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MATÉRIELS ET MÉTHODES
Il s’agit d’une étude qualitative basée sur des entretiens semi-dirigés de proches aidants de personnes atteintes de TNCM. Cette étude a été menée chez les proches aidants des personnes hospitalisées en Unité du Court Séjour Gériatrique du CHUG, à l’Hospitalisation à domicile de la Clinique de Choisy (Gosier, Guadeloupe) et/ou suivies par l’Unité d’Equipe Mobile Gériatrique du CHUG sur une période allant de Juillet à Septembre 2020.
Les participants étaient définis par les personnes âgées de 18 ans et plus, s’occupant de manière fréquente, régulière et informelle d’une personne atteinte d’une pathologie neurocognitive, afin d’accomplir toute ou une partie des actes ou des activités de la vie quotidienne. Ces sujets, étant le plus souvent responsables des décisions dans le quotidien, étaient inclus quels que soient le lien de parenté, le type et le stade de TNC du proche, qu’ils vivent à leur domicile ou au domicile de l’aidé.
Les critères d’exclusion étaient : les aidants rémunérés, les proches aidants de personnes vivant en institution ou en famille d’accueil, ou admis en hospitalisation et en phase de fin de vie, les aidant dont le diagnostic de TNC du proche n’avait pas été posé par un gériatre ou un neurologue et le refus de participer à l’étude. S’il existait plusieurs aidants naturels et que l’aidant principal n’était pas clairement identifié, les participants étaient également exclus.
Les sujets répondant aux critères étaient initialement contactés par téléphone. Lors de l’entretien téléphonique, le consentement oral a été recueilli après une description de l’objectif et du protocole de l’étude. Un lieu de rencontre était également déterminé lors de l’entretien téléphonique. Dans la majorité des cas, il s’agissait du domicile de l’aidant ou de l’aidé.
Une note d’information détaillant entre autres l’objectif et le déroulement de l’étude était remise lors des entretiens. Un questionnaire anonyme a été établi et rempli en présence des participants. Il comprenait les données sociodémographiques des participants telles que l’âge, le sexe, le statut marital, le lien de parenté, le nombre d’enfants ou de frères/soeurs, le lieu de vie, la profession et le niveau d’études. Le type, la durée d’évolution des TNC et l’existence de troubles du comportement y étaient également renseignés.
Les entretiens étaient orientés par un guide d’entretien (annexe 1), intuitif, afin d’étudier les dimensions positives et négatives de la relation aidant-aidé, d’évaluer l’état de santé physique et psychique, l’impact financier et des aides extérieures, et les connaissances des mesures mises en place pour l’aidant.
L’enregistrement des entretiens a été réalisé via un dictaphone puis retranscrit sur un document Word. L’analyse des données a été inspirée par la théorisation ancrée ou Grounded Theory. Cette méthode permet de rendre explicite et compréhensible les grands thèmes dégagés par l’analyse des entretiens, et de les mettre en relation. Les participants ont été inclus jusqu’à la saturation des données c’est-à-dire jusqu’à ce qu’aucune nouvelle information ait été obtenue par l’analyse des entrevues les plus récentes. Concernant l’étude des facteurs liés à l’épuisement, une seconde lecture des entretiens a été réalisée, focalisée sur ce sujet ciblé, afin de dégager les thèmes les plus récurrents. Le logiciel Atlas.ti a été utilisé afin de faciliter la réalisation de l’analyse.
Une soumission a été effectuée auprès du comité d’éthique local (numéro A9_20_02_05_VEREAPPA).
