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Stratégies visuelles et niveaux de traitement
A notre connaissance, il n’existe pas d’étude qui identifie les niveaux de traitement de l’information à des stratégies visuelles spécifiques. En revanche, on peut trouver que l’intensité de traitement de l’information entraîne certains mouvements des yeux particuliers (Unema et Rötting, 1990 ; Wedel et Pieters, 2000). Dans cette section, nous passons en revue la littérature sur les niveaux de traitement et les mouvements des yeux afin de proposer des types de stratégies visuelles (ou patterns de mouvements des yeux) qui peuvent correspondre aux différents niveaux de traitement, superficiel ou profond, identifiés précédemment.
• Relation entre intensité de traitement de l’information et mouvements des yeux Selon Chapman et al. (2002), les mouvements des yeux permettent de mesurer de façon fiable l’activité cognitive. En effet, ils mesurent de façon directe et non intrusive la façon dont un stimulus est traité. Les processus de perception et de traitement d’un stimulus visuel sont automatiques, les individus n’ont que très peu conscience des mécanismes qui se jouent. En termes de mouvements des yeux, notre cerveau déplace automatiquement et inconsciemment le centre de notre vision vers les zones intéressantes du champ de vision (Anstis, 1974, 1988). Ainsi, il est plus fiable de recourir aux mouvements des yeux que de demander aux individus de verbaliser ou de reconstruire artificiellement l’activité cognitive qui a eu cours.
Les relations entre intensité de traitement et mouvements des yeux (Findlay et Gilchrist, 2003; Henderson, 2003; Liversedge et Findlay, 2000; Rayner, 1998; Sereno & Rayner, 2003) ont été mises à jour dans plusieurs contextes. Les plus rencontrés sont la lecture (Starr et Rayner, 2001) et le visionnage de scènes et d’images (Parkhurst et al., 2002 ; Torralba et al., 2006).
• Mouvements des yeux et intensité de traitement de l’information : les indicateurs possibles
Les travaux antérieurs nous informent quant aux indicateurs de mouvements des yeux que nous pouvons utiliser pour mesurer l’intensité du traitement de l’information. Unema et Rötting (1990) par exemple utilisent principalement le nombre de fixations, la durée des fixations et l’amplitude des saccades. Comme nous le verrons plus en détail dans le chapitre 4, les fixations sont les moments où l’œil reste immobile sur un élément et les saccades sont les rapides trajets effectués par l’œil pour lier une fixation à la suivante (Wedel et Pieters, 2000). Mackworth (1976) ainsi que Hidalgo-Sotelo et al. (2005) trouvent qu’un traitement intense est lié à de plus longues fixations sur les stimuli à traiter. En effet, comme l’information est extraite pendant les fixations, plus elle est difficile à comprendre ou à interpréter, plus la fixation est longue. De plus, Togami (1984) et Wiedel et Pieters (2000) montrent que la durée mais aussi le nombre de fixations augmentent à mesure que l’intensité de traitement augmente. En effet, si un individu veut traiter une information plus en profondeur, il revient fixer cette information plusieurs fois. Enfin, Rayner (1998, 2009), dans un contexte de lecture, montre qu’un traitement intense entraine des durées moyennes de fixation plus longues, des fixations plus nombreuses, et des saccades en moyenne plus courtes.
Ainsi, nous pouvons conclure que, selon la littérature, un niveau de traitement superficiel peut se traduire par une stratégie visuelle correspondant à peu de fixations, qui sont en moyenne courtes, et des saccades longues. A l’inverse, un traitement profond peut se traduire par une stratégie visuelle correspondant à un grand nombre de fixations, qui sont en moyenne longues, et des saccades courtes. Dans cette thèse, nous nous référons à la stratégie visuelle correspondant au niveau de traitement superficiel comme une stratégie de balayage, et nous nous référons à la stratégie visuelle correspondant au niveau de traitement profond comme une stratégie d’attention soutenue (cf. Rosbergen, Pieters et Wedel, 1997). Il est entendu que ces stratégies visuelles, ainsi que les niveaux de traitement de l’information, sont à considérer comme se situant sur un continuum ; respectivement superficiel profond, et stratégie de balayage stratégie d’attention soutenue. Nous développerons plus en détails les stratégies visuelles dans le chapitre 4.
