L’impact du bégaiement sur la qualité de vie des adolescents

Le bégaiement est un trouble de la fluence affectant la communication. On y retrouve une part génétique et une origine neuro-développementale. Parler de bégaiement c’est parler de répétitions ou de prolongations de syllabes, de blocages, etc. Mais c’est également parler de frustrations, d’évitements de situations, etc. (Lindsay et Langevin, 2017) Ajoutons à cela l’adolescence, qui est une période de transition où beaucoup de changements et d’enjeux se jouent : cela se complique. (Oksenberg, 2013) D’un côté, l’adolescence peut faire resurgir ou amplifier le bégaiement. D’un autre, c’est à ce moment que se forge l’identité. Il est important que ces adolescents ne se construisent pas comme des « adolescents bègues », or ils se sentent différents lors de cette période où ressembler à ses pairs est le but recherché. (Blood et Blood, 2004; Poulat et Gayraud-Andel, 2010) La qualité de vie ou le bien être de ces adolescents va être au cœur de la prise en charge de bégaiement. La qualité de vie est influencée par l’estime de soi et la personnalité (Bleek et al., 2012) mais également par le self-stigma et le bégaiement (Boyle, 2012). En effet toutes ces notions s’imbriquent : la personnalité et notamment le trait de « névrosisme » (Goldberg, 1990) influence négativement le bégaiement et le self-stigma (auto stigmatisation). Le bégaiement joue lui aussi un rôle sur le self-stigma de la même façon qu’il touche la communication. Enfin, un défaut de communication ainsi qu’un self-stigma entrainent une diminution de la qualité de vie. Chez les adolescents qui bégaient, la qualité de vie est donc impactée à plusieurs niveaux et selon divers facteurs. C’est pourquoi, lors du bilan orthophonique, il est important d’évaluer la qualité de vie des adolescents qui bégaient. Et ce, avec des outils normés et constituant des preuves scientifiques tels que l’OASES (Overall Assessment of the Speaker’s  Experience of Stuttering) de Yaruss et Quesal (Bleek et al., 2012; Tomaiuoli, Del Gado, Spinetti, Capparelli et Venuti, 2015). Cette évaluation va permettre d’apporter une prise en charge axée sur les symptômes ouverts et couverts. Les modèles internationaux recommandent la prise en charge globale mais peu d’études se sont intéressées aux effets d’une prise en charge des symptômes couverts. (Yaruss et Quesal, 2006; Zebrowski et Wolf, 2011) Une documentation plus étayée est donc nécessaire. (Brown, Millard et Zebrowski, 2015; Coleman, 2018; Lindsay et al., 2017) En partant de ce constat, nous avons abordé plus en détail, l’impact du bégaiement sur la qualité de vie des adolescents. La qualité de vie étant un concept large et l’adolescence une période charnière, nous allons chercher à savoir ce qui doit être pris en charge en priorité dans ces rééducations orthophoniques.

Discussion

L’objectif de cette étude est de savoir ce qui, au sein de la qualité de vie, est le plus impacté chez les adolescents qui bégaient. Et ce, afin d’adapter la prise en charge orthophonique. On suppose que la confiance en soi et la possibilité de s’exprimer au collège et au lycée sont des domaines particulièrement impactés. Par la suite, on envisage une relation entre l’impact du bégaiement sur la qualité de vie et l’âge des adolescents. On utilise principalement l’échelle OASES que l’on soumet à des tests statistiques descriptifs, non paramétriques et paramétriques.

Ainsi, chez les adolescents qui bégaient, certains domaines au sein de la qualité de vie sont effectivement plus impactés que d’autres.

