Acquisition du langage et des conduites narratives
L’acquisition du langage
L’acquisition d’une langue est un processus qui se fait de façon progressive chez l’enfant. Ce processus part du stade où celui-ci débute son acquisition jusqu’à l’étape où il acquiert le système complexe comme celui qu’on retrouve chez l’adulte. La transition entre l’état enfantin et l’état adulte ne se fait pas de façon simple. Entre ces deux phases qui en réalité constituent des étapes majeures, il y a plusieurs phénomènes qui se développent et se complexifient aussi bien du point de vue linguistique que cognitif. Cependant, malgré la complexité de cette transition, tout enfant se développant normalement produit son premier mot à peu près autour de sa deuxième année. Cet âge approximatif de production du premier mot par l’enfant est universel et a suscité de nombreuses interrogations chez les premiers chercheurs qui ont jugé nécessaire de comprendre et d’expliquer scientifiquement l’acquisition du langage. Car, comme le souligne De Boysson-Bardies (2005, p.16): « les hommes ont toujours eu l’intuition que cette aptitude de l’enfant à acquérir rapidement le langage ne pouvait provenir que d’un don. » Ainsi, pour s’écarter de ce dogmatisme linguistique, diverses théories ont été mises en place par des chercheurs dont l’objectif commun était de comprendre mais surtout d’expliquer à partir des comportements observables, d’une part (les comportements appris au sein de l’environnement social) et innés, d’autre part, (les comportements transmis génétiquement) l’acquisition du langage. Parmi ces différentes théories, nous avons le behaviorisme. En effet, les behavioristes, en s’intéressant aux comportements verbaux et aux données observables, rejettent tout ce qui se rapporte aux structures internes et aux processus mentaux car, soutiennent-ils : « le langage n’est qu’un comportement parmi tant d’autres. » (Watson, 1924).
Autrement dit c’est un comportement au même titre qu’aller se coucher quand on a sommeil, boire quand on a soif, manger quand on a faim etc. L’idée force des behavioristes est de considérer la modification d’un comportement en réaction au stimulus qui a été émis de façon interne ou externe. De plus, pour ces théoriciens, la connexion établie entre un stimulus et une réponse obéit à trois règles. D’abord des règles du conditionnement classique qui expliquent l’acquisition du langage par certains procédés comme les répétitions. En effet, ces règles démontrent qu’il est plus facile pour un l’enfant d’acquérir rapidement un mot qu’il entend fréquemment dans son entourage qu’un mot dont l’occurrence est rare. Ensuite, les règles du conditionnement opérant. Ces dernières véhiculent l’idée selon laquelle les productions de l’enfant, qui sont proches de sa langue maternelle sont renforcées par un adulte notamment avec des sourires, des caresses, etc. Cette situation favorise également l’acquisition du langage. Cette corrélation obéit enfin, aux règles de l’imitation. Celles-ci s’appuient sur les moments d’attention conjointe entre la mère et l’enfant pour expliquer l’acquisition du langage. Puisque lors de ces moments, les productions de la mère peuvent être reprises ou imitées par l’enfant. De ce fait, si le mot répété se rapproche de la prononciation de la mère, là encore l’enfant est récompensé par des sourires, des caresses, des baisers, etc. (Bernicot et al., 2009, p.104). A l’aune de ce qui précède, nous concluons donc que l’acquisition du langage chez les behavioristes s’explique par ces trois procédés observables.
A la suite du behaviorisme, nous convoquons un autre courant : le générativisme. Les générativistes, notamment avec Chomsky (1971), prônent une version innée de l’acquisition du langage. Pour eux, l’Etre humain naitrait déjà avec certain dispositif linguistique, qui lui serait transmis génétiquement et qui serait commun à toutes les langues : ce que Chomsky a appelé « la grammaire universelle. » Cette grammaire, selon les nativistes, présente des règles trop complexes pour qu’un enfant (d’environ deux ans) puisse les comprendre et les utiliser correctement et dans un temps aussi réduit (McNeil, 1970). C’est pourquoi, pensent-ils « la grammaire est constituée d’un ensemble fini de règles, partagé par les locuteurs d’une même langue, qui permet de générer un nombre infini de phrases correctes. La grammaire n’est pas apprise par l’enfant, elle est inscrite dans son potentiel génétique, elle est innée. » (Bernicot et al., 2009, p107). Ainsi donc, contrairement aux behavioristes qui développent leur théorie sur les comportements observables de l’individu, les générativistes, eux, considèrent presque dans leur ensemble que l’héritage génétique intervient dans l’acquisition et le développement du langage chez l’enfant.