Nous proposons de tester ce lien entre traitement superficiel et stratégie visuelle de balayage d’une part, et traitement profond et stratégie visuelle d’attention soutenue d’autre part dans l’étude préliminaire de cette thèse (chapitre 5). La figure 2 résume les indicateurs des stratégies visuelles permettant de repérer les différents niveaux de traitement.
L’importance des conditions de réception de la publicité
Nous avons mentionné jusqu’ici différents types de traitements de l’information et différents types de stratégies visuelles que les individus peuvent adopter devant des publicités.
Un grand nombre de facteurs peuvent expliquer quelle intensité de traitement ou quelle stratégie visuelle va être adoptée. Si, dans les prochains chapitres de la thèse nous nous focalisons exclusivement sur deux d’entre eux, la fatigue du consommateur et la complexité de la publicité, il est cependant intéressant de passer brièvement en revue les autres facteurs possibles. Nous examinons d’abord pourquoi il est important de prendre en compte ces facteurs. Ensuite, nous décrivons rapidement les principaux facteurs qui peuvent influencer la réception d’un message publicitaire. Nous commençons par les facteurs contextuels, liés aux conditions d’exposition au message, puis nous verrons les facteurs individuels, propres au consommateur.
L’importance de prendre en compte les conditions de réception de la publicité par les managers
A ce jour, dans le monde professionnel de la publicité, les études menées sur les conditions de réception réelle du message sont bien peu nombreuses. Elles se limitent surtout à évoquer des critères potentiels et leurs conséquences (cf. la multiplication des activités possibles lors de l’exposition à un encart presse ; par exemple écouter la radio ou son conjoint pendant la lecture d’un magazine où se trouve insérée une publicité) mais sans vérifier vraiment ce qu’il en est dans la réalité. En 2003, Dominique Pasquier soulignait pourtant ce point crucial de façon percutante : « quand on ne fait que compter ceux qui regardent, on ne sait rien de ce qu’ils ont vu ». Un enjeu pour les publicitaires consiste donc à mesurer de façon fiable si le message publicitaire ne perd pas de son intégrité lorsqu’il parvient à la cible, et ce en fonction des conditions d’exposition à la publicité. Dans cette optique, nous considérons que la qualité d’exposition au message publicitaire est une donnée capitale à prendre en compte chaque fois que l’on cherche à mesurer l’efficacité publicitaire.
Dans notre contexte de qualité d’exposition à la publicité, nous nous intéressons principalement au cas où le message parvient à passer le seuil de l’attention. Or, l’étape suivante de traitement de l’information est contingente au niveau de ressources cognitives disponibles (cf. Anand et Sternthal, 1990). Ainsi, le manque de ressources cognitives peut conduire l’individu à ne pas traiter le message dans sa totalité, à mal l’interpréter en prenant des raccourcis ou tout simplement à ne pas être en mesure de le comprendre dans un souci de préservation et d’épargne du restant de ses ressources.
Ainsi, en termes de médiaplanning, le niveau de ressources cognitives disponibles influence la qualité du contact, la qualité de l’exposition de l’individu au message. Nous voyons bien par là qu’il est essentiel de considérer ce facteur dans la mesure de l’efficacité de la publicité. Or, ce n’est pas souvent le cas dans la réalité. Rares sont les agences qui se permettent de collecter ce type de données, puisque le coût de ce genre d’études en temps et en argent reste un frein majeur.