Domaines de qualité de vie impactés 

D’après les résultats et conformément à nos hypothèses : il s’agit de la possibilité de s’exprimer comme on le souhaite au collège ou au lycée et de la confiance en soi. On découvre également un impact sur la façon dont on réagit à son bégaiement et sur la projection dans la recherche d’un travail. L’échelle OASES propose plusieurs souscatégories au sein de la qualité de vie : le bégaiement en général, le bégaiement au quotidien, le bégaiement et la projection de soi dans le futur, le bégaiement dans la communication, le bégaiement et les ressentis. On constate chez ces adolescents un impact plus important sur le bégaiement en général et le bégaiement au sein de la communication. De plus, on remarque qu’il y a à peu près un domaine impacté par sous-catégorie. Le bégaiement a donc un impact assez global sur la qualité de vie de l’adolescent. (Iverach et al., 2017) Le fait de s’empêcher de s’exprimer entraîne un manque de confiance en soi. L’adolescent aura donc tendance à se dévaloriser et va entrer dans un cercle vicieux. En effet, en entravant la communication, le bégaiement rend les interactions sociales plus compliquées ; or, celles-ci sont nécessaires à la qualité de vie, au travail, etc. (Bleek, et al., 2012; Iverach, Rapee, Wong et Lowe, 2017) D’autres auteurs vont également dans le sens de ces résultats, les mauvaises expériences de communication nuisent à l’estime de soi et entrainent une dévalorisation et un self-stigma. (Adriaensens, Beyers et Struyf, 2015; Blood et al., 2004; Simon, 2004) Ces résultats peuvent, en outre, s’expliquer par les corrélations trouvées statistiquement entre les domaines impactés et les autres domaines de qualité de vie présents dans l’OASES. La possibilité de s’exprimer comme souhaité au collège ou au lycée est en lien avec plusieurs domaines. Premièrement, avec le fait que la vie soit affectée par le bégaiement, c’est-à-dire que plus le bégaiement impacte la vie de l’adolescent plus celui-ci aura une appréhension pour s’exprimer dans son établissement. Deuxièmement, avec la réussite scolaire : en effet, moins l’adolescents aura de bons résultats, moins il osera s’exprimer en classe, avec ses camarades ou ses professeurs. Le self-stigma entre ici aussi en compte, certains adolescents qui bégaient pensant qu’ils sont « incompétents », plus « stupides » que les autres, etc. Ces fausses idées peuvent impacter les résultats scolaires. (Adriaensens, 2015; Boyle, 2012) Troisièmement, avec l’aptitude à avoir une bonne vie : en effet, l’adolescent qui bégaie et qui n’ose pas parler autant ou comme il le souhaiterait au collège ou lycée, se projette et se dit que quand il bégaiera, il ne pourra pas dire tout ce qu’il veut et donc être totalement luimême, ce qui nuit à la qualité de vie. Quatrièmement, avec la possibilité de s’exprimer comme il le souhaite en société : ainsi, si l’adolescent communique peu au sein de son établissement, il le fera peu avec des personnes qu’il ne connaît pas. Il s’agit d’un cercle vicieux là encore : moins l’adolescent qui bégaie prend l’habitude de parler, ose se lancer, plus la prise de parole lui fait peur et se répercute dans toutes les situations. L’évitement ne fait que renforcer l’anxiété. (Iverach et al., 2017) Cinquièmement, avec la confiance en soi : en effet, plus l’adolescent qui bégaie a confiance en lui, moins le bégaiement l’empêche de dire ce qu’il veut au collège ou au lycée car il ose, n’a pas peur et donc s’entraîne et prend l’habitude. Cela crée, dans ce sens, un cercle vertueux. Sixièmement, avec l’énergie et la joie de vivre : car éviter de parler, changer ses phrases, épuise et affecte la joie de vivre de l’adolescent qui bégaie. D’après Craig, Blumgart et Tran (2009) et Lindsay et al. (2017), le bégaiement entraine une fatigue psychologique. L’aptitude à trouver du travail est également corrélée à plusieurs domaines, plus particulièrement à la réussite scolaire et l’aptitude à faire des études supérieures. En effet, l’adolescent qui bégaie risque de revoir à la baisse ses idées de métier. (Simon, 2004) Il  ainsi son cursus scolaire et professionnel en fonction de son bégaiement par peur ou par sentiment d’imposture. (Boyle, 2013; Oksenberg, 2013) Notamment si ce qu’il souhaite faire nécessite des prises de parole en public, au téléphone. L’aptitude à trouver du travail est également en lien avec l’aptitude à se marier. L’adolescent qui bégaie se projette dans sa vie future en se disant que s’il bégaie, s’il n’a pas de travail ou un travail qui ne lui plaît pas, il aura encore moins de chance de se marier. Le bégaiement devient alors une grande source de stress pour ces adolescents qui voient leurs espoirs de projection possiblement disparaître. La prise en charge orthophonique doit s’axer là-dessus. Après la thérapie, les réorientations sont fréquentes. (Simon, 2004) Enfin, la confiance en soi est elle aussi corrélée à plusieurs aspects de la qualité de vie. Elle est en lien avec le fait que la vie soit affectée par le bégaiement. En effet, plus la vie en générale est impactée par le bégaiement, plus l’adolescent risque de manquer de confiance en lui. Pour Anne Marie Simon (2004), si l’adolescence est vécue de façon normale, la confiance en soi et en l’avenir se développeront naturellement ; dans le cas du bégaiement, on ne peut pas en dire autant. De plus, la confiance en soi et l’aptitude à avoir une bonne vie s’impactent mutuellement. Cette aptitude représente assez fidèlement la définition de la qualité de vie. (Boyle, 2012) Un manque de confiance en soi va entraîner une projection pessimiste sur l’avenir. L’adolescent qui bégaie risque de se dire que toute sa vie va être impactée par son bégaiement, qu’il ne pourra pas être aussi heureux que s’il n’avait pas bégayé parce que le bégaiement va le gêner dans de nombreuses situations tout au long de sa vie. Les adolescents qui bégaient sont plus anxieux que la moyenne (Messenger, Onslow,  Packman et Menzies, 2004). Et plus cette anxiété sociale est présente, plus l’impact sur la qualité de vie est sévère et plus la capacité de gérer le stress est amoindrie. (Bleek et al., 2012) Enfin, comme évoqué précédemment, la confiance en soi est liée à la possibilité de s’exprimer comme on le souhaite au collège ou au lycée.

