L’impact d’un système en îlots bonifiés sur l’autonomie des élèves et le rôle du professeur en classe de langue

« Personne n’éduque autrui, personne ne s’éduque seul, les hommes s’éduquent ensemble, par l’intermédiaire du monde ». (Freire, 1977) Tout professeur s’est vu démarrer sa carrière avec en lui des savoirs et savoir-faire à l’origine d’une certaine méthode d’enseignement qu’il verra évoluer avec l’expérience. Ce travail est le fruit d’une réflexion qui mêle ces deux aspects. En effet, considérant le fait que le début d’une carrière de professeur implique un questionnement sur la façon de transmettre et d’éduquer, s’interroger sur des techniques nouvelles semble une opportunité à saisir. Si l’on part du principe, comme l’affirme le pédagogue Paul Freire ci-dessus, que les individus grandissent ensemble, alors le professeur évolue avec ses élèves au gré de l’éducation et du savoir qu’il leur fournit. La méthode dite des îlots bonifiés rejoint cette vision les élèves formant des équipes autonomes qui s’entraident et avancent ensemble, le professeur veillant au maintien d’une ambiance de travail mais ne conduisant pas toutes les interactions les élèves prenant des initiatives également.

En effet, dans cette configuration, les élèves se placent autour d’une table composée de 4 places. Ils travaillent ensemble dans le but de gagner des points bonus en évitant les malus. Ces points sont attribués au groupe ou à un seul de ses membres en fonction du comportement en classe et du travail fourni. Lorsqu’ un élève arrive à 20 points « verts », il stoppe le groupe classe. Les points « verts » ajoutés et les points « rouges » soustraits sont comptabilisés pour former une note sur 20. Il est important de préciser que durant chaque heure de cours, chaque « équipe » a, au milieu de la table, une feuille de points ainsi qu’une feuille sur laquelle un « speech manager » (qui change à chaque cours) note les interventions des membres de l’équipe par des « bâtons ». Cette dernière forme également une note de participation sur 20.

Cependant, bien que fonctionnant en îlot, chaque élève a des techniques d’apprentissage qui lui sont propres. Il semble donc indispensable de prendre en compte les facteurs individuels pour tenter de mettre en place un système dans lequel tous les élèves seraient en autonomie de façon durable. Autrement dit, il s’agit d’étudier les techniques d’apprentissage de l’individu pour les mettre au service de celle du groupe. En effet, toute la difficulté d’enseigner vient et viendra toujours du fait qu’une unique façon d’apprendre peut satisfaire une partie des élèves et en perdre une autre car « Il n’y a pas une forme unique d’intelligence mais plusieurs formes indépendantes dont nous sommes tous dotés dans des proportions extrêmement variables comme le montre la grande variété des profils individuels » (Gardner, 2004). Ce jeune professeur qui démarre sa carrière et qui questionne le système éducatif doit donc commencer par faire le deuil d’une méthode miracle qui conviendrait à tous. Lorsque cela est intégré, mettre en place un système autogéré par les élèves eux-mêmes qui deviendraient alors acteurs de leur apprentissage et qui donc, s’adapteraient à leur rythme semble contenir un début de réponse. Ce système en îlots s’insère donc parfaitement dans la continuité des pratiques actionnelles développées et publiées par le conseil de l’Europe en 2000.

En outre, les résultats de la France des études PISA (programme international pour le suivi des acquis des élèves) de 2013, traduisent un « accroissement des écarts de niveau entre les élèves » (compte-rendu du conseil des ministres, 2013) et viennent donc confirmer la nécessité de travailler en autonomie en faisant preuve de différenciation au sein même de l’îlot. En effet, chaque individu étant unique, différencier semble indispensable mais il faut également aller plus loin en s’interrogeant sur le choix du type de différenciation à savoir par niveau, par compétence et/ou par technique d’apprentissage. Il est nécessaire que chaque membre de l’équipe se sente impliqué à l’aide de moyens d’apprentissage qui lui correspondent et bien que ne travaillant pas au même rythme ni de la même manière, le système de point bonus peut contribuer à une motivation commune. De fait, le phénomène inverse se verrait créé, le fonctionnement en groupe serait mis au service de la réussite de l’individu.

