Le contexte
De nombreuses études ont été réalisées concernant des chefs d’ État, premiers ministres et présidents. Rappelons que ces études ont porté, entre autres, sur l’image des politiciens et leur utilisation des médias socionumériques (Raynauld, Lalancette et Tourigny-Koné, 2016; Marland, 2014 ; Yerville, 2012). Au niveau international, Yan Zoonen (2006) a écrit un article sur la présidente de la Finlande de 2000 à 2012 et la chancelière de l’Allemagne. Quant à Langer (2010), elle a étudié le cas de Tony Blair, premier ministre du Royaume-Uni de 1997 à 2007. Par contre, peu d’études sont disponibles concernant les ministres ou les députés. C’est pourquoi notre choix s’arrête à elles et eux afin d’ analyser leur utilisation des médias socionumériques et, plus précisément, de la plateforme Instagram.
Les parlementaires canadiens n’ont pas échappé à la croissance fulgurante des médias socio-numériques dans la vie quotidienne et politique. Elles et ils sont de plus en plus nombreux sur Instagram (2018). Basée principalement sur l’ image, cette plateforme apporte une certaine complémentarité avec les autres médias socionumériques comme Twitter plutôt basé sur le message. Tel que l’ expliquent Filimonov, Russmann et Svensson (2016, p. 1), « Instagram is different from other social media such as Twitter in that il rather revolves around uploading pictures than disseminating text-based messages. This brings us back to the role of visuals in political communication ».
Instagram est de plus en plus étudié comme médium accordant une importance particulière à l’ image (Filimov, Russman et Svensson, 2016; Russman et Svensson, 2016, 2017 ; Lalancette et Raynauld, 2017 ; Jung, Tay, Hong, Ho et Hui Goh, 2017 ; Gruzd, Jacobson, Mai et Dubois, 20 (8). Notre recherche s’inscrit en complémentarité par rapport aux études sur Facebook et Twitter qui ont été entreprises (Small, 2010 ; Verville, 2012 ; Marland, 2012, 2013 2016 ; Lee, 2013; Robidoux-Descary et Boily, 2014 ; Raynauld, Lalancette et Tourigny-Koné, 2016; Vessey, 20(6) où l’on affirme que les médias socionumériques sont de plus en plus présents dans la stratégie de communication politique des parlementaires.
Nous avons choisi de centrer notre attention sur le palier fédéral notamment en raison de notre propre expérience comme députée fédérale de 20 Il à 20153, qui nous a permis d’approfondir nos connaissances sur le fonctionnement de la Chambre des communes. Cette expérience nous a donné l’occasion d’agir à titre de témoin privilégié pour notre recherche. Toutefois, il est important de préciser que nous avons construit une grille d’analyse et sélectionné notre échantillon en évitant les biais que notre expérience aurait pu générer.
Rappelons que notre question de recherche est de savoir comment les parlementaires canadiens s’ approprient la plateforme Instagram pour gérer leur image et comment elles et ils utilisent cette plateforrne pour construire leur éthos numérique.
J Notre expérience s’est déroulée dans la circonscription de Saint-Hyacinthe-Bagot, en Montérégie, au Québec.
Le corpus
Nous avons sélectionné les parlementaires de notre échantillon selon les critères suivants. Les politiciennes et politiciens étudiés devaient posséder un compte Instagram et être actifs sur celui-ci. Par « actifs », nous entendons au moins une publication par semaine sur la plateforme durant la période de la collecte de données. Nous avons sélectionné des politiciennes et politiciens ayant des enfants et d’autres n’en ayant pas afin d’ avoir accès à cette dimension de la vie privée dans le cadre de notre analyse. L’ aspect plus privé de la plateforme nous a permis de déterminer si les parlementaires étudiés ont des enfants, toutefois, il est important de noter que, dans le cas où il n’ y a aucune information sur le sujet, nous avons considéré que la ou le parlementaire étudié n’en avait pas. Nous avons également estimé important que les trois partis reconnus à la Chambre des communes soient représentés, c’ est-à-dire le Parti libéral du Canada (PLC), le Parti conservateur du Canada (PCC) et le Nouveau Parti démocratique du Canada (NPD).
Le tableau 1 présente notre échantillon féminin. Certaines de ces politiciennes sont déjà connues de la population et apparaissent régulièrement dans les médias traditionnels. Rona Ambrose, par exemple, fait partie du paysage politique canadien depuis une dizaine d’ années, elle a notamment été ministre de l’Environnement, de la Santé, du Travail, des Affaires intergouvernementales et de la Condition féminine (Parlement du Canada, 2018). Elle était cheffe intérimaire du PCC (Parti conservateur du Canada, 2018) lors de notre collecte de données.