L’impact social
La gestion quotidienne du proche demande une grande disponibilité, nécessitant une nouvelle organisation personnelle. Celle-ci a pour conséquence une diminution voire un arrêt de certaines activités sociales : « ça change votre vie dans la mesure où vous n’avez plus la même disponibilité pour faire autre chose. C’est vrai que je suis très engagée dans le monde associatif. J’ai arrêté cette année ». Des sorties, même banales, doivent être anticipées car il est important pour la plupart des aidants que le parent ne reste pas seul. Le retentissement de cette diminution des interactions sociales varie en fonction des participants. Pour la majeure partie des enfants des proches, elle crée une souffrance, ce, étant donné leur jeune âge, avec un « sentiment de ne pas avoir de vie ». Pour d’autres, il n’y a pas réellement eu de perturbations dans leur vie sociale, habituellement peu riche : « Alors ma vie sociale (rires), je n’en ai pas beaucoup. Donc ça n’a pas changé grand-chose niveau social ». Toutefois, les femmes aidantes arrivent à relativiser ces restrictions. Le coût lié à la rémunération des acteurs permettant le maintien à domicile contraint les aidants à rester avec le proche, ce qui impacte sur certains projets (voyages, sorties…).
L’activité professionnelle a également été bouleversée puisque la moitié des aidants actifs a dû réaménager leurs horaires de travail : « Je « cours » avec lui. Là où il faut aller avec lui, je vais. Je demande à la mairie une autorisation, je sors, je vais faire ses affaires et voilà ». Ceux-ci sont également moins concentrés au travail car préoccupés par leurs parents.
Le manque d’accompagnement des aidants et du proche
Les aidants ne se sentent pas assez épaulés du fait d’une moindre disponibilité de structures d’accompagnement et de prise en charge du couple aidant-aidé. Ces structures sont considérées comme inadaptées et/ou insuffisantes. La réalisation des interventions de stimulation neurocognitive est plus appropriée à domicile selon les aidants. Elle convient mieux aux habitudes de vie de nos ainés et demande moins de disponibilité et de moyens pour effectuer le transport entre autres. Néanmoins, pour certains aidants, ces interventions sont estimées comme non adaptées à l’environnement du proche. Citons l’exemple d’une fille aidante principale se reportant aux ESA : « Je n’ai pas trouvé ça efficace (rires). Quand il s’agit de troubles cognitifs, c’est comme les enfants qu’on accompagne, il faut du concret. Parce que tout ce qui est abstrait ça leur pose problème. Sincèrement, je n’ai pas trouvé ça très adapté pour sa pathologie ».
Les participants évoquent l’absence de structures de proximité pouvant à la fois accompagner les personnes atteintes et les aidants, et réduire leur charge administrative. Ils suggèrent la mise en place d’aides mobiles afin de répondre au mieux à leur disponibilité : « Quand on est dans la gestion du quotidien, ce n’est pas évident puisqu’on travaille… Donc je crois qu’une cellule mobile, qui pourrait venir rencontrer. Si dans un territoire donné, on peut repérer les malades… » – « Je pense que si les associations venaient nous voir, envoyées par les médecins, pour nous dire ce qu’on peut faire pour nos parents, ça pourrait aider les aidants ».
L’accompagnement des familles est un paramètre primordial pour soutenir les aidants, piliers du maintien à domicile. Ainsi, tous les aidants de notre étude estiment qu’un accompagnement psychologique régulier est nécessaire mais que ceci n’est pas assez développé sur notre île. Cependant, la connaissance des mesures disponibles pour leur accompagnement était minime pour la plupart d’entre eux, qui se plaignait d’une mauvaise coordination des soins médicaux et sociaux. Les médecins traitants sont d’ailleurs pointés du doigt par leur absence d’information, de connaissance des structures d’accompagnement et dans le retard de prise en charge du couple aidant-aidé : « Il n’y a pas une certaine cohésion dans la prise en charge du malade… Même le médecin traitant de maman, quand je lui ai parlé de France Alzheimer, il n’était pas au courant… ». Les informations liées aux mesures d’accompagnement provenaient soit des gériatres, soit de par l’expérience d’un proche de l’entourage. Seuls deux participants avaient suivi la formation des aidants organisée par France Alzheimer.
