L’immigration et l’installation des bhoutanais/népalais à Québec

L’IMMIGRATION ET L’INSTALLATION DES BHOUTANAIS/NÉPALAIS À QUÉBEC

L’anthropologie des migrations

Les années 1950 et 1960 sont marquées, en anthropologie, par les études sur la migration des populations des milieux ruraux vers les milieux urbains. Les phénomènes migratoires deviennent un sujet central de la discipline au cours des décennies 1980 et 1990. Au départ, les différentes approches s’articulent autour de deux grands axes : les études macro (Brinley, 1973; Marquez Covarrubias, 2008), qui considèrent les facteurs économiques et politiques explicatifs des flux migratoires, et les études micro (Fibbi et D’Amato, 2008), qui s’attardent à la dimension individuelle de la migration (Garant, 2010). D’une part, les approches macro […] se veulent prédictives et sont marquées par une vision bipolaire : elles opposent les sociétés qui envoient et celles qui reçoivent des migrants, et on distingue les facteurs push, ceux qui motivent le départ du pays d’origine, et pull, ceux qui attirent le migrant dans le pays d’accueil éventuel. [Il s’agit du modèle « push-pull ».] Les migrations sont alors expliquées par deux types de causes, politiques (conflits armés et la violence) ou économiques (l’attraction exercée par les marchés du travail des pays riches ou des zones urbaines) (Monsutti, 2005 : 34-35). D’autre part, les approches micro mettent l’accent sur la volonté et les préférences des migrants eux-mêmes (Fibbi et D’Amato, 2008). Selon Brettell (2002), aucune de ces deux approches n’est suffisante, à elle seule, pour aborder la migration. Ainsi, l’anthropologie des migrations doit considérer ces modèles comme complémentaires : il s’agit de prendre en compte à la fois les contraintes macrosociales et l’agencéité des migrants pour mieux traduire la complexité qui teinte les processus de migrations (Ibid, 2002).

Au tournant du 21e siècle, les changements dans les dynamiques migratoires — reliés notamment à la fluidité des frontières et des espaces2 — provoquent la modification des approches anthropologiques des migrations. Monsutti (2005) explique qu’il s’agit aujourd’hui d’« approches renouvelées des relations entre groupes sociaux, cultures et territoires en les restituant dans le cadre du transnationalisme et de la mondialisation » (Ibid: 36). Brettell (2002), quant à elle, mentionne que « associated with this new perspective of a deterritorialized world are studies of border regions, sites of real and intense crossings and crosscultural interaction » (Ibid: 280). À titre d’exemple, Davidson (2000) s’intéresse à la frontière entre le Mexique et les États-Unis dans une perspective ethnographique qui vise à capturer l’agency des individus qui essaient de vivre dans cette région de plus en plus militarisée. C’est dans ce contexte général de mondialisation que la dimension transnationale apparaît essentielle (Brettell, 2002; Monsutti, 2005; Garant, 2010). Plus spécifiquement, le terme transnationalisme « est employé pour décrire les processus grâce auxquels les migrants créent des champs sociaux qui traversent les frontières géographiques et politiques » (Vatz Laaroussi, 2009 : 14). 2 Il ne faut pas oublier que, si les frontières apparaissent aujourd’hui plus fluides de façon générale, ce n’est pas toujours le cas. En effet, les réfugiés bhoutanais sont eux-mêmes l’exemple d’un processus de fermeture des frontières du Bhoutan, dans un contexte de conflits interethniques. Dans cette perspective, Ferrié et Boëtsch (1993) sont d’avis qu’une anthropologie des migrations doit délaisser les approches qui abordent le migrant dans son altérité culturelle face à la société d’accueil et qui mettent l’accent sur une rupture face au pays d’origine. La fluidité des frontières et la présence importante d’une dimension transnationale suggèrent plutôt une continuité entre le pays d’origine et d’accueil :

Le mouvement migratoire n’est plus unidirectionnel dans un espace bipolaire, liant départ-arrivée, installation-retour, mais pluri directionnel mettant en relation des espaces. L’interrogation sur les appartenances multiples et les modalités d’identification sont retravaillées dans la perspective de la mise en relation et de la hiérarchisation des lieux par les flux et les relations sociales (multiappartenance des migrations à des sociétés éloignées). Si l’accent est mis sur les trajectoires et la diversité des parcours, c’est dans la perspective d’analyser les parcours migratoires déployés sur des espaces transnationaux (Berthomière et Hily, 2006 : 10).

