Qu’est-ce qui a pu pousser certains hommes à souffler dans un coquillage et ainsi inventer la première trompette ? L’archéologue et historien mexicain José Corona Núñez donne ici une ébauche de réponse :
“El hombre prehispánico de México sentía en el viento la presencia de Dios. Pero no concibió su palabra sino hasta que el viento salió a través de un caracol marino. Entonces fue cuando el caracol se convirtió en el instrumento de la palabra divina.”
“L’homme préhispanique du Mexique sentait à travers le vent la présence de Dieu. Mais il ne conçut sa parole qu’au moment où le vent traversa un coquillage marin. Ce fut donc quand le coquillage se transforma en un instrument de la parole divine.”
Que ce soit ou non, pour converser avec Dieu, l’homme a copié la nature et s’est servi de ses productions pour faire de la musique. Depuis, la technique s’est considérablement développée. De transmissions en petites évolutions, les instruments ont chacun acquis, au bout de nombreuses générations, des caractéristiques propres, en se détachant de la simple reproduction des éléments naturels. La science a rarement été au centre de ces améliorations, l’évolution des instruments relevant plus du lent perfectionnement de la technique de la facture instrumentale. Néanmoins, depuis une cinquantaine d’années, les travaux scientifiques sur les instruments de musique se sont considérablement développés avec [Benade 1959, Benade 1976, Backus 1970, Nederveen 1998, Fletcher & Rossing 1991, Chaigne & Kergomard 2008], pour ne citer qu’eux. Des collaborations de plus en plus nombreuses se sont nouées entre facteurs et chercheurs, par exemple : [Blanc 2009, Macaluso & Dalmont 2011, Kemp et al. 2010, Mamou-Mani et al. 2012]. Des outils de calcul de l’impédance d’entrée ont ainsi été développés pour aider les facteurs à la réalisation d’instruments : Resonans et BIAS à la fin des années 80, et TUTT plus récemment. Des outils pédagogiques sont aussi à la disposition des facteurs et plus généralement des musiciens. Depuis 1990, la relation avec les facteurs s’est structurée en France grâce au Pôle d’innovation basé à l’ITEMM créé en 2000, les ordinateurs sont plus performants, les facteurs (ainsi que le reste de la population) sont plus familiers avec l’outil informatique et les connaissances scientifiques ont évolué.
Les éléments qui concourent à l’élaboration d’un instrument réussi (instrument qu’un instrumentiste aimera jouer) sont multiples. Même si l’instrument idéal, en tant que cible à atteindre, n’existe pas et ne constitue pas une notion univoque sur laquelle tous, musiciens, facteurs, mélomanes pourraient s’accorder, il est possible de déduire de la mesure certains indicateurs objectifs permettant de caractériser l’instrument. Deux thèses inscrites dans le projet PAFI, celle de Benjamin Elie sur les instruments à cordes [Elie 2012] et celle-ci sur les instruments à vent, se proposent d’aborder des indicateurs particuliers qui participent à l’évaluation des instruments de musique.
Une grande précision est nécessaire pour répondre aux attentes des musiciens professionnels. En effet, la plus petite différence de fréquence entre deux notes successives détectable par l’oreille humaine est d’environ 8 cents à 200 Hz et descend jusqu’à 3 cents à 1 kHz [Hartmann 1996]. Les modèles proposés se doivent donc d’approcher cette précision pour donner une estimation des fréquences de jeu utiles pour le facteur. Cela n’est pas chose facile car la plupart des instruments à vent possèdent une perce complexe. Un instrument est en effet composé d’une base cylindrique ou conique qu’il est facile de modéliser, où viennent s’intercaler de nombreuses singularités plus difficiles à prendre en compte : certains instruments présentent des discontinuités, sont munis de trous latéraux ou de pistons, sont courbés ou se terminent par un pavillon. Ces singularités rendent la mesure de la géométrie délicate. Elle doit pourtant être réalisée avec une grande précision, typiquement de l’ordre du dixième de millimètre, pour que les résultats des modèles proposés soient représentatifs du comportement de l’instrument.
Rayonnement avec écran infini et sans écran
Le problème de l’impédance de rayonnement acoustique du mode plan d’un tuyau cylindrique aux parois rigides (c’est à dire avec une condition limite de Neumann) est un problème classique en acoustique. Plusieurs calculs détaillés pour les cas des cylindres avec écran infini et sans écran ont déjà été proposés [Levine & Schwinger 1948, Norris & Sheng 1989]. Pour compléter, des mesures sur de nombreux cas d’écrans se trouvant dans les instruments de musique ont été comparées à des résultats théoriques et numériques [Dalmont et al. 2001]. De nouvelles formules approchées sont proposées dans [Silva et al. 2009]. Ces dernières vérifient des propriétés mathématiques élémentaires mais nécessaires d’un point de vue physique, à savoir la symétrie hermitienne qui assure la cohérence des comportements en notation harmonique complexe, ainsi que la causalité de la réponse temporelle ([Silva et al. 2009] Eqs.(16)-(20)). Dans le cas d’applications dans le domaine fréquentiel, une formule est donnée, ne vérifiant pas la causalité de la réponse impulsionnelle mais aboutissant à une meilleure précision de la réponse fréquentielle ([Silva et al. 2009] Eqs. (21) et (22)). Ces approximations sont obtenues par ajustement analytique ou numérique sous contrainte sur des valeurs de référence calculées selon les résultats de Levine et Schwinger [Levine & Schwinger 1948] dans le cas d’un cylindre sans écran, et sur le calcul de Zorumski [Zorumski 1973] quand le guide d’onde débouche sur un demi-espace.