Pendant que les approches behavioriste et générativiste s’attachent à expliquer l’acquisition du langage par, respectivement, les comportements observables et par le dispositif mental, les approches sociocognitives quant à elles, notamment avec Piaget (1923) et le constructivisme, considèrent le langage comme un phénomène à la fois social et cognitif et postulent que les structures linguistiques émergent à travers l’interaction entre l’enfant et son environnement.
En effet, pour les constructivistes par exemple : « le langage est une aptitude humaine parmi d’autres qui se construit au cours du développement de l’enfant. L’acquisition du langage est dépendante du développement de la cognition qui est réalisée de façon progressive et interactive avec le monde physique. » Bernicot et al., (2009, p.112). Dans cette perspective, l’acquisition du langage dépend non seulement de l’environnement physique de l’enfant, c’est-à-dire de tous les objets qui l’entourent, mais aussi de la capacité de l’enfant à pouvoir les conceptualiser et de les nommer ensuite. La conceptualisation et la désignation des objets par l’enfant dépendent de sa maturité cognitive, c’es-à-dire du fait qu’il ait déjà : « acquis les représentations mentales nécessaires à l’usage symbolique des mots. » Bernicot et al., (2009, p.112).
En dehors du constructivisme, d’autres perspectives socio-cognitivistes ont été développées. Il s’agit notamment des théories qui décrivent le processus d’acquisition du langage à travers des interactions sociales. Vygotski (1997) par exemple pense que la fonction essentielle du langage est d’assurer la communication entre les interlocuteurs, notamment entre un adulte et un enfant. Et le langage de l’enfant est purement social, donc acquis. Ainsi considère t-il que c’est au sein de l’environnement social et surtout grâce aux interactions permanentes entre un adulte et un enfant que ce dernier va développer son langage. De plus, en parlant des questions d’acquisition du langage, Vygotski propose de les aborder en termes de phase interpsychologique d’une part et de phase intrapsychologique d’autre part. Ces deux phases correspondent respectivement : « à une période de construction du code commun avec un interlocuteur, et à l’utilisation par l’enfant de ce code pour lui-même. » (Kail, 2000 :49).
Autrement dit, dans la phase interpsychologique, l’enfant et l’adulte entrent dans une situation de communication, situation pendant laquelle l’enfant va développer son langage puisque ses productions sont immédiatement interprétées et corrigées par l’adulte. Ainsi : « Le rôle essentiel de l’adulte est d’interpréter les productions de l’enfant, lui renvoyant ainsi la signification sociale de son énoncé » (Bernicot et al., 2009 :119).
La phase intrapsychologique, quant à elle, renvoie à la situation où l’enfant s’est déjà approprié le langage lui permettant de produire des énoncés renvoyant à ceux de l’adulte.
Ainsi, comme le soulignent Bernicot et al., (2009 :119) : « lors de la phase intrapsychologique, l’enfant est devenu capable de faire référence par lui-même à la réalité extralinguistique à l’aide des signes linguistiques. »
Selon toujours la perspective interactionniste, Bruner (1983) a mis en place un certain nombre de nouveaux concepts expliquant le processus d’acquisition du langage et qui correspondent aux notions d’aide, d’étayage, de ritualisation et aux notions de format d’interaction qui expliquent les comportements communicatifs d’enfants de zéro à deux ans et bien au-delà (Bernicot et al, 2009 : 118).