Une approche processuelle de l’intégration

Dans sa version radicale, le concept d’intégration fait référence à un « processus qui d’une part permet à une société d’absorber un nouvel élément sans compromettre sa structure et d’autre part comme un processus de transformation des immigrés vers une uniformisation culturelle » (Hily et al., 2004 : 9). Cette définition figée suppose que l’immigrant sera totalement absorbé et transformé par la société d’accueil, ce qui correspond à une assimilation complète des immigrants. Elle sous-entend que l’intégration est un processus évolutif vers un état d’acculturation ultime où l’immigrant est en position d’uniformité avec le milieu d’accueil. Bien sûr, la démarche d’intégration ne peut être comprise en ces termes réducteurs. Il semble plus approprié de considérer l’intégration comme « une démarche évolutive plurielle et très complexe qui par définition n’est jamais achevée » (Costa-Lascoux, 1994 : 259; dans Dancause, 2001). Dans cette perspective, l’intégration est ici abordée en tant que processus complexe où s’articulent négociation et résistance (Hily et al., 2004) par rapport aux nouvelles façons de faire, d’agir ou de penser du pays hôte. Par exemple, un migrant peut accepter d’apprendre efficacement la langue de son nouveau milieu tout en résistant à certains aspects tels que l’établissement de nouveaux contacts ou l’ouverture envers les relations sexuelles avant le mariage. De la même façon, Schnapper (2008) explique que « par définition, personne n’est totalement ‘intégré’. Il n’existe donc pas d’intégration dans l’absolu – intégration à quoi, de quoi? —, il existe des dialectiques et des processus complexes d’intégration, de marginalisation et d’exclusion » (Ibid : 2). Il s’agit donc de considérer que mon étude s’inscrit dans une définition très flexible de l’intégration et s’éloigne des considérations rigides positionnant le migrant dans un processus unidirectionnel menant à une assimilation. Parallèlement, il faut souligner que l’intégration est multidimensionnelle :

Pour plusieurs auteurs (Castles et al., 2002; Spencer, 2006; Verbunt, 2004; Vertovec, 1999), il apparaît désormais manifeste que les processus d’intégration s’opèrent à la fois dans les sphères sociales, économiques, politiques, culturelles et géographiques de la société. Chacun de ces domaines d’activité comporterait ses propres processus, modes et significations de l’intégration. L’intégration peut donc s’actualiser dans une sphère particulière sans se faire simultanément dans une autre, ce qui signifie que tous les champs de l’intégration peuvent ne pas être investis au même moment (Gauthier et al., 2010: 17-18). En d’autres termes, selon les circonstances, la démarche d’intégration s’actualise ou non dans différentes sphères ou dimensions de la vie au quotidien. À ce sujet, en plus des réseaux sociaux qui seront abordés plus bas, il y a deux autres dimensions constitutives de l’intégration qui sont intéressantes pour la présente recherche, soient la langue et les codes culturels.

D’un côté, la dimension linguistique a un grand impact sur l’ensemble des interactions qui se produisent dans le milieu d’accueil selon qu’une personne maîtrise ou non la langue de son pays hôte. D’un autre côté, la dimension regroupant les codes culturels se compose des marqueurs identitaires, des valeurs et des normes véhiculés dans la société hôte. L’intérêt des codes culturels, pour cette recherche, réside surtout dans les modes d’interaction à préconiser dans divers contextes (Edmond et Picard, 2008) puisque ceux-ci ont un impact sur les façons d’entrer en contact, d’établir des relations et, ultérieurement, de développer un réseau social. Autrement dit, l’étude des réseaux sociaux, intérêt principal de ce mémoire, est d’une certaine façon liée à celle de la langue et de certains codes culturels, deux autres dimensions caractérisant l’intégration.