Ainsi, la prise en charge du couple aidant-aidé ne leur semble pas être organisée. Il existe d’une part une inadéquation, d’autre part une méconnaissance des structures mises en place. Les aidants se sentent perdus face au manque des informations disponibles à cette prise en charge, qui ne suit pas un fil logique.
L’impact familial et l’importance des aides extérieures
Le soutien familial est très important. L’expérience est vécue différemment en fonction des participants. Six d’entre eux ne sentent pas soutenus par leur famille. L’absence de solidarité familiale est source de stress. Elle crée un sentiment de solitude vis-à-vis de la prise en charge du proche : « Je me suis dit, ça c’est du stress, c’est parce que la famille ne vient pas » – «Quand on est dans cette situation, on a l’impression d’être seul… Au début de la maladie, on nous a dit qu’on sera avec nous. C’est tout beau, tout nouveau. Mais après euh… ».
Deux participantes ont dû mal à concilier leur rôle de mère et d’aidante. Parfois, des conflits familiaux peuvent se créer, surtout lorsqu’il s’agit d’une question financière ou si la contribution d’un ou de membre/s de la famille est moindre.
Pour les plus soutenus, la famille constitue un relai pour la gestion du proche, source de répit, et permet également de participer aux dépenses financières.
Les autres aides extérieures sont également appréciées qu’elles soient humaines (auxiliaire de vie, infirmière à domicile…) ou matérielles (APA). La collaboration des autres personnes de l’entourage (amis, voisinage…) permet de mieux supporter le quotidien. Les aides financières, même si jugées dans la majorité des cas insuffisantes, permettent de compenser les problèmes financiers. Les professionnels intervenant à domicile, surtout les infirmiers/-ières, apportent une écoute et peuvent orienter les familles sur les soins.
L’impact sur la santé psychologique
La prise en charge de son parent de manière quotidienne peut entrainer un remaniement du statut identitaire qui est difficile à accepter pour ces enfants qui ont toujours respecté une « autorité naturelle ». Cette inversion des rôles est ainsi le plus souvent mal vécue, car impose une surveillance accrue de son parent et la prise de décisions importantes dans tous les domaines (financier, médical…) : « c’est moi le tuteur, j’ai dû prendre la décision du pacemaker. Je me dis qu’elle est assez âgée, ça ne sert à rien. Finalement, les médecins m’ont convaincu, je les ai laissé faire. »
Le stress et l’épuisement psychologique sont deux entités souvent retrouvées. Ils sont dus aux troubles du comportement, à l’état actuel du proche, mais aussi aux restrictions sociales et au manque de soutien familial comme décrits précédemment. Même si les participants exprimaient de l’épuisement, aucun ne présentait de critères relatifs à un syndrome dépressif au moment des entretiens. Cependant, certains témoignaient avoir vécu antérieurement un épisode de sidération du fait de l’importante sollicitation du proche.
L’état actuel du proche est source de tristesse, en particulier ce qui concerne la dégradation des statuts fonctionnel et intellectuel. Certains aidants ont dû faire le « deuil » d’une relation, et expriment le regret de ne plus avoir des rapports habituels avec la personne atteinte : « on regardait notre télé tous les jours ensemble, on faisait toutes ces choses-là ensemble, on discutait. Maintenant je suis toute seule avec lui ». Les aidants sont inquiets par rapport à l’avenir du proche et à sa perte d’autonomie progressive : « Ça me rend malheureuse de le voir comme ça. Ça me rend triste parce que je vois très bien que bon… ça n’ira pas mieux. ». Cet avenir incertain crée une volonté de tout mettre en place pour que le proche soit à l’aise. L’anorexie du proche a également été un sujet évoqué. Ceci n’est pas surprenant puisque dans notre culture, l’appétit est synonyme de bonne santé. Par ailleurs, l’image du proche, déficient sur le plan de l’autonomie, crée une inquiétude par rapport à leur avenir ou une peur de « partir » avant celui-ci.