Dans le même ordre d’idées, Tomasello (2004), dans le cadre les Théories Basées sur l’Usage (UBT) souligne que l’appropriation du langage nécessite au préalable, l’acquisition des compétences sociocognitives. Parmi ces compétences, il retient en premier la participation à des scènes d’attention conjointe. Il s’agit des moments d’interaction sociale pendant lesquels l’adulte et l’enfant sont conjointement attirés par un objet qui leur est extérieur. Il ne s’agit plus des séquences dyadiques où l’un des protagonistes attirait l’attention de l’autre. Mais des séquences triadiques où l’un attire l’attention de l’autre sur un troisième élément. En interagissant avec l’adulte à propos d’un objet ou d’un événement, l’enfant développe progressivement la capacité à relier l’énoncé entendu à l’intention communicative de l’adulte.
Cela marque, en fait, le début de l’acquisition pragmatique du langage. Et les scènes d’attention conjointe émergent environ vers 9-12 mois.
Ensuite, l’auteur parle de la compréhension des intentions communicatives d’autrui. En effet, pour Tomasello (2004 :97) toute suite sonore ne devient langage que lorsque l’enfant comprend que l’adulte l’émet pour attirer son attention sur quelque chose. Car, le langage, pour lui, ne saurait être associé à un comportement, c’est-à-dire à une sorte de stimulusréponse, un comportement que l’on décrirait chez des animaux par exemple. Toujours selon l’auteur, l’enfant entrerait dans le langage lorsqu’il est en mesure de comprendre que l’adulte est un agent intentionnel, qui véhicule une intention communicative lorsqu’il s’exprime et qui est capable de changer à tout instant ses propres états mentaux, mais aussi ceux d’autrui. Cette capacité émerge vers 2 ans environ.
Enfin, toujours dans le cadre des interactions sociales, l’auteur parle de l’imitation par inversion des rôles. En effet, dès que l’enfant a maitrisé la capacité de comprendre les intentions communicatives d’autrui, il doit être capable de produire le langage à partir de ce qu’il a lui-même compris. Autrement dit, l’inversion par imitation de rôle signifie que l’enfant, en imitant l’adulte doit utiliser les mêmes signes linguistiques face à ce dernier comme celui-ci les utilise vis-à-vis de lui. A partir de ce moment, il pourrait produire des énoncés semblables à ceux que produirait l’adulte. Cette capacité se développe chez l’enfant vers 1 an et, associée aux deux premières permet, selon l’auteur, l’usage du langage. Il faut noter que ces compétences sociocognitives préalables à l’acquisition du langage mettent un fort accent sur les interactions sociales. Car, c’est seulement au sein d’un environnement social, lieu où les adultes échangent au quotidien leurs intentions, où ils interagissent les uns avec les autres que l’enfant entrerait dans le langage et qu’il apprendrait la formation, le sens et la fonction de chaque mot de sa langue.
Ainsi, selon ces théories sociocognitives-interactionnistes, l’acquisition du langage par l’enfant ne saurait être expliquée autrement que par les échanges intervenant entre l’enfant et son entourage. Ces interactions permettent justement à l’enfant d’affiner la production et la compréhension de son langage. De ce fait, le langage ne peut être étudié autrement qu’en contexte. Si cette approche sociocognitive s’éloigne des thèses behavioriste et innéiste (en considérant l’environnement langagier et les processus mentaux comme facteurs expliquant l’acquisition du langage), elle se rapproche en revanche, de l’approche fonctionnaliste qui considère que plusieurs facteurs rentrent en ligne de compte dans l’acquisition du langage.
En effet, les fonctionnalistes soutiennent l’idée que le langage qui se manifeste par la langue n’est pas le fruit de la seule innéité ou du seul apprentissage parce que pour eux, d’autres facteurs linguistique, biologique, cognitif, social, etc. interviennent également dans l’acquisition du langage. Ainsi, pour les fonctionnalistes le développement de la grammaire (au sens du dispositif cognitif permettant la production et la compréhension du langage) chez l’enfant doit être décrit en observant les performances psycholinguistiques et communicatives dans le discours (Berman et Slobin, 1994).
