Définition et importance de l’objet de recherche
Improviser, de son origine latine improvisus – imprévu, représente la capacité de répondre instantanément à une situation inattendue. Adapté au monde du théâtre, l’improvisation consiste en la création spontanée et le jeu en direct d’une histoire,d’une tranche de vie ou d’une situation souvent loufoque. Durant les spectacles, les acteurs sont ainsi amenés à improviser une scène sur un thème qui leur était jusqu’ici inconnu. Seuls ou à plusieurs, ils devront alors traiter le sujet en interprétant l’histoire tout en l’inventant au fur et à mesure. Les acteurs assument alors l’ensemble des rôles : auteur, metteur en scène et comédien. Les longues réflexions,les corrections et les répétitions sont par conséquent impossibles. Tout se joue sur l’instant.Cependant, comme un jazzman doit savoir manier l’instrument avant d’improviser un morceau, l’acteur doit apprendre les bases de l’improvisation théâtrale avant de pouvoir se lancer sur scène. Ainsi, comme le définit Michel Bernard (1977, cité par Ryngaert, 2010, p.39): « Improviser (…), c’est composer, exécuter ou faire dans l’instant, dans l’immédiat, quelque chose d’imprévu, de non préparé, étant bien entendu que cette absence même de préparation peut être elle-même préparée, préméditée ». C’est pourquoi nous nous intéressons ici non pas tant au résultat (soit aux diverses formes de spectacle), mais au chemin qui y mène puisque c’est durant celui-ci que le travail est réalisé, que l’apprenant est amené à découvrir les piliers de l’improvisation théâtrale, à se lancer une première fois. C’est à travers des cours réguliers que le jeune improvisateur pourra faire ses premières expériences en ayant cependant la possibilité de le faire dans un cadre spécifique (avec un animateur et entre improvisateurs) et sans le regard et le jugement d’un public. Recevant ainsi des conseils avisés, le novice pourra partager son expérience et ses impressions en toute sécurité et intimité.En effet, les comédiens ne sont pas lancés sous les projecteurs sans support ni préparation. Les improvisateurs participent au contraire à des rencontres régulières,professionnelles ou amateurs, pour approcher, entrainer et assimiler les bases de l’improvisation. Il existe à cet effet un panel d’exercices aussi variés qu’étonnants. On peut ainsi observer, si la chance nous le permet, au détour d’une rue, dans une salle simple, presque vide, des individus, tout sexe et de tout âge confondus, s’adonnant à de drôles de processions, rampant tantôt parterre, hurlant un hymne aux hirondelles ou glapissant dans un coin, visiblement soumis à un maître immatériel. On prendrait facilement cette troupe d’énergumènes pour des fous, au mieux pour de grands excentriques qui ont décidé de laisser libre cours à leurs divagations, et ce, sans retenue aucune. Et pourtant, il se passe dans cette salle tout un processus de création, d’écoute et de partage que personne ne soupçonne. En ces lieux, et contre toute apparence, on travaille intensément. En effet, il s’agit durant ces cours, non seulement de découvrir les techniques et astuces pour que les improvisations se déroulent au mieux, d’approcher des aspects très théoriques et propres à cette pratique (phases d’une improvisation, catégories, genre, schéma narratif, etc.), mais aussi, et surtout, de travailler sur les piliers de l’improvisation théâtrale qui ne sont autre que « l’écoute, l’énergie, l’éthique et l’esthétique » (Pineault, 2004, p.44). Les quatre grands E. Pris en main par des professionnels ou des improvisateurs rodés à cet art, les amateurs pourront découvrir progressivement comment manier leur corps. On leur apprendra à lui donner forme, à le moduler à l’infini pour créer tout type de personnage, pour transmettre mille sentiments, pour enfin analyser les caractéristiques comportementales qui sont propres à notre société.Vient ensuite l’apprivoisement de la voix. Par des sons, du charabia qui progressivement et sous différentes teintes, se transformeront en mots et en phrases, l’improvisateur pourra finalement construire librement dialogue et histoires.Maître de son corps et de sa voix, l’apprenti sera alors amené à domestiquer son esprit, à apprendre à vivre avec, à le comprendre et le développer pour qu’il puisse librement révéler l’entier de son potentiel imaginatif.Mais le travail ne s’arrête pas là. Au delà du cheminement que chaque improvisateur réalisera, ceux-ci seront amenés en parallèle à constamment communiquer,collaborer et écouter pleinement les autres, sans quoi les caractères s’entrechoqueront, les idées s’emmêleront et l’histoire avortera.L’improvisation aspire alors à la formation de personnes bien dans leur corps, dans leur tête et en société.N’est-ce pas là aussi l’ambition de l’École ? En effet, la scolarité d’hier et d’aujourd’hui défendent qu’elles ne forment pas que des cerveaux, mais des citoyens. Or, on peut justement retrouver les principes cités plus haut dans les finalités de la CIIP1. Cette conférence de l’instruction publique réuni les Conseillers, Conseillères d’État et Ministre de l’Éducation des cantons de Berne, Fribourg, Genève, Jura, Neuchâtel, Tessin, Valais et Vaud. Ensemble, ils s’accordent sur les valeurs que doit transmettre l’école. Ainsi, ils prônent entre autres le travail autour de la communication (écoute), une éducation au sport, au mouvement et à la santé (énergie), une recherche de l’acceptation des différences (éthique) et un enseignement aux arts (esthétique). Ainsi se rejoignent une première fois l’improvisation théâtrale et l’école.