Des conditions indispensables à une bonne mise en place 

La réussite du fonctionnement d’une pédagogie est associée à un minimum de conditions indispensables bien qu’il n’y ait pas deux élèves identiques et que « gérer une classe est un travail qui n’est jamais terminé, un art qui n’est jamais entièrement maîtrisé » (J. Archambault & R. Chouinard, 2009). Dans cette première partie, nous nous intéresserons à deux aspects nécessaires à la mise en place des îlots bonifiés : l’importance pour le professeur d’adopter une attitude mûrement réfléchie et la prise en compte de la diversité des élèves. Il ne s’agit pas ici d’établir une liste de modalités mais plutôt de comprendre l’importance de certains paramètres spécifiques à la réussite du système.

L’importance d’une mise en place mûrement appréhendée et réfléchie

Pour étudier la mise en fonctionnement des îlots bonifiés nous nous intéressons en priorité à la classe de langue qui se prête à la mise en place d’activités spécifiques bien que des équivalences existent pour chaque matière. La méthode des îlots bonifiés créée par Marie Rivoire, professeur certifiée d’anglais et formatrice IUFM dans l’académie de Grenoble, est à l’origine d’un constat fait après plusieurs années d’enseignement : les élèves ont un manque d’intérêt pour les apprentissages et leur énergie débordante est difficile à canaliser. En effet, deux questions majeures apparaissent lorsque l’on enseigne une langue vivante : « comment faire pour que la classe ne devienne pas un champ de bataille et comment éviter que ce soit toujours les mêmes individus qui effectuent le travail ?» (Rivoire, 2012, p. 5). Les solutions possibles apportées par le système des îlots sont le fruit « d’un été à cogiter » (Rivoire, 2012, p.7), cette dernière citation venant appuyer l’idée que sa mise en place et son application doivent être mûrement réfléchies. Car en effet, les îlots ne sont pas simplement propices à plus de travaux de groupe, ils représentent une méthode de travail différente pour le professeur comme pour les élèves sur le fond comme sur la forme comme l’affirment C. Manesse et A. Dauvergne dans leur compte-rendu de l’ouvrage « Travailler en îlots bonifiés » (2012) : « il s’agit au contraire d’une façon de travailler totalement différente, avec une méthodologie très précise, qui a des conséquences nettes, rapides et durables sur l’ambiance de la classe ». La mise en place d’un tel projet ne peut se faire de façon anodine. C’est avant tout le professeur qui en est à l’initiative, il doit avoir mûrement réfléchi sur chacun des points relatifs au projet avant de le concrétiser, il doit en cerner les règles, les objectifs, et son attitude doit être logique un professeur devant « être à même de mesurer les enjeux sociaux de l’éducation et de son action au sein du système » (Muller, 2013). Par exemple, le terme îlots « bonifiés » signifie que le professeur attribue des points bonus pour le travail effectué ou encore le soin apporté au matériel, dans ce cas, le professeur doit agir de façon égalitaire dans sa façon d’attribuer points rouges et verts pour éviter que les élèves ressentent une quelconque injustice et que le système en soit décrédibilisé. Du fait de cette mûre réflexion préalable, l’attitude du professeur reflète qu’il est sûr de ce qu’il fait, les élèves lui font confiance et se laissent guider vers une ambiance de travail parsemée de points verts et rouges qui sont donc donnés de façon juste. En effet, de façon générale, « L’attitude, l’état et l’image du professeur conditionnent l’attitude des élèves et l’ambiance générale de la classe, d’une heure à la suivante, une même classe fonctionne de manière très différente avec ses professeurs successifs » (Clerc, 2008). Dans ce système, il est nécessaire que le professeur apprivoise d’abord les procédés pour par la suite convertir les élèves. En outre, il semble primordial de lier ce travail à la notion d’identité professionnelle. D’après Madame R., ce système étant à l’origine d’une personne, chaque professeur doit s’approprier le projet pour le maitriser : «J’ai longuement réfléchi pour adapter les conseils de Marie Rivoire à ma propre façon de voir les choses » car quelle que soit la manière d’enseigner, l’individu cherche à conserver les valeurs qui lui sont propres, ce qui lui permet d’avoir le sentiment de  rester le même, de « se réaliser soi-même et de devenir soi-même » (Tap, 1998). C’est en ne perdant pas de vue son identité que le projet a toutes les chances d’être mené à bien de manière cohérente : « sans pour cela modéliser l’enseignant qui l’utilise » (Rivoire, 2012, P. 160). Cependant, remettre en cause les règles de base du système sous prétexte de s’approprier au mieux le système pourrait avoir des « conséquences dramatiques » (Rivoire, 2012) sur la démarche. Cela semble donc contradictoire pour Christian Puren, M-A Médioni, et E. Sebahi, auteurs de « les îlots bonifiés, de fausses bonnes solutions à de vrais problèmes » (2013) qui affirment que tout « système d’organisation de la classe modélise forcément et fortement l’enseignement ». Cependant M. Rivoire se justifie par des exemples concrets : l’un des principes de base est de laisser les élèves se placer où ils  souhaitent et constituer eux-mêmes les îlots. Il semble que malgré la réticence liée à la peur de voir apparaitre des problèmes de discipline, ne pas les laisser gérer leur placement est une première entrave à l’un des objectifs primordiaux des îlots qui consiste à les rendre plus autonomes. Madame R. confirme ce fait à un détail près : « je les laisse se placer où ils veulent et fais les changements que je juge indispensables tout au long de l’heure de cours en raison d’une expérience précédente désastreuse ». Cependant « certains élèves se révèlent incapables de travailler ensemble après l’heure de cours qui a servi au changement de place, je suis alors contrainte d’attendre car la règle veut que l’on ne déplace plus les élèves jusqu’à ce qu’un élève ou groupe arrive à 20 points verts ». D’après Marie Rivoire, le but de cette règle est que les élèves s’aperçoivent eux-mêmes de leur erreur, réclament un futur changement de place ainsi, «l’autogestion et l’autonomie se mettent en route sans l’intervention du professeur » (p.28). Le professeur doit ici encore avoir compris l’importance des différentes règles de mise en place pour éviter de mettre en péril la réussite du système et bien que M. Rivoire affirme une fois encore que « chacun garde son indépendance aussi bien en ce qui concerne les idées que leur application » (p. 160), C. Puren analyse l’indépendance proclamée des enseignants comme « contredite par ailleurs par les demandes d’application rigoureuse » (p.3) que M. Rivoire qualifie elle-même de «bouleversant complètement le mode de fonctionnement des cours ainsi que le mode relationnel au sein de la classe » (p.154). La réussite résiderait donc dans la difficulté de trouver un juste milieu entre l’intégration des règles du système et le maintien de l’identité professionnelle.