Généralités sur les connecteurs
Acquisition des connecteurs
Comme nous l’avons déjà mentionné plus haut, la production des récits, des textes organisés et cohérents, est une tâche qui a été longuement étudiée aussi bien chez les enfants monolingues que bilingues. Cette orientation scientifique a d’ailleurs favorisé le développement d’un champ de recherche relativement nouveau, celui de l’étude des connecteurs ou marqueurs de structuration ou encore opérateurs logiques. Toutes ces dénominations justifient l’explosion des travaux réalisés sur les connecteurs, travaux qui ont surtout mis en exergue leur caractère polysémique. Ce caractère polysémique a notamment été souligné dans une étude récente de Merle (2005 :1), car dit-il : « La notion de connexion et le terme de connecteurs posent de façon récurrente le problème de leur définition, définition d’autant plus délicate à formuler que le statut de connecteur ne correspond pas à une classe fermée de constituants mais à des emplois particuliers d’éléments d’origines diverses. ».
Par ailleurs, selon la littérature, les toutes premières études menées sur les connecteurs dévoilaient leur côté plus logique que linguistique : « on étudiait par exemple dans quelle mesure des connecteurs tels que et, ou, si étaient utilisés, par l’enfant ou par l’adulte, conformément-ou non conformément-à la manière où ils sont employés par les logiciens » (Fayol et al., 1989 p.3). Les résultats de ces différentes études présentaient deux tendances majeures : d’une part, l’utilisation des connecteurs par des adultes différait à peu de chose près de celle de la logique formelle, d’autre part, le caractère tardif de la maîtrise de ces connecteurs était évoqué. (Fayol et al., 1989 : p.3).
De plus, toujours selon la littérature, les premiers travaux réalisés sur les connecteurs et s’inscrivant, cette fois, dans une perspective linguistique, psycholinguistique ou communicative ont été développés dans les années 1980, notamment avec Adam (1984) qui s’est fortement opposé à l’idée de considérer les connecteurs comme étant des mots « vides ». Suite à cela, de nombreux travaux ce sont succédés. Et ils ont permis dans une moindre mesure, de relever un écart important entre la production et la compréhension. Ainsi donc, des auteurs comme Bates (1976) ou Brown (1973) ont souligné la très grande précocité de certains connecteurs en production comme « et », dont le caractère très précoce a été attesté dans toutes les langues du monde. Et cela, en raison des multiples fonctions qu’il peut remplir : coordination additive, succession chronologique, lien causal, enchaînement discursif (Kail & Weissenborn, 1984 ; Colletta, 2004 ; Bates, 1976 ; Brown, 1973). Tandis que des auteurs comme Kail (1980) ou Mouchon et al. (1989) relevaient quant à eux le caractère tardif de la compréhension, notamment du connecteur « mais ».
Par ailleurs, c’est lorsque certains chercheurs tels French et Nelson (1985) ont commencé à s’intéresser à la perspective pragmatique (c’est-à-dire à la production du discours en situation) que le caractère précoce, mais surtout plurifonctionnel des connecteurs a été mis en évidence.
Dès lors, le nombre d’études sur les connecteurs n’a cessé d’augmenter. Et chacun des chercheurs s’inscrivant dans ce domaine de recherche a bien sûr, défini de manière plus ou moins précise les connecteurs.
En effet, pour Riegel et al., (1994) par exemple, les connecteurs sont : « Dans l’enchaînement linéaire du texte, des éléments de liaison entre des propositions ou des ensembles de propositions ; ils contribuent à la structuration du texte en marquant des relations sémanticologiques entre les propositions ou entre les séquences qui les composent. ». Ils poursuivent en disant que : «pour rapprocher ou séparer les unités successives d’un texte, les connecteurs jouent un rôle complémentaire par rapport aux signes de ponctuation. ». Cette définition, pensons-nous, résume le mieux le rôle que peuvent jouer les connecteurs dont l’acquisition se fait dès la petite enfance. En effet, comme nous l’avons noté plus haut, l’ordre d’acquisition des connecteurs n’est pas remis en cause. Les résultats obtenus à la suite de différents travaux réalisés sur les connecteurs montrent que le premier apparaissant dans toutes les langues du monde est « et », à cause de sa plurifonctionnalité attestée à tout âge (Bates, 1976). Martinot (2005 :107) en travaillant sur l’enchaînement des phrases des enfants de 6 ans, dans une perspective linguistique d’acquisition, a notamment retenu deux classes de connecteurs : les connecteurs «moins motivés » et les connecteurs « motivés ». Pour elle, les connecteurs tels « et », « et après », « et puis après » « après », « alors », « puis », « ben », « et puis », « et ben après », très fréquents et attestés entre 2 et 3 ans déjà chez tous les enfants, constituent la classe des connecteurs moins motivés et correspondent à la classe des connecteurs temporels de Riegel et al., (1994). Tandis que la classe des connecteurs motivés contient des mots comme « mais », « donc », « car » et correspondent aux connecteurs argumentatifs de Riegel et al., (1994).
