L’immunité innée des voies aériennes inférieures

 L’immunité innée des voies aériennes inférieures 

Les voies aériennes ont pour principal rôle de délivrer l’oxygène aux alvéoles pulmonaires qui constituent le lieu des échanges gazeux avec le sang. On distingue les voies aériennes supérieures constituées de la bouche, du nez, du larynx et du pharynx et, dans leur prolongement, les voies aériennes inférieures. Ces dernières débutent par la trachée qui se divise en deux bronches souches qui, à leur tour, vont se subdiviser en plusieurs bronches puis bronchioles et finir avec les alvéoles .

Outre leur rôle dans l’absorption de l’oxygène, le rejet du dioxyde de carbone, le réchauffement et l’humidification de l’air inhalé, les voies aériennes participent activement à la filtration des substances nocives et des agents pathogènes présents dans l’air ambiant. En effet, avec 10 000 à 15 000 litres d’air inhalés par jour, elles sont constamment exposées à une grande variété de particules et microorganismes. Afin de maintenir le rôle essentiel des alvéoles pulmonaires dans les échanges gazeux, un système complexe de protection est mis en place le long des voies aériennes. Il est composé d’un large arsenal de mécanismes de défenses cellulaires et humorales, efficaces et finement régulés, dont la plupart appartiennent au système immunitaire innée (Hartl et al. 2018). En effet, l’immunité comprend deux composantes, l’une innée et l’autre adaptative (acquise), agissant de manière complémentaire pour lutter contre les agressions. L’immunité innée est une réponse immédiate qui survient chez tout individu en l’absence d’immunisation préalable ; elle constitue la première barrière de défense vis-à-vis des agents pathogènes. Elle est en grande partie assurée par des cellules phagocytaires (monocytes, polynucléaires) et des lymphocytes natural killer qui ne possèdent pas de récepteur spécifique d’un antigène donné mais expriment des récepteurs se liant à plusieurs composés bactériens, viraux ou fongiques. Contrairement à l’immunité innée, le développement d’une immunité adaptative vis-à-vis d’un ou plusieurs antigène(s) découle de leur reconnaissance par des lymphocytes B ou T, dotés de récepteurs spécialisés, qui entraîne leur prolifération et leur différenciation en cellules effectrices. C’est le cas des lymphocytes T, qui ne peuvent détecter l’antigène que sous forme de peptides associés aux molécules du complexe majeur d’histocompatibilité (CMH) de classe I ou de classe II exprimées à la surface de cellules présentatrices, comme les cellules dendritiques. Les caractéristiques spécifiques de l’immunité adaptative ne seront pas abordées dans la suite de ce manuscrit.

L’élimination d’une partie des particules inhalées a lieu au niveau des voies aériennes supérieures grâce à la clairance muco-ciliaire des parois nasales, et aux moyens de défense mécanique comme la toux et l’éternuement. Les particules qui passent cette première barrière arrivent alors au niveau des voies aériennes inférieures où les différents composants de l’immunité innée interviennent.

Les composants cellulaires

Une barrière physique aux pathogènes : les épithéliums de surface 

Les voies respiratoires sont tapissées par un épithélium qui représente la plus large surface du corps en contact avec l’environnement extérieur (Dickson, Martinez, et Huffnagle 2014) et dont le rôle est d’empêcher le passage des particules et pathogènes inhalés vers les tissus sous-jacents. Les complexes jonctionnels intercellulaires, les jonctions serrées, adhérentes, communicantes et les desmosomes, assurent le maintien de l’intégrité et donc de l’étanchéité de la barrière épithéliale (Adam et al. 2014) (Figure 2). Au niveau apical, les jonctions serrées permettent l’adhésion des cellules entre elles pour former une barrière imperméable. Elles sont constituées de protéines telles que les zonula occludens (1 et 2), les claudines et l’occludine, qui interagissent avec le cytosquelette d’actine des cellules. Immédiatement en dessous d’elles se trouvent les jonctions adhérentes, composées de β-caténine et Ecadhérine, qui relient mécaniquement les cellules adjacentes et initient la prolifération et la différenciation (Invernizzi, Lloyd, et Molyneaux 2020). Les jonctions communicantes permettent une communication directe entre les cytoplasmes des cellules adjacentes et ainsi le passage d’électrolytes et de petites molécules. Enfin, les desmosomes sont des jonctions d’ancrage qui permettent l’attachement d’une cellule et de son cytosquelette à la cellule voisine.

