L’immigration économique
L’immigration économique : regard anthropologique sur ses particularités
Le transnationalisme
Cette nouvelle approche est apparue devant l’émergence d’un monde de plus en plus globalisé tel que nous le vivons aujourd’hui. En effet, les limites territoriales autrefois intrinsèques à la définition et à la « délimitation » des groupes culturels se sont brouillées devant l’augmentation de la circulation des biens et des personnes à l’échelle mondiale (Glick Schiller et coll., 1995). Les nouveaux moyens de télécommunication, l’efficacité et la multiplicité des moyens de transport ont diminué les distances entre sociétés d’envoi et sociétés d’accueil et sont venus modifier les attaches que les immigrants conservent avec leur pays natal. On considère maintenant que le migrant n’est jamais complètement déconnecté de son pays d’origine et même qu’il continue à s’engager activement dans sa société. La sociologue Mihaela Nedelcu nous donne d’ailleurs un très bon exemple de cette réalité en étudiant la puissance d’action d’un réseau virtuel de recherche, géré par des immigrés roumains, qui sont arrivés à imposer une réforme dans les politiques d’enseignement et de recherche en Roumanie par le biais de communications transnationales entre migrants et nonmigrants (Nedelcu, 2009). C’est de ces nouvelles réalités modernes qu’est née l’approche transnationale. « We could portray the transnational turn in the anthropology of migration as a change in ‘direction’ by way of shifting analysis from groups in specific localities to groups and their activities as they engage cross-border, multi-local processes and practices » (Vertovec, 2007). Dans le cas de la présente recherche, je m’intéresse non seulement à l’existence des communautés transnationales qui existent entre migrants et non migrants sur Internet, mais aussi au lien que les futurs migrants peuvent créer avec le pays de destination avant même le départ, grâce aux TIC.
Les approches micro, macro et méso
Dans l’optique, entre autres, d’expliquer le comportement des individus qui décident de migrer, de nombreux écrits scientifiques ont cherché à définir les éléments déterminants de la migration. Ces différentes recherches pourraient se diviser en deux grands ensembles selon qu’elles utilisent le modèle macro ou micro. Dans le champ des études migratoires, les modèles macro réfèrent aux approches qui voient les migrations de travail, par exemple, comme des réponses aux déséquilibres du marché du travail alors que les modèles micro chercheront plutôt à identifier les motivations individuelles à l’origine de la décision de migrer (Creighton, 2013; Li et Teixeira, 2007).
Chacun des deux modèles utilisés indépendamment de l’autre comporte des lacunes et passe sous silence des éléments importants impliqués dans le processus migratoire. D’ailleurs, selon Brettell, « an anthropological approach to migration should emphasize both structure and agency; it should look at macro-social contextual issues, micro-level strategies and decision-making, and the mesolevel relational structure within which individuals operate. It needs to articulate both people and process » (Brettell, 2002). Elle introduit ainsi le niveau méso, qui renvoie aux liens sociaux entre les individus et à leur influence sur les décisions de ces derniers. Dans le cadre de cette maîtrise, je veille à utiliser cette complémentarité d’approches pour bien saisir le poids réel de chacun des déterminants de la migration qui ont été identifiés. Je m’intéresse donc à des facteurs tels que les politiques d’immigration du Canada et les conditions économiques et sociales de l’Argentine pour englober les aspects structurels de cette mobilité. Ensuite, je tiens compte des situations familiales propres aux migrants, de la particularité de leur parcours de vie et de leurs aspirations individuelles.
Pour terminer, je m’assure d’intégrer le rôle des réseaux sociaux transnationaux entre migrants potentiels et migrants déjà établis dans la trajectoire de la population étudiée.
Les imaginaires sociaux
Dans les dernières années, le concept d’imaginaire social a été de plus en plus présent dans les recherches en lien avec les phénomènes migratoires lorsqu’il s’agit d’étudier les dimensions culturelles des mobilités mondiales (Appadurai, 2001; Fouquet, 2007; Hsu, 2000; Leblanc, 1994;
Pedersen, 2013; Salazar, 2010; Salazar, 2013). Dans le cadre de cette maîtrise, je mobilise le concept d’imaginaire social pour accéder aux représentations et aux perceptions que les futurs migrants se font des pays de destination, mais également de celui où ils sont nés ou de celui où ils vivent. Je développerai donc dans les prochains paragraphes sur les éléments constituants de ce concept.