L’objectif de son étude est d’expliquer pourquoi certains connecteurs (moins motivés) sont représentatifs surtout à 6-7 ans alors que d’autres restent marginaux à la même période. Pour cela, elle part du constat que « les connecteurs moins motivés du type « et puis, et », peuvent être supprimés sans que l’information sémantique et l’orientation argumentative de l’énoncé en soient modifiées. » Martinot (2005 :108). Cela ne saurait être le cas pour les connecteurs motivés dont les relations argumentatives sont limitées car dit-elle : « chacun des connecteurs motivés institue une relation particulière et unique entre P et Q, relation que l’enfant doit découvrir : P mais Q est différent de : P donc Q ; alors que P et puis Q est parfaitement équivalent à : P et puis après Q) ».
Selon l’auteur, la principale difficulté qu’ont les tous petits à acquérir précocement les connecteurs motivés vient du fait qu’ils doivent être capables, à partir de deux phrases simples, d’établir une relation unique afin d’obtenir une seule phrase complexe : « l’emploi des connecteurs motivés oblige les locuteurs à considérer ensemble, dans le même mouvement argumentatif, deux énoncés successifs correspondant à deux phrases simples syntaxiquement autonome », Martinot (2005 :109).
Toujours concernant la classe des connecteurs motivés, l’auteur note que la commutation de l’un des connecteurs (même le moins motivé possible) poserait des problèmes d’interprétation de l’énoncé car dit-elle: « un subordonnant, même totalement immotivé comme la conjonction « que » », ne peut pas commuter, à contexte équivalent, avec un autre. Par conséquent, le fonctionnement sémantico-syntaxique de chaque subordonnant est différent dans la langue cible et dans nos données enfantines (« parce que » est différent de « puisque » ; « pour que » est différent de « de sorte que »). » Martinot (2005 :110).
Enonciation des hypothèses de travail
De ce fait, nous posons que : H 1 : étant donné l’écart d’âge entre nos sujets (6 et 10 ans), on considère qu’il existe une différence significative dans le développement des connecteurs aussi bien du point de vue quantitatif que qualitatif. Par conséquent, les enfants de 6 ans, produiront davantage des connecteurs simples comme « et », « et après », « et puis » », « et puis après », « et ben » sans toujours marquer les liens entre propositions. Tandis que ceux de 10 ans auront davantage recours aux connecteurs présentant une complexité syntaxique et le lien entre les événements du récit seront chronologiquement mieux évoqués et mieux organisés. Ainsi, les connecteurs comme « car », « donc » « mais », « cependant », « parce que » « quand » seront plus employés.
H 2 : cette seconde hypothèse à trait à la sensibilité de la tâche narrative sur l’emploi des connecteurs. En effet, nous pensons que dans la première tâche narrative (T&J), dont le contenu narratif est basé sur les enchainements rapides d’actions, les enfants ont davantage recourt aux marques temporelles décrivant les actions et la chronologie des événements telles : « au début », « avant », « maintenant », « puis », « ensuite », « et », « et puis » , « alors », « après » etc. Tandis que dans la seconde tâche (W&G), dont le support narratif repose sur un climat de suspicion et description, Fantazi et Colletta (2010), ils se focaliseront sur les structures de repérages comme : « ici », « là », « devant », « à côté » « là-bas », etc.