Dans la préparation préalable, la présentation rétro-projetée (et son équivalent papier) d’un règlement interne à la classe d’anglais, clair, concis et qui reprendrait le principe du travail de groupe est nécessaire pour que les cours se déroulent de façon fluide, que les élèves cernent les attentes et prennent part au jeu scolaire instauré par les îlots. En effet, l’intérêt de ce système est de faciliter les échanges linguistiques ainsi que l’apprentissage de la discipline, la gestion du travail de groupe, l’entraide, le respect de l’autre ainsi que la mise au travail individuelle, « autant d’atouts indispensables à une vie d’adulte réussie » (Rivoire, 2012, p.20).

Prendre en compte la diversité des élèves dans l’application du système 

Que l’hétérogénéité des savoirs vécus ou acquis par chacun soit perçue comme « une richesse à exploiter pour la construction des nouveaux apprentissages » (Grandguillot, 1993) ou comme « le problème numéro un dans les difficultés d’exercice du métier de professeur » (Blanchard, 2000), elle est à prendre en compte par les professeurs pour assurer un équilibre entre apprentissage des savoirs et socialisation des élèves. L’objectif de cette partie n’est pas de déterminer les raisons pour lesquelles les classes sont de plus en plus hétérogènes, c’est à dire composées d’élèves ayant des divergences aux niveaux cognitif, socioculturel et psychologique mais au contraire de partir de cet état de fait pour tenter de trouver des solutions à l’aide du système des îlots.

