L’immunothérapie du cancer

Aujourd’hui pas une seule semaine ne se passe sans que l’on parle des nanotechnologies et de leur potentiel important pour la société. Pourtant, si leur potentiel semble très prometteur, il faudra encore attendre quelques dizaines d’années pour que leurs applications se développent et se généralisent. Les microtechnologies, bien que moins médiatisées, sont en plein essor aussi bien dans l’industrie que dans la recherche académique. Elles sont déjà présentes dans notre vie quotidienne avec les microsystèmes électromécaniques (MEMS) que l’on peut retrouver par exemple dans nos téléphones, imprimantes, voitures… Cette importante croissance a permis il y a une dizaine d’années l’émergence des BIO-MEMS (MEMS appliqués à la biologie) et du concept plus complexe de laboratoire sur puce (LOC). Ce dernier permet d’intégrer tous les appareils d’un laboratoire sur une simple puce de quelques cm². Notre travail se situe dans ce champ disciplinaire.

L’immunothérapie du cancer

Ce chapitre sur l’immunothérapie associé aux annexes I (système immunitaire) et II (cancer) comporte une soixantaine de pages, ce qui peut sembler au premier abord étrangement long. Mais j’ai fait ce choix pour plusieurs raisons. Tout d’abord, j’ai eu la chance de suivre et de valider un Diplôme Universitaire de Biologie Médicale à l’IFSBM . Il me semblait donc logique de présenter de façon approfondie ces deux thématiques que sont l’immunité et le cancer. J’ai d’autre part constaté qu’il n’existait pas (ou tout du moins je ne l’ai pas trouvé) un document synthétisant la maladie ‘cancer’ qui soit à la fois compréhensible par le plus grand nombre, tout en ne perdant pas sa véracité scientifique. C’est donc délibérément que j’ai pris le parti de rédiger toute une partie sur le cancer expliquant et sensibilisant le lecteur à cette maladie si complexe, dont les enjeux ne s’arrêtent pas seulement à la soigner. Pourquoi dans une thèse ? Tout simplement parce que la thèse est un document officiel, consultable par tous, et scientifiquement validé. Enfin, je n’ai jamais perdu de vue mon objectif de présenter l’immunothérapie du cancer, mais quoi de mieux pour l’introduire qu’un rappel, certes un peu long, sur le système immunitaire et le cancer ? Ce sont donc toutes ces raisons qui m’ont poussé à rédiger ce chapitre et ces annexes, chapitre et annexes qui ne seront bien sûr pas exhaustifs, mais je l’espère instructifs.

Pour faciliter la lecture de ce document, nous avons placé en annexe les parties décrivant le système immunitaire (Annexe I) et le cancer (Annexe II). Le lecteur pourra ainsi les consulter pour approfondir ces connaissances dans ces différents domaines. Nous commençons donc directement ce chapitre sur un traitement novateur contre le cancer : l’immunothérapie du cancer.

L’immunothérapie du cancer consiste à réactiver le système immunitaire pour lutter contre le cancer. On peut d’ailleurs se demander pourquoi notre système immunitaire ne nous défend pas efficacement contre le cancer ? Tout d’abord, rappelons-nous qu’une cellule cancéreuse est issue d’une cellule de notre corps. Elle est donc quasiment identique à une cellule saine, ce qui rend la différence entre le soi et le non-soi très faible. D’où la question : le système immunitaire voit il la tumeur comme un corps étranger ou comme du soi ? [18]. De plus, au cours de son développement, la tumeur va mettre en place (par pressions sélectives) des stratagèmes pour parer le système immunitaire. Notre système immunitaire est alors mis en défaut. L’avancement de nouvelles thérapeutiques forçant le système immunitaire à continuer sa lutte contre le cancer est un espoir.

Cancer et système immunitaire, une histoire compliquée 

Le système immunitaire, qu’il soit adaptatif ou non, a besoin pour être activé de détecter un antigène. Existe-t-il seulement des antigènes tumoraux, et si oui, quelles cellules sont à même de les détecter ?

Antigènes tumoraux ?