Les troubles de l’acquisition du langage parlé
C’est en s’inspirant des études antérieures menées sur les différents gestes produits par les sujets adultes aphasiques, que les chercheurs de ce projet ont voulu observer les enfants atteints des mêmes troubles du langage. Car, selon ces chercheurs, il existe des étroites relations séquentielles, sémiotiques et fonctionnelles entre les signifiants linguistiques et les signifiants kinésiques dans la parole. De ce fait, mener une étude élaborée sur les enfants dysphasiques a semblé tout à fait justifiable pour ces chercheurs.
Globalement, tels sont les trois axes autour desquels le projet ANR_multimodalité s’est construit et auquel, rappelons-le, quatre groupes de chercheurs: américain, italien et français (Toulouse et Grenoble) ont pris part. Toutefois, étant étudiante à Grenoble, notre travail portera sur des données issues du corpus grenoblois. Dans la section suivante, nous présentons les caractéristiques de la population d’études ainsi que son déroulement.
Participants
En France, mise à part l’équipe de recherche de Toulouse qui est dirigée par Michèle Guidetti, le groupe de recherche de Grenoble, quant à lui, a eu pour chef de file Jean-Marc Colletta.
Celui-ci avec ses collaborateurs a mené des enquêtes dans quelques écoles de maternelle et de primaire de Grenoble. Parmi les enfants qui ont participé aux enquêtes, il y a ceux sur lesquels porte notre étude. En effet, il s’agit précisément de 87 enfants répartis en quatre groupes différents, selon l’âge et la tâche qui leur a été assignée. Pour la première tâche (le récit d’un extrait d’un épisode de la série des dessins animés « Tom&Jerry »), nous comptons 42 participants dont 20 âgés de 6 ans et 23 de 10 ans. Dans seconde tâche (le récit d’un extrait d’un film d’animation de la série « Wallace&Gromit »), on a pu réunir 44 enfants dont 22 âgés de 6 ans et 22 de 10 ans. Tous les enfants ont été choisis de façon aléatoire sans distinction de sexe ni de classe sociale.
Le matériel
Toutes les observations ont été réalisées grâce à un matériel adéquat. Les chercheurs avaient à leur disposition un PC portable. C’est grâce à ce dernier que les enfants ont pu visionner les aventures du dessin animé Tom & Jerry et le film d’animation Wallace & Gromit. Les deux extraits présentaient des séquences de trois minutes maximum. Outre le PC portable, nos chercheurs disposaient également d’un caméscope. Celui-ci était convenablement posé sur pied, afin de filmer l’espace frontal de l’enfant. Chaque enfant était assis de trois-quarts face à la caméra, sur un fond uni afin de permettre une bonne prise d’images.
Le déroulement de la collecte des données
Dans cette partie concernant la collecte des données, quelques conditions ont été indispensables. Il a été question, d’une part de choisir les enfants qui sont à l’aise dans la communication orale, ensuite, de les mettre en confiance grâce à un petit échange informel.
Enfin, il revenait à l’adulte de donner à l’enfant, la consigne à suivre: « Je vais te montrer un petit dessin animé et tu vas devoir me le raconter. Attention, regarde-le bien car tu vas devoir me le raconter du mieux que tu peux. » L’enfant a regardé le dessin animé deux fois de suite afin qu’il puisse bien se le rappeler.