Cependant, tous les aidants exprimaient le fait d’avoir appris à « relativiser » sur plusieurs plans : l’abord des troubles du comportement, les conséquences sur leurs vies personnelle et sociale, l’impact social, etc.: « il faut prendre la vie avec beaucoup de philosophie, il faut positiver. Ce n’est pas évident … Il faut de la patience, de la tolérance ».
L’impact sur la santé physique
Six participants ont déclaré une « fatigue » voire un « épuisement physique ». Les proches qui vivent avec le malade se plaignent de manque de sommeil. Les troubles du comportement sont vecteurs d’angoisse et de stress. D’autres maux sont exposés : prise de poids liée au stress, douleurs lombaires, troubles de la mémoire. Une aidante, atteinte d’une pathologie chronique, témoigne de son impossibilité par manque de disponibilité de consulter ses différents spécialistes.
Le confort du proche
Le bien-être du proche est une des préoccupations des aidants. Cela se manifeste par le souhait d’une surveillance continue : « Par exemple, je vais chez le kiné, j’aurai aimé que quelqu’un reste avec lui, ça me fait de la peine de le laisser ». Les habitudes et les goûts du proche sont toujours pris en compte : « Quand je prends des décisions pour lui, j’essaie de me rappeler comment il était avant. Donc je suis obligée de fouiller de mes souvenirs et de me demander ce qu’il aimait ou pas, ce qu’il supportait ou pas ». Les aidants familiaux trouvent important de garder le proche à domicile afin qu’il garde ses repères. Beaucoup évoquent une méfiance envers l’accueil réservé aux personnes âgées atteintes de TNCM en EHPAD ou considèrent l’institutionnalisation comme un abandon du proche : « Mais là maintenant, et jusqu’à la fin de mes jours, je ne mettrais jamais mon mari dans une maison de repos, je resterai tout le temps avec lui tant que je peux ». Le milieu familial est ainsi le lieu de vie le plus approprié pour la personne malade. Cependant, pour d’autres, le coût des EHPAD a été un argument pour maintenir le proche à domicile. L’anticipation est une attitude permettant de vivre en fonction du proche. Les activités des aidants se font ainsi aux dépens des habitudes du proche et des interventions des aides à domicile.
Les motivations
Le sentiment de devoir est présent chez tous les aidants : « Je resterai tout le temps avec lui tant que je peux. Il a été un mari parfait et je veux être aussi parfaite». Ce sentiment est perçu de manière ambivalente : il s’agit d’un rôle évident, naturel et volontaire pour la plupart des participants, ou d’une obligation liée au lien de parenté. Ainsi, ce sentiment existe malgré la présence d’un conflit familial ou de troubles du comportement pouvant blesser : « Elle m’a fait tellement de crasse, que si ce n’était pas ma mère, je lui aurais déjà tourné le dos ! ». L’idée de faire du bien et de rendre la pareille à son proche motive les aidants et leur permet de mieux supporter la charge de soins.
La pathologie du proche n’a pas effacé le lien qui existait avant les troubles, voire au contraire, l’a renforcé. Certains aidants, enfants comme femme d’un proche, ont ainsi gardé une relation fusionnelle avec la personne atteinte. Par ailleurs, s’il pouvait exister dans l’entourage une connaissance atteinte de TCNM, dont les aidants ont aperçu l’évolution, l’approche quotidienne de cette pathologie leur a permis de la découvrir et de se sentir plus concernés.
De nombreux entretiens témoignent de bons moments partagés avec le proche malgré la présence des troubles mnésiques et/ou du comportement : « Même avec sa maladie, on rigole toute la journée, on rigole de tout et de rien » – « Quand il me voit, il va me tenir, il va me faire un bisou. Ou le matin quand il me voit, il a un sourire de malade, il est content, parce qu’il voit un visage qu’il connait ». D’ailleurs, s’il existe chez les parents un instinct maternel ou paternel, lorsqu’ils ressentent quelque chose qui ne va pas, un des aidants a développé un « instinct infantile ». Deux aidantes, une femme et une petite-fille, disent étonnement avoir gagné en patience malgré l’existence de troubles du comportement : « Je vais dire que je suis plus tolérante, plus patiente. Au début, je n’avais pas de patience avec elle, quand j’ai dit une chose, une, deux, trois fois euh… ça me saoule, je lui disais : tu me fatigues !». Une d’entre elles avait participé à la formation des aidants de France Alzheimer.
