L’INFLUENCE DE L’HYBRIDATION DE L’IAE SUR
LA STRUCTURATION IDÉOLOGIQUE DU CHAMP
Lors de l’introduction du sujet de ce mémoire et de la présentation de la genèse de l’IAE, nous avons pu voir que l’IAE est par définition un secteur hybride liant l’insertion sociale des personnes accompagnées à un retour à l’emploi ; en d’autres termes, l’IAE assemble les politiques sociales et les politiques de l’emploi. Par ailleurs, nous avons également évoqué le fait que ce champ d’action a été progressivement créé par plusieurs mouvements. Provenant à l’origine d’une crise du travail social et de la remise en cause par les travailleur.se.s sociaux.sociales des logiques d’accompagnement de type « assistancielles », la construction « chaotique et fluctuante » de l’IAE a été, petit à petit, rattachée aux mesures de lutte contre le chômage de masse, apparu dans les années 1970 -1980. Pour Michel Autès, elle est soit « une alternative à l’emploi ordinaire, soit elle prend sa place dans l’arsenal des politiques de l’emploi».
Cette partie va être l’occasion de comprendre, à travers les entretiens réalisés, les effets du caractère hybride, présenté précédemment, sur le champ de l’IAE. Nous étudierons, d’une part, l’oscillation entre le social et l’économique et son impact sur le secteur. D’autre part, nous porterons notre attention sur une autre caractéristique de l’IAE : « son hybridation structurelle », c’est-à-dire, l’institutionnalisation progressive d’initiatives privées. Il conviendra d’établir en quoi la construction « anarchique » que nous avons évoquée lors de l’introduction est source de tensions pour les acteur.rice.s de l’IAE.
L’hybridation de l’IAE entre le social et l’économique source d’un affrontement idéologique
« Dans l’IAE, il y a deux courants de pensée qui s’affrontent. Je dirai un premier historique, un courant de pensée orienté sur le social et qui envisage l’IAE comme une mission régalienne et une mission d’État et donc plutôt dans une vision occupationnelle ou cocooning et de vouloir faire plaisir, […] L’énergie n’est pas orientée vers le retour à l’emploi. Et puis, il y a le deuxième courant de pensée auquel je pense plutôt que j’appartiens et qui me semble être le plus récent. Si le salarié, on le met à l’emploi durable, à ce momentlà il est libre, il peut gagner sa vie par son travail et il ne doit plus rien à personne, il n’appartient plus à la solidarité nationale et il est le seul maître de sa vie et ça c’est fondamental […] »
Cette citation provient de l’entretien réalisé avec le.la directeur.rice d’une SIAE de la métropole grenobloise. Cette position très affirmée de la part de l’interviewé.e témoigne bien du fait qu’il existe plusieurs représentations de la mission de l’IAE. Au cours de ce chapitre et grâce à l’analyse des entretiens et des lectures réalisés, nous allons tenter de comprendre que l’IAE, champ d’action à la frontière entre l’économique et le social, doit composer avec des logiques et des visions divergentes et qui produisent des tensions fortes. Nous étudierons, en premier lieu, de quelles conceptions il est question, avant d’observer quelles répercussions celles-ci entraînent aujourd’hui pour les acteur.rice.s de l’IAE.
Social versus économique, des conceptions différentes de l’IAE
Dans cette partie, nous allons tenter d’établir une classification des caractéristiques principales liées à la conception sociale et à la conception économique de l’IAE.
