L’IMPORTANCE DE LA PRISE EN COMPTE DES PROBLÉMATIQUES ENVIRONNEMENTALES
La croissance des activités économiques, longtemps confondue avec le progrès et le bien-être des sociétés humaines (OECD, 2018), est devenue une préoccupation majeure de l’humanité pour un développement durable de la planète. Le monde scientifique s’accorde sur l’idée que le système économique industriel actuel de production et de consommation de masse n’est pas adapté pour un développement humain respectueux de l’environnement. Ce constat s’est popularisé ces dernières années au sein de l’opinion publique en raison des impacts négatifs de plus en plus visibles des activités humaines sur les équilibres naturels des écosystèmes.
La croissance économique est un phénomène relativement récent, qui s’est surtout affirmé entre les XVIIIème et XIXème siècles, au lendemain des révolutions agricoles et industrielles. Dès lors, l’humanité commence à produire toujours plus grâce au progrès technique et à la globalisation de l’économie comme leviers de croissance. Contrairement aux sociétés préindustrielles, qui rentabilisaient essentiellement les ressources disponibles localement pour produire suffisamment de biens destinés à l’autoconsommation (Fischer-Kowalski, 1998), un système d’exploitation industriel des ressources naturelles et énergétiques s’installe, considérant la nature comme un stock illimité de ressources à activer (Mathews, 2011). Ainsi, au cours du XXéme Siècle, 70% de la population mondiale vivant dans des sociétés rurales traditionnelles, marquées par des activités agricoles, s’insère dans un monde industriel tourné vers une économie marchande qui incite à toujours produire plus et moins cher pour être rentable et compétitif.
Les activités humaines s’intensifient, les innovations technologiques permettent d’extraire des quantités toujours plus importantes de ressources naturelles avec des taux d’extraction accélérée de 3,2% par an depuis l’an 2000 (International Resource Panel – IRP, 2019), qui entraine une surexploitation de la planète, au-delà de ses limites physiques, qui s’imposent à l’Homme (Crutzen, 2002). Les prélèvements toujours plus importants de matières et leur transformation, qui requièrent l’utilisation de beaucoup d’énergie, se font ainsi dans une quête perpétuelle de croissance incitant toujours à produire et à consommer massivement (OECD, 2001 ; Krausmann et al., 2009). Au-delà de l’épuisement des ressources qui deviennent de plus en plus rares, les déchets et substances polluantes générés de manière croissante accélèrent l’érosion de la biodiversité, la dégradation des écosystèmes naturels, et le dérèglement climatique. Ces dégradations environnementales sont étroitement liées à l’accroissement de la population mondiale, ses modes de vie et de consommation, ainsi qu’à la composition de la production, d’autant que la croissance du PIB mondiale est fonction de la consommation des ressources environnementales (Krausmann et al., 2009).
Le rapport de l’International Resource Panel (IRP) de 2019, indique ainsi que la consommation des ressources naturelles est passée de 27 à 92 milliards de tonnes au cours des cinq dernières décennies, pendant que la population mondiale a été multipliée par 2 sur la même période (IRP, 2019). Les rédacteurs du rapport estiment que cette tendance ne pourra que s’accentuer pour augmenter de 110 % en 2060 par rapport aux niveaux de 2015 pour atteindre 190 milliards de tonnes, avec un maintien de la consommation à des niveaux élevés, un recul de la pauvreté à l’échelle mondiale et une croissance démographique soutenue, estimée à 2 milliards de consommateurs supplémentaires à l’horizon 2050 (IRP, 2019). Dans ces conditions, l’ONG Global Footprint Network estime que l’humanité aurait consommé au 22 août 2020 l’ensemble des ressources que la planète serait capable de régénérer au cours de la même année (Global Footprint Network, 2020) .
Sur les conséquences en termes de changement climatique, l’équation IPAT (voir note 1) s’exprime sous la forme de l’identité de Kaya (1990) qui permet de calculer la croissance des émissions de Gaz à effet de Serre (GES) en une somme des taux de croissance de quatre autres facteurs d’ordre démographique, économique et de consommation d’énergie fossiles. En effet, le 4ème rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) de 2007 indique que la croissance de 1,9 % des émissions de GES par an dans le monde entre 1970 et 2004 s’explique par une croissance annuelle de 1,6% de la population, de 1,8% de croissance du PIB par habitant, ainsi qu’une baisse annuelle de 1,2% de l’intensité énergétique et de 0,2 % de l’intensité carbonique (GIEC, 2007). Pendant cette période, le PIB mondial a été donc multiplié par 4, entrainant une augmentation des volumes d’émissions mondiales de Gaz à effet de Serre (GES), de l’ordre de 80 % sur la même période (INSEE, 2017).
Vers une prise de conscience environnementale
Dans le contexte mondial critique des dégradations environnementales, de nombreuses voix – du monde scientifique, de la société civile ou politique – se sont levées pour appeler à une prise de conscience des risques encourus par la mauvaise gestion des ressources naturelles et apporter un éclairage sur la nécessité des transformations socio-écologique et économique de la société.