Fondements méthodologiques
Pour tenter de démontrer le bienfondé de ce projet et ainsi comprendre en quoi l’improvisation peut être un outil pour les Capacités transversales, il me faudra fortement m’appuyer sur la pratique (entretien et experimentations) pour prouver non seulement que l’improvisation est accessible à tous, facile à mettre en place, mais surtout très bénéfique.Pour ce faire, les outils de recueil de données et d’analyses des résultats d’une approche qualitative semblent les plus adaptés à un tel sujet. En effet, pour répondre à ma question de recherche, il s’agira pour moi de récolter les comportements et les opinions d’un public cible tout en les mettant en résonnance avec mes propres expériences personnelles et professionnelles. Ainsi je ferai appel aux vécus et aux témoignages de certaines personnes ayant un rapport direct à l’enseignement ou à l’improvisation théâtrale, mais je la pratiquerai également moi-même avec mes potentielles futures classes si le contexte me le permet.Cependant, l’improvisation théâtrale étant jusqu’alors trop peu représentée dans les classes suisses, je ne peux que premièrement formuler l’hypothèse que ce projet est réalisable et bel et bien avantageux. Les recherches théoriques effectuées dans le cadre conceptuel m’ont apporté quelques témoignages de ligues d’improvisation ayant pratiqué l’improvisation théâtrale. Malheureusement, ceux-ci ne sont plus suffisamment actuels et sont surtout soumis à l’organisation politique et scolaire d’autres pays. Si l’on peut donc s’inspirer de leur travail et des résultats constatés, il est cependant impossible de l’associer à l’agencement de la scolarisation suisse actuelle. Par conséquent, si j’ai trouvé dans la théorie un support suffisamment solide pour affirmer que l’improvisation théâtrale peut apporter de nombreux bénéfices au monde scolaire, je ne peux que supposer que celle-ci développe bel et bien les Capacités transversales. C’est la suite de ma recherche qui tentera de remettre en question cette supposition de départ et donc de la contredire ou au contraire prouver que celle-ci est plausible.Dans une approche donc hypothético-déductive, et après avoir réalisé que les auteurs (Pineault, Taïeb, Tournier, Imagin’action) viennent globalement appuyer mon hypothèse, il s’agira de démontrer sa faisabilité dans la pratique en faisant appel à des témoignages ciblés, des expériences personnelles et à un solide choix d’exemples. En prenant en compte le vécu des personnes concernées, en créeantun recueil d’exercices que je testerai ensuite en classe, je pourrai ainsi définir clairement en quoi et comment l’improvisation théâtrale peut être avantageux pour les écoles.Il s’agira alors de constater en quoi la théorie et la pratique se rejoignent et divergent pour tenter de conclure sur la réelle utilité de l’improvisation pour développer les Capacités transversales. Mais ma recherche ne doit pas s’arrêter là. Une fois ce constat effectué, il sera dès lors nécessaire d’ouvrir concrètement les portes des écoles à l’improvisation théâtrale en démontrant comment mettre en place un telprojet. De cette manière, j’irai au-delà de la théorie et du cadre conceptuel pour offrir une réalité pratique à ce travail de mémoire.Je chercherai donc, par une démarche descriptive, à expliquer aux enseignants potentiellement intéressés comment faire appel concrètement à l’improvisation théâtrale.Les rencontres effectuées représenteront alors une riche source de conseils et d’expériences diverses. En m’appuyant sur ces témoignages, je pourrai constater les difficultés que ces enseignants et professionnels ont rencontrées dans leur utilisation de l’improvisation théâtrale dans leurs classes. Ils pourront non seulement exemplifier leurs propos, mais aussi dépeindre leurs erreurs et réussites. Ainsi, inspirée par ces apports, je pourrai considérer la faisabilité de mon projet sous un autre angle et me permettre de tirer pleinement profit de leurs expériences.