Les caractéristiques liées à la dimension sociale de l’IAE
Une des caractéristiques inhérente à la conception sociale de l’IAE et mise en avant par les personnes interrogées est celle du « sas » vers l’emploi durable que représente l’IAE. Lors des entretiens, la notion de « sas » a été utilisée à de nombreuses reprises pour qualifier l’IAE. Celle-ci correspond à une logique de remise à l’emploi progressive, selon l’esprit des travailleur.se.s sociaux des années 1970, par étapes, sur le modèle « en escalier » que l’on retrouve dans le secteur de l’hébergement d’urgence. Il existe pour certain.e.s une forme de continuum dans le parcours des salarié.e.s en insertion comme le présente le schéma ci dessous :En fonction de l’éloignement des personnes de l’emploi, des catégories de SIAE seraient plus adéquates que d’autres et il existerait un cheminement du.de la salarié.e à travers les différents types de SIAE. Ce schéma et cette notion de continuum sont cependant en débat et ne peuvent pas être généralisée à l’ensemble des SIAE. En effet, comme l’ont évoqué certain.e.s acteur.rice.s, la multitude de parcours d’insertion indique qu’il n’existe pas de « parcours type » au sein des SIAE, des salarié.e.s pouvant passer d’une EI à un ACI ou rester 24 mois au sein d’un ACI. Cependant, même si ce modèle théorique ne peut pas être retenu comme cadre de référence, la notion de « sas » vers l’emploi permet de mettre en avant la notion de progressivité du parcours des salarié.e.s en insertion ; notion qui reste propre au champ de l’IAE.
Lors des entretiens réalisés, un autre aspect qui a été mis en avant et qui constitue une des aspects sociaux de l’IAE est celui de la lutte contre l’exclusion par la mise en place d’un accompagnement des salarié.e.s et la prise en considération de leurs difficultés sociales. Un.e professionnel.le travaillant au sein d’une SIAE considère que « ce qu’il y a derrière [l’IAE], c’est une philosophie de l’insertion. […] il a un peu une philosophie du cocooning et les gens, ils ont un sacré passé derrière eux, ils en ont pas mal bavé avant et donc là, on leur propose de poser leurs valises, de la stabilité, un environnement agréable, ça c’est une philosophie ».
Cette « philosophie de l’insertion » renvoie à la question de la levée des freins sociaux à l’emploi, tels que le logement, la santé, la maîtrise du français, les problèmes d’addictologie, etc. Ces freins sont de nature diverse et correspondent, pour les personnes interrogées, aux obstacles empêchant l’accès à l’emploi. Cette levée des difficultés des personnes est traitée au sein des SIAE par un accompagnement professionnel, mais également social par un.e conseiller.ère professionnel.le d’insertion (CIP). L’accompagnement est une obligation pour les structures pendant la durée du parcours d’insertion du.de la salarié.e. La citation précédente témoigne du fait que l’accompagnement sert à la fois à permettre aux salarié.e.s d’acquérir des compétences, mais surtout à créer un environnement favorable à l’apprentissage des codes et des exigences du marché du travail et à permettre d’être réintégré progressivement à une structure et à ses exigences. Certain.e.s ont évoqué le terme de « cocooning » pour imager cet accompagnement progressif des personnes en insertion.
Cependant, l’accompagnement social peut entraîner une relation déséquilibrée, lorsque celui-ci représente un « travail sur autrui » et non pas « avec autrui » . Cette « injonction à l’autonomie individuelle des allocataires » fera l’objet d’un développement plus étoffé lors du traitement de la question de la contractualisation au sein de l’IAE.
Il convient d’ajouter que la notion de freins sociaux pose question dans le champ de l’IAE, notamment lorsque ces derniers sont trop importants et que la durée maximum de l’agrément ne permet pas à la personne un retour à l’emploi. L’accompagnement, caractéristique de la dimension sociale de l’IAE, peut ne pas être suffisant dans la limite du cadre fixé par l’IAE. Pour remédier à ce phénomène et tenter de traiter les personnes souffrant de « pathologies sociales très lourdes », des expérimentations ont actuellement lieu pour déroger à la durée maximum de conventionnement, jugée trop courte pour certain.e.s. Malgré ces expérimentations, la question des limites de l’accompagnement social des personnes exclues des sphères de l’emploi et de la portée de « l’activité occupationnelle », a été soulevées à de nombreuses reprises. En effet, l’IAE et son cadre réglementaire ne permettraient pas de traiter les formes de « handicap social » et par conséquent la question des personnes en très grande exclusion sociale et professionnelle et cela particulièrement dans le contexte actuel. La question du « handicap social » représente selon Elisabeth Maurel une difficulté qui traverse l’IAE depuis son origine, car contrairement aux handicaps physiques et mentaux, celui-ci n’a pas de définition et de reconnaissance.
