L’importance des pratiques langagières dans le développement des interactions

Raoul Le Breton (1270-1320), maître en art et en théologie à la faculté de la Sorbonne, nous a laissé quelques traces de ses réflexions philosophiques sur la pédagogie. En effet, Raoul le Breton s’est intéressé à une philosophie pédagogique à un moment où les savants et maîtres s’interrogeaient sur la mise par écrit de l’enseignement oral. La période médiévale, et notamment les XIIe et XIVe siècles sont marqués par une remise en question des « principes pédagogiques » en place, soit d’un modèle qui repose sur l’oralité. Les maîtres donnent la leçon à l’oral, les élèves prennent des notes. Or, avec un tel modèle, l’enseignement risquait de se perdre. Dès lors, la reputatio, ou plutôt l’ordinatio, sont mises en valeur, et permettent une mise en ordre des notes de l’étudiant. Ces pratiques nouvelles offrent des garanties écrites sur un enseignement. Raoul le Breton, dans ses traités de mathématiques, met en avant le fait que l’oralité de l’enseignement et l’interactivité entre l’enseignant et ses élèves est fondamentale pour un bon apprentissage. Cette prise de conscience était déjà présente chez les Grecs, mais la période médiévale est celle de la construction de l’état moderne, avec un recours à l’écrit plus fréquent et symbolique. La période médiévale témoigne d’un nouveau rapport à l’écrit, et donc d’un nouveau rapport à l’enseignement. On va réfléchir aux manières d’enseigner les grands textes anciens. C’est ainsi qu’est né un des premiers débats autour de la pédagogie et de la manière dont les enseignants devaient enseigner. Des siècles plus tard, nous revoilà quelque peu devant les mêmes questionnements. L’épidémie de Covid 19 et ses conséquences sur le système scolaire ont largement interrogé toute la société française sur les manières d’enseigner. Plusieurs modèles d’enseignement (transmissif, socio-constructiviste…) sont développés et utilisés par les enseignants, mais finalement, quelle est la place des interactions entre élèves et professeur dans ces différentes manières de donner une leçon aujourd’hui ? Quelle place ont les interactions entre élèves et professeur en classe d’histoire ? Parler d’« interactions » revient à porter notre attention sur l’enseignant et sur la manière dont il prépare et construit ses cours. Cela suppose un travail de sa part, une préparation raisonnée et pragmatique, et non instinctive et improviste. Créer des interactions demande des « stratégies d’enseignement » (Tardif, 1997) concourant à un enseignement de meilleure qualité.

L’année dernière, durant ma première année de recherche, j’ai axé ma réflexion sur l’influence qu’avait le professeur sur le comportement des élèves dans le cadre d’un apprentissage en classe. C’est-à-dire l’influence que le professeur, ses mots, son comportement, exercent sur l’élève et sur le développement de sa capacité réflexive. J’avais également concentré mon attention sur la construction réflexive de l’élève qui s’érige, en partie, grâce aux interactions entre élèves qui se construisent grâce aux stratégies du professeur.

CADRE THEORIQUE : les interactions en classe, épistémologie

L’importance des pratiques langagières dans le développement des interactions 

Pour s’intéresser aux interactions élève-élève et élève-professeur, il paraît logique de se renseigner sur l’importance des pratiques langagières, dans le développement des interactions. « Les pratiques langagières ne peuvent se réduire à des outils de communication ; ils sont des instruments pour penser, construire et apprendre. » Le Marec, Doussot et Vezier, 2009 .

Comme la citation ci-dessus invite à le dire, l’activité langagière est indispensable à de bonnes stratégies pédagogiques. Elle est une tentative de compréhension du monde, en proposant une reconfiguration. En effet, l’élève, par sa capacité langagière, va garder en tête des informations, qu’il va digérer. Dans un second temps, l’élève va ressortir explicitement ces informations, de lui-même, avec ses propres mots, avec sa propre façon de parler. C’est à partir de là que doivent partir tout développement d’interactions. Le professeur ne peut interagir avec l’élève si préalablement, il ne lui a pas donné toutes les clés en main pour apprendre à exploiter ses propres connaissances. Jaubert, dans son article de 2019 « Le scénario langagier didactique, un outil dans le processus des savoirs ? » essaie d’identifier, à partir d’un corpus ancien, l’organisation des gestes professionnels langagiers qui réorientent l’activité langagière des élèves, pour les faire entrer dans un champ de contenus, de pratiques et de valeurs nouvelles. Comme le dit Jaubert : « Il s’agit donc de rendre (les élèves) conscients de l’existence de ces comportements et outils sémiotiques spécifiques aux disciplines et de leur permettre de construire les positionnements énonciatifs adéquats pour entrer dans les contextes disciplinaires. Cela suppose qu’ils aient la possibilité d’imaginer un espace d’échanges fondé sur ces modes d’agirparler-penser peu familiers, et celle de s’y projeter, de s’y instituer acteurs en s’essayant à ces pratiques » (2007).