Capacités transversales et école
Le but de ma recherche n’est pas uniquement de démontrer que l’improvisation théâtrale peut servir au monde scolaire, mais aussi qu’elle permet particulièrement de développer les Capacités transversales du Plan d’Études romand. En les interrogeant, tous les improvisateurs, comédiens et enseignants ont répondu par l’affirmative quand je leur demandais si cette pratique répondait bel et bien aux attentes déclinées dans le PER. D’accord, chacun a cependant développé un point qui lui semblait particulièrement cultivé par l’improvisation. « Donc, il y a l’axe du groupe et l’axe de soi-même. Il n’y en a pas un qui vient avant (…) il y a simplement la notion de regarder l’autre, le laisser montrer son travail sansintervenir, être un spectateur correct, mais ça veut dire dans la vie, savoir écouter l’autre, le respecter. (…)Donc il y a une histoire de respect, d’écoute, de confiance, parce que celui qui est sur la scène très souvent a un peu la trouille, il n’a jamais fait ou il est timide, donc il faut qu’il puisse avoir confiance dans le regard des autres enfants, pour oser se lâcher, pour oser faire des personnages qui ne sont pas lui, des sentiments qui ne sont pas les siens. » (Major) Deux axes donc, celui de l’individu et du groupe. Le premier qui demande unerecherche approfondie sur les notions d’estime de soi, de prise de confiance, de timidité et de créativité. « Un lien très important au niveau du développement individuel des enfants. Les enfants timides, qui doivent absolument vaincre cette timidité et ça peut leur être d’un apport énorme pour la suite. Et pour ceux qui le sont moins, au niveau créatif, au niveau personnel, au niveau de leur conception. (Enseignant 1) « Les amener à se libérer, déjà. Parce quand on a peur du regard des autres, l’improvisation permet petit à petit de les diriger sur cette voie-là » (Enseignant 1) Puis l’axe de l’individu dans un groupe qui doit tenter de se faire sa place sans s’imposer, écouter, parler et se taire, savoir alterner les prises de contrôles et les lâcher-prises. Et par ce biais toutes les notions de prises de risque, de peur du ridicule, mais aussi prise de responsabilité pour définir ensemble comment le groupe doit agir, chacun apportant ses idées et son caractère. » Dans le PER et dans la pédagogie socioconstructiviste, on s’efforce de les faire travailler en groupe, mais en fait on travaille très rarement sur les processus de construction et d’écoute dans le groupe. Comment est-ce qu’il y a un leader qui émerge, comment est-ce qu’on respecte les leaders, est-ce qu’on gère les propositions, comment on s’inspire ou on se co-inspire. » (Richardet) Mais ils ont aussi relevé le travail considérable effectué autour du corps, de la prise de conscience de la place qu’il prend dans l’espace et comment on se meut, on s’exprime et on écoute avec l’ensemble de nos sens. Par ce biais, tout un cheminement doit être fait quant au paraverbal et au non-verbal, deux langages dont les élèves n’ont pas encore réellement conscience, mais qui participent activement à la communication. Ainsi les attitudes, l’expression orale, mais aussi les sentiments, les émotions sont parallèlement approchées pour mieux comprendre la complexité des expressions humaines.Et finalement bien sûr, l’improvisation est aussi une merveilleuse source de stimulation, de révélation de l’imagination et de la créativité. » En impro, on est toujours en situation de brainstorming et de génération d’idées,donc là j’imagine que par rapport à la spontanéité, à l’imagination et la créativité, avec des exercices tout simples, on peut très vite montrer à l’élève qu’il a tout autant d’idée, que tout le monde est plus ou moins égal par rapport à la génération d’idée et à la qualité de créativité. » (Richardet) « Oui, capacité à faire des liens aussi. Dans l’impro la créativité c’est même ça, c’est justement pouvoir lier les choses, deux propositions qui n’ont rien à voir, comment est-ce qu’on les lie. » (Richardet)
Formation des enseignants