Dans l’annexe II, nous avons vu que la cellule cancéreuse se distingue d’une cellule saine par l’apparition de mutations dans son génome. Ces mutations vont donc entraîner un changement dans la synthèse des protéines. Deux phénomènes peuvent alors se produire. Soit, la protéine est mutée, dans ce cas, elle pourra être vue comme un antigène par le système immunitaire. Ce type d’antigène est appelé antigène spécifique de la tumeur (AST). Ces antigènes seront propres à chacun des patients, car ils dépendent des mutations apportées à leur génome. Sinon, la protéine peut être anormalement exprimée, entrainant du coup une présentation antigénique particulière. Ces antigènes sont du soi, et de ce fait ne devraient pas induire de réaction immunitaire. Pourtant, dans certains cas, ces antigènes n’ont aucun rapport avec la cellule dont est issue la tumeur. On peut ainsi retrouver des antigènes testiculaires ou embryonnaires. C’est l’expression aberrante de ces antigènes qui permettra d’enclencher une réaction immunitaire. Ces antigènes ne sont donc pas exclusifs à la cellule cancéreuse, c’est pourquoi on les appelle des antigènes associés à la tumeur (AAT). Enfin, pour les tumeurs induites par un virus oncogène (comme papillomavirus), des antigènes viraux pourront être exprimés. Ces antigènes ne sont pas, à proprement dit, des marqueurs tumoraux, mais ils leurs sont fortement liés. Tous ces antigènes sont présentés via le complexe majeur d’histocompatibilité (CMH) de classe I. Cette présentation pourra entrainer une reconnaissance des antigènes par les lymphocytes T .

Le système immunitaire contre les tumeurs

L’histoire de la lutte du système immunitaire contre les tumeurs commence à la fin du XIXième siècle [56]. Le Dr William Coley (1862-1936), chirurgien et chercheur contre le cancer s’intéresse alors au dossier d’un patient souffrant d’un sarcome à la joue. Le sarcome est énorme (la taille d’un œuf), les chirurgiens tentent tout de même de l’exciser. L’ablation est tellement importante que les chirurgiens n’arrivent pas à refermer la plaie ! Ironie du sort, et c’est pourtant ce qui sauvera par la suite le patient, malgré cette opération, la tumeur progresse et les médecins décident d’une opération de la dernière chance. Malheureusement, l’opération est un échec, car les chirurgiens n’arrivent à enlever qu’une partie de la tumeur. En plus, suite à l’opération la plaie va s’infecter via des bactéries (Streptococcus pyogenes). Le patient fait alors de fortes poussées de fièvre. Étrangement, à chacune de ses poussées, sa tumeur diminue et va même finir par disparaître. Coley voit dans cette guérison extraordinaire un lien entre infection (activation du système immunitaire) et régression de la tumeur. Avant de se lancer dans des tests cliniques, il veut s’assurer que le patient est bien guéri de son cancer et part à sa recherche. Après plusieurs semaines, il finit par le retrouver en pleine forme avec pour seule trace de son cancer, une grosse cicatrice (son opération remontait à 7 ans). Du coup, Coley infecte ses patients (un comble pour un médecin) avec la même souche bactérienne. Les résultats sont mitigés : d’une part, il n’est pas simple de provoquer une infection chez un patient déjà mal en point et certains patients décèdent des suites de l’infection. Par contre, pour les patients ayant une réaction importante, il remarque bien une diminution de la tumeur. À ce moment précis, on ne sait pas qui est le tueur de tumeurs. Estce la bactérie qui sécrète une molécule antitumorale ou mieux est-elle «tumeurophage»? Ou est-ce le système immunitaire qui, une fois activé par l’infection bactérienne provoque, comme effet secondaire, une réponse antitumorale ?

La réponse va venir dans le deuxième essai clinique que Coley va lancer. Cette fois-ci, il concocte un vaccin avec deux souches bactériennes mortes (Streptococcus pyogenes et Serratia marcescens) connues maintenant sous le nom de « toxine de Coley ». Cette fois-ci, il n’y a pas de risque d’infection. Par contre, si le vaccin marche, cela prouve que le système immunitaire est à l’origine de la disparition des tumeurs. Premier patient traité, premier succès [57]. Ce patient était pourtant atteint d’un sarcome inopérable et métastatique. Coley continuera ainsi de traiter ses patients avec plus ou moins de succès. Ses conclusions sur cet essai clinique sont assez intéressantes. Il remarque que le phénomène le plus important pour que le patient guérisse est que celui-ci ait une réaction aiguë au vaccin (fièvre). Ensuite, il faut essayer d’injecter directement le vaccin dans les tumeurs, et enfin, répéter ce protocole opératoire pendant 6 mois avec une injection par semaine pour éviter une rechute du patient.

