L’enseignement-apprentissage des L2 au Québec
Au Canada, la Loi sur les langues officielles de 1969 confère au français et à l’anglais le statut de langues officielles du pays (Commissariat aux langues officielles, 2011). Toutefois, ce sont les provinces et les territoires qui disposent de la compétence exclusive de gestion de l’éducation (Conseil des ministres de l’Éducation, 2008). Par conséquent, les décisions qui régissent l’enseignement-apprentissage des L2 relèvent du gouvernement provincial et dépendent exclusivement des ministères respectifs. Au Québec, le Programme de formation de l’école québécoise (PFEQ) identifie le français comme langue d’enseignement au primaire pour les écoles des Commissions scolaires francophones5 (MELS, 2006). ‘Considérant qu’un « jeune enfant peut apprendre plusieurs langues en même temps » (MELS, 2006, p. 3) et en réponse à la nécessité d’un enseignement de la langue qui commence plus tôt dans le parcours scolaire (MELS, 2007), l’anglais L2 y est enseigné dès le premier cycle du primaire depuis 2006. De surcroît, et quoique facultative pour le moment, le MELS offre aux écoles francophones la possibilité d’implantation progressive de l’anglais intensif en 6e année du primaire (MELS, 2014).
L’ intérêt croissant de la société québécoise à l’égard de l’apprentissage des langues se reflète aussi par l’ intérêt porté à la langue espagnole. En effet, bien que non- inscrit au programme officiel, l’enseignement de l’espagnol au primaire prend de plus en plus d’ampleur au Québec. Les prochains paragraphes exposent les possibilités d’apprendre l’espagnol L3 au primaire dans les établissements scolaires du Québec. Premièrement, l’espagnol est offert aux élèves immigrants ayant l’espagnol comme langue maternelle grâce au Programme d’enseignement des langues d’origine (PELO), un programme qui vise à maintenir les connaissances de base des langues d’origine des élèves immigrants (MELS, 2009). Ce programme peut être offert aux autres élèves de l’école si l’objectif général du programme – maintenir les connaissances de base de la langue d’origine – est respecté et si le nombre de non-locuteurs ne dépasse pas un tiers des élèves inscrits au cours. Or, considérant les critères de sélection pour offrir ce programme, le PELO est, dans les faits, presque exclusivement offert dans les régions multiethniques comme les régions de Montréal et de Laval (MELS, 2009). Deuxièmement, un nombre croissant d’écoles pnmaIres adoptent des projets d’établissement qui ciblent l’enseignement-apprentissage de l’espagnol L3. Par exemple, dans la région de Trois-Rivières, une région où le français est la langue maternelle pour 96, 5% de la population (Statistique Canada, 2014), quatre écoles primaires enseignent l’espagnol L3. L’école Jacques-Buteux y est reconnue depuis déjà plusieurs années pour son programme de langues basé sur l’enseignement de l’anglais L2 et de l’espagnol L3.
Un exemple plus récent est l’École primaire d’ éducation internationale qui a ouvert ses portes en 2011 et où l’espagnol L3 est enseigné à partir du préscolaire . Vu le grand nombre de demandes d’ inscription qu’elle a reçues, cette école a dû proposer un projet d’agrandissement dès 2013-2014 (Lafrenière, 2013); elle compte présentement deux pavillons. Enfin, et toujours dans la même région, deux écoles primaires privées, l’École Vision et le Collège Marie-de-l’ Incamation1 ont déjà intégré l’ espagnol L3 dans leurs programmes éducatifs respectifs à partir de la maternelle et de la 3e année8 . Ces exemples illustrent la tendance en enseignement-apprentissage des L2 au Québec. En somme, même si la langue française reste au coeur des préoccupations des Québécois, ce que propose d’ ailleurs un sondage effectué par Web Léger Marketing- Association d’études canadiennes-Quebec Community Groups Network (Bélair-Crino, 2009), le bref survol de l’évolution de l’enseignement de l’ anglais L2 et la situation de l’espagnol au Québec laissent entrevoir que les Québécois témoigneraient de plus en plus d’ intérêt à l’égard de l’apprentissage de langues autres que le français. Si l’importance de l’ enseignement-apprentissage de l’anglais L2 au primaire n’est plus à démontrer, plusieurs raisons soutiennent le besoin de s’ intéresser aussi au cas de l’ enseignement-apprentissage de l’ espagnol au primaire: 1) l’espagnol est la L3 la plus enseignée dans les écoles secondaires du Québec (MELS, 2008); 2) l’espagnol occupe le troisième rang comme langue internationale (Calvet, 2010); 3) le Québec est une terre d’ accueil pour 13% de nouveaux arrivants hispano-américains (Ministère de l’ Immigration et des Communautés culturelles, 2006) et 4) l’espagnol et le français partagent une proximité linguistique avérée (Robert, 2004), ce qui faciliterait l’apprentissage de l’espagnol par les jeunes québécois. Pour ce, nous nous intéressons maintenant aux travaux portant sur l’apprentissage des langues au primaire.
