L’IMPLICATION DU SALARIE DANS L’ENTREPRISE IN BONIS
La vie de l’entreprise, personne morale, se caractérise par une succession de périodes plus ou moins prospères, à l’image de celle des personnes physiques. Comme pour les personnes physiques, l’idéal des personnes morales est de demeurer dans la prospérité, ou tout au moins, en bonne santé. A ce stade, on parle de l’entreprise in bonis, elle désigne la situation de l’entreprise qui jouit de l’ensemble des droits d’usage et de disposition qui lui sont conférés par le droit sur la gestion de son patrimoine. C’est l’entreprise dont l’entité gouvernante disposerait de l’ensemble des pouvoirs qui lui sont reconnus. Bien évidemment, cet état n’est pas immuable, car comme le disait Jules Romain, tout homme bien portant est un malade qui s’ignore, c’est dire que l’entreprise in bonis mérite également d’être observée. L’entreprise in bonis, serait alors cette entreprise qui, bien qu’exposée aux difficultés, continue de fonctionner, c’est l’entreprise qui n’est pas en cessation des paiements, c’est-à-dire que son actif peut faire face à son passif. A son opposé, l’on a les entreprises qui ayant été placées sous le régime de traitement judiciaire, sont à degrés divers déchues des droits de disposer de leurs biens qui constituent le gage de leurs créanciers.
Il est nécessaire de maintenir l’entreprise saine. Lorsque l’entreprise fonctionne normalement, les créanciers sont payés, le crédit est sauvegardé, le débiteur honorable, les actionnaires conservent leur argent, les collectivités locales perçoivent leurs impôts et leurs taxes, les fournisseurs conservent leur marché, les clients gardent leur approvisionnement et surtout les salariés leur emploi . Toutes les parties prenantes sont positivement affectées par le bon fonctionnement de l’entreprise. C’est légitimement que toutes les parties prenantes s’investissent dans la perpétuation de l’activité de l’entreprise. Les salariés, parties prenantes internes, doivent s’investir dans le maintien de leur source de revenu professionnelle qui leur permet de vivre de manière décente. Cet investissement ou implication se justifie par deux motifs : la nécessité de préserver l’intérêt de l’entreprise et l’impératif de conjurer la crise .
UNE IMPLICATION JUSTIFIEE PAR LA NECESSITE DE PRESERVER L’INTERET DE L’ENTREPRISE
Impliquer le salarié dans la vie de l’entreprise peut a priori paraître prétentieux si l’on se fonde sur l’approche propriétariste des biens, et selon laquelle le titulaire d’un bien devrait avoir l’usus l’abusus et le fructus sur ledit bien. Il ne devrait pas être gêné dans la jouissance de son bien. Sous cet angle, les détenteurs de capitaux seraient fondés à combattre toute irruption qui, de près ou de loin, pourrait gêner leur liberté dans la conduite de leurs affaires. Cependant, comme tout droit universellement reconnu, le droit de propriété connaît un encadrement, lequel est censé garantir son usage dans le respect de l’ordre public. Pour ce qui est du droit des propriétaires de l’entreprise, ils doivent nécessairement s’exercer en conformité avec la préservation de l’intérêt de l’entreprise. L’intérêt de l’entreprise est en effet un vase creux, un idéal tendanciel, et dont la défense et la protection pourraient échoir à tous ceux qui participent de près ou de loin à lavie de l’entreprise.
La légitimité du salarié à défendre l’intérêt de l’entreprise
Le salariat auquel se soumet volontairement l’individu, lui impose de mettre sa force de travail au service de la production de l’entité à laquelle il est lié. L’individu offre sa prestation et en retour, il reçoit une rétribution, dont le salaire est la forme la plus répandue. Le travail n’a pas qu’une dimension instrumentale. Il revêt des dimensions expressives, lesquelles, niées ou malmenées, participent de cette réalité devenue banale selon laquelle, « les salariés vont mal ». « Gagner sa vie » est une des raisons essentielles de travailler. Ce n’est pas la seule. On travaille aussi pour « être autonome », pour « être inclus » dans le tissu social, pour « se sentir utile » à quelqu’un, l’entreprise ou la société et enfin, on travaille avec l’espoir et la volonté de faire quelque chose d’intéressant . Au-delà de la rétribution, la reconnaissance du salarié comme valeur pensante, pouvant activement réfléchir pour assurer la prospérité de l’entreprise, est un enjeu majeur.
