L’importance du son chez les animaux marins

L’importance du son chez les animaux marins 

L’océan est bien loin du Monde du Silence présenté par Jacques-Yves Cousteau en 1956. Cet environnement est non seulement riche en signatures sonores, mais il est aussi établi que le son est un signal essentiel et largement utilisé par les organismes marins pour transmettre et recevoir des informations (Tyack 1998). Ces animaux tirent profit des propriétés physiques du son dans l’océan. Par exemple, les sons se propagent environ 5 fois plus vite dans l’eau que dans l’air (Urick 1983). Les écologistes voient donc dans ces signaux acoustiques le moyen pour certaines espèces de compenser les contraintes environnementales propres à l’océan. Par opposition au signaux chimiques et visuels, les signaux acoustiques sont détectables sur de longues distances lorsque la visibilité est nulle, la nuit, ou réduite du fait de la turbidité en zones oligophotiques et aphotiques. Ces signaux se propagent indépendamment des courants et contiennent des informations directionnelles fiables. Ainsi, les animaux marins ont la possibilité d’utiliser ces propriétés sonores, et les sons doivent être vus comme faisant partie du panel d’informations environnementales qui leur est disponible pour diverses raisons écologiques. Il n’est pas absurde d’imaginer que l’évolution a permis des relations écologiques centrées sur ces sons, entre les organismes eux-mêmes (vertébrés et invertébrés), et entre les organismes et leur environnement. Ainsi, la bioacoustique, qui s’intéresse aux sons produits par les organismes, trouve d’abord sa motivation dans ces études autoécologiques.

De façon évidente, les sons émis par les mammifères marins sont nettement les plus décrits dans la littérature bioacoustique (Richardson et al. 1995, Tyack and Clark 2000). Toutes les espèces de mammifères marins (pinnipèdes, odontocètes, mysticètes) sont connues pour émettre des sons afin de communiquer, s’alimenter ou encore se déplacer et s’orienter. La plupart de ces sons est générée via des mouvements d’air à travers différents tissus (Frankel 2009). Chaque espèce possède son propre répertoire vocal dont la fréquence, la complexité et la variabilité dépendent du contexte social (Au and Hastings 2008). Par exemple, les baleines bleues émettent des chants basses fréquences (< 100 Hz) et très intenses pour communiquer entre individus d’un océan à l’autre (Sirovic et al. 2007, Samaran et al. 2010, Leroy et al. 2018). Les baleines franches produisent de longues chansons pendant la période de reproduction entre mâles et femelles pour se trouver et se choisir comme partenaires (Clark 1990, Edds-Walton 1997). Les dauphins et baleines à dents utilisent également l’écholocalisation en émettant des cliquetis hautes fréquences (jusqu’à plusieurs centaines de kilohertz) pour s’orienter dans les fonds marins et pour détecter leurs proies à la manière d’un sonar actif (Au 2012, Miller et al. 2004, Madsen et al. 2005a).

Les connaissances acoustiques sur les poissons sont moins complètes et plus récentes que celles accumulées pour le groupe des mammifères marins, mais tendent à augmenter largement dans la littérature bioacoustique depuis le début des années 2000 (Ladich 2015). En effet, la phonotèque ichtyologique répertorie désormais les sons émis chez les poissons pour prêt de 1000 espèces sonifères (Luczkovich et al. 2008a), et on estime à dix fois plus leur nombre réel (i.e. soit un tiers du nombre d’espèces total de poissons ; Ladich and Bass 2011). Ces sons sont produits par deux principales catégories de mécanismes : la vibration musculaire de leur vessie natatoire, et la stridulation via le frottement de pièces osseuses entre elles (Ladich 2014, Parmentier and Fine 2016). La plupart de ces sons se situe dans les basses fréquences (inférieures à 1 kHz), que les poissons peuvent détecter grâce à leur oreille interne ou leurs lignes latérales (Popper and Fay 2011). Ces sons sont utiles pour de nombreuses fonctions écologiques, que ce soit lors de communications intra ou inter-spécifiques. Par exemple, le poisson clown claque des dents pour éloigner des intrus de son territoire (Parmentier et al. 2007), le grondin gronde à l’approche d’un prédateur (Connaughton 2004), le mérou grogne pendant la parade nuptiale (Nelson et al. 2011), et le mâle poisson crapaud siffle pour attirer une femelle dans son terrier lors de la période de reproduction (Gray and Winn 1961).

En comparaison, le rôle écologique des sons chez les invertébrés benthiques, en particulier les crustacés, reste à décrire précisément (De Soto 2016, Edmonds et al. 2016). Cette lacune dans la communauté des écologistes marins est sans nul doute liée aux carences dans l’état général de nos connaissances sur leur écologie.