Les cellules épithéliales des bronches et bronchioles
De la trachée aux bronches, l’épithélium est pseudostratifié et composé de plusieurs types cellulaires, tous ancrés à une lame basale (Figure 3). Cet épithélium est constitué principalement de cellules ciliées et de cellules sécrétrices de mucus, aussi appelées cellules caliciformes, qui contribuent à la fonction de barrière et recouvrent des cellules basales plus petites. L’épithélium des voies aériennes inférieures se poursuit avec celui des bronchioles proximales, toujours pseudostratifié, dans lequel on voit apparaitre un autre type de cellules sécrétoires, les cellules Club, alors que les cellules basales se raréfient. Enfin, les bronchioles les plus distales sont bordées par un épithélium cuboïde simple, constitué d’une seule couche de cellules Club, et dépourvu de cellules basales. L’ensemble de ces cellules est recouvert d’un liquide de surface des voies aériennes, qui se compose de deux parties : une couche de mucus qui emprisonne les particules inhalées, et une couche de liquide périciliaire de faible viscosité qui lubrifie les surfaces des voies respiratoires et facilite le battement des cils pour une élimination efficace du mucus (Bustamante-Marin et Ostrowski 2017).

Les cellules basales présentent des propriétés de cellules progénitrices, montrant non seulement une capacité d’auto-renouvellement et d’expansion clonale, mais donnant également naissance aux cellules ciliées et sécrétoires (Invernizzi, Lloyd, et Molyneaux 2020). Le phénomène se produit aussi bien à l’état physiologique qu’à des fins de réparation, lors de lésions de l’épithélium.

Les cellules ciliées représentent plus de 50% des cellules épithéliales des voies aériennes (Spina 1998). Elles portent à leur surface apicale des cils permettant le transport des particules et pathogènes, piégés par le mucus (Bellanger 2010). Au niveau bronchique, ce mucus est synthétisé en partie par les cellules caliciformes. Cependant ce sont les glandes séreuses, muqueuses ou mixtes, présentes le long des voies aériennes sous la lame basale sur laquelle repose l’épithélium, qui synthétisent majoritairement le mucus (Bustamante-Marin et Ostrowski 2017). Le mucus est sécrété en réponse à différents signaux, appelés secrétagogues, comme les neurotransmetteurs, les neuropeptides, mais aussi en réponse à des signaux inflammatoires et infectieux comme les leucotriènes ou l’élastase de Pseudomonas aeruginosa (Rose et Voynow 2006). Dans les conditions physiologiques, le mucus est composé de 97 % d’eau et de 3 % de mucines, de protéines non muqueuses (peptides antimicrobiens, immunoglobulines), d’électrolytes (Na ou KCl), de lipides (phospholipides principalement, comme la phosphatidyle choline ou le phosphatidyle glycerol) (Fahy et Dickey 2010; Bansil et Turner 2018), et se présente sous la forme d’un gel visco-élastique. La formation du gel est largement attribuée aux mucines gélifiantes qui captent et retiennent l’eau (Demouveaux et al. 2018). En effet, il existe trois classes de mucines dans les voies aériennes : celles qui sont sécrétées mais ne polymérisent pas (MUC7), celles qui sont sécrétées et polymérisent pour former des gels (MUC5AC et MUC5B), et celles qui ont des domaines transmembranaires et sont associées à la surface cellulaire (MUC1, MUC4, MUC16, MUC20) (Ma, Rubin, et Voynow 2018). MUC5AC et MUC5B sont de grandes glycoprotéines avec des domaines riches en sérine/thréonine liés par leurs groupes latéraux hydroxyles aux chaînes polysaccharidiques formant un gel polymérique qui assure les propriétés du mucus (Cowley et al. 2017). Ainsi, le mucus synthétisé par les cellules caliciformes et les glandes sous-muqueuses piège les particules et pathogènes inhalés, et le battement coordonné des cils des cellules ciliées les transporte vers les voies aériennes supérieures où ils seront déglutis ou expectorés. Tous ces acteurs contribuent donc directement à la clairance mucociliaire de l’épithélium et donc à l’élimination des pathogènes. Outre son rôle de barrière physique, le mucus participe également à la défense antibactérienne, antioxydante et antiprotéasique de l’épithélium des voies aériennes grâce aux molécules antimicrobiennes (IgA sécrétoires, lactoferrine, lysozyme, …) qu’il contient (Coraux et al. 2005) et dont le rôle sera abordé dans la partie I-4b. de ce document .