Cette étude est particulièrement intéressante car elle est la première preuve que notre système immunitaire, s’il est débloqué, peut agir contre les cancers. Malgré l’intérêt de ses travaux, cette piste thérapeutique sera plus ou moins oubliée au cours du siècle et ne resurgira qu’au XXIième siècle.

L’histoire continue dans les années 50, quand plusieurs équipes réalisent une expérience très intéressante. Ils prennent une lignée pure de souris (elles sont toutes jumelles ou tous jumeaux, donc pas de rejet de greffe de tissus sains entre eux). Ils attendent [58] ou provoquent [59] un cancer dans une des souris. Ensuite, ils prélèvent la tumeur et la transplantent à plusieurs souris de la même lignée. Ils constatent alors que les tumeurs sont majoritairement rejetées et détruites. Ceci implique deux choses : d’une part, l’existence d’antigènes tumoraux est prouvée, et d’autre part, l’immuno-surveillance antitumorale est née. Ce principe proposé en 1959 par Thomas [60] puis par Burnet [61], soutient que notre système immunitaire surveille en permanence notre corps à la recherche de cellules cancéreuses pour les éliminer. Restait à le prouver chez l’homme. Il était bien sûr impensable de garder le même protocole expérimental. Un premier indice va provenir d’une infection virale chez l’homme : le SIDA. Ce virus a la particularité de s’attaquer aux lymphocytes auxiliaires, bloquant ainsi toute la réaction immunitaire adaptative. Le suivi des patients atteints du SIDA a permis une étude de la prévalence des différents cancers [62, 63]. Comme on peut s’y attendre les risques de cancers liés à une infection virale sont très importants : sarcome de Kaposi (310 fois plus important), lymphome non Hodgkinien (113 fois). Ce type de cancer profite surtout de la prolifération des virus (herpes virus 8, EBV) qui ne sont plus détruits par le système immunitaire. On ne peut pas alors parler de perte de l’immunosurveillance antitumorale, mais plutôt de perte de la lutte antivirale. Par contre, plusieurs études tendent à montrer une augmentation de cancers n’ayant pas de rapport direct avec le SIDA: ce risque est environ deux fois plus élevé [62, 64]. Mais ce dernier chiffre reste encore difficile à quantifier et demandera des études plus poussées [65]. D’autres patients souffrent aussi d’immunosuppression. C’est le cas des personnes ayant subi une greffe. Pour éviter un rejet de leur greffon, on leur administre des immunosuppresseurs. Pendant 15 ans, une étude a suivi 900 malades. Comme pour le SIDA, on constate une augmentation significative de l’incidence de certains cancers [66].

En parallèle de ces études chez l’homme, des travaux sur des souris génétiquement modifiées vont apporter une preuve importante de l’existence d’une lutte antitumorale via le système immunitaire [41, 67]. Les progrès en biogénétique permettent en effet depuis 1989 d’inactiver un gène du génome d’une souris. Cette souris génétiquement modifiée sera dite souris knock-out pour le gène considéré. Les chercheurs vont alors inactiver des gènes intervenant dans les mécanismes de l’immunité. Le knock-out ciblera un récepteur de l’interféron γ (IFNGR1-/-) ou une kinase liée à ce récepteur (STAT-1-/-). Ce blocage de l’activité lié à l’interféron γ va réduire l’immunité innée et adaptative. Suivant le même raisonnement, ils vont aussi inactiver le gène RAG2 qui est nécessaire à la synthèse de l’immunoglobuline et du TCR. Une souris RAG2-/- n’aura donc pas de lymphocytes B et T. L’expérience va consister à injecter un produit chimique carcinogène et comparer l’apparition de tumeurs entre les souris knock-out et les souris sauvages (souris normales). Les résultats sont très intéressants , ils montrent en effet une augmentation très importante des tumeurs chez les souris insensibles à l’interféron γ et/ou ne possédant pas de lymphocytes. Le rôle du système immunitaire dans la lutte contre les tumeurs est une nouvelle fois confirmé.