Cependant, certaines initiatives vont dans ce sens et sont très riches d’enseignement. A notre connaissance, seul le programme d’étude Carat Foretel Attention a mené ce genre d’investigation. Il visait à disséquer les comportements et le contexte de consommation de la télévision en Grande-Bretagne, de façon à aller plus loin que le concept usuel d’opportunité de voir (Galpin et Gullen, 2000) et prendre ainsi en compte le critère de qualité d’exposition. Il ressort de cette étude que le moment de la journée est une variable importante de l’attention portée au contenu des programmes télévisés. Ainsi, 50% des adultes testés ont porté la totalité de leur attention aux programmes diffusés en prime-time en semaine. Cependant, à d’autres moments de la journée, ce taux d’attention totale peut tomber aussi bas que 15%. Le comportement des mères au foyer ayant des enfants est le plus extrême en termes de faible attention portée au programme : selon le moment de la journée, entre 19 et 90% d’entre elles portent peu ou pas du tout d’attention au programme diffusé.
Les études académiques portant sur les conditions de réception de la publicité
• Les facteurs contextuels : liés aux conditions d’exposition
Si les tests de copies publicitaires se font généralement dans des salles isolées où les consommateurs testés ont les yeux rivés sur les publicités présentées, il en va tout autrement dans la réalité. Le plus souvent, les consommateurs sont en train d’effectuer une activité quelconque, qui les occupe principalement, quand ils sont exposés aux publicités ambiantes.
L’efficacité de la publicité va donc être totalement dépendante de sa capacité à attirer l’attention du consommateur et à lui emprunter un montant minimum de ressources disponibles (Anand et Sternthal, 1990). Il faut donc que les professionnels de la publicité s’intéressent non seulement au contenu de leurs annonces mais aussi au contexte dans lequel elles sont reçues (Reyburn, 2010). Un premier élément important du contexte est la présence ou non de publicités concurrentes (Ha, 1996). C’est important tout d’abord parce que cela contribue à diluer l’attention du consommateur : le consommateur doit alors diviser ses ressources disponibles en autant d’annonces publicitaires qu’il voit en même temps. C’est pourquoi dans une série de publicités (par exemple des spots successifs dans une même coupure publicitaire), il vaut mieux pour une publicité être placée au début ou à la fin de la série ; c’est ce qui optimise le traitement de l’information, la mémorisation et donc l’efficacité de la publicité (Aaker et al., 1986). Mais c’est important également parce que la présence de publicités concurrentes change le style de traitement de l’information (Malaviya et al. 1996) : s’il y a d’autres annonces pour des produits de la même catégorie, le consommateur sera plus enclin à adopter un traitement holistique de l’information alors que l’absence de publicités concurrentes permet au consommateur de se focaliser sur le seul produit promu et d’adopter alors un traitement plus analytique de l’information (Sar et al., 2010).
Un autre élément important est le media dans lequel la publicité est insérée (Derks et Arora 1993). Par exemple, l’appréciation des consommateurs du magazine ou du programme télévisuel dans lequel la publicité est insérée va jouer sur le traitement de la publicité par le consommateur (De Pelsmacker et al., 2002). La cohérence entre la publicité et le contexte dans lequel elle est placée est également primordiale (Aaker et Brown, 1972). Par exemple, Cannon (1982) montre que les valeurs exprimées dans la publicité doivent être cohérentes avec les valeurs exprimées dans le contexte pour obtenir une efficacité optimale. Perry et al. (1997) montrent que les publicités humoristiques sont plus efficaces dans un contexte lui aussi humoristique. Ce phénomène est généralement expliqué par l’effet d’amorçage (priming) : quand un individu est d’abord exposé à un stimulus précis (ici le contexte de la publicité), cela va activer une structure mentale qui va rendre plus facile le traitement d’informations similaires ou cohérentes avec ce stimulus (Herr, 1989 ; Yi, 1990, 1993).
• Les facteurs individuels : liés au consommateur
L’efficacité publicitaire est également dépendante de l’état dans lequel le consommateur se trouve quand il est exposé à la publicité.