Comparaison des modèles avec la mesure
La mesure de l’impédance d’entrée d’un tuyau ouvert à son extrémité permet de comparer deux modèles de rayonnement présentés précédemment : le modèle sans écran et le modèle avec écran fini. Ici, la propagation est définie de la même manière pour les deux modèles (matrice de transfert de la section 1.1.1) et seul le modèle de rayonnement diffère. Cette comparaison est réalisée en s’intéressant, comme précédemment, aux pics de l’impédance. Ces pics sont définis par trois critères : leur fréquence, leur amplitude et leur facteur de qualité. Pour une problématique de facture instrumentale, le critère de fréquence est le plus important, puisqu’il est directement lié à la justesse de l’instrument. L’amplitude et le facteur de qualité ont des effets un peu moins audibles mais ont une influence sur le timbre. Nous avons décidé de porter notre étude sur les fréquences de résonance et l’amplitude des pics.
La question des pavillons : propagation et rayonnement
Préambule
Cette section présente la reproduction d’un article en anglais publié dans Acta Acustica United with Acustica en janvier 2012 [Eveno et al. 2012] et intitulé “Wave propagation and radiation in a horn : Comparisons between models and measurements”. Cet article a été écrit en collaboration avec Jean-Pierre Dalmont, René Caussé et Joël Gilbert. Il propose d’évaluer les erreurs induites par deux modèles, un modèle onde plane et un modèle onde sphérique, dans l’estimation de l’impédance d’entrée de deux pavillons. La perce de ces deux pavillons, un pavillon de trompette et un pavillon de trombone, étant connue au dixième de millimètre, la mesure de leur impédance d’entrée donne une référence précise pour la comparaison avec les modèles.
Cette méthode est en effet connue pour donner de bons résultats pour les géométries simples présentées précédemment [Plitnik & Strong 1979, van Walstijn & Campbell 2003] mais aucune étude n’a été réalisée depuis l’article de Caussé et al. [Caussé et al. 1984] sur sa précision dans le cadre d’un système plus complexe comme le pavillon. Le pavillon est discrétisé en troncs de cônes, chacun représenté par une matrice de transfert. Deux modèles de propagation sont implémentés suivant les coordonnées choisies : le modèle onde plane en prenant l’abscisse le long de l’axe du cône et le modèle onde sphérique en utilisant l’abscisse curviligne.
Deux impédances de rayonnement sont utilisées : l’impédance de rayonnement sans écran définie dans [Silva et al. 2009] et l’impédance de rayonnement d’une portion de sphère pulsante [Hélie & Rodet 2003]. Quatre modèles sont construits à partir des combinaisons entre les deux modèles de propagation et les deux modèles de rayonnement. Il apparaît que les impédances implémentées à partir d’un même modèle de propagation sont très proches l’une de l’autre sur tout le domaine de fréquence étudié. Le modèle de propagation choisi a donc plus d’impact sur l’impédance d’entrée que le modèle de rayonnement. L’impédance de rayonnement d’une portion de sphère pulsante réalise une meilleure adaptation d’impédance que le modèle plan. Par la suite, seuls les modèles “physiquement réalistes” sont considérés : propagation en onde plane couplée au rayonnement sans écran et propagation en onde sphérique couplée au rayonnement d’une portion de sphère pulsante.
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Table des matières
Introduction
1 Quels modèles pour le calcul de l’impédance d’entrée ?
1.1 Eléments simples
1.1.1 Cylindre fermé
1.1.2 Cône
1.1.3 Rayonnement
1.2 La question des pavillons : propagation et rayonnement
1.2.1 Préambule
1.2.2 Article paru dans Acta Acustica
2 Evaluation de plusieurs méthodes pour le calcul de l’impédance d’entrée de pavillons
2.1 Méthodes étudiées
2.1.1 La méthode des éléments finis (FEM)
2.1.2 La méthode des éléments finis de frontière (BEM)
2.1.3 La méthode multimodale
2.1.4 La méthode des raccords C
1 de tronçons à R′′/R constant
2.1.5 La méthode des différences finies (FDM)
2.1.6 Correction 3D à la méthode des matrices de transfert (Corr3D)
2.2 Résultats
2.2.1 Petit cône avec cylindre
2.2.2 Pavillon de trombone
2.2.3 Pavillon de trompette
2.3 Conclusion
3 Trous latéraux, plateaux et tampons
3.1 Rappels théoriques
3.1.1 Trou ouvert – Impédance en parallèle
3.1.2 Trou ouvert – Impédance en série
3.1.3 Trou fermé – Impédance en parallèle
3.1.4 Trou fermé – Impédance en série
3.2 Influence d’un tampon au-dessus d’un trou
3.2.1 Trou fermé
3.2.2 Trou ouvert et hauteur de plateau
3.2.3 Mesures vibratoires
3.3 Application au saxophone complet
3.3.1 Effet des tampons sur l’impédance d’entrée d’un saxophone
3.3.2 Influence en situation de jeu
3.4 Conclusion
4 Des fréquences de résonance aux fréquences de jeu
4.1 Le cas de la trompette
4.1.1 Préambule
4.1.2 Article soumis
4.2 Le cas du serpent
Conclusions
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