La démarche méthodologique
Nous pourrions qualifier notre approche méthodologique d’ hybride, car bien que notre recherche comporte un aspect quantitatif par le codage des publications des députés à l’étude, notre analyse est aussi d’inspiration qualitative. Elle s’appuie sur la définition de l’éthos (Drolet, Lalancette et Caty, 2015) de chacune et chacun, l’interprétation de certaines images et l’ évaluation de la sophistication du message.
En adoptant une approche inductive, c’est-à-dire en laissant émerger les catégories des données, nous avons été en mesure de faire ressortir plusieurs types d’éthos numériques.
Concernant l’ analyse, Luckerhoff et Guillemette (2012) parlent du concept de « sensibilité théorique» qui désigne l’ouverture à ce que « disent» les données (p. 14). Ils affmnent également que « [ … ] chaque chercheur [ … ] est sensible à des aspects de la réalité plus qu’ à d’ autres, notamment à cause de sa formation disciplinaire et à cause de ses connivences théoriques» (p. 15). Ainsi, nous sommes plus sensibles à l’éthos numérique projeté par ces parlementaires étant donné que nous avons déjà occupé cette fonction.
L’image et la sophistication du message
Afin d’ évaluer la sophistication du message dans les publications, nous avons analysé selon une méthode qualitative la façon dont sont présentés les messages qui accompagnent les images sur la plateforme étudiée. Nous considérons qu’un message est « sophistiqué » lorsqu’il présente les acteurs accompagnant le politicien, indique le lieu où se trouve le parlementaire et le contexte de l’ image partagée et aborde un dossier gouvernemental comme le patrimoine ou l’agriculture ou encore les affaires mondiales (Gouvernement du Canada, 2018). Ces critères nous ont permis d’analyser les textes accompagnant les images. Ainsi, nous avons été en mesure de déterminer le ou les éthos (Drolet, Lalancette et Caty, 2015, p. 66) qu’une ou un parlementaire adopte sur la plateforme Instagram.
Le déroulement du terrain
Après avoir identifié la plateforme Instagram comme terrain d’ étude et avoir retenu un échantillon de politiciennes et politiciens répondant aux critères définis, nous avons observé le calendrier parlementaire afin d’ identifier les moments adéquats pour notre collecte de données (Parlement du Canada, 2018). Les mois d’octobre et de novembre 2016 se sont avérés les plus représentatifs, selon nous, de la vie parlementaire: les députées et députés passent du temps et dans leur circonscription et au Parlement. Une analyse des comptes Instagram en entier n’a pas été choisie étant donné que certains députés, actifs sur cette plateforme depuis un certain temps, ont plus de 500 publications sur leur compte (Instagram, Justin Trudeau, 2018), voire plus de 2 000 (Instagram, Tony Clement, 2018). Nous n’avions pas non plus la possibilité d’ analyser des mois antérieurs, car certaines politiciennes commencent tout juste à être plus actives sur la plateforme (Instagram, Ruth-Ellen Brosseau, 2018) (Instagram, Anne-Minh-Thu Quach, 2018). Nous estimions qu’ il était pertinent que ces jeunes femmes fassent partie de notre recherche, comme nouvelles utilisatrices.
Les phases et les critères de l’analyse
Durant la première phase de l’analyse, nous avons décrit chaque image, tout en archivant le texte s’y rattachant (voir grille d’analyse nO 1 en annexe). Chaque image a été numérotée et désignée par un titre. Ensuite, chaque compte Instagram étudié a été décrit afin d’ avoir une idée de l’ utilisation faite du compte en question (Marland, 2014, p. 61).
Quel genre de photo de profil est utilisée? L’adresse du site Web de la ou du parlementaire est-elle donnée? Est-ce que l’adresse de son bureau est partagée sur la plateforme ? Nous avons répondu à ces questions à l’aide de la grille d’ analyse n° 2 (voir en annexe) qui offre un survol global du compte Instagram de chacun des protagonistes étudiés (Verville, 2012, p. xv).
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Table des matières
Introduction
Chapitre 1 : Problématique et cadre théorique
Les médias socionumériques, une façon efficace de rejoindre les citoyens
L’importance de l’image et la stratégie de communication politique
Le potentiel des médias socionumériques et la construction de l’image
L’éthos, la présentation de soi et les mises en scène du parlementaire
La personnalisation et la vie privée des parlementaires canadiens
Le paysage politique: augmentation du nombre de femmes au Parlement
Les femmes et les médias socionumériques
Chapitre II : Méthodologie
Le contexte
Le corpus
La démarche méthodologique
Chapitre III : Résultats
Le contexte politique
L’éthos et la présentation de soi dans les médias socionumériques
Le type néophyte
Le type instagrammeur
Le type professionnel axé sur la tâche
Le type professionnel authentique
Le type professionnel en campagne
Des approches genrées sur la plateforme lnstagram ?
Discussion et conclusion
Retour sur la démarche
Le caractère novateur de notre recherche et ses limites
Références
Références bibliographiques
Médiagraphie
Annexe : Grilles d’ analyse
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