La place de la dimension sociale de l’IAE, traduite, entre autres, par la notion d’accompagnement social en vue de lever des freins sociaux à l’emploi et celle du « sas » n’est pas partagée ou mise en avant pas la majorité des professionnel.le.s du secteur, comme en témoigne l’entretien du.de la directeur.rice d’une SIAE : « nous ne sommes pas là pour faire du cocooning, nous ne sommes pas là pour occuper les gens, nous sommes là pour les aider à rebondir, à retrouver un emploi ». Cette conception sociale de l’IAE s’oppose, ou plus justement, rencontre la conception économique, dimension que nous allons maintenant étudier.
Les caractéristiques liées à la dimension économique de l’IAE
Face la « philosophie de l’insertion » évoquée par un.e des interviewé.e.s, « il peut y avoir une autre philosophie, qui consiste à dire, moi je veux un environnement de travail qui se rapproche de l’entreprise classique, qui sera la plus proche de ce qu’ils verront ».
La conception économique de l’IAE et son rapprochement avec des logiques du marché du travail et de l’entreprise « classique », évoquée par cette personne, se traduit notamment par l’individualisation des parcours et la notion d’employabilité des salarié.e.s en insertion. L’objectif recherché est celui de favoriser l’emploi des personnes éloignées et pour cela la personne embauchée dans une SIAE doit être mise dans les conditions du marché du travail dit « classique ». Le.la directeur.rice d’une SIAE explique que la personne accompagnée doit être mise dans « un contexte entrepreneurial avec un employeur, un employé, un contrat de travail, des droits et des devoirs […] pour envisager un projet professionnel qui peut être réaliste ». Il est intéressant de constater et c’est le cas chez les professionnel.le.s des SIAE et les acteur.rice.s institutionnel.le.s, que l’accent est mis sur le projet individuel du.de la salarié.e en insertion et sur le développement de ses compétences. Les SIAE et les encadrant.e.s accompagnent le.la salarié.e afin que celui.celle-ci puissent satisfaire aux règles exigées par le marché de l’emploi. Comme pour un emploi « classique », l’accent est ainsi mis sur « l’employabilité relative» des salarié.e.s qui concerne tout ce qui a trait à la productivité de la personne, plutôt que sur « l’employabilité absolue », qui concerne « lesconditions et des lois de l’offre et de la demande sur le marché de l’emploi».Pour Isabelle Astier, les personnes qui doivent se construire leur parcours ne sont pas responsables de leur situation, mais ils sont responsables de leur sortie de cette situation, ce qu’elle qualifie « d’éthique du proche ».
Les répercussions de l’hybridation sur les acteur.rice.s du champ de l’IAE
À travers la classification et le développement de quelques caractéristiques que nous avons pu mettre en évidence lors de l’analyse des entretiens, nous avons vu que le positionnement de l’IAE à la frontière entre l’économique et le social reposait sur des conceptions idéologiques différentes, voire opposées. Le propos qui va suivre va être l’occasion d’étudier les incidences de l’hybridation sur le secteur et sur les professionnel.le.s de l’IAE.
Une conception divergente de l’IAE, perceptible entre les différentes générations d’acteur.rice.s de l’IAE
Un des éléments qui a été souligné par les personnes rencontrées se situe dans les divergences de points de vue entre les différentes générations d’acteur.rice.s de l’IAE. Il semble qu’il y existe des conflits entre la génération à l’origine de la création de l’IAE et la nouvelle génération de professionnel.le.s œuvrant dans l’IAE. Cette opposition se fait particulièrement jour à l’intérieur des CA, au sein duquel, on retrouve les administrateur.rice.s-bénévoles, fondateur.rice.s des SIAE, pour l’une des personne interrogée ces « administrateurs sont là depuis des plombes et il y en a qui ont évolué mais pas tous, par contre la structure elle a évoluée, donc ils ne sont pas toujours en phase avec les nouvelles structures ». Les divergences de points de vue se situent majoritairement sur la voie de développement empruntée par les structures, qui intègrent de plus en plus la dimension économique et ses logiques dans leur activité , ce qui ne correspond pas toujours à la vision militante de l’IAE des membres fondateurs. Cela peut créer des tensions très fortes entre les administrateur.rice.s et les professionnel.le.s et pour les directeur.rice.s et les partenaires institutionnels rencontrées cela peut conduire à mettre en péril la structure. Un.e directeur.rice d’une SIAE rencontrée a évoqué ce point « si un grand nombre de SIAE ne vont pas bien aujourd’hui, c’est parce qu’il y a de grands bouleversements en cours dans l’IAE aujourd’hui et pour les structures, c’est plus ou moins facile de faire face à ces mutations, à ces changements-là. Et changements, je pense qu’il y a beaucoup de SIAE qui sont issues d’une dynamique militante, qui sont mobilisés, qui se sont retrouvés salariés pendant un moment, qui sont maintenant dans des CA, des CA qui sont aujourd’hui vieillissants, qui ont du mal à se renouveler, qui ont du mal à accueillir des personnes du monde de l’entreprise et du coup, qui ont du mal aujourd’hui à assumer pleinement leur rôle économique ».