Quel est le rôle écologique des sons chez les crustacés marins ? 

Toutefois, on sait depuis plusieurs décennies que certaines espèces de crustacés émettent des sons à l’aide d’une grande diversité de mécanismes (Schmitz 2002). Par exemple, les rasps* d’antennes produits par les langoustes (Palinuridae) sont documentés depuis plus de 1500 ans (Athenaeus 300). Ils sont générés par un mécanisme de stridulation similaire à ceux des arthropodes terrestres (e.g. criquets), et seraient produits dans une action de défense, principalement dans l’intention de faire fuir des prédateurs (Moulton 1957, Patek 2001, Bouwma and Herrnkind 2009). A l’inverse, la crevette-pistolet (Synalpheidae, Alpheidae), crustacé dont les sons sont largement décrits, produit une impulsion provoquée par l’implosion violente d’une bulle de cavitation en claquant sa pince proéminante (Versluis et al. 2000). Le son émis est si intense qu’il paralyse les proies et prédateurs à proximité (Au and Banks 1998). Curieusement, ce son apparait dans toutes les publications décrivant des paysages acoustiques benthiques alors que le groupe n’est pas ubiquiste. Enfin, le homard Américain et la crevette mante tropicale vibrent leur carapace pour produire des sons basses fréquences appelés buzz* ou rumbles* dont le but serait de faire fuir les prédateurs (Patek and Caldwell 2006, Ward et al. 2011). Les études portant sur la bioacoustique des crustacés le long de la façade Atlantique restent rares, bien que de récents travaux aient démontrés, de façon inattendue, qu’un grand nombre d’espèces de crustacés en Bretagne (e.g. araignée) sont capables de produire des sons (Coquereau et al. 2016a, 2016b). Les fonctions écologiques de ces émissions sonores, si elles existent, restent à définir.

Les quelques exemples présentés ci-dessus montrent que les crustacés, s’ils sont capables d’émettre des sons, semblent limiter leur utilisation aux relations proie prédateur. Le rôle de ces sons pour la communication intra-spécifique n’est pas encore décrit. De plus, nous ne disposons pas d’informations sur les comportements acoustiques (i.e. émission d’un son pendant un comportement particulier et/ou réponse comportementale à un son) de ces animaux. Il convient toutefois de noter que quelques études démontrent la production de sons entre individus de la même espèce, comme les bernards l’hermite et les langoustes tropicales durant des rencontres agonistiques entre mâles (Mulligan and Fischer 1977, Briffa et al. 2003). Cependant, la communication intra-spécifique, si elle est envisageable, est toujours en questionnement car on ne connait pas les capacités sensorielles de ces espèces vis-à-vis de ces sons (Popper et al. 2001). Autrement dit, nous ne connaissons par les capacités auditives des crustacés marins. En contraste marqué, les crabes semi terrestres (Ocypodidae) sont non seulement capables de produire des sons, mais ils peuvent aussi répondre à ces sons durant des interactions intra-spécifiques, comme lors de la période de reproduction (Crane 1966, Horch and Salmon 1972, Horch 1975).

C’est dans ce contexte que se pose la question des récepteurs sensoriels chez les crustacés marins susceptibles d’utiliser les sons. Aujourd’hui, trois différent types de récepteurs sensoriels, externes et internes, ont été répertoriés dans la littérature bioacoustique. Tous les trois pourraient être sensibles aux sons basses fréquences chez les crustacés (< 1 kHz ; Cohen and Dijkgraaf 1961, Bush and Laverack 1982, Budelmann 1992). La première catégorie de récepteur inclut les systèmes de récepteurs superficiels englobant les poils sensoriels qui couvrent leur cuticule externe. Ces poils auraient la même fonction que la ligne latérale des poissons et permettraient donc de détecter les mouvements d’eau induits par des sons (Laverack 1962, Popper at al. 2001). Le second type de récepteur correspond aux organes chordotonaux qui sont des cellules sensorielles associées aux parties flexibles des appendices et pourraient détecter des vibrations (Budelmann 1992). Enfin, l’organe le plus étudié est le récepteur sensoriel interne appelé statocyste, situé dans le segment basal des antennules (Sekiguchi and Terazawa 1997). Il s’agit d’une chambre remplie de fluide contenant des grains de sable, le statolithe, qui est en contact avec des poils sensoriels (Popper et al. 2001). Ce récepteur agit comme un accéléromètre et son rôle est principalement attribué à l’équilibre, mais il pourrait également être sensible aux sons basses fréquences (Lovell et al. 2005, Radford et al. 2016).