Un premier facteur individuel important est l’humeur du consommateur (Sar et al., 2010). En effet, plusieurs recherches ont montré que l’humeur influence la façon dont les individus traitent l’information (Lee et Sternthal, 1999 ; Storbeck et Clore, 2005). Plus précisément, les personnes d’humeur négative utilisent le plus souvent un traitement local (item-specific), qui se focalise sur chaque élément individuel de la publicité et sur le coté distinctif ou unique de la caractéristique d’un produit (Hunt et Einstein, 1981). En revanche,
les personnes d’humeur positive utilisent un traitement global (relational), c’est-à-dire qu’ils considèrent une situation ou une scène comme un ensemble, une situation générale, et non pas une somme d’éléments particuliers. En d’autres termes, une humeur négative entraine plutôt l’adoption d’un traitement analytique de l’information alors qu’une humeur positive entraine plutôt l’adoption d’un traitement holistique de l’information.
La motivation du consommateur à traiter l’information publicitaire est également une variable prépondérante. MacInnis et Jaworski (1989) montrent que plus le consommateur est concentré sur la tache principale effectuée, moins il est motivé pour détourner son attention vers une tache secondaire (dans l’étude, visionner ou écouter des publicités). C’est important car le niveau de motivation va déterminer le niveau de traitement de l’information ainsi que le type d’informations prises en considération (Petty et Cacioppo, 1986a, 1986b). En effet, selon le modèle ELM de Petty et Cacioppo (1981, 1986), si les consommateurs sont motivés, ils vont traiter l’information de façon plus profonde et intense et vont se concentrer sur les éléments dits « centraux » de la publicité (par exemple les arguments de vente, les descriptions de caractéristiques des produits…). Mais s’ils ne sont pas motivés, ils vont traiter l’information de façon plus superficielle et vont se concentrer sur des éléments dits « périphériques », tels que la musique de fond ou les célébrités utilisées pour vanter les mérites du produit. Cette motivation du consommateur peut venir de différents facteurs comme par exemple l’implication dans la catégorie de produits (Geuens et de Pelsmacker, 1997).
Niveau de ressources disponible : La fatigue et le moment optimal de la journée
La fatigue
• Définitions
Il est difficile de trouver une définition unique et exhaustive de la fatigue. Pour Scherrer (1989), la manière la plus simple de définir la fatigue est comme « une baisse de performance liée à l’activité et réversible par le repos ». Bien que cette définition soit pratique, elle reste malheureusement bien trop succincte pour représenter la totalité de ce que peut revêtir la notion de fatigue. Une étude de la fatigue des pilotes d’Air France réalisée par le Laboratoire d’Anthropologie Appliquée (1996) définit la fatigue comme « un ensemble de manifestations engendrées par un effort, qu’il soit intense ou prolongé, ou bien à la fois intense et prolongé ». Le Centre Canadien d’Hygiène et de Sécurité au Travail définit la fatigue comme étant « une sensation d’épuisement, de lassitude ou de somnolence consécutive au manque de sommeil, à une activité mentale ou physique prolongée, ou à de longues périodes de stress ou d’angoisse. Les tâches fastidieuses ou répétitives peuvent intensifier le sentiment de fatigue. »
En fait, il n’existe pour l’instant aucune définition globale permettant de circonscrire tous les aspects du terme. Ainsi, les études s’attachant à étudier la fatigue se contentent en général d’approfondir un aspect particulier de ce concept, ce qui peut expliquer le profil particulier des études qui lui sont consacrées. Par exemple en médecine, les études se penchent fréquemment sur l’aspect chronique de la fatigue, ce qui correspond à une fatigue qui ne peut plus être compensée par le simple repos. Ou alors, les articles concernent exclusivement la fatigue induite par certaines maladies, type cancer ou mucoviscidose. Dans le champ de l’ergonomie, les études ne s’intéressent souvent à la fatigue qu’à partir du moment où les symptômes deviennent nuisibles à l’individu, ou en tout cas représentent une gêneconsidérable. Il ne faut pas oublier cet autre domaine de recherche étudiant la fatigue : la sécurité. En effet, l’étude de la fatigue est au cœur de la mise en place de systèmes visant à assurer une sécurité optimale pour le transport routier, le transport aérien, ou les tâches de surveillance d’écrans de contrôle comme c’est le cas dans les centrales nucléaires, les tours de contrôle aérien, les cockpits etc.