La précocité dans l’ acquisition des L2 : deux courants de pensée
Les recherches portant sur l’acquisition des L2 au primaire se divisent selon deux courants de pensée. D’un côté, il existe des études qui soulignent les résultats favorables quant à l’apprentissage précoce des L2. D’un autre côté, certains chercheurs mettent en question et nuancent les avantages de l’ apprentissage précoce des L2. Plusieurs caractéristiques propres aux jeunes enfants (8-9 ans) telles la sensibilité aux contrastes phonétiques, la capacité de mémorisation et la plasticité du cerveau (Morlat, 2008) feraient que les enfants seraient plus aptes que les adolescents ou les adultes à apprendre une L2 (Morlat, 2008; Sousa, 2002). En outre, parmi les études favorables à l’apprentissage précoce des langues, celle de Sousa (2002) met en évidence le lien entre les fonctions cérébrales et le processus d’enseignement-apprentissage. Selon cet auteur, les jeunes enfants possèdent davantage de neurones comparativement aux adultes et en plus, les connexions neuronales se feraient beaucoup plus facilement chez les premiers que chez les deuxièmes.
L’information entrerait dans le cerveau par des fenêtres d ‘opportunités, c’ est-à-dire « d’importantes périodes pendant lesquelles le cerveau répond à certains types de stimulations pour créer ou consolider des réseaux neuraux» (Sousa, 2002, p. 25). Ces fenêtres d ‘opportunités s’ ouvrent et se ferment constamment. La fenêtre responsable de l’ acquisition du langage oral s’ ouvrirait ainsi dès la naissance et se fermerait vers l’âge de 10 ans. Ainsi, le cerveau des enfants disposerait de facultés d’apprendre plus facilement des L2 et, de façon maximale, pendant les dix premières années de leur vie. Même si l’enfant demeure apte à apprendre d’autres langues après cette période, ses capacités s’en trouveraient affaiblies. D’ ailleurs, les résultats d’une étude comparative récente soutiennent la logique de Sousa en mettant en lumière que les élèves qui commencent à étudier l’anglais L2 vers l’âge de 5-6 ans parlent plus couramment la langue et se démarquent par une meilleure performance en anglais comparativement à ceux qui débutent l’apprentissage de la langue vers l’âge de 12-13 ans (Gawi, 2012). Compte tenu des différences significatives dans les performances des deux groupes d’élèves, la précocité s’ avérerait un facteur important pour améliorer les compétences dans l’acquisition d’une L2 (ibid , 2012).
En opposition au courant de pensée favorable à l’ apprentissage précoce d’une L2, certains chercheurs remettent en question les avantages de l’apprentissage précoce des L2 et particulièrement l’ implantation d’une deuxième L2 au primaire. Comparant les niveaux de performance des élèves du primaire à ceux d’élèves du secondaire en apprentissage d’une L2, ces chercheurs avancent que les élèves du secondaire développeraient une plus grande compétence à l’égard des langues étudiées et avanceraient plus rapidement que les jeunes enfants vers la maîtrise de celles-ci (Cenoz, 2003). Parmi les causes qui expliquent ces résultats, Cenoz souligne la maturité cognitive des élèves du secondaire ainsi que les stratégies qu’ ils auraient élaborées de résolutions des problèmes linguistiques. Bien que les avantages de l’enseignement-apprentissage précoce des L2 ne fassent pas consensus dans les milieux scientifiques, il y a lieu de croire, tout comme Sousa (2002) et Morlat (2008), que l’enseignement-apprentissage précoce des L2 donne aux jeunes enfants la possibilité de profiter et de maximiser certaines facultés et capacités de leur cerveau qui diminueraient avec l’ âge.
Prenant également en considération les avantages contemporains de connaître une ou plusieurs L2, les tendances dans les politiques éducatives mondiales au sujet de l’ implantation de deux L2 dès le plus bas âge ainsi que l’ intérêt que la société québécoise témoigne déjà à cet égard, nous nous inscrivons dans le courant de pensée qui préconise la précocité dans l’acquisition des L2. Si les caractéristiques cognitives jouent un rôle en apprentissage des langues, un grand nombre de chercheurs reconnaissent quant à eux le rôle crucial de la motivation pour l’apprentissage d’une L2 (Domyei, 1994; Gardner, 1985; Noels, 2001). Dans cette optique, il demeure primordial de s’ intéresser à la motivation entretenue par les jeunes apprenants des L2. Mieux connaître les caractéristiques motivationnelles des élèves du primaire apprenants d’une L2 permettrait de bonifier les activités pédagogiques offertes à cette clientèle et ainsi de l’ assurer un enseignement plus efficace. Les sections suivantes discutent, à cet effet, de la motivation à l’apprentissage d’une L2 au primaire. Nous nous penchons également sur les liens entre motivation à l’apprentissage des L2 auprès de cette même clientèle, âge et genre.