Ainsi, à quelques rares exceptions près, nous disposons de peu d’informations sur la bioacoustique des crustacés marins en général, que ce soit en terme de comportement acoustique ou de biologie de l’audition. Ces informations écologiques sont néanmoins cruciales à déterminer dans le contexte actuel où les bruits d’origine humaine, dont l’intensité est croissante dans les océans, ont le potentiel d’impacter toute la faune marine.

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Table des matières

INTRODUCTION GENERALE
L’importance du son chez les animaux marins
Quel est le rôle écologique des sons chez les crustacés marins ?
Le bruit d’origine humaine, une nouvelle source de pollution dans les océans
L’acoustique passive pour suivre les crustacés dans leur environnement
OBJECTIFS DE LA THESE ET PLAN DU MANUSCRIT
Objectifs
Plan du manuscrit
PARTIE 1 : LE HOMARD, UN GRAND BAVARD ?
Préambule
Production sonore du homard Américain
Comportement territorial marqué des homards mâles
Plan de la partie 1
Chapitre 1 : Caractérisation sonore du homard Européen en cuve
Résumé
Article n°1
Abstract
Introduction
Materials and Methods
Animal collection, housing and care
Recordings
Reverberation in the experimental tanks
Experiments
Feeding
Response to stress
Conditions of tank recordings
Sound analyses
Results
Distortion of a known sound through tank reverberation
Recordings made during feeding
Carapace vibration in a response to stress
Discussion
Quantification of bioacoustic signatures in tanks
Comparison with the bioacoustic literature
Is there a role for buzzing sounds emitted by the European lobster?
Conclusions
Acknowledgements
Chapitre 2 : Comportement acoustique des homards Européens mâles
Résumé
Article n°2
Abstract
Introduction
Materials and Methods
Animal collection, characteristics and care
Experimental set-up
Data recording
Buzzing sounds: hydrophones
Carapace vibrations: accelerometers
Movements: video
Data synchronization
Experimental design
Data analysis
Sound data
Accelerometry data
Video annotation of movements during encounters
Statistical analyses
Analysis of carapace vibration sequences
Ethical note
Results
Description of the movements performed by male H. gammarus during agonistic encounters
Buzzing sounds and carapace vibrations produced during agonistic encounters
Discussion
Conclusion
Acknowledgements
Chapitre 3 : Détection sonore par le homard Américain
Résumé
Abstract
Introduction
Materials and Methods
Animal collection, characteristics and care
Experimental set-up
Auditory evoked potential recordings
Acoustic calibrations
Additional experiments
Controls
Sensory organs
Data analysis
Thresholds determination
Statistical analysis
Results
AEP waveform features
Additional experiments
Controls
Sensory organs
Auditory sensitivity of the American lobster and comparison with literature
Hearing organ
Ecological implications
Difficulties associated with tank acoustics
Conclusion
PARTIE 2 : LA LANGOUSTE, COMME UN GRILLON DANS LA MER ?
Préambule
Une espèce victime de la surpêche en Europe
Un mécanisme de production sonore similaire aux insectes
Plan de la partie 2
Chapitre 4 : Comparaison des rasps d’antennes de langoustes en cuve et in situ
Résumé
Article n°4
Abstract
Introduction
Materials and Methods
Ethical statement
Antennal rasp recordings and video
Laboratory experiment
Animal collection, characteristics and care
Experimental set-up and conditions of antennal rasp recordings
In situ recordings
Site description
In situ recordings of antennal rasps
Sound analysis
Sound features of antennal rasps
Ambient noise characterization
Statistical analysis
Results
Sound features of antennal rasps
Tank recordings
In situ recordings
Comparison of ambient noise and antennal rasps recorded in situ
Discussion
Temporal features of the antennal rasps
Intensity of antennal rasps
Spectral features
Towards a new biological hypothesis concerning the potential ecological roles of antennal rasps in P. elephas
Inter-specific communication
Intra-specific communication
Antennal rasp detection in underwater soundscapes
Conclusion
Acknowledgements
Chapitre 5 : Caractéristiques sonores de différentes tailles de langoustes dans le milieu marin : niveaux sources, propagation et distances de détection
Résumé
Article n°5
ABSTRACT
INTRODUCTION
Materials and Methods
Animal collection, characteristics and care
Sound recordings and video
Location and characteristics of the experimental site
Experimental set up
Sound analysis
Sound features of antennal rasps
Ambient noise characterization
Evaluation of transmission losses
Estimations of detection ranges
Statistical analysis
Ethical statement
RESULTS
Discussion
Passive acoustic monitoring
Ecological relevance
Acknowledgements
CONCLUSION GENERALE ET PERSPECTIVES
Conclusion générale
Perspectives
ANNEXES

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