Voltaire écrivait que le travail éloigne l’homme de trois grands maux : l’ennui, le vice et le besoin. Cette assertion utilitariste place l’éradication de l’ennui au premier rang des attributs que le fait de travailler puisse procurer au salarié, et pourtant, l’on est sans ignorer que la répétition des tâches peut pousser à l’ennui. Néanmoins, il est certain que l’individu qui est associé au processus de création de l’œuvre sociale, est plus enclin à conjurer cet ennui. Il a la satisfaction d’être utile et de rendre heureux tous ceux qui bénéficient de l’œuvre à laquelle il a participé. En étant associé au processus de création de l’œuvre sociale, le salarié participe activement à la création de la richesse, laquelle fait vivre l’entreprise.
L’intérêt du salarié à veiller à la bonne marche de l’entreprise est donc acquis, mais pour produire son plein effet, il faudrait que la place de partie prenante privilégiée du salariés ne souffre d’aucune contestation .
Le salarié partie prenante affirmée
Les parties prenantes sont celles qui sont intéressées à la vie de l’entreprise, le degré d’intéressement varie en fonction de l’importance que la structure a pour la partie en question. Les parties prenantes peuvent être des personnes ou des groupements plus ou moins dotés de la personnalité juridique. Les parties prenantes peuvent participer à la vie économique de l’entreprise, tel est le cas des salariés, des clients, des fournisseurs, et des actionnaires ; elles peuvent également observer l’entreprise, à l’instar des syndicats et des ONG ; enfin certaines parties prenantes peuvent être passivement affectées par les activités de l’entreprise, c’est le cas de la société civile, la collectivité locale, et dans une certaine mesure les salariés. Pour mieux cerner l’affirmation de la qualité de partie prenante au salarié, il serait important de revenir sur la controverse autour de la place du salarié dansl’entreprise , toute chose qui permettra d’aborder la contribution du salarié à la démocratie participative .
La controverse sur la place des salariés au sein de l’entreprise
L’entreprise est une structure hiérarchisée dans laquelle chacun des acteurs est appelé à jouer un rôle particulier. La détention et l’exercice du pouvoir sont communément confondus avec la propriété de l’entreprise. Bloch-Lainé François affirmait en ce sens que L’entreprise est une propriété et le pouvoir y est exercé par les propriétaires eux mêmes, ou en leur nom et pour leur compte. Cette confusion entre pouvoir et propriété est admise aussi bien par les capitalistes que par les marxistes. Le capitalisme soutient que toute possession individuelle justifie la direction. Le marxisme exproprie pour transférer à la collectivité la conduite des affaires . C’est dire qu’il est potentiellement admis que les salariés, membres de la collectivité, puissent interagir dans l’exercice du pouvoir.
La société est la forme d’organisation d’entreprise la plus répandue. L’acte de société, en droit commercial, confère un statut dans l’entreprise aux détenteurs du capital, il n’en confère pas aux membres du personnel qui ne sont liés à la société que par le contrat de travail. Ainsi, les actionnaires sont-ils chez eux dans la société, tandis que les salariés n’y sont pas ? S’interrogeait cet éminent auteur. L’on verra qu’originellement considérés comme tiers de l’entreprise , les salariés ont progressivement acquis le statut de partenaires de l’entreprise .