La nécessité de développer une « culture commune de classe » favorisant les interactions 

En tant qu’enseignants, nous devons souvent faire face à des classes hétérogènes. De fait, afin de développer la pratique langagière des élèves et donc les interactions, il est important de mettre en place « une communauté de discours garante d’un univers de référence commun, d’une culture commune ». Dans cette perspective, toutes les interventions orales et tous les écrits scolaires intermédiaires, concourent à la construction de cet univers de référence. Cet univers de référence pourrait se définir plus simplement comme l’élaboration, le développement, d’une culture commune à la classe, notamment par le partage de travaux, de sorties scolaires, de moments de vie en classe, menant inévitablement au développement d’une certaine confiance entre élèves. Par ailleurs, avant de demander aux élèves d’interagir, il faut d’abord en tant que professeur, prendre le temps d’élaborer et de développer cette culture commune à la classe. Là, se trouve une partie de notre travail, sans cela, notre métier serait quelque peu ennuyeux puisque là est tout l’enjeu : amener les élèves d’un point A à un point B. De plus, elle est aussi indispensable que primordiale, puisque d’elle dépend également la réussite scolaire de la classe. La construction de cette « culture commune de classe » passe essentiellement par une gestion précise des interactions orales par le maître. Jean-Paul Bernié, en 2004 a proposé le concept de « communauté discursive » : « voir la classe comme communauté discursive en construction donne un sens à la dimension communicative des situations d’apprentissage comme appropriation des manières d’agir-penser-parler nécessaire à l’assimilation des savoirs et au développement ». Dès lors, Jean Paul Bernié définit le concept de communauté discursive comme un processus qu’il faut acquérir pour permettre aux élèves d’une même classe de se créer un « univers commun » afin qu’ils puissent développer de façon saine, des connaissances et une façon de penser, d’agir et de parler. Grâce au développement d’une communauté discursive, les élèves d’une même classe peuvent s’entraider et ainsi apprendre de façon plus productive et efficace. La présence de cette communauté discursive est donc indispensable au bon développement des interactions en classe d’histoire, dans la mesure où cette science nécessite d’interagir pour comprendre la complexité de chaque évènement historique.

L’importance des interrogations en histoire

Le développement d’une « communauté discursive » va de pair avec le développement des interactions entre élèves et avec le professeur. Ces interactions témoignent quant à elles de l’importance des interrogations en histoire. Nicole Tutiaux-Guillon est une didacticienne de l’histoire qui a fait de nombreux travaux avec François Audigier. En 1998, celle-ci s’est posé la question de la construction de l’histoire, qui résulte selon elle, de « l’interaction didactique » dans la classe entre élève et professeur. Cette didacticienne a foncièrement pris conscience que les savoirs de référence en histoire et géographie étaient en fait adaptés à un fonctionnement fondé sur le factuel et le réalisme, délaissant par conséquent l’apprentissage du raisonnement historique. Dès lors, celle-ci va essayer de démontrer que l’essentiel en cours d’histoire-géographie n’est pas de retenir tous les faits, toutes les dates, toutes les définitions, mais bel et bien de parvenir à construire une réflexion historique. Pour se faire, elle va défendre ce qu’elle appelle « l’interaction didactique », qu’elle définit comme des interactions maître-élève, faisant de l’élève le premier acteur de l’apprentissage de son savoir.