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Table des matières

Introduction générale
I. Chapitre I : L’immunothérapie du cancer
A. Introduction
B. Cancer et système immunitaire, une histoire compliquée
1. Antigènes tumoraux ?
2. Le système immunitaire contre les tumeurs
3. Échappement des tumeurs à la surveillance du système immunitaire
C. Reprogrammer le système immunitaire pour lutter contre le cancer
1. Stratégie immunitaire pour la lutte antitumorale
2. Les cellules dendritiques : une grande famille
3. La voie in-vivo
4. La voie ex-vivo
5. Considérations sur le choix de la technique pour mener au mieux la présentation des antigènes tumoraux
6. Les essais cliniques ?
7. PEG ou Electrofusion ?
D. Conclusion
II. Chapitre II : Microsystèmes
A. Introduction
B. Intérêts et enjeux des bio-microsystèmes
1. Introduction
2. Un monde microscopique
3. Opportunités de la miniaturisation et de la parallélisation
4. Conclusion
C. Micromanipulation : déplacer et placer des cellules
1. Introduction
2. Utilisation de la microfluidique (forces hydrodynamiques)
3. Utilisation de la force mécanique
4. Utilisation de pince optique
5. Utilisation des Anticorps
a) Fonctionnalisation de surface via des anticorps pour immobiliser des cellules
b) Anticorps greffés à des particules magnétiques
6. Utilisation de l’électroosmose
a) Théorie
b) Pratique
7. Conclusion
D. Micromanipulation de cellules par la force électrique
1. Introduction
2. Comportement d’une cellule soumise à un champ électrique
a) Cas d’un champ électrique continu ou de très basses fréquences (f<1kHz)
b) Cas d’un champ électrique alternatif
c) La force de diélectrophorèse
d) Électrorotation et Diélectrophorèse à onde progressive
3. Rapport de force à l’échelle microscopique
4. Application au déplacement et au placement cellulaire
a) Déplacer des cellules par DEP
b) Placer des cellules par DEP à l’aide d’électrodes interdigitées
c) Placer des cellules à l’aide de réseaux d’électrodes en 3D
d) Placer des cellules via des structures isolantes
5. Conclusion
E. Électrofusion
1. Introduction
2. Une vision simplifié de l’électrofusion
3. Une vision de l’électrofusion un peu plus proche de la réalité
4. Dispositif macroscopique pour l’électrofusion
a) Appareillage et protocole expérimental
b) Choix du milieu d’électrofusion
5. Dispositif microscopique pour l’électrofusion
a) Dispositif à électrodes interdigitées
b) Dispositif à base de structures isolantes
c) Dispositif basé sur la fonctionnalisation de surface par anticorps
d) Dispositif microfluidique
6. Conclusion
F. Microtechnologies pour la microfluidique
1. Introduction
2. Microtechnologie PDMS
3. Micromoulage par injection ou compression
4. Microtechnologie SU-8
5. Conclusion
G. Conclusion
III. Chapitre III, Conception et Réalisation
A. Introduction
B. Conception : une idée, des simulations, un design
1. Introduction
2. Structure Washizu : cas d’école et premières optimisations
a) La structure Washizu
b) Modification des structures isolantes
c) Simulation avec une cellule
d) Parallélisation de la structure
3. Une architecture à trois canaux
4. Électrodes épaisses
5. Interaction sur le flux hydrodynamique
6. Conclusion
C. Fabrication
1. Introduction
2. La salle blanche : univers épuré
3. Les masques
a) Dessin et fabrication
b) Bien utiliser des masques
4. Les électrodes
a) Les électrodes fines
b) Les électrodes épaisses
5. Parois des canaux et isolation des électrodes
6. Collage de substrats souples et durs pour sceller les canaux
a) Collage de film SU-8 (Soft bonding)
b) Collage de substrats durs (hard bonding)
7. Connectique et tests hydrauliques
8. Conclusion
D. Conclusion
Conclusion générale

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