Les études ne s’accordent pas encore sur la nature de la fatigue. Elle est mesurée comme un construit unidimensionnel pour certains, multidimensionnel pour d’autres (Dittner et al., 2004). Gledhill (2005) par exemple reporte trois dimensions principales pour ce concept : physique, affective et cognitive, avec un possible entremêlement des trois selon les situations. La nature et l’intensité de la fatigue ressentie dépendent du moment de la journée, ainsi que des caractéristiques de l’individu (âge, maladie, profession…). On peut cependant trouver certains éléments invariants : la fatigue survient à la suite d’un usage excessif d’un muscle ou d’un organe, et elle est due à une diminution temporaire des capacités de travail après un effort prolongé. On assiste alors à une baisse d’efficience, et un accroissement de l’effort est nécessaire pour accomplir la tâche initiale avec une performance équivalente.
D’après Holding (1983), la fatigue au sens psychologique revêt deux aspects différents. Premièrement, elle peut être induite par une tâche spécifique. Ainsi, une personne peut se sentir fatiguée d’effectuer une tâche particulière. Les études de vigilance ont montré qu’il est en effet difficile de maintenir un niveau de performance élevé au cours du temps pour certaines tâches (cf. Matthews et al., 2000 pour une synthèse des résultats). Dans cette acception, la fatigue peut être compensée en alternant les tâches, en faisant faire une autre activité à la personne. La fatigue qui nous intéresse est différente, c’est celle que Desmond et Matthews (1997) qualifient de fatigue générale et qui correspond au deuxième aspect que la fatigue peut prendre.
La fatigue qui nous intéresse dans cette thèse est quotidienne, presque invisible. La fatigue telle que nous la concevons parle à tout le monde ; nous la choisissons dans son sens le plus commun. C’est la fatigue que nous connaissons tous mais sans jamais avoir vraiment cherché à mettre des mots dessus. Le concept de fatigue fait partie de ces termes que la plupart des individus comprend lorsque l’on reste vague, lorsqu’il est utilisé de façon générale. Mais lorsque l’on cherche à plus approfondir, à aller dans le détail, son sens commence à nous échapper. Cette fatigue, bien qu’omniprésente, et puisque presque en sourdine, n’est pour l’instant que très peu étudiée. Hockley et Earle (2006) rapportent que les travaux portant sur la fatigue mentale sont en effet très largement sous-représentés par rapport aux travaux étudiant la fatigue physique ou la fatigue résultant du manque de sommeil.
Les domaines de recherche cités en début de chapitre ne s’intéressent qu’aux formes extrêmes de la fatigue. En effet, leur objectif est souvent de trouver une solution, un remède à une situation critique engendrée par la fatigue. D’où le choix de ce type de fatigue extrême et particulier. De plus, ce choix présente un second avantage en termes d’opérationnalisation et de mesure. Il est en effet plus facile de mesurer des valeurs extrêmes de la fatigue, et surtou de les identifier .
Niveau de ressources exigé : Complexité de la publicité
De nombreuses études considèrent la complexité du message publicitaire comme un élément fondamental à prendre en compte dans l’étude des réponses du consommateur à la publicité (Cox et Cox, 1988 ; Phillips, 1997). Le niveau de complexité d’une publicité est souvent associé au niveau d’élaboration requis par le consommateur pour comprendre le message (Putrevu et al, 2004). Le niveau d’élaboration que l’individu est en mesure de fournir influence alors la réponse de l’individu à la publicité. Un message trop complexe prend le risque de ne pas être compris par le consommateur, ce qui a pour effet de rendre la publicité inefficace. A l’inverse, un message trop simple, s’il est facilement décrypté, risque d’être considéré comme ennuyeux par le consommateur et ne réussit alors pas à éveiller son attention.
