L’immunité anti-tumorale
Tumorigénèse
Hallmarks du cancer
Le cancer est une maladie génétique chronique initiée par des changements dynamiques du génome des cellules saines qui se transforment en cellules tumorales. Ces altérations génétiques et épigénétiques produisent des oncogènes avec gain de fonction et des gènes suppresseurs de tumeur avec perte de fonction qui créent un dysfonctionnement cellulaire hors de contrôle. L’oncogenèse s’accompagne d’une accumulation de mutations, qui peuvent apporter un avantage sélectif aux populations de cellules cancéreuses en augmentant leur diversité génétique et en accélérant leur aptitude à évoluer. Ce processus implique plusieurs étapes qui permettent aux cellules tumorales de proliférer de manière incontrôlée. Dans la revue de référence parue en 2000, « The hallmarks of cancer », six principes communs et essentiels à la croissance maligne des tumeurs sont décrits :
– Autosuffisance en signaux de croissance
– Échappement à l’apoptose
– Insensibilité aux signaux d’anti-croissance
– Angiogenèse soutenue
– Potentiel réplicatif sans limite
– Invasion des tissus et métastases .
Les avancées scientifiques ont, par la suite, permis une caractérisation plus précise de la tumorigenèse. Dix ans plus tard, Hanahan et Weinberg ont complété leur revue et énoncent des capacités biologiques tumorales supplémentaires . Un grand nombre d’études suggèrent que deux autres caractéristiques sont impliquées dans la croissance tumorale. L’une d’entre elles concerne la capacité à modifier, ou à reprogrammer, le métabolisme cellulaire afin de soutenir le plus efficacement possible la prolifération néoplasique. La seconde permet aux cellules cancéreuses d’échapper à la destruction immunologique, en particulier par les lymphocytes T (LT), les macrophages et les cellules tueuses naturelles (NK). Néanmoins, l’inflammation mise en place par les cellules immunitaires innées, normalement conçue pour combattre les agents infectieux, peut au contraire, en devenant chronique, soutenir les capacités tumorales.
Microenvironnement tumoral
Les cellules cancéreuses ne possèdent pas qu’une simple aptitude à proliférer de façon excessive, elles sont également capables de mettre en place un microenvironnement hétérogène et auto-suffisant qui soutient de manière efficace la progression du cancer. La collaboration étroite des cellules tumorales avec les cellules non transformées du milieu est cruciale pour participer continuellement au processus de tumorigenèse . L’orchestration du microenvironnement tumoral (TME) implique notamment le recrutement de fibroblastes et de cellules immunitaires, le remodelage de la matrice extracellulaire et le développement de réseaux vasculaires. Le succès de la croissance des tumeurs dans leur microenvironnement n’est pas seulement déterminé par les altérations génétiques des cellules tumorales, mais aussi par l’avantage que ces mutations confèrent dans un environnement donné. L’identification de la variabilité génétique au sein d’une même tumeur suggère des événements complexes d’évolution variable. En effet, des différences régionales de pressions sélectives telles que l’hypoxie, l’acidité et la présence de facteurs de croissance existent au sein d’une tumeur et déterminent activement son développement. Ces paysages environnementaux distincts sélectionnent les mutations qui engendrent la survie et l’expansion, créant ainsi une hétérogénéité des cellules tumorales. Cette hétérogénéité tumorale, présente dans un microenvironnement complexe peut influencer la réponse thérapeutique et engendrer des résistances .
L’évaluation des tumeurs en tant qu’organes complets, et non simplement en tant que masses de cellules épithéliales transformées, devient primordiale. En effet, elles contiennent de multiples types de cellules et des composants de la matrice extracellulaire et se développent grâce à des interactions complexes entre ces différents composants des tissus en utilisant des processus qui ressemblent souvent à ceux utilisés par les organes en développement. Les tumeurs interagissent avec le reste de l’organisme, de la même manière que les organes normaux .