L’impact financier
Les interviews rapportent que les mesures d’accompagnement, de répit et de maintien à domicile du proche sont trop chères, surtout pour la plupart de la population qui a un revenu moyen : « Les mesures coutent trop chères pour les gens qui ont de bas revenus ». Les aides financières accordées aux proches sont jugées insuffisantes. Le temps alloué à l’intervention des auxiliaires de vie par le Conseil Départemental est estimé trop court. Ceci rejoint la nécessité d’une surveillance continue du proche au domicile abordée précédemment. Par ailleurs, la cotation GIR leur semble inadéquate par rapport à la réelle perte d’autonomie dont la réalisation de certains actes de manière spontanée.
Si l’apport financier vient principalement des ressources du proche, la plupart doit mettre la main à la pâte et à la poche, et participer aux frais financiers : « Elle a une retraite qui n’est pas énorme. Donc c’est moi qui financièrement suis obligée de payer beaucoup choses ». Ainsi, les dépenses liées à la prise en charge de la pathologie sont une source de stress et d’inquiétude pour les aidants. Ces dépenses demandent une organisation supplémentaire par rapport aux dépenses personnelles.
Les facteurs associés à l’épuisement de l’aidant familial
L’analyse des entretiens a également permis de repérer les aidants ressentant le plus d’épuisement lié à leur rôle. Les facteurs impliqués à leur épuisement étaient : le manque de soutien familial et social, l’insuffisance des aides extérieures, les difficultés financières, le niveau de dépendance élevé du proche, le mauvais état de santé de l’aidant et la présence de troubles du comportement chez le proche.
L’absence de recours à d’autres membres de la famille était le facteur le plus retrouvé dans l’épuisement de l’aidant familial, le rendant plus vulnérable. Ceci révèle bien l’importance de la solidarité familiale dans notre culture.
L’insuffisance d’aides extérieures se reportait surtout au manque de relai, donc à l’impossibilité d’un répit. Elle était la conséquence, dans certains cas, de l’ignorance de l’existence de certaines aides. Le niveau de vie moyen voire bas de certains aidants se confronte au coût important des structures de maintien à domicile et de répit, surtout lorsque ceux-ci doivent gérer des dépenses personnelles.
La gestion quotidienne du proche porte atteinte à la santé de l’aidant de plusieurs manières. Elle crée un stress qui peut se traduire physiquement par un épuisement : « il y a 5 jours, j’ai essayé de courir, et là j’ai failli tomber… épuisement. Alors que j’adore courir… Du coup, j’ai compris, je me suis dit peut-être que c’est le stress ». Pour certains, cette gestion est l’origine de certaines affections : « depuis sa maladie, mon coeur a pris un coup, il est tellement fatigué qu’il a pris du poids donc le coeur bat anormalement ». Parfois, la coordination entre sa propre santé et celle du proche est difficile à mettre en place : « j’ai besoin de faire une IRM, je ne peux pas. J’ai besoin d’aller voir mon médecin. J’ai la polyarthrite, …. Je dois être hospitalisée pour certains traitements. Le médecin m’a vu la dernière fois l’année dernière… »
La sollicitation des aidants familiaux est plus accentuée lorsque le niveau de dépendance du proche est élevé. Les familles dont le proche possède des troubles comportementaux sont également plus épuisées et appréhendent les déplacements extérieurs et les interventions au domicile : « Ce qui est plus difficile, c’est que son caractère a complétement changé, il n’écoute pas, il fait des bêtises, des fois il se lève…Tu vois la fille lui a fait la toilette mais il ne voulait pas se coucher. Des fois, il se battait avec les filles, il donnait des coups de poings, des coups de pieds…Malheureusement, il ne le fait pas exprès ». Il s’agissait de symptômes psychologiques ou comportementaux comme la désinhibition, les troubles du comportement alimentaire, l’agitation/agressivité, la résistance aux soins et les hallucinations/délires.