Une fois la visualisation du film terminée, il a fallu maintenant passer à la phase d’interaction entre l’enfant et l’adulte, phase au cours de laquelle l’enfant devait produire le ré cit du dessin animé qu’il a visionné (c’est-à-dire soit Tom&Jerry ; soit Wallace&Gromit), mais cette fois face à un caméscope. Pour cela, l’adulte, assis près de l’enfant, de profil, a rappelé une fois de plus la consigne à suivre :
« Ça t’as plu ? Alors à présent, raconte-moi l’histoire que tu viens de voir, toute l’histoire et du mieux que tu peux. ». Après cette consigne, l’enfant a commencé à relater l’histoire du dessin animé. Dans les cas où l’adulte vient à observer des moments de silence, des hésitations, de récits trop brefs ou de récits synthétiques, il est autorisé à faire des relances en demandant à l’enfant : « qu’est-il arrivé d’autre ? Dis-moi en plus. ». Les moments de silence dans le récit enfantin surviennent généralement soit à la fin du récit (parce que l’enfant a restitué l’essentiel des événements de l’histoire), soit parce que l’enfant éprouve des difficultés relatives à la recherche énonciative. L’adulte est également autoriser à relancer le récit en demandant à l’enfant : « as-tu fini ? Est-il arrivé autre chose ? »
A côté de ces données, il ya eu également, celles tirées à partir des récits libres produits par les enfants. En effet, cette phase a consisté pour l’enfant, à choisir d’abord une histoire qu’il connait bien. Ensuite, l’adulte lui donne la consigne suivante: « Maintenant, raconte-moi une histoire que tu connais bien, par exemple ton histoire préférée. ». Dans le cas où l’enfant hésiter à choisir une histoire, l’adulte est autorisé à lui proposer des histoires généralement connues des enfants telles : Le petit chaperon Rouge ; Les trois petits cochons, etc.
Ainsi, comme nous l’avons mentionné dans les lignes précédentes, nous allons devoir écarter les seconds types de données, c’est-à-dire les données concernant la production des récits libres, puisqu’il est nécessaire, dans le cadre de notre recherche, de travailler avec des données comparables. Or, avec des récits libres, il est difficile de comparer des versions différentes tirées d’histoires différentes. C’est pourquoi, pour le présent travail, nous nous sommes focalisés sur des récits produits dans des conditions dirigées et contrôlées : des histoires que les enfants racontent à partir de deux supports de film, c’est-à-dire un extrait du dessin animé Tom&Jerry et un autre tiré du film d’animation Wallace&Gromit. Cette sollicitation des enfants de 6 et de 10 ans nous permet, en fait d’évaluer leur capacité à produire des textes complexes et cohérents, mais également d’évaluer leur capacité à manipuler des organisateurs textuels permettant de structurer et d’assurer la cohérence d’un discours. Cependant, avant de passer aux résultats et à l’analyse de ces données, il est indispensable, d’une part de les transcrire et d’autre part, de les coder.
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Table des matières
Résumé
Abstract
Introduction générale
Chapitre 1 : Théories de l’acquisition du langage, problématique, hypothèses
Section1 : Acquisition du langage et des conduites narratives
1-1. L’acquisition du langage
1-1. L’acquisition des conduites narratives
1-2-1. La dimension conceptuelle
1-2-2. La dimension textuelle
1-2-3. La dimension linguistique
1-2-4. La dimension cognitive
Section 2 : Généralité sur les connecteurs
2-1. L’acquisition des connecteurs
2-2. L’énonciation des hypothèses
Chapitre 2 : Méthodologie de collecte et d’analyse des données
Section 1 : Le projet ANR_Multimodalité
1-1. Présentation du projet
1-1-1. Le développement de la multimodalité de la parole
1-1-2. L’impacte de la langue et de la culture d’origine sur le développement multimodale
1-1-3. Les troubles de l’acquisition du langage
1-2. Les participants
1-3. Le matériel
1-4. Le déroulement de la collecte des données
Section 2 : Transcription et annotation des données
2-1. Transcription des données
2-1-1. Transcription des données du niveau verbal
2-2. Annotation des données
2-2-1. Annotation des faits linguistiques
2-2-2. Catégorisation des connecteurs
2-2-3. Annotation du récit
Section 3 : Traitement des données
3-1.Traitement quantitatif
3-2. Traitement qualitatif
3-3. Problèmes liés au traitement des connecteurs
Chapitre 3 : Résultats et analyse des données
Section 1 : Répartition des connecteurs selon l’âge et la tâche narrative
1-1.Distribution en nombre et en% de la fréquence d’emploi des connecteurs selon l’âge
1-2. Distribution en nombre et en% de la fréquence d’emploi des connecteurs selon la tâche narrative
1-3. Description du ratio moyen des connecteurs selon la variable âge narrative
1-4. Description du ratio moyen des connecteurs selon la tâche narrative
Discussion
Conclusion
Références bibliographiques
Annexe
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