Les salariés tiers à l’entreprise
L’entreprise est une unité économique, juridiquement autonome, organisée pour produire des biens ou des services pour le marché. Le pouvoir est dévolu au détenteur du capital en vertu du droit de propriété , les salariés, n’interférant pas dans le capital, sont considérés comme des tiers dans la structure organisationnelle. Pour l’entrepreneur, la finalité est la rentabilité de l’activité qu’il a mise en œuvre. La conception classique de l’entreprise la réduit à un agent optimisant une fonction de production dans le but d’atteindre un objectif de maximisation d’un profit. Avec cette conception, l’entreprise est assimilée à un décideur unique, dont la rationalité est parfaite, qui possède une fonction de préférence claire et a accès à un ensemble de connaissances productives disponibles et homogènes pour l’ensemble des entreprises en présence . C’est la vision qui a guidé la mise en œuvre de l’entreprise telle qu’observée de nos jours.
Pour atteindre ses fins, l’entrepreneur est doté d’un certain pouvoir d’organisation et de direction qu’il exerce sur les personnes qui concourent à la réalisation de l’œuvre sociale. Si l’on retourne aux origines du pouvoir de direction, le lien qui unit le chef d’entreprise au salarié semble intimement lié à la propriété des moyens de production. Le salarié est, en effet, considéré comme un contractant fournissant sa force de travail dans un rapport de subordination au propriétaire des actifs productifs, à savoir l’employeur. La direction du salarié est ainsi très naturellement liée à l’activité de production et sans cette activité d’ailleurs, la raison d’être de l’emploi salarié disparaît . En concluant le contrat de travail, le salarié met sa personne à la disposition de l’employeur, comme l’a fait remarquer Jean-jacques Dupeyroux: nier la réalité sous prétexte qu’elle est choquante ne sert à rien . Ceci étant, loin d’être une institution, l’entreprise n’est en effet que le lieu où les salariés mettent leur force et leur capacité à la disposition d’autrui pour en obtenir des moyens de subsistance ; elle n’est de ce fait qu’un terrain de conflits, un champ clos où s’affrontent des intérêts antagonistes . Le pouvoir de direction serait alors le fondement de l’autorité de l’employeur sur les salariés.
|
Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
PREMIERE PARTIE : L’IMPLICATION DU SALARIE DANS L’ENTREPRISE IN BONIS
TITRE 1 : UNE IMPLICATION JUSTIFIEE PAR LA NECESSITE DE PRESERVER L’INTERET DE L’ENTREPRISE
Chapitre 1 : La légitimité du salarié à défendre l’intérêt de l’entreprise
Conclusion du chapitre 1
Chapitre 2 : Les instruments juridiques de défense de l’intérêt de l’entreprise par le salarié
Conclusion du chapitre 2 et du titre 1
TITRE 2 : UNE IMPLICATION JUSTIFIEE PAR L’IMPERATIF DE CONJURER LA CRISE
Chapitre 1: La multiplication souhaitée des mécanismes de contrôle des salariés
Chapitre 2: La participation souhaitée du salarié aux mesures de prétraitement de l’entreprise
Conclusion du chapitre 2 et du titre2
CONCLUSION PREMIERE PARTIE
SECONDE PARTIE : L’IMPLICATION DU SALARIE DANS L’ENTREPRISE EN CRISE
TITRE I : L’IMPLICATION DANS LA DÉTECTION ET L’ENCLENCHEMENT DES PROCÉDURES DE TRAITEMENT
Chapitre 1: Le salarié, détecteur privilégié des difficultés de l’entreprise
Conclusion du Chapitre 1
Chapitre 2 : Le salarié, enclencheur possible des mesures de traitement
Conclusion du chapitre 2
Conclusion du titre 1
TITRE 2: L’IMPLICATION DANS LE TRAITEMENT DES DIFFICULTES DE L’ENTREPRISE
Chapitre 1 : Le salarié, préoccupation centrale des mesures sociales destinées au traitement de l’entreprise
Conclusion du chapitre 1
Chapitre 2 Le salarié timidement impliqué dans les mesures économiques visant le renflouement de l’entreprise
Conclusion du Chapitre 2 et du titre 2
CONCLUSION SECONDE PARTIE
CONCLUSION GENERALE
BIBLIOGRAPHIE