Les cellules Club, nouvelle appellation des cellules de Clara (Winkelmann et Noack 2010), sont principalement localisées au niveau de l’épithélium bronchiolaire (Figure 3). Elles ont la particularité d’exprimer un niveau très élevé de cytochrome P450 oxydase, ce qui leur permet de jouer un rôle crucial dans la détoxication des xénobiotiques au niveau pulmonaire (Laucho-Contreras et al. 2016). Les cellules Club sont les principales sécrétrices de la protéine des cellules Club (CC)-16 contenue dans des granules denses aux électrons, et qui constitue la protéine la plus abondante dans le liquide de lavage broncho-alvéolaire prélevé chez des volontaires sains (Laucho-Contreras et al. 2016). Cette protéine qui peut diffuser dans le compartiment sanguin, possède un rôle anti-fibrotique et anti-inflammatoire. En effet, CC-16 est décrite pour inhiberl’activité de la phospholipase A2 (PLA2), une enzyme impliquée dans la régulation de l’immunité en catalysant la synthèse des eicosanoïdes et thromboxanes (Pang et al. 2017) et dans la production de cytokines pro-inflammatoires par les cellules épithéliales des voies aériennes, et principalement l’IL-8 (Laucho-Contreras et al. 2016). Xu et al. ont aussi montré que CC16 agissait sur les polynucléaires neutrophiles (PNN) en diminuant leur capacité de migration, essentielle lors de leur recrutement sur les sites d’infection (Xu et al. 2019).

Les cellules épithéliales des alvéoles

Malgré les différents mécanismes mis en jeu au niveau des voies aériennes supérieures, des bronches et des bronchioles, certaines particules ou pathogènes inhalés, de très petite taille, peuvent atteindre les alvéoles.

Au niveau alvéolaire, l’épithélium est composé de deux types cellulaires : les pneumocytes de type I et de type II (Figure 4). Les premiers présentent la particularité de ne pas se diviser (Naeem, Rai, et Pierre 2020) et d’avoir un cytoplasme très aplati et étendu permettant des échanges gazeux efficaces avec les vaisseaux capillaires dont ils ne sont séparés que par la lame basale. Les pneumocytes de type II sont, au contraire, compacts, cuboïdes et présentent des microvillosités au niveau apical. Ils sont capables de se diviser et de se différencier en pneumocytes de type I (Naeem, Rai, et Pierre 2020). Ils possèdent des corps lamellaires, qui contiennent le surfactant pulmonaire, un matériel sécrété continuellement dans la lumière alvéolaire par les pneumocytes de type II mais aussi par les cellules Club au niveau bronchiolaire. Constitué de 90 % de lipides et de 10% de protéines, le rôle principal du surfactant est de réduire la tension superficielle afin de faciliter l’expansion des alvéoles à l’inspiration et de maintenir leur forme à l’expiration. Il est constitué de quatre protéines, ou SP pour surfactant proteins, SP-A et SP-B hydrophiles, et SP-C et SP-D hydrophobes. SP-A et SP-D sont des collectines (S. Han et Mallampalli 2015), appartenant à la superfamille des lectines de type C qui reconnaissent et se lient à des structures glycoconjuguées présentes dans les parois cellulaires de certains micro-organismes, entrainant ainsi leur neutralisation ou opsonisation (Watson et al. 2018).