L’une de mes principales craintes quant à la pertinence de l’introduction de l’improvisation théâtrale dans les écoles primaires était celle de savoir si les enseignants qui ne pratiquent pas eux-mêmes l’improvisation seraient à même de l’enseigner. Sur ce point, les improvisateurs que j’ai pu questionner se rejoignent une fois de plus, en nuançant cependant leurs propos.La plupart sont d’accord pour définir qu’il n’est pas vital que l’enseignant pratique lui même l’improvisation théâtrale. « Je pense que oui, dans la mesure où, d’une manière ou d’une autre, il comprend le mécanisme. Il n’y a pas besoin d’être un bon improvisateur pour donner de bons cours d’impro. (…) il n’y a aucun enseignant qui est spécialiste dans toutes les branches qu’il enseigne. Par contre, il est censé être spécialiste en pédagogie donc il arrive à transmettre ce qu’il faut. S’il a compris le fond de l’intérêt, le pourquoi d’un exercice, je pense qu’il n’y a pas de raison qu’il n’arrive pas à le donner. » (Enseignant 2) Ma volonté de créer un programme clé en main correspondrait donc à la réalité décrite ici. Comme dans toute matière, il faudra cependant que les objectifs soient clairement définis.Il faut aussi relever un point que mes entretiens ont mis en lumière : le but de cettedémarche n’est pas d’imposer l’improvisation théâtrale aux enseignants et donc l’inscrire comme une discipline à part entière, mais au contraire de la proposer comme des interventions que l’enseignant décide ou non de réaliser dans sa classe. La constitution de ces séquences vise donc à créer un outil d’intervention pédagogique, ici pour travailler en particulier les Capacités transversales demandées dans le Plan d’Étude romand.Cet outil serait donc à disposition des enseignants qui désirent développer tout particulièrement ces Capacités transversales d’une manière innovante et ludique ou simplement de pratiquer cette forme théâtrale avec leurs élèves. L’enseignant devrait donc être non seulement intéressé par le projet, mais aussi soucieux de son utilité (et non pas faire de l’improvisation pour amuser les enfants). Cependant, il est vrai que certains enseignants, même motivés, pourraient craindre de se lancer dans un domaine si variable et inattendu que l’improvisation théâtrale. C’est pourquoi Stéphanie Major conseille de faire tout d’abord appel à un spécialiste ou comédien professionnel pour introduire la discipline et diriger le travail dans la bonne direction pour ensuite laisser le rôle d’animateur à l’enseignant titulaire. Ayant été appelée à jouer ce rôle dans des classes françaises, elle témoigne : « Donc moi je sais que le travail que j’ai fait avec eux, pendant sept semaines, ils l’ont réutilisé après avec leur classe, ceux qui le souhaitait, il n’y avait aucune obligation. Donc, ils ont vu comment ça fonctionnait, quels types de choses on pouvait faire avec les enfants, et ils sont tout à fait capables de le faire. » (Major) Bien sûr, les enseignants qui pratiquent l’improvisation théâtrale en classe ne doivent pas le faire dans l’idée et le but de créer des spécialistes et des professionnels de cette forme théâtrale, mais juste de leur permettre de l’approcher tout en développant les valeurs que celle-ci transmet.
L’improvisation au service de la communauté
L’utilité de l’improvisation théâtrale dans un cadre scolaire est donc bien mise en avant. Mais les avantages de cette pratique ne s’arrêtent pas au rang des écoles. Pratiquée par la suite, elle représente pour beaucoup une nouvelle philosophie de vie et un moyen formidable d’atteindre une liberté d’intervention, d’imagination et d’élocution recherchées dans notre société actuelle. « Quand on se montre réceptif, disponible et tout, ça donne une bonne image en face et on a une meilleure communication et tout le monde y gagne à la fin. Même si on force un peu le trait au début, parce que c’est pas toujours naturel d’être en pleine disponibilité en continu. » (enseignant 2). En poussant encore plus loin son utilisation à des fins de formation, l’improvisation théâtrale a notamment beaucoup été utilisée dans le monde de l’entreprise, tantôt pour former les futurs employeurs à mieux organiser leur travail tout en prenant plus volontiers en compte les besoins et demandes de ses employés.
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Table des matières
1. PROBLÉMATIQUE
1.1. DÉFINITION ET IMPORTANCE DE L’OBJET DE RECHERCHE
1.2. ÉTAT DE LA QUESTION
1.3. QUESTION DE RECHERCHE ET OBJECTIFS OU HYPOTHÈSES DE RECHERCHE
1.3.1. Collaboration
1.3.2. Communication
1.3.3. Stratégies d’apprentissage
1.3.4. Pensée créatrice
1.3.5. Démarche réflexive
2. MÉTHODOLOGIE
2.1. FONDEMENTS MÉTHODOLOGIQUES
2.2. NATURE DU CORPUS
2.3. MÉTHODES ET/OU TECHNIQUES D’ANALYSE DES DONNÉES
3. ANALYSE ET INTERPRÉTATION DES RÉSULTATS
3.1. EXERCICES
3.1.1. Séquences
3.2. ENTRETIENS
3.2.1. Activités extrascolaires
3.2.2. Capacités transversales et école
3.2.3. Spectacles
3.2.4. Formation des enseignants
3.2.5. L’improvisation au service de la communauté
3.3. OBSERVATIONS
3.3.1. Situation de la classe avant
3.3.2. Situation de la classe pendant
3.3.3. Situation de la classe après
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