L’imaginaire social est partout. On parle d’imaginaire pour désigner toutes les réalités intangibles qui peuplent les consciences individuelles. L’imaginaire devient social lorsque ces réalités de l’esprit sont partagées par une collectivité et qu’elles ont une incidence sur ses actions en tant que groupe d’individus (Leblanc, 1994). Les chercheurs qui ont utilisé l’imaginaire social s’y sont référé pour parler des représentations sociales, des idéologies, des cadres symboliques, des valeurs qui sont à la base de toute société (Leblanc, 1994). Ce concept peut être étudié à travers l’analyse des
éléments qui le constituent ou en l’abordant selon une thématique en particulier. Dans cette recherche, je me suis attardée sur deux éléments constitutifs en particulier, c’est-à-dire l’utopie et la mémoire collective, qui m’apparaissent primordiaux dans l’étude du phénomène migratoire, puis j’ai
traité de ce qu’on appelle les imaginaires migratoires.
L’immigration au Canada
L’immigration est depuis longtemps au cœur des politiques de développement du Canada.
Selon un rapport publié par Parant en 2001, « près d’un Canadien sur six est en effet né à l’étranger.
À Toronto, quatre habitants sur dix sont nés hors du Canada. […] L’immigration continue aujourd’hui à hauteur de 50 % de la croissance démographique annuelle du pays et on estime que 60 % des enfants inscrits à l’école ont au moins un parent né à l’étranger » (Parant, 2001 : 6). Si l’immigration revêt une importance primordiale dans l’expansion du pays depuis toujours, les balises l’entourant ont cependant grandement évolué au cours du 20e siècle (Blais, 2010; Parant, 2001). En effet, avant le vote de la première loi fédérale sur l’immigration en 1869, les entrées fonctionnaient selon le principe du « premier arrivé, premier servi » sans attention particulière portée au profil des immigrants, alors qu’aujourd’hui, le contrôle et la sélection sont les mots maîtres de toute entrée au pays (Ministère de la main-d’œuvre et l’immigration du Canada (MM-OI), 1974). Il n’en va plus de même de nos jours. Le migrant est soumis à tout un travail de catégorisation et d’évaluation avant d’être ultérieurement accepté ou refusé en sol canadien et sa fonction « utilitaire2» est mise de l’avant. Il existe actuellement trois grandes catégories d’immigrants au Canada : les réfugiés, les parrainés et les immigrants économiques (Gouvernement du Canada, 2011). Chaque catégorie comprend plusieurs sous-catégories et suit des critères de sélection bien précis. Cependant, dans le cadre de ce travail, je m’attarderai seulement à la catégorie des immigrants économiques souvent désignés sous l’appellation « immigrants indépendants » ou « travailleurs qualifiés ».
Cette catégorie est prédominante au Canada depuis l’entrée en vigueur du système de pointage en 1967, système qui détermine l’acceptation d’un candidat ou non selon des critères bien précis renvoyant à l’éducation, à l’âge, à la profession ou encore à la connaissance de la langue anglaise ou française. Ces critères cherchent à favoriser l’entrée au pays d’individus avec un profil vu comme plus facilement « intégrable » ou à même de combler des pénuries de main-d’œuvre dans certains secteurs spécifiques. Dans les dernières années, cette catégorie a été le point de mire du gouvernement du Canada qui voit son augmentation comme nécessaire pour répondre aux besoins
du pays en termes de main-d’œuvre et de croissance démographique (Blais, 2010). Le Québec aussi, selon le ministère de l’Immigration, de la Diversité et l’Inclusion (MIDI), compte principalement sur la catégorie indépendante (53 % de son immigration) pour répondre à ses besoins économiques et démographiques. D’ailleurs, de nombreux pays se font concurrence dans le recrutement de ces professionnels hautement qualifiés.