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Table des matières

INTRODUCTION
ÉTAT DE L’ART
I- L’IMMUNITE INNEE DES VOIES AERIENNES INFERIEURES
1. Introduction
2. Les composants cellulaires
a. Une barrière physique aux pathogènes : les épithéliums de surface
i. Les cellules épithéliales des bronches et bronchioles
ii. Les cellules épithéliales des alvéoles
b. Les macrophages alvéolaires
c. Les cellules dendritiques
d. Les cellules natural killer
e. Les cellules de l’immunité innée recrutées : les polynucléaires neutrophiles
3. Le système de reconnaissance des pathogènes
a. Les toll like receptors
b. Les C-type lectin receptors
c. Les nucleotide oligomerisation domain like receptors
d. Les récepteurs sécrétés
e. Autres pattern recognition receptors
4. Médiateurs antimicrobiens des voies aériennes
a. Le système du complément
b. Les peptides et protéines antimicrobiens
c. Les molécules oxydantes
d. Les enzymes
e. Les cytokines
5. La régulation de l’immunité innée pulmonaire par le microbiote
6. Place des cellules épithéliales bronchiques dans la défense antimicrobienne pulmonaire
7. Pathologies respiratoires chroniques et infections
a. La bronchopneumopathie chronique obstructive
b. La mucoviscidose
II- LA MEMOIRE DE L’IMMUNITE INNEE
1. Analyse historique
2. Cellules de l’immunité innée capables de mémoriser
a. Cellules matures de la lignée hématopoïétique
b. Cellules souches hématopoïétiques
c. Cellules épithéliales
3. Mécanismes en jeu
a. L’épigénétique
b. Le métabolisme cellulaire
OBJECTIFS DU TRAVAIL
MISE AU POINT DU MODELE
RESULTATS
I- MISE EN EVIDENCE DE LA MEMOIRE IMMUNITAIRE INNEE DES CELLULES EPITHELIALES BRONCHIQUES
II- ANALYSES COMPLEMENTAIRES
1. Effet de la pré-exposition des CEB à d’autres PAMP sur la mémoire innée
a. Matériels et méthodes
b. Résultats
2. Implication de TLR5 dans la tolérance et le training induit par la flagelline
a. Matériels et méthodes
b. Résultats
3. Conclusion
III- IMPACT DE LA MEMOIRE INNEE DES CELLULES EPITHELIALES BRONCHIQUES INDUITE PAR LA FLAGELLINE SUR LA REPONSE A DIFFERENTS PATHOGENES FONGIQUES
1. Contexte de l’étude et objectifs
2. Résultats
3. Conclusion
IV- ANALYSE DES MODIFICATIONS TRANSCRIPTOMIQUES ET EPIGENETIQUES ASSOCIEES A LA MEMOIRE DE L’IMMUNITE DES CEB
1. Contexte de l’étude
2. Matériel et méthodes
a. Culture cellulaire et stimulation
b. Purification de l’ARN et transposition de l’ADN
c. Préparation des librairies et séquençages
d. Analyses ATAC-seq et annotation des pics
e. Analyse statistique des pics
f. Analyse des données ATAC-seq
g. Analyse des données issues du microarray
h. Analyse de l’activité des facteurs de transcription
3. Résultats
a. Validation des conditions expérimentales
b. Partie 1 : Analyse du génome complet
i. Analyse différentielle de l’ATAC-seq
ii. Description globale du transcriptome
iii. Association entre les données épigénétiques et le transcriptome
iv. Caractérisation de l’activité des facteurs de transcription
c. Partie 2 : Analyse gènes spécifiques
4. Conclusion
DISCUSSION
CONCLUSION
ANNEXES

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