DISCUSSION
L’intérêt de cet étude était d’évaluer de manière qualitative les bénéfices et les contraintes des aidants des personnes atteintes de pathologies neurocognitifs vivant à domicile en s’inspirant du vécu et du ressenti de ceux-ci.
Le profil établi des aidants de notre étude était similaire à celui retrouvé dans la littérature. En particulier, dans une des études PIXEL7, où les femmes étaient majoritairement représentées avec un âge moyen de 60,8 ± 12,2 ans. Il s’agissait également de filles dans la majorité des cas et la Maladie d’Alzheimer était le TCNM le plus représenté. Par ailleurs, si en France Hexagonale, les aidants sont nombreux à être au chômage ou retraités, dans les DOM, l’aide informelle concerne toutes les catégories de population, quelle que soit la situation professionnelle5. La charge des soins liés aux personnes en perte d’autonomie, notamment celles ayant des TNCM et la charge liée aux activités professionnelles entrainent un cumul de responsabilité, rendant les aidants plus vulnérables.
Le concept de fragilité, connu pour définir les sujets âgés à risque de perte fonctionnelle, a été élargi à l’aidant principal des malades atteints de troubles neurocognitifs majeurs. Les « aidants fragiles » sont considérés comme ceux ayant une plus grande vulnérabilité et une qualité de vie moindre par rapport à d’autres aidants de personnes ayant des TNCM7. Ceux-ci étaient plus vulnérables du fait de la charge des soins liés au proche, de problèmes psychologiques en rapport à la vie relationnelle, et de leur situation de santé personnelle. Le profil de ces aidants fragiles était des femmes qui rencontraient de nombreuses difficultés au niveau de l’alimentation des malades, avaient perdu du poids et étaient moins satisfaites dans leurs efforts dans la prise en charge du malade et dans la relation qu’elles partageaient avec celui-ci.
Une étude qualitative française8 a également évalué le ressenti de 29 aidants, filles et fils de personnes âgées dépendantes atteintes de démence. L’analyse des données a mis en évidence six thèmes : le devoir familial, l’isolement social, l’acceptation de la maladie, le stress et la dépression, les morbidités physiques et les coûts financiers. Les mesures d’accompagnement et de répit n’ont pas été évoquées par les aidants de cette étude que ce soit par rapport à leur présence ou leur contribution. Par ailleurs, le stress, l’anxiété, voire la dépression ont été retrouvés, avec la prise de traitement anxiolytique ou antidépresseur chez trois aidants. Dans notre étude, aucun participant ne prenait de traitement de ce type au moment des entretiens. Les coûts financiers liés aux TNCM ont été plus difficilement abordés par les aidants dans cette étude. Chez notre population, ce sujet semblait moins tabou.