Les préoccupations relatives à l’environnement et aux ressources naturelles remontent déjà de la période préindustrielle avec notamment les sociétés traditionnelles aborigène d’Australie, Bushmen du Kalahari ou des tribus amérindiennes des Amériques, qui considèrent que la terre et toutes les espèces qu’elle abrite ont un droit moral que l’Homme se doit de respecter. Ils insistent en effet sur le fait que nous empruntons seulement la planète et ne la possèdons pas, et qu’elle doit être léguée aux générations futures au moins aussi propre que celle dont nous avons hérité de nos ancêtres. Cette éthique environnementale à inspiré l’hypothèse de Gaïa, une vaste littérature scientifique et philosophique développée sur les rapports entre l’homme et la nature, associés aux défis contemporains des changements climatiques (Lovelock, 1979).
Au début du XXème siècle plusieurs traités internationaux conclus entre quelques État visaient également à protéger certaines espèces sauvages de la surexploitation de l’homme. Les premiers accords de ce type furent la convention de Paris du 19 mars 1902 conclue entre 9 pays européens « pour la protection des oiseaux utiles à l’agriculture » (Ferrero-García, 2013), et celle de 1911 signée entre les États-Unis, la Grande-Bretagne, le Japon et la Russie pour règlementer la chasse aux phoques à fourrure du Pacifique Nord (Bailey, 1935). Citon également la convention de Londres de novembre 1933, pour la conservation intégrale de la faune et de la flore en Afrique, ayant abouti aux parcs nationaux que nous connaissons aujourd’hui (Kiss, 2005). Ces débuts de prise de mesure de la situation environnementale par des accords internationaux entre États, se sont aussi matérialisés par des initiatives privées à base de la création en 1948 de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN) .
Par ailleurs, différents travaux vont avoir une influence importante dans l’évolution des mentalités et l’élaboration de politiques publiques relatives à l’environnement. Aux États Unis, l’ouvrage « Silent Spring », écrit par R. Carson (1962) sur les problèmes de pollution liés aux activités humaines connait un franc succès auprès du grand public, conduisant aux mouvements écologistes et à la création de l’agence américaine de l’environnement. Les soulèvements de jeunes de mai 1968 en France, rejetant la société de consommation de masse mise en place au lendemain de la seconde guerre mondiale, se situent dans cette perspective (Kiss, 2005). Des nouvelles réflexions de nature scientifique sur les relations qui devraient exister entre l’économie et l’environnement vont également émerger des travaux précurseurs de Boulding (1966) constatant les limites physiques et thermodynamiques de la biosphère qui s’imposent aux sociétés humaines.
Dès 1972 le « Rapport Meadows », qui souligne les limites de la croissance économique et la nécessité de la prise en compte des enjeux environnementaux et sociaux dans les processus de développement économique, suscite beaucoup d’intérêt dans l’élaboration de nouveaux concepts et de politiques publiques devant favoriser une meilleure soutenabilité des activités humaines. Les puissances publiques et la communauté internationale se mobilisent ainsi sous l’égide des Nations Unies pour commander le rapport Brundtland (1987). Ce dernier introduit la notion du développement durable, qui permettrait de concilier croissance économique, équité sociale et protection de l’environnement, consacrée par le sommet de la terre de Rio en 1992. Dès lors, une série de sommets mondiaux sur le développement durable, consacrés à la lutte contre la pauvreté, se tiennent régulièrement (Johannesburg, Copenhague, etc.), prolongées par des conférences des parties (COP) sur le climat depuis la découverte des perturbations sur la couche d’ozone et l’effet de serre liés au réchauffement du climat.
La réduction des émissions de GES devient rapidement l’objet de négociations multilatérales lors de COP, et aboutit notamment en 1997 au protocole de Kyoto et aux accords de Paris de décembre 2015, avec comme engagement des pays, la volonté de limiter l’élévation moyenne de la température au monde en deçà de 2 °C à l’horizon 2030. Les experts du GIEC (2018) font pourtant remarquer qu’au rythme actuel de l’évolution de la température planétaire, il est probable que le réchauffement atteigne 1,5°C entre 2030 et 2052 ; ils estiment qu’une augmentation au-delà d’1,5°C aurait des conséquences dramatiques sur l’équilibre des milieux naturels et sur les capacités de l’humanité à satisfaire ses besoins fondamentaux. Le maintien à ce niveau l’élévation de la température passerait par une réduction des émissions de 45% d’ici 2030 et la réalisation d’une « neutralité carbone » en 2050 (GIEC, 2018).