Les tumeurs solides
L’Europe totalise 23,4% du total des cas de cancer et 20,3% des décès par cancer dans le monde, bien qu’elle ne représente que 9% de la population mondiale (source GLOBOCAN,) ce qui représente un problème majeur de santé publique nécessitant un besoin d’améliorer la détection, les facteurs ou marqueurs prédictifs et pronostiques et les thérapies. Les tumeurs solides, comme les carcinomes ou les sarcomes, représentent la majorité des cancers, elles sont repérables par un amas de cellules localisé et se distinguent des cancers des cellules sanguines, comme les leucémies, dont les cellules cancéreuses circulant dans le sang ou la lymphe sont dispersées dans l’organisme.
Cancer des VADS
Le cancer de la sphère oto-rhino-laryngée (ORL), aussi nommé cancer de la tête et du cou, est une maladie qui se développe dans l’un des organes formant les voies
aérodigestives supérieures (VADS). Les cancers des VADS peuvent être de différents types histologiques. Dans mon travail de thèse, l’accent est mis sur les carcinomes épidermoïdes qui représentent plus de 90% des cancers des VADS . Ils peuvent être initiés à partir des muqueuses de quatre sites anatomiques : la cavité buccale, la cavité nasale, le pharynx et le larynx (Figure 1). L’examen clinique et l’imagerie servent au diagnostic et sont complétés par une biopsie . Le pronostic et les options thérapeutiques varient en fonction de facteurs cliniques, de la localisation anatomique et du stade, ils nécessitent une décision pluridisciplinaire . Le cancer des VADS représente le septième cancer le plus fréquent dans le monde en 2018 (890000 nouveaux cas et 450 000 décès) . Généralement diagnostiqués chez des patients âgés en association avec une forte consommation de tabac et d’alcool, ils diminuent lentement à l’échelle mondiale, en partie en raison de la diminution de la consommation de tabac . À l’inverse, le cancer des VADS associé au virus du papillome humain (HPV) sexuellement transmissible, initié principalement dans l’oropharynx (composant du pharynx) par le HPV de type 16, est en augmentation, surtout chez les jeunes hommes (<60 ans) en Amérique du Nord et en Europe du Nord . En effet, dans le monde, la prévalence globale du HPV dans les cancers de l’oropharynx passe de 40,5 % avant les années 2000, à plus de 72,2% après 2005 .
Le pronostic est plus favorable pour les patients atteints d’un cancer oropharyngé associé au HPV, qui présentent une meilleure réponse à la chimiothérapie et à la radiothérapie que les patients atteints d’une maladie non causée par le HPV .
La classification TNM (tumeur, ganglion, métastase) est utilisée pour déterminer le stade des cancers afin d’évaluer le pronostic et d’adapter la thérapie . Cette classification diffère à chaque site anatomique. Celle du cancer oropharyngé associé au HPV possède, depuis 2017, un système de classification indépendant dû à son meilleur pronostic . L’évaluation du statut HPV est réalisée par les techniques d’hybridation in situ et de réaction en chaîne de la polymérase (PCR) pour identifier l’ADN du HPV ou la charge virale ou par des tests immunohistochimiques pour détecter l’expression de la protéine p16, qui est un marqueur de substitution de la positivité du HPV .
Environ 30 à 40 % des patients atteints de cancer des VADS sont à un stade précoce (stade TNM I ou II), ils peuvent être traités par chirurgie seule ou par radiothérapie seule, qui peuvent améliorer les taux de survie à long terme chez environ 70 à 90 % des patients18. Plus de 60 % des patients présentent une maladie de stade TNM III ou IV, qui se caractérise par une tumeur volumineuse avec une invasion locale souvent accompagnée de métastases aux ganglions lymphatiques (LN) régionaux. La maladie localement avancée a un risque élevé de récidive locale (15 à 40 %) et est associée à un mauvais pronostic (survie globale à 5 ans, < 50 %) . La résection chirurgicale est préférable pour les cancers de la cavité buccale, suivie d’une radiothérapie ou d’une thérapie systémique radiosensibilisante concomitante à une radiothérapie adjuvante (radio-chimiothérapie). Dans les autres sites, la chirurgie est généralement réservée aux tumeurs primaires plus petites et accessibles. Lorsque la résection chirurgicale est difficilement réalisable ou risque d’entraîner de mauvais résultats fonctionnels à long terme, la radio-chimiothérapie concomitante est préférée chez les patients non agés . L’amélioration de l’administration de la radiothérapie et l’introduction de la radiochimiothérapie ont amélioré la survie des patients et surtout de ceux atteints d’un cancer oropharyngé associé au HPV. A partir du 1er janvier 2021, le vaccin prophylactique actuellement disponible pour les jeunes filles afin de lutter contre le cancer du col de l’utérus, sera également étendue à tous les jeunes garçons de 11 à 14 ans pour la prévention des cancers de l’oropharynx, de l’anus et du pénis induits par le HPV (source INCa).