Impact des variables indépendantes 

En analysant les résultats, de nouvelles hypothèses sont apparues, telles qu’un lien entre l’établissement fréquenté (collège vs lycée) et l’impact sur la qualité de vie. Une relation existe : les adolescents pour qui le bégaiement interfère avec l’aptitude à trouver un travail sont majoritairement au lycée. Ceci est pertinent. En effet, c’est à partir du lycée que l’on commence réellement à se projeter. Si la prise en charge orthophonique n’a pas encore commencé, l’adolescent a donc plus de risque de penser que son bégaiement va interférer avec sa capacité à trouver du travail. L’établissement fréquenté n’aurait par ailleurs pas d’effets sur la capacité de s’exprimer au collège ou au lycée, les réactions face à son bégaiement, la confiance en soi. C’est-à-dire que dès le début de l’adolescence, ces notions sont impactées chez les adolescents qui bégaient. La prise en charge doit donc particulièrement s’axer à ce niveau. Dans la continuité de ces résultats, on a émis l’hypothèse d’une corrélation entre l’âge et les domaines de qualité de vie plus impactés. Bien qu’il paraisse logique que la qualité de vie soit amoindrie chez les adolescents plus âgés – puisqu’ils commencent la prise en charge plus tard – les tests statistiques n‘ont pas permis de le vérifier. Ceci peut être dû à une cohorte trop peu nombreuse. En effet, on remarque une tendance (présente également en clinique) mais celle-ci ne semble pas assez forte. La raison peut également être le fait que les âges soient assez rapprochés. A l’échelle d’une vie, la période de l’adolescence est assez courte. Ce qui ne permet donc pas de montrer une différence entre les plus jeunes et les plus âgés. Dans les études existantes, les mauvaises attitudes de communication (Adriaensens, 2015) et l’anxiété (Tomaiuoli, 2015) augmentent avec l’âge de l’adolescent mais les différences restent faibles et parfois controversées (Bleek et al., 2012). Au lycée, les adolescents qui bégaient ont probablement eu plus d’expériences négatives que les collégiens. De plus, quel que soit l’âge, les examens, la projection dans la vie professionnelle, voire la sexualité entrent plus sérieusement en jeu à partir de la seconde. On en conclut que le critère de l’établissement semble plus pertinent que celui de l’âge mais également que la qualité de vie est impactée dès le début de l’adolescence – voire plus tôt – chez les personnes qui bégaient et qu’il est important de la prendre en charge. (Lindsay et al., 2017; Yaruss, 2010)  .

Corrélation entre les différentes échelles 

On ne retrouve pas de lien entre la qualité de vie (OASES) et la sévérité des disfluences ou les stratégies d’évitement (Lidcombe et Bloodstein) puisque l’échelle OASES est indépendante et se suffit à elle-même. En effet, Yaruss et son équipe ont développé un outil qui vise à tester de façon exhaustive le bégaiement (Yaruss et al., 2006). L’échelle OASES, utilisée dans sa totalité, pourrait donc servir de bilan unique. De plus, certains auteurs évoquent un possible impact de la sévérité du bégaiement sur la qualité de vie mais pas de lien direct. (Boyle, 2012; Coleman, 2018; Tomaiuoli, 2015) Le lien entre l’échelle de sévérité du Lidcombe et celle d’évitement de Bloodstein montre que plus le bégaiement est sévère, plus l’adolescent cherche à éviter des situations. Adriaensens et al. (2015) trouvent les mêmes résultats, la sévérité du bégaiement étant corrélée à l’envie de masquer son bégaiement et donc à l’évitement de situations de parole voire d’écoute. Afin de ne plus éviter ces situations, Boyle (2013) propose d’améliorer en premier lieu la qualité de vie. Cette dernière notion reste donc la principale à cibler dans la rééducation.

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Table des matières

I)INTRODUCTION
II) GENERALITES
III) METHODOLOGIE
IV) RESULTATS
V) COMMENTAIRES ET DISCUSSION
VI) CONCLUSION  
VII) REFERENCES
ANNEXES
RESUME

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