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Table des matières

RÉSUMÉ
TABLE DES MATIÈRES
LISTE DES TABLEAUX
LISTE DES FIGURES
LISTE DES ABRÉVIATIONS
REMERCIEMENTS
INTRODUCTION
CHAPITRE 1 UNE ANTHROPOLOGIE DE LA MIGRATION ET DE L’INTÉGRATION CENTRÉE SUR LES RÉSEAUX SOCIAUX ET LES RELATIONS INTERCULTURELLES : PROBLÉMATIQUE ET MÉTHODOLOGIE
1.1 LA PROBLÉMATIQUE DE LA RECHERCHE
1.1.1 L’anthropologie des migrations
1.1.2 Une approche processuelle de l’intégration
1.1.3 Les réseaux sociaux en contexte de migration
1.1.4 Les interactions avec la société d’accueil : les relations interculturelles
1.1.5 Les études québécoises réalisées sur le même site et le même groupe
1.1.6 Le questionnement et les objectifs de recherche
1.2 L’ORIENTATION MÉTHODOLOGIQUE DE LA RECHERCHE
1.2.1 L’opérationnalisation des concepts
1.2.2 La collecte des données
1.2.2.1 Le recrutement initial et la tenue des ateliers
1.2.2.2 L’échantillonnage
1.2.2.3 L’observation participante
1.2.2.4 Les entretiens
1.2.2.5 La place du chercheur dans les réseaux étudiés
1.2.3 L’analyse des données
CHAPITRE 2 UN REGARD HISTORIQUE SUR LES CONFLITS INTERETHNIQUES AU BHOUTAN ET LES CAMPS DE RÉFUGIÉS AU NÉPAL
2.1 LES POLITIQUES D’EXCLUSION ET LES CONFLITS INTERETHNIQUES DEPUIS LE 19E SIÈCLE
2.2 PARTIR EN EXIL FORCÉ : L’EXPULSION DES LHOTSHAMPAS DANS LES ANNÉES 1990
CHAPITRE 3 L’IMMIGRATION ET L’INSTALLATION DES BHOUTANAIS/NÉPALAIS À QUÉBEC
3.1 L’IMMIGRATION AU CANADA ET AU QUÉBEC : POLITIQUES, PROGRAMMES ET STATISTIQUES
3.1.1 Le rôle du Canada en lien avec les réfugiés
3.1.2 La réinstallation des Bhoutanais/Népalais
3.1.3 Le rôle du Québec et des organismes : l’accueil
3.1.4 Un portrait statistique de l’immigration bhoutanaise au Canada, au Québec et dans la Capitale Nationale
3.2 L’INSTALLATION À QUÉBEC AVANT LE DÉBUT DU PROGRAMME DE FRANCISATION
3.2.1 L’arrivée au Canada et le séjour à l’hôtel
3.2.2 À Québec, deux quartiers où habitent les Bhoutanais/Népalais
3.2.3 Entre isolement et premiers contacts : l’installation et la période d’attente dans le quartier au coeur du quotidien
CHAPITRE 4 L’APPRENTISSAGE DU FRANÇAIS : UNE ÉTAPE IMPORTANTE… MAIS DIFFICILE
4.1 LA FRANCISATION À QUÉBEC ET LE PROGRAMME DU CÉGEP DE SAINTE-FOY
4.1.1 Les cours de francisation fréquentés par les Bhoutanais/Népalais
4.1.2 Le passage au Cégep de Sainte-Foy : une étape importante pour le développement des réseaux sociaux?
4.1.3 Les sorties du programme de francisation : une occasion d’entrer en contact?
4.2 L’APPRENTISSAGE PROLONGÉE DU FRANÇAIS : D’AUTRES OCCASIONS
4.2.1 Le Centre Louis-Jolliet
4.2.2 D’autres options moins exigeantes : sortir de l’isolement par des études à temps partiel
4.3 L’APPRENTISSAGE DU FRANÇAIS : UN IMPACT MAJEUR SUR LES RÉSEAUX SOCIAUX
4.3.1 Des difficultés et un manque de confiance
4.3.2 Un contraste : une curiosité et une ouverture envers la société d’accueil
CHAPITRE 5 D’AUTRES CONTEXTES DE CRÉATION DES RÉSEAUX : L’EMPLOI ET LE QUOTIDIEN
5.1 LA RÉALITÉ ET LES DÉFIS DU MILIEU DE L’EMPLOI : TRAVAILLER À QUÉBEC
5.1.1 Un emploi à temps partiel
5.1.2 Un emploi à temps plein
5.1.3 Les défis à relever sur le marché de l’emploi… et ailleurs
5.1.4 L’impossibilité de travailler
5.2 LA ROUTINE QUOTIDIENNE ET LES ACTIVITÉS DE LOISIRS
5.2.1 Une routine d’abord basée sur trois points dominants : la maison, l’école et les lieux d’achats alimentaires
5.2.2 Oui, une certaine diversité dans les loisirs
5.3 LA COMMUNAUTÉ BHOUTANAISE/NÉPALAISE ORGANISÉE ET DES ÉVÉNEMENTS RASSEMBLEURS
CHAPITRE 6 LES RÉSEAUX SOCIAUX ET LES RELATIONS INTERCULTURELLES
6.1 DES RÉSEAUX SOCIAUX AXÉS SUR LA COMMUNAUTÉ D’ORIGINE
6.1.1 Les réseaux sociaux de coprésence : liens maintenus et liens construits
6.1.2 Les réseaux sociaux virtuels : liens maintenus et liens construits
6.2 QUELS LIENS AVEC LES MEMBRES DE LA SOCIÉTÉ D’ACCUEIL?
6.2.1 Des liens avec les Québécois : pourquoi et comment?
6.2.2 Malgré tout, des relations possibles avec les Québécois
6.2.3 Des échanges brefs et éphémères… mais essentiels?
6.3 LES RELATIONS INTERCULTURELLES : ENTRER EN RELATION AVEC L’AUTRE ET COMMUNICATION INTERCULTURELLE .
6.3.1 Des prérequis aux relations interculturelles : un intérêt mutuel et du temps à accorder
6.3.2 Comment entrer en contact avec l’Autre
6.3.3 Les défis de la communication interculturelle
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES

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