Les problèmes de gouvernance au sein des SIAE et l’opposition que l’on retrouve entre la posture militante et la posture professionnelle se retrouvent également dans d’autres structures associatives n’appartenant pas à l’IAE. François Mayaux parle de « double hiérarchie » ou de « dyarchie », reprenant le terme de Maurino, Graveriaux et Le Perff , pour évoquer les oppositions, dans les associations employeurs, entre les membres bénévoles et salarié.e.s. Il s’appuie sur la thèse de Laurent Pujol, selon laquelle, il existerait une confrontation entre le « bloc vocationnel » des bénévoles et le « bloc de fonctionnement » des salariés . Selon Mayaux, certains bénévoles, issus du militantisme dénient aux salariés la capacité de pouvoir épouser une cause et dénoncent la professionnalisation de leur structure associative.
Gilles Lazuech , qui a réalisé une étude sur les cadres des SIAE, évoque cette position en définissant deux types de professionnel.le.s au sein de l’IAE. Il existe selon lui les « pionniers », « cadre-militant » ou « entrepreneur militant » marqués par leur « esprit de vocation » et qui se déclarent engagé à vie dans leur métier. Il existe par ailleurs la catégorie des « jeunes », personnes ayant acquis des titres scolaires en relation avec l’encadrement du travail social ou le management des ressources humaines, pour qui l’insertion ne représente qu’un métier comme un autre. « [Leur] langage n’est pas celui d’un militant, [leurs] cadres de référence et [leur] idéologie non plus ». Lazuech établie une corrélation avec Weber et la notion de « Beruf » et met en avant le fait que la « profession-vocation » aurait laissé place à un processus de sécularisation et de banalisation de certaines activités du champ de l’ESS et de l’action sociale. Les « jeunes » de l’IAE feraient appel plutôt aux normes professionnelles, plutôt qu’à leurs croyances.
Pour schématiser ces oppositions nous pouvons nous référer aux travaux de Danièle Demoustier , qui s’appuient sur le « quadrilatère coopératif » de Desroche pour symboliser le « quadripartisme tendu » existant, au sein des structures associatives, entre les adhérent.e.s, les administrateur.rice.s, les dirigeant.e.s et les salarié.e.s. Dans la figure ci -après, l’opposition qui a pu être évoquée par les personnes interviewées correspond à la figure II, qualifiée de « clivage vertical » par Desroche, entre les managers et les employés (directeur.rice.s et professionnel.le.s de SIAE) et l’administration et les sociétaires (administrateur.rice.s des SIAE). Les oppositions qui existent peuvent entraîner un risque d’éclatement.
La difficile équation pour les directeur.rice.s de SIAE
Chez les acteur.rice.s de l’IAE – associatifs ou publiques – que nous avons rencontré, il est possible de remarquer que l’articulation des conceptions idéologiques différentes, entre le social et l’économique, représente une pierre d’achoppement pour les professionnel.le.s du secteur. L’analyse de discours des personnes rencontrées et du champ lexical utilisé fait apparaître que certain.e.s se placent clairement du côté de l’économique avec l’emprunt du vocabulaire lié au monde de l’entreprise ; « la [SIAE] est une association certes, mais elle est gérée comme une entreprise et à ce titre l’activité de la [SIAE] est fondamentalement importante parce que c’est elle qui permet de payer plus de la moitié de son cycle d’exploitation, à savoir les bâtiments et les salaires ».