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Table des matières
INTRODUCTION
I) L’immunité anti-tumorale
1. Tumorigénèse
1.1 Hallmarks du cancer
1.2 Microenvironnement tumoral
2. Les tumeurs solides
2.1 Cancer des VADS
2.2 Cancer de l’ovaire
2.3 Cancer du col de l’utérus
3. Immunosurveillance du cancer
3.1 Historique : Mise en évidence de l’immunité anti-tumorale
3.2 Généralités sur la réponse immunitaire dans le cancer
3.3 Cycle de l’immunité spécifique anti-cancer
4. Antigènes tumoraux
4.1 Antigènes surexprimés
4.2 Antigènes de différenciation
4.3 Antigènes « cancer/lignée germinale »
4.4 Antigènes mutés
4.5 Antigènes viraux
5. Réponse lymphocytaire T spécifique de la tumeur
5.1 Cellules dendritiques
5.2 Activation des lymphocytes T
5.3 Sous-populations de lymphocytes T CD4
5.4 Mécanisme d’action des CTL
5.5 Aide des lymphocytes T CD4 aux CTL
5.6 TJG
5.7 Mémoire (TCM, TEM, TRM)
II) La tumeur échappe au système immunitaire
1. Immunoediting
1.1 Élimination
1.2 Équilibre
1.3 Échappement
2. Phénotypes immunitaires du cancer
2.1 Tumeurs chaudes et froides
2.2 Éléments qui influencent le profil immunitaire
3. Microenvironnement tumoral immunosuppresseur
3.1 Recrutement et induction de cellules immunes immunosuppressives
3.2 Molécules immunosuppressives
4. Blocage du cycle de l’immunité du cancer
4.1 Perte d’immunogénicité ou de reconnaissance des cellules tumorales
4.2 Défaut de maturation des DC
4.3 Perte d’attraction des LT au site tumoral
4.4 Défaut d’entrée des LT dans la tumeur
4.5 Rencontre LT/cellules tumorales altérée
5. Points de contrôle de l’immunité
5.1 CTLA-4
5.2 PD-1
5.3 TIGIT
5.4 TIM-3
5.5 LAG-3
5.6 CD39
6. Épuisement des lymphocytes T
6.1 Identification
6.2 Induction
6.3 Caractéristiques
6.4 Lignée de différenciation indépendante
6.5 Différents degrés d’épuisement
6.6 LT CD4 épuisés
6.7 Techniques d’analyse
6.8 Réversion
III) L’immunothérapie
1. Anticorps monoclonaux, modulateurs du système immunitaire et virus oncolytiques
1.1 Anticorps monoclonaux
1.2 Modulateurs du système immunitaire
1.3 Virus oncolytiques
2. Vaccins anti-cancer
2.1 Formulés avec des cellules tumorales
2.2 Formulés avec des antigènes tumoraux
3. Transfert adoptif de lymphocytes T
3.1 TIL
3.2 TCR transgénique
3.3 CAR T cell
4. Inhibiteurs des points de contrôle immunitaire
4.1 Développement clinique et mécanismes d’action des anticorps bloquant CTLA-4 et PD-1
4.2 Inhibition de l’axe PD-1/PD-L1 en clinique
4.3 Efficacité clinique de l’inhibition de l’axe PD-1/PD-L1 dans les cancers de l’ovaire, du col de l’utérus et des VADS
5 Combinaisons impliquant les inhibiteurs de PCI
5.1 Plusieurs anticorps ciblant les PCI
5.2 Combinaison avec les traitements standards
5.3 Combinaison avec d’autres immunothérapies
CONCLUSION