La communauté discursive crée donc des interactions, elles-mêmes plaçant au cœur du processus, l’élève comme premier acteur de son apprentissage. Là est donc toute la finalité des interactions : faire de l’élève un acteur de son apprentissage. Aussi, Gaston Bachelard dans son ouvrage La formation de l’esprit scientifique refuse ceux qui considèrent que notre perception immédiate des savoirs est un instrument de connaissance. Pour lui, c’est la capacité de formuler des interrogations pertinentes qui signent la marque d’un savoir et d’un esprit foncièrement scientifique en histoire : « Toute connaissance est une réponse à une question. S’il n’y a eu de question, il ne peut y avoir de connaissance scientifique. Rien ne va de soi. Rien n’est donné. Tout est construit ». Gaston Bachelard met en avant le rôle des questions dans le processus de l’apprentissage, et donc celui des hypothèses.

Ces idées vont dans le sens de mon sujet de recherche et de mes hypothèses, quant à la nécessité des interactions entre élèves et professeur, à la construction du savoir historique certes, mais encore plus à la construction d’une mémoire réflexive, d’un raisonnement historique. C’est en interrogeant les élèves sur leurs propres savoirs, que ceux-ci parviendront à terme au développement d’un esprit critique vis-à-vis des informations données d’un document.

Le raisonnement historique naît du mixe d’une pensée sociale et d’une pensée scientifique 

« L’historien raisonne par analogie avec le présent et transfère au passé des modes d’explication qui ont fait leurs preuves dans l’expérience quotidienne de tout un chacun. » Antoine Prost, 1996 .

Les mots d’Antoine Prost induisent que le développement de l’esprit critique chez l’élève en histoire naît du « mélange » d’une pensée sociale propre à l’élève, et d’une pensée scientifique, que le professeur va apporter à l’élève. En effet, l’histoire inclut des raisonnements complexes à appréhender. L’histoire demande une prise de recul considérable pour appréhender un événement, un personnage, un acteur politique, dans le temps passé. De fait, par ses difficultés, l’histoire est une science qui demande, dans son apprentissage, des interactions avec le professeur. Dans ce sens, le professeur d’histoire va user des connaissances et de la pensée sociale de ses élèves pour appréhender un temps passé. L’enseignant historien va, en quelques sortes, partir d’éléments contemporains des élèves, pour leur apprendre l’histoire. L’historien va intérieurement réagir de la sorte :« Cela me rappelle… ». Dès lors, il applique la théorie de l’esprit (Brunner, 1996) en observant les hommes et la société qui l’entourent, et qui lui permet d’expliquer pourquoi, selon lui, les hommes agissent comme ça aujourd’hui, et agissaient comme ça autrefois.

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Table des matières

1) INTRODUCTION
2) CADRE THEORIQUE : les interactions en classe, épistémologie
L’importance des pratiques langagières dans le développement des interactions
i. La nécessité de développer une « culture commune de classe » favorisant les interactions
ii. L’importance des interrogations en histoire
Le raisonnement historique naît du mixe d’une pensée sociale et d’une pensée scientifique
i. L’importance des hypothèses en histoire
ii. La conceptualisation en histoire : une approche par la mobilisation et le contrôle de la pensée sociale des élèves
La place du professeur dans les interactions en classe
i. Le professeur doit poser les jalons nécessaires au développement des interactions
ii. Poser des jalons afin de faire naître une enquête historique
iii. Le professeur comme marque d’autorité
3) METHODOLOGIE DU PROCESSUS DE RECHERCHE
La construction d’une séance introductive, consacrée aux interactions entre élèves et élèves sur ce que sont les « Frontières »
i. Les enjeux de l’enseignement des frontières
ii. Dispositif des séances
iii. Constitution du débat et choix d’enregistrement
Les objectifs de la séance
i. Objectifs disciplinaires
ii. Objectifs didactiques visés
Limites de la séance choisie
i. Classe peu dynamique et manque de légitimité
ii. Des séances compliquées à mettre en œuvre
iii. Temps court
4) ANALYSE DES DONNEES
L’intervention du professeur pour recadrer l’élève dans son travail, fruit d’efficacité
i. Le professeur : une autorité dans la classe
ii. Poser les bonnes questions afin de permettre à l’élève d’élargir sa réflexion
L’intervention du professeur liée à l’émergence d’une pensée réflexive chez l’élève et entre élèves
i. La naissance de réflexions historiques chez l’élève, à l’origine de la bonne compréhension du contexte : la nécessité de poser les jalons pour élèves
ii. …menant au développement d’« interactions réflexives » entre élèves
5) Conclusion
6) Bibliographie
7) Annexes

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