Gilles Lazuech établit une distinction entre les directeur.rice.s des SIAE qui se situent sur un secteur protégé ou un marché public et qui correspondent notamment aux ACI et les SIAE se situant dans l’économie ordinaire et sur le secteur concurrentiel, tels que les ETTI ou les EI. Les premiers sont, selon lui, favorables à « la primauté du projet social de la structure sur l’activité économique », tandis que la seconde catégorie « conditionne la réalisation du projet social au développement de l’activité économique».
Cependant, on a pu s’apercevoir au cours de l’analyse du corpus que cette distinction n’est pas forcément transposable à notre terrain d’étude. La position partagée par un grand nombre d’interviewé.e.s correspond au fait que l’arbitrage entre le projet social d’insertion et l’activité économique de la structure représente un « casse-tête » quotidien pour les directeur.rice.s de structures. Une personne du SPE explique qu’ils appellent ça « le grand-écart des directeurs, entre les logiques de l’emploi et de remettre à l’emploi des personnes très éloignées de l’emploi et des logiques de production d’une activité économique ». Une autre personne appartenant à une institution publique explique que : « l’IAE est un gros challenge pour les directeurs, ils sont censés accompagner des salariés à sortir de chez eux et justement ils sortent quand ils sont productifs et rentables. Faut avoir la vocation sociale et en même temps cet aspect économique. Il y a toutes sortes de profils chez les directeurs ».
Il semble donc que plutôt qu’un positionnement précis des SIAE en fonction de leur activité ou de leur origine, l’articulation entre le social et l’économique au sein des structures correspond plutôt à un « tiraillement », à la recherche du « bon équilibrage » entre l’activité économique de la structure et le projet social d’insertion de celle-ci. L’utilisation par deux personnes appartenant à deux SIAE différentes de la métaphore du corps humain et de l’équilibre à trouver entre les deux jambes de l’IAE pour avancer, en est un exemple.
Ce positionnement renvoie à ce que Jacques Ion qualifie de nouvelle figure professionnelle des travailleur.se.s sociaux. Selon lui, il.elle.s arbitrent entre pragmatisme et idéalisme et conjuguent les exigences liées aux dispositifs d’insertion aujourd’hui, sans céder sur la transformation des pratiques et des institutions.
Cette « double appartenance » à l’économique et au social des dirigeant.e.s de SIAE et l’arbitrage qu’il.elle.s réalisent est à l’origine, selon Lazuech , de l’émergence de la figure du « manager militant » dans l’ESS. Il essaye ainsi de dépasser l’opposition entre les « jeunes » et les « pionniers, que nous avons étudié précédemment, en mettant en avant cette nouvelle figure sociale qui tente « de prendre en considération à la fois le projet social et les réalités de la structure».
Après avoir étudié l’influence de l’hybridation du secteur de l’IAE, entre le social et l’économique, sur le plan idéologique et les répercussions de celle-ci sur les acteur.rice.s du champ, le chapitre suivant va tenter de mettre en évidence l’impact de « l’hybridation structurelle » du champ.
L’hybridation structurelle de l’IAE, facteur de tensions entre les acteur.rice.s du champ
Par l’emploi du terme « hybridation structurelle », nous faisons référence au fait que l’IAE se situe entre des initiatives privées et le secteur public. Ce positionnement provient de la création du champ de l’IAE par des acteur.rice.s privé.e.s, notamment les travailleur.se.s sociaux.sociales et de son institutionnalisation progressive.
Les structures de l’IAE sont pour la plupart des structures associatives, disposant d’un conseil d’administration et de professionnel.le.s non fonctionnaires. Cependant, elles répondent à des missions d’utilité générale en lien avec les pouvoirs publics. Cette relation se traduit notamment par le subventionnement du secteur par l’Etat et les collectivités publiques, ainsi que par le conventionnement attribué aux structures, lors du CDIAE.
Le chapitre suivant va tenter de montrer les effets de cette « hybridation structurelle » sur le champ de l’IAE considérant, d’une part, la nature de relation existante entre les pouvoirs publics et les SIAE, à savoir une relation d’autonomie ou de coercition et, d’autre part, en essayant de comprendre le rôle et la place qu’occupe le secteur de l’IAE face au pouvoir publics dans les politiques publiques de l’emploi et de lutte contre l’exclusion.