Dans cette partie, nous passons en revue les précédentes recherches traitant de la complexité en publicité. Dans un premier temps, nous nous penchons sur l’impact de la complexité sur le traitement du message publicitaire. Les études examinant cette question tentent souvent de déterminer où se situe le niveau optimal de complexité pour une efficacité maximale. Dans un deuxième temps, nous tentons de déterminer, à travers les travaux précédents, la meilleure manière de mesurer et opérationnaliser la complexité en publicité.
Impact de la complexité sur le traitement du message publicitaire
A l’image de Kohli et al. (2007), de nombreux articles tentent d’expliquer quelles sont les bonnes pratiques à suivre dans la réalisation de publicités. En ce qui concerne la complexité, les conseils sont peu évidents à donner. En effet, les recherches portant sur les réactions des consommateurs face à la complexité publicitaire reportent des résultats contradictoires. Certaines montrent que les publicités les plus simples sont les plus efficaces, d’autres montrent que c’est plutôt le caractère complexe d’un message qui jouera positivement sur l’efficacité de la publicité.
• « Keep it simple »
De nombreuses recherches montrent que les publicités les plus simples sont les plus efficaces (cf. Percy et Rossiter, 1982 ; Rogers, 1988). Leurs recommandations sont claires : éviter les syntaxes compliquées, les longs titres, les négations ou encore les constructions passives. Différents arguments sont utilisés pour justifier la supériorité de la simplicité dans l’efficacité publicitaire. Nous passons en revue les principaux. Tout d’abord, certaines études montrent que les publicités simples sont plus facilement comprises, ce qui conduit souvent à une meilleure évaluation de la publicité et de la marque.
Ainsi, à partir de travaux de psycholinguistique comme ceux d’Anderson et Davison (1988), Lowrey (1998) montre que les publicités simples sont plus efficaces que les publicités complexes. Dans son étude sur les publicités télévisées et les publicités presse, l’auteur montre bien que non seulement la simplicité linguistique entraîne une meilleure compréhension, mais également une persuasion plus importante, ce qui est primordial puisque la publicité est avant tout affaire de persuasion.
Un autre argument en faveur de la simplicité concerne la mémorisation, qui est généralement un indicateur important dans la mesure de l’efficacité publicitaire. Les stimuli simples semblent être mieux mémorisés que les stimuli complexes. Par exemple, Lowrey (2006), dans son étude sur la complexité des publicités télévisuelles, montre que la hausse du niveau de complexité entraîne la baisse du niveau de mémorisation du message. Plus spécifiquement, l’auteur montre que la complexité affecte négativement le rappel de la catégorie de produit, le rappel du nom de la marque, la reconnaissance du nom de la marque ainsi que le rappel des éléments du discours. Cette conviction que les publicités les plus simples sont les plus efficaces se retrouve dans les pratiques managériales : les professionnels de la publicité considèrent que les consommateurs ont des capacités limitées, un seuil d’ennui très bas et cherchent à minimiser la mobilisation de leurs facultés intellectuelles quand ils regardent une publicité (Shuptrine et McVicker, 1981). Cette opinion est partagée par Lowrey (2006) selon qui « la majorité des publicités, notamment les publicités télévisuelles, ne sont pas élaborées dans le but de transmettre un message compliqué. L’objectif d’une grande partie des spots publicitaires est d’accroître la notoriété de la marque, et d’informer sur de nouveaux attributs du produit.
Quand une information plus compliquée veut être transmise, cela est fait de la manière la plus simple possible » (Lowrey, 2006, p.7-8).