Le cas du Québec
(AANB), le Québec ne s’y intéressera réellement que vers la fin des années 1960 (Parant, 2001). Les intérêts du Québec sont très similaires à ceux du Canada, mais la particularité de la politique migratoire québécoise est l’attention qu’elle porte à la langue française et sa volonté d’utiliser l’immigration pour préserver la majorité francophone de sa population (Blais, 2010). En 2011, la population immigrée du Québec s’élevait à 12,6 % de la population totale (Ministère de l’immigration, diversité et inclusion (MIDI), 2014). Les migrants qui souhaitent émigrer au Québec doivent faire deux demandes, une provinciale et une autre fédérale. La première permet au Québec de sélectionner les candidats selon le mérite. Une fois sélectionnés, les dossiers sont envoyés aux instances fédérales pour des vérifications d’ordre judiciaire et médical. Un individu maîtrisant le français augmente ses chances d’être choisi en ciblant le Québec comme province de destination puisque les autres provinces canadiennes s’en remettent généralement au gouvernement fédéral pour le choix de leurs candidats (Canada Immigration Visa, 2003). Dès lors, le choix du Québec pourrait se révéler très stratégique dû au traitement d’un nombre moins élevé de demandes et aux programmes mis en place pour attirer les immigrants dans la province. De plus, le Québec impose des critères moins exigeants que le Canada quant à l’âge du candidat et au montant de ses ressources financières (MIDI, 2013).
Maintenant que les caractéristiques particulières au Québec et au Canada ont été définies, la prochaine partie de ce travail cherchera à déterminer les particularités des migrants argentins au sein de ce paysage migratoire général.
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Table des matières
Introduction
Chapitre 1. L’immigration économique : regard anthropologique sur ses particularités
1.1. Le transnationalisme
1.2. Les approches micro, macro et méso
1.3. Les imaginaires sociaux
1.3.1. L’imaginaire social comme utopie
1.3.2. L’imaginaire social comme mémoire collective
1.3.3. Les imaginaires migratoires
1.4. La communauté
1.4.1. La communauté imaginée
1.4.2. La communauté virtuelle
1.4.3. Les nouvelles technologies de l’information et des communications
1.5. Questions et objectifs de recherche
1.6. Méthodologie de recherche
1.6.1. Stratégie de recherche
1.6.2. Opérationnalisation des concepts
1.6.3. Les techniques de collecte des données
1.6.3.1. Contenu virtuel : blogues, forums, groupes Facebook, etc
1.6.3.2. Entretiens semi-dirigés
1.6.3.3. Observation directe
1.6.4. L’analyse de contenu thématique
1.7. Conclusion
Chapitre 2. Les migrants argentins : qui sont-ils?
2.1. L’immigration au Canada
2.2. Le cas du Québec
2.3. Les migrants argentins : un groupe diversifié
2.4. L’origine du désir de migrer : frustrations et insatisfactions
2.4.1. La violence structurelle
2.4.1.1. Insécurité économique
2.4.1.2. La violence sociale
2.4.1.3. L’injustice
2.4.2. L’impact de l’origine sur la volonté de partir
2.5. Les TIC, incontournables dans le processus migratoire
2.5.1. La restructuration récente des instances gouvernementales d’immigration
2.5.2. La sélection des travailleurs qualifiés
2.5.3. Les sources d’information disponibles pour les futurs migrants
2.5.3.1. Les sites gouvernementaux
2.5.3.2. Les sites non gouvernementaux
2.5.4. Les Argentins sont-ils branchés?
2.6. Conclusion
Chapitre 3. Le choix du pays de destination : au carrefour du rêve et de la réalité
3.1. Pourquoi le Canada?
3.1.1. Les ressources personnelles
3.1.2. Contexte socio-économique du pays
3.1.3. Le processus administratif
3.1.4. Les facteurs secondaires
3.1.5. Les obstacles structurels liés à la demande de résidence permanente
3.1.6. La fierté brisée des futurs migrants
3.2. Canada, qui es-tu?
3.2.1. La vie au Canada telle que perçue par les Argentins
3.2.1.1. La politique
3.2.1.2. L’économie
3.2.1.3. La vie sociale
3.2.2. Le Canada en images
3.3. Conclusion
Chapitre 4. Internet parle du Canada : l’apport des ressources virtuelles et leur impact sur l’imaginaire migratoire
4.1. Complémentarité des médias virtuels
4.1.1. Les blogues
4.1.1.1. La bureaucratie
4.1.1.2. La découverte du Canada (15/25)
4.1.2. Les forums
4.1.3. Les groupes Facebook
4.1.4. Les listes électroniques
4.1.5. Les médias officiels : les sites gouvernementaux
4.2. Pertinence et utilité des médias virtuels
4.3. Crédibilité et surcharge informationnelle
4.4. Sélection cognitive
4.5. Conclusion
Conclusion
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