Les relations entre les pouvoirs publics et les SIAE : liberté ou coercition ?
La relation qu’entretiennent les SIAE à leurs financeurs a souvent été évoquée par les acteur.rice.s rencontré.e.s, notamment en faisant mention des relations conflictuelles qui pouvaient exister. Nous allons tenter de comprendre l’articulation de ces relations à travers le couple autonomie-coercition.
L’autonomie des directeur.rice.s de SIAE
Lors des entretiens, le rappel des origines de création des SIAE a été évoqué à de nombreuses reprises. Qu’elles soient nées à l’initiative des élu.e.s locaux, de mouvements caritatifs ou de personnes « lambdas », toutes ont été fondées par des acteur.rice.s privées.
Mais avec l’institutionnalisation de l’IAE, les directeur.rice.s de structures ont dû composer avec leurs tutelles et prendre en compte cet acteur dans leur gestion quotidienne de l’activité.
Cependant, lors des entretiens réalisés avec les professionnel.le.s travaillant dans les SIAE, nous avons pu constater que ces dernier.ère.s disposaient d’une marge d’autonomie assez grande, notamment dans les choix de stratégies de leur SIAE, dans le recrutement des publics, etc. Il existe au sein de l’IAE une pluralité de structures et de secteurs d’activités investis et cela notamment, car l’IAE ne constitue pas un champ unifié et que les acteur.rice.s développent leur activité grâce à une large autonomie.
En outre, l’analyse de leurs discours a mis en lumière que certain.e.s d’entre-eux.elles se rapprochaient du profil sociologique du patron de PME ; l’usage de la première personne pour qualifier les actions de la SIAE et de termes possessifs comme « mes salarié.e.s », « mon chiffre d’affaire », « mon activité », témoigne du rapport personnel que les directeur.rice.s peuvent entretenir avec la structure, nonobstant la présence d’un conseil d’administration. Un.e directeur.rice explique qu’il.elle dirige la structure en « bon père de famille ». Gilles Lazuech a mis en avant cette dimension lorsqu’il a établi un profil des directeur.rice.s de SIAE. Selon lui, ces dernier.ère.s disposent de caractéristiques qui les rapprochent des cadres en général. Il.elle.s développent « une conception patrimoniale » de leur structure ce qui les rapproche d’un « Ethos du petit patron » ou de la figure du.de la directeur.rice de PME. Selon lui, il.elle.s sont installé.e.s durablement dans leurs postes et il.elle.s développent un double discours : un « discours paternaliste lié au devoir de bienfaisance qui semble découler de la mission sociale de l’entreprise » et un « discours entrepreneurial qui vise à développer les missions économiques, mais aussi [à] permettre de garantir leur emploi».
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Table des matières
REMERCIEMENTS
SOMMAIRE
GLOSSAIRE
INTRODUCTION
PARTIE I. L’INFLUENCE DE L’HYBRIDATION DE L’IAE SUR LA STRUCTURATION IDÉOLOGIQUE DU CHAMP
Chapitre I. L’hybridation de l’IAE entre le social et l’économique source d’un affrontement idéologique
Chapitre II. L’hybridation structurelle de l’IAE, facteur de tensions entre les acteur.rice.s du champ
PARTIE II. L’IMPACT DES FACTEURS DE TRANSFORMATION SOCIAUX, ÉCONOMIQUES ET POLITICO-ADMINISTRATIFS RÉCENTS SUR LE CARACTÈRE HYBRIDE DE L’IAE
Chapitre I. L’action des facteurs de transformations endogènes à l’IAE sur l’hybridation du secteur
Chapitre II. L’action des facteurs de transformation exogènes à l’IAE sur l’hybridation du secteur
PARTIE III. L’HYBRIDATION DE L’IAE AUJOURD’HUI : CHANGEMENT DE PARADIGME OU RUPTURE ?
Chapitre I. Les stratégies de développement des SIAE : évoluer ou périr
Chapitre II. L’IAE, un secteur en voie d’implosion ?
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
TABLE DES ANNEXES
TABLE DES MATIÈRES
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