Cependant, les négociations climatiques internationales censées réguler les émissions de GES dans le monde sont dans l’impasse, depuis l’entrée en vigueur en 2005 des accords de Kyoto. L’effort de réduction commun et partagé entre les États partis aux accords repose essentiellement sur les engagements de chacun des pays à réduire son empreinte carbone. Or, ils peinent globalement tous à tenir leurs engagements,notamment les pays émergents qui sont parmi les principaux émetteurs de GES, au premier rang desquels figurent la Chine et l’Inde. Jusqu’à présent, aucune décision contraignante ni mesures de contrôle ou de sanction n’a été prise à l’encontre des pays qui ne respectent pas leurs engagements. Aucune perspective de réforme des dispositifs n’est encore en vue, à cause des contradictions sur ce sujet. L’échec cuisant des États à s’entendre pour résoudre les problèmes a conduit D. Meadows, coauteur du rapport portant son nom (Meadows, 1972) d’affirmer dans une interview accordée au journal Libération à la veille du sommet Rio +20, que c’est « indéniablement le scénario de l’effondrement qui l’emporte » sur celui de l’équilibre par exemple.
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Table des matières
INTRODUCTION GÉNÉRALE
1. L’IMPORTANCE DE LA PRISE EN COMPTE DES PROBLÉMATIQUES ENVIRONNEMENTALES
1.1. Vers une prise de conscience environnementale
1.2. Des instruments de régulation ou de gestion environnementale
1.3. Des politiques publiques de transition écologique de l’économie
2. DE LA NÉCESSITÉ DE CHANGEMENT ET D’ÉVOLUTION DES MODES ACTUELS DE PRODUCTION ET DE CONSOMMATION
2.1. Vers un modèle de transformation économique circulaire
2.2. Le modèle d’économie circulaire
2.3. Vers une écologisation des pratiques
3. PROBLÉMATIQUE DE RECHERCHE
3.1. De l’importance d’une territorialisation des strategies circulaires
3.2. Des limites d’une approche locale de la transformation circulaire fondée sur la seule efficacité technologique des ressources
3.3. De la nécessité d’une approche organisationnelle de territorialisation des pratiques de circularité
3.4. Quels apports du cadre d’analyse du développement territorial à la compréhension des approches locales de circularité
4. CADRE D’APPLICATION ET DÉMARCHES MÉTHODOLOGIQUES
4.1. PARTIE I (chapitre 1) : Un état de l’art des synergies entre les concepts d’économie circulaire et de développement territorial durable
4.2. PARTIE II (chapitre 2) : Une analyse de la dynamique de progression de l’économie circulaire dans sa définition territoriale et spatiale
4.3. PARTIE III : Une étude de la gouvernance territoriale de l’économie circulaire
4.3.1. Chapitre 3 : Territorial governance and actors’ coordination in a local project of anaerobic digestion. A social network analysis
4.3.2. Chapitre 4 : How do local actors coordinate to implement a successful anaerobic digestion project?
CHAPITRE 1 : L’ÉCONOMIE CIRCULAIRE QUELS ENJEUX DE DÉVELOPPEMENT POUR LES TERRITOIRES ?
Résumé
Introduction
1. METTRE EN PLACE L’ÉCONOMIE CIRCULAIRE : VERS UNE REFORME PROFONDE DES MODES DE PRODUCTION ET DE CONSOMMATION
2. LES ENJEUX DE LA TERRITORIALISATION DE L’ÉCONOMIE CIRCULAIRE
2.1. Quel territoire de référence ?
2.2. Quelle échelle de déploiement des actions pour l’économie circulaire ?
3. L’ÉCONOMIE CIRCULAIRE COMME PROCESSUS DE DÉVELOPPEMENT TERRITORIAL SOUTENABLE : QUELLES APPROCHES POSSIBLES ?
3.1. Une approche par les démarches opérationnelles de l’économie circulaire : l’exemple de l’écologie industrielle et territoriale
3.2. Une approche par les trajectoires d’innovation de l’économie circulaire
3.3. La gouvernance de l’économie circulaire, induite par les proximités
CONCLUSION ET PISTES DE RECHERCHE
BIBLIOGRAPHIE
CHAPITRE 2 : VERS UNE TERRITORIALISATION DES DYNAMIQUES DE L’ÉCONOMIE CIRCULAIRE ? ANALYSE DU CAS FRANÇAIS, 2008 – 2015
Résumé
INTRODUCTION
1. L’ÉCONOMIE CIRCULAIRE COMME FACTEUR D’ANCRAGE ET DE CROISSANCE LOCALE DES ACTIVITÉS ÉCONOMIQUES
2. MÉTHODOLOGIE D’ANALYSE DES DYNAMIQUES SPATIALES ET D’ÉVOLUTION DE L’ÉCONOMIE CIRCULAIRE
2.1. Données et définition du champ de la sphère économique circulaire
2.2. Mesures statistiques des dynamiques locales de l’emploi circulaire
3. RÉSULTATS
3.1. Une croissance de l’emploi circulaire supérieure à la croissance de l’emploi total
3.2. Des activités circulaires davantage métropolitaines
3.3. Un effet régional marqué de la répartition spatiale des activités circulaires
3.4. Une diagonale du vide des activités d’économie circulaire
CONCLUSION
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
ANNEXE
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