Plusieurs études ont déterminé la charge des aidants de manière objective en utilisant des échelles d’évaluation, permettant ainsi de prédire les facteurs impliqués dans le fardeau ressenti par les aidants9, 10, 11, 12, 13, 14. Ainsi, le sexe féminin, une dépression, les difficultés financières, le recours aux aides extérieures, une altération cognitive marquée du proche, la présence de troubles du comportement et un niveau de dépendance élevé chez ce dernier sont associés à des facteurs prédictifs de fardeau. Les données divergent concernant la durée d’évolution des TNCM, le score de MMSE, le lieu de résidence, le lien de parenté et la mise sous traitement spécifique de la maladie. Dans notre étude, le sexe n’a pas pu être identifié en tant que facteur associé au fardeau, étant donné la majeure prédominance féminine. Une méta-analyse11 de 35 études évaluant les facteurs influençant le fardeau de l’aidant principal du patient atteint de maladie d’Alzheimer vivant à domicile a montré que le proche type vecteur d’un fardeau élevé pour son aidant principal serait un homme jeune présentant des troubles du comportement, ayant un niveau de dépendance élevé avec la nécessité de beaucoup d’aides techniques. La sévérité des troubles, leur durée d’évolution et le coût de la prise en charge étaient également des vecteurs de fardeau. De même, un profil type d’aidant à risque de subir un fardeau élevé a été établi par cette méta-analyse. Il s’agit d’une jeune femme, épouse ou fille du proche, vivant avec celui-ci et manquant de capacités de coping et de self-control. Le bas niveau éducatif, le statut financier précaire, le mauvais état de santé et le temps de soins liés au patient étaient également des facteurs de risque.
La qualité de vie de l’aidant principal est liée à la qualité de vie du malade7. Lorsque la relation aidant-aidé est vécue comme un fardeau par les aidants, elle devient un facteur d’épuisement et influe notamment sur leur santé psychologique et physique. Les premiers signes d’épuisement sont le manque de sommeil, le stress, l’isolement et la variation du poids de l’aidant15. Le stress et le fardeau ressenti par les aidants sont un des déterminants à l’origine des troubles comportementaux et du devenir du patient ; et par conséquent du risque d’institutionnalisation16. L’évaluation de l’état de santé des aidants des personnes atteintes de TNCM a révélé que la majorité d’entre eux serait plus à risque de dépression, de troubles du sommeil mais également de surmortalité par rapport au reste de la population. Lors du troisième congrès national en 2004, l’Association France Alzheimer annonce un risque de mortalité du conjoint majoré de 50 à 63% par rapport à un sujet non aidant10. De même, il a été constaté une augmentation des troubles cardiovasculaires chez les aidants de patients atteints de Maladie d’Alzheimer. Lorsque ceux-ci sont soutenus, ces troubles diminuent de manière significative16.
L’accompagnement des aidants semble être le lien de l’ensemble des thèmes dégagés de notre étude. Si ces aidants familiaux, surtout les plus épuisés, étaient mieux informés et orientés vers les structures disponibles, et ce, de manière précoce, les répercussions perçues pourraient être limitées. La priorité est donc au soutien et à la formation des aidants, ce qui permettrait de rompre leur isolement social et soulager leur charge psychologique et physique. La connaissance des prestations sociales et de soutien était moindre pour la majorité d’entre eux. Les mesures les plus citées étaient l’APA ; et pour certains l’association France Alzheimer, les consultations mémoires, les séances avec les ESA à domicile et les accueils de jour. Ces derniers avaient bénéficié d’un suivi régulier avec un gériatre ou un neurologue. Cependant, les offres de répit proposées étaient jugées inadaptées et trop coûteuses pour ceux qui ont en bénéficié. Sur notre territoire, d’autres structures proposent un accompagnement pour ces aidants, comme les mairies et leurs annexes (centre communal d’actions sociales), la Méthode d’Action pour l’Intégration des services d’aides et de soins dans le champ de l’Autonomie (MAIA), la Plateforme territoriale d’appui (PTA), la Plateforme de Répit (PFR) Aloïs, la Halte-Répit de la Croix Rouge…
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Table des matières
Glossaire
I – Résumé
II – Abstract
III – Introduction
IV – Matériels et méthodes
V – Résultats
1 –L’impact social
2 – Le manque d’accompagnement des aidants et du proche
3 – L’impact familial et l’importance des aides extérieures
4 – L’impact sur la santé psychologique
5 – L’impact sur la santé physique
6 – Le confort du proche
7 – Les motivations
8 – L’impact financier
9 – Les facteurs associés à l’épuisement de l’aidant
VI – Discussion
VII – Conclusion
Annexe
Bibliographie
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