Certaines recherches nuancent le propos et montrent que la simplicité n’est pas supérieure à la complexité en toute circonstance, qu’il existe des conditions où l’impact négatif d’un message complexe peut être réduit voire annulé. Morrison et Dainoff (1972) par exemple ont réalisé l’une des premières études appliquant le concept de complexité à la publicité. Ces auteurs montrent que les publicités les plus simples sont les plus plaisantes certes, mais elles sont néanmoins considérées comme moins intéressantes que les publicités plus complexes.
De plus, même les recherches précédemment citées montrent que la complexité n’a pas systématiquement un impact négatif. En effet, d’autres variables peuvent entrer en ligne de compte et interagir avec le niveau de complexité. Lowrey (2006) montre ainsi que la complexité ne joue un rôle négatif sur la mémorisation que pour les consommateurs peu impliqués dans la catégorie de produits. Chez les consommateurs très impliqués, la motivation à traiter le message réduit l’effet de la complexité sur la mémorisation des éléments du message publicitaire. L’auteur montre également que le type de média joue un rôle modérateur sur l’impact de la complexité. Contrairement aux publicités télévisuelles qui imposent un rythme de visionnage, le consommateur a tout le temps qu’il désire pour regarder des publicités presse insérées dans les journaux ou les magazines. Il peut alors prendre son temps pour traiter le message à son rythme si le niveau de complexité le demande. Ainsi, le consommateur a davantage la possibilité d’effectuer des raisonnements élaborés pour comprendre un message complexe. Cette opportunité de traitement approfondi permet donc de réduire l’impact négatif de la complexité.
• « Make it complex »
Certaines recherches ont démontré la supériorité de la complexité sur l’efficacité publicitaire, ce qui permet à Macklin et al. (1985) d’affirmer que le fameux principe « keep it simple » est certainement trop simple. Anderson et Jolson (1980), dans leur étude sur la complexité de publicités pour des appareils photos, montrent que l’utilisation d’un vocabulaire technique complexe et de phrases longues et détaillées pour décrire les appareils a un impact positif sur leurs évaluations par les consommateurs ayant déjà une connaissance même limitée de ces produits. Pour les consommateurs n’ayant pas de connaissance ou d’expérience préalable, les auteurs ne trouvent pas de différence significative dans l’évaluation des appareils.
De plus, Cox et Cox (1988) montrent que la complexité améliore l’impact positif de la répétition d’une publicité sur les attitudes. En d’autres termes, si répéter plusieurs fois l’exposition des consommateurs à une publicité améliore son évaluation (effet de simple exposition, cf. Zajonc, 1968), cet effet est encore plus important si la publicité est complexe. Ceci s’explique par le principe de réduction de l’incertitude (uncertainty reduction) (Berlyne, 1970 ; Obermiller, 1985). Les publicités complexes possèdent intrinsèquement un degré élevé d’incertitude (au sens où le consommateur n’est pas sûr de les comprendre). Le fait de voir plusieurs fois une publicité complexe (répétition) permet au consommateur de mieux la comprendre, et donc de réduire cette incertitude. Son attitude envers la publicité en est alors significativement améliorée. Les publicités simples, qui sont généralement comprises dès la première exposition, ne bénéficient pas de cet effet de réduction de l’incertitude. En fait, elles ne bénéficient que de l’impact positif de l’effet de simple exposition. Les attitudes envers ces publicités simples augmentent donc moins avec la répétition que les attitudes envers les publicités complexes.
Bradley et Meeds (2002), qui étudient la complexité syntaxique des publicités, montrent que les formulations les plus simples ne sont pas toujours les plus efficaces, tant en terme de compréhension que de mémorisation. En cohérence avec les recherches observant un effet de la complexité sur l’efficacité publicitaire en U-inversé, les auteurs prônent pour un niveau de complexité modéré des formulations de textes et slogans en publicité.