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Table des matières
Introduction
1.1. De l’importance de la connaissance des langues
1.1.1. L’expérience de l’enseignement des L2 en Europe
1.1.2. L’enseignement des L2 aux États-Unis
1.1.3. L’enseignement-apprentissage des L2 au Québec
1.2. La précocité dans l’acquisition des L2 : deux courants de pensée
1.3. Motivation et apprentissage des L2 au primaire
1.3.1. Types d’ orientation de la motivation
1.3.2. Âge et types d’orientation de la motivation
1.3.3. Genre et types d’ orientation de la motivation
1.4. Question de recherche
Cadre de référence
2.1. Principales théories de la motivation et leur application en contexte scolaire
2.1.1. La théorie de l’autodétermination de Deci et Ryan
2.1.2. Le modèle da la dynamique motivationnelle de Viau
2.1.3. La théorie de l’ attribution causale de Weiner
2.1.4. La théorie d’auto-efficacité de Bandura
2.2. Théories de la motivation à l’apprentissage d’une L2
2.2.1. La théorie de Gardner et Lambert
2.2.2. Les modèles de Domyei
2.2.3. Le modèle de Noels et ses collègues
2.3. Choix de cadre de référence
2.4. Objectifs de recherche
Méthodologie
3.1. Type de recherche
3.2. Participants
3.2.1. Les élèves de l’École Jacques-Buteux
3.2.2. Les élèves de l’École primaire d’éducation internationale
3.2.3. Les parents des élèves
3.3. Outils de recherche
3.3.1. Groupes de discussion
3.3.2. Questions ouvertes individuelles aux élèves
3.3.3. Validation du groupe de discussion et des questions ouvertes individuelles
3.3.4. Questions ouvertes aux parents
3.4. Procédures de collecte de données
3.4.1. L’École Jacques-Buteux
3.4.1.1 . Rencontres avec les élèves: questions ouvertes individuelles et groupes de discussion
3.4.1.2. Questions ouvertes aux parents
3.4.2. L’École primaire d’éducation internationale
3.4.2.1. Rencontres avec les élèves: questions ouvertes individuelles et groupes de discussion
3.4.2.2. Questions ouvertes aux parents
3.5. Traitement de données
3.6. Plan d’analyse de données
3.6.1. Groupes de discussion
3.6.2. Questions ouvertes
3.6.3. Triangulation de données
Résultats
4.1. Analyse de données
4.1.1. Codage et catégorisation des données
4.1.1.1. Groupes de discussions
4.1.1.2. Questions ouvertes individuelles aux élèves
4.1.1.3. Questions ouvertes aux parents
4.1.2. Rigueur scientifique
4.2. Orientations à l’apprentissage de l’anglais et de l’espagnol L2
4.2.1. L’anglais L2
4.2.1.1. Orientation intégrative
4.2.1.2. Orientation instrumentale
4.2.1.3. Orientation intrinsèque
4.2.1.4. Orientation Voyages
4.2.1.5. Perceptions des parents
4.2.1.6. Portrait global des orientations à l’apprentissage de l’anglais L2
4.2.2. L’espagnol L2
4.2.2.1. Orientation intégrative
4.2.2.2. Orientation instrumentale
4.2.2.3. Orientation intrinsèque
4.2.2.4. Orientation Voyages
4.2.2.5. Perceptions des parents
4.2.2.6. Portrait global des orientations à l’apprentissage de l’espagnol L2
4.3. Comparaison des orientations à l’apprentissage des L2
4.3.1. Comparaison des orientations à l’apprentissage des L2
4.3.2. Préférence de langue
4.4. Comparaison des orientations à l’apprentissage des L2 selon le genre
Discussion
5.1. Question de recherche
5.2. Comparaison des orientations à l’apprentissage des L2
5.2.1. Orientations à l’apprentissage des L2
5.2.1.1. Orientation intégrative
5.2.1.2. Orientation instrumentale
5.2.1.3. Orientation intrinsèque
5.2.1.4. Orientation Voyages
5.2.2. Préférence de langue
5.3. Retombées possibles
5.4. Forces et limites
5.4.1. Forces
5.4.2. Limites
Conclusion
6.1. Synthèse de la réalisation de notre recherche
6.2. Synthèse des objectifs de recherche
6.2.1. Synthèse de l’objectif 1 et du sous-objectif
6.2.2. Synthèse de l’objectif de recherche 2
6.2.3. Synthèse de l’objectif de recherche 3
6.3. Pistes de recherches futures
Références
Appendices
Appendice A : Grille des questions du groupe de discussion aux élèves
Appendice B : Questions ouvertes individuelles aux élèves
Appendice C : Questions ouvertes aux parents
Appendice D : Demande de collaboration auprès des directions des écoles
Appendice E : Lettre d’information et formulaire de consentement
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