Ces différences peuvent engendrer des comportements divergents vis-à-vis de la mise au travail. Face à un échec répété, un élève peut redoubler d’efforts pour réussir ou au contraire perdre tout désir de progresser. Dans le dernier cas, l’élève pourra être facilement qualifié de « feignant ». Cependant, il semblerait que le manque de motivation soit étroitement lié à une perte de confiance. Face à un ou plusieurs échecs, la tentation de renoncer peut poindre et c’est à ce moment crucial que le professeur doit « comprendre que ce n’est pas parce qu’ils ne sont pas motivés qu’ils ne réussissent pas, c’est parce qu’ils ne réussissent pas qu’ils ne sont pas motivés « . (Granguillot, 1993). La première étape pour leur redonner le goût d’apprendre pourrait être de les aider à reprendre confiance en favorisant l’échange avec les autres élèves au travers de l’entraide par exemple. Cependant, l’esprit individualiste de certains élèves vient encore renforcer l’hétérogénéité des classes : « Il y a ceux qui se montrent individualistes et ceux qui acceptent le groupe des camarades » (Houssaye, 2001). Cet individualisme peut venir des élèves en difficulté qui rejettent toute forme d’aide ou même de communication pour attirer l’attention sur le fait qu’ils ont renoncé mais aussi des élèves ayant de bons résultats qui « en attendent du maître mais non des autres » (Houssaye, 2001). De ce fait, le système des îlots peut palier cet aspect et favoriser l’entraide en groupes restreints à condition de récuser la répartition des élèves par niveau qui « ne change pas vraiment la réussite scolaire mais modifie considérablement la socialisation en ce sens que les élèves anti-école ne se retrouvent pas entre eux » (Houssaye, 2001). En effet, le système de « groupes » étant inhérent au cours, les élèves en ayant intégré et accepté les règles comme vu précédemment, ils n’ont pas d’autres alternatives que d’y prendre part. L’aspect intimiste des groupes incite naturellement les élèves à plus participer. En effet, le sondage réalisé auprès des élèves du collège Claude Debussy à Angers (Annexe n°2) révèle que plus des trois quarts des élèves préfèrent travailler en îlots plutôt que seuls ou même en binômes. Ces élèves ont justifié qu’ils appréciaient l’effet encourageant de l’entraide et la sensation rassurante générée par le nombre de quatre élèves par groupe. Il est important de souligner qu’un bon nombre d’élèves en difficulté et démotivés fait partie du panel interrogé ce qui montre qu’ils s’ouvrent et prennent part au travail commun. D’après M. Rivoire, une forme de « désinhibition progressive » fait que ces élèves ne se rendent même plus compte qu’ils participent, ils sont de plus en plus à l’aise, et de ce fait, la confiance en eux, en les autres élèves et en les professeurs naît ou renaît. Après avoir respecté la phase de travail individuel « indispensable à la réflexion de la part de chacun » (Manesse, Dauvergne, 2012) le moment de la mise en commun est en effet propice à la discussion, l’échange de données, la compréhension du point de vue de l’autre, et donc à l’entraide. Du système découle une autorégulation entre l’élève qui a « une grande capacité d’intervention aussi bien pour proposer que pour critiquer et celui qui « ne dit absolument rien » (La Garanderie, 1994). C’est ce qui a été constaté par Marie Rivoire dès ses premières heures de cours en îlots : « les élèves les plus avancés aidaient les plus faibles, les discussions allaient bon train selon les erreurs à corriger… ». Cependant, lors de la mise en commun, certains élèves plus en difficulté vont se contenter de recopier le travail des autres et il est indispensable de noter le rôle de médiateur du professeur pour maintenir un équilibre entre « les leaders qui comprennent vite et imposent leur point de vue et ceux qui se reposent sur les autres » (Granguillot, 1994). Quant à la participation en groupe classe, «nombre de professeurs ayant adopté le système se sont vu obligés de déterminer des tours de rôle de prise de paroles pour ne pas favoriser une table dans la distribution des points bonus  de participation » (Rivoire, 2012, p. 59). Les élèves convergent vers un but commun et même les élèves plus rebelles semblent s’acheminer vers la réintégration.

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Table des matières

Introduction
I. Des conditions indispensables à une bonne mise en place
A) L’importance d’une mise en place murement appréhendée et réfléchie
B) Prendre en compte la diversité des élèves dans l’application du système
II. L’impact de l’autorité du professeur sur l’autonomie des élèves dans ce système
A) Les liens entre le système et l’autorité du professeur
B) L’influence de l’autorité du professeur sur l’autonomie des élèves dans un fonctionnement en îlots
III. Une organisation en îlots au service de la réussite de l’individu
A) Des élèves acteurs d’une cohésion de groupe
B) De la notion d’émulation scolaire à l’aspect professionnalisant
Conclusion
Bibliographie

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