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Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
PREMIERE PARTIE. REVUE DE LITTERATURE
CHAPITRE 1. Publicité et traitement visuel de l’information
1.1 Le traitement cognitif de l’information publicitaire
1.1.1 Les dimensions du traitement de l’information publicitaire
1.1.2 Stratégies visuelles et niveaux de traitement
1.2. L’importance des conditions de réception de la publicité
1.2.1. L’importance de prendre en compte les conditions de réception de la publicité par les managers
1.2.2. Les études académiques portant sur les conditions de réception de la publicité
CHAPITRE 2. Publicité et niveaux de ressources cognitives
2.1 Niveau de ressources disponible : La fatigue et le moment optimal de la journée
2.1.1 La fatigue
2.1.2 Le moment optimal de la journée
2.2 Niveau de ressources exigé : Complexité de la publicité
2.2.1 Impact de la complexité sur le traitement du message publicitaire
2.2.2 Comment mesurer le niveau de complexité
CHAPITRE 3. Modèle conceptuel et hypothèses
3.1 La théorie d’adéquation des ressources
3.1.1 Le modèle de probabilité d’élaboration (ELM)
3.1.2 Définition et applications de la théorie d’adéquation des ressources
3.2 Application à l’étude des effets de la fatigue et de la complexité sur le traitement de la publicité
3.2.1 Fatigue et niveau de ressources cognitives disponible
3.2.2 Complexité et niveau de ressources cognitives exigé
3.3 Développement des hypothèses de recherche
3.3.1 Effets de la fatigue sur le traitement de l’information publicitaire
3.3.2 Effets de la complexité sur le traitement de l’information publicitaire
3.3.3 Effets d’interaction de la fatigue et de la complexité sur le traitement de l’information publicitaire
DEUXIEME PARTIE. ETUDES EXPERIMENTALES
CHAPITRE 4. Méthodologie d’enregistrement des mouvements des yeux
4.1 Le système visuel
4.2 Les mouvements des yeux : saccades et fixations
4.3 Attention visuelle et mouvements des yeux
4.3.1 L’attention visuelle
4.3.2 Les stratégies visuelles
4.4 Collecte de données de mouvements des yeux : design expérimental avec un oculomètre
4.4.1 L’enregistrement des mouvements des yeux à partir de l’oculomètre Tobii 1750
4.4.2 Les indicateurs de mouvements des yeux
4.5 Applications au traitement de l’information par le consommateur
4.5.1 Les mouvements des yeux et la lecture
4.5.2 Les mouvements des yeux et le visionnage d’une image, d’une scène
4.5.3 Les mouvements des yeux et la publicité
CHAPITRE 5. Effet des niveaux de traitement de l’information sur les stratégies visuelles d’encodage des publicités
5.1 Méthode
5.1.1 Participants
5.1.2 Stimuli
5.1.3 Plan de l’expérience
5.1.4 Déroulement de la procédure
5.2 Résultats
5.2.1 Statistiques descriptives de l’échantillon sur les indicateurs de mouvement des yeux
5.2.2 Effet de la condition de traitement de l’information
5.2.3 Effet de la complexité de la publicité
5.2.4 Interaction de la condition de traitement et de la complexité de l’information
5.3. Conclusion
CHAPITRE 6. Effets de la fatigue et de la complexité sur les mouvements des yeux, les attitudes, et la mémorisation
6.1 Etude 2A
6.1.1 Etude 2A – Méthode
6.1.2 Etude 2A – Résultats
6.1.3 Etude 2A – Conclusion
6.2 Etude 2B
6.2.1 Etude 2B – Méthode
6.2.2 Etude 2B – Résultats
6.2.3 Etude 2B – Conclusion
CHAPITRE 7. Discussion et limites de la recherche
7.1 Discussion
7.1.1 Synthèse des résultats
7.1.2 Interprétation
7.2 Implications
7.2.1 Implications théoriques
7.2.2 Implications méthodologiques
7.2.3 Implications managériales
7.3 Limites et voies futures de recherche
7.3.1. Limites
7.3.2. Voies futures de recherche
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
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