003) .
Le paradoxe de la prison et l’instrumentalisation
Les prisons ont deux devoirs envers la société : la sanction et la réinsertion des personnes en conflit avec la loi (Touraut, 2012). Le premier mandat pousse le délinquant à être éloigné le plus loin possible de son milieu afin de protéger la société et de punir le délinquant. Inversement, le second objectif passe par le maintien des liens avec ses proches. La prison a pour délicate mission de trouver un équilibre entre ces deux objectifs de sens opposés. En effet, si on a vu que la rupture du lien avait des conséquences dramatiques pour l’enfant, la rupture du lien familial peut également être dommageable à la société : un détenu ayant perdu tout contact avec sa famille aura bien plus de peine à se réinsérer, et est dès lors plus enclin à récidiver, au détriment de la société. Cette constatation est problématique selon le rapport « enfants de parents détenus » (Eurochips, 2011). En effet, le lien familial est encouragé à des fins de réinsertion du détenu, et de non–récidive, et occulte les intérêts des enfants. Le risque est l’instrumentalisation de l’enfant, lorsque celui-ci est assimilé à un facteur de socialisation de son parent (Bouregba, 2014). Les détenus qui ont des liens familiaux solides obtiendront plus facilement des sorties, des libertés conditionnelles, un transfert dans une prison proche de leur famille ainsi qu’une meilleure image au sein de la prison. Dans cet objectif, le détenu peut avoir la volonté de maintenir un lien avec son enfant pour des motifs personnels qui ne prennent pas en considération l’intérêt de l’enfant.
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Table des matières
Introduction
1.L’incarcération d’un parent
1.1 Les effets de la détention
1.2 Les conséquences pour l’enfant
1.3 Le paradoxe de la prison et l’instrumentalisation
1.4 Le maintien du lien
1.5 Les visites en prison
2.Le nouveau statut de l’enfant
2.1 La Convention internationale des Droits de l’Enfant
2.2 L’intérêt supérieur de l’enfant
2.3 L’accès à l’information
2.4 L’audition de l’enfant
2.5 Les bienfaits de la participation
2.6 La mise en œuvre de la Convention
2.6.1 La situation en Suisse
2.6.2 Un âge pour être entendu
2.6.3 Les enfants marginalisés
2.6.4 Les recommandations du Comité
3.Les capabilités et les droits de l’enfant
3.1 Les capabilités
3.2 Les facteurs de conversion
3.3 Les comportements effectifs
3.4 Les droits de l’enfant en termes de capabilités
4.Travail empirique
4.1 Méthodologie
4.2 Autorisations
4.2.1 Demande d’autorisation aux parents
4.2.2 Demande d’autorisation aux enfants
4.3 Les familles
4.4 Les biais et limites de l’analyse
4.5 Les types de participation
a) La volonté d’aller en visite
b) Les modalités des visites
c) Le déroulement des visites
d) Le maintien du lien en dehors des visites
e) L’expression de la colère
f) Les humeurs et le langage non verbal
g) Le contact affectif
h) Les questions
4.6 Les facteurs de conversion
a) La dimension de la prison
b) La dimension de l’enfant
c) La dimension du parent hébergeant
d) La dimension du parent détenu
e) La dimension de la Fondation REPR
5.Une approche systémique
6.Une participation au sens large
Conclusion
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