Limites et freins à la prescription de morphiniques
Morphine et douleur nociceptive intense récente
Ils étaient 74% à prescrire parfois, souvent ou toujours de la morphine en cas de douleur nociceptive intense récente (EVA>6/10), chez un patient de plus de 75ans sans antécédent particulier. Chez un sujet âgé de plus de 75 ans non soulagé, présentant des douleurs nociceptives récentes de forte intensité, combien de rotations d’antalgiques de palier 2 effectuez-vous avant d’introduire un antalgique de palier 3? 56%des médecins(n=107) ont fait au moins une rotation de palier 2 avant d’utiliser ou non des morphiniques de palier 3, pour soulager un patient âgé de plus de 75 ans présentant des douleurs nociceptives récentes de forte intensité. 28% (n=52) font au moins deux rotations devant une douleur nociceptive récente non soulagée. Nous avons décidé de croiser les résultats de cette question sur la rotation des antalgiques de palier 2 avec la question sur les douleurs nociceptives intenses récentes. Il en ressortait que les médecins généralistes effectuant deux rotations ou plus de palier 2 correspondaient de manière significative à ceux qui ne prescrivaient jamais, rarement ou parfois des morphiniques de palier 3 en casde douleur nociceptive intense récente (p=0.0052),chez un patient de plus de 75ans sans antécédent particulier. A l’inverse parmi ceux qui ne faisaient aucune rotation de palier 2, ils étaient 48% à prescrire souvent des morphiniques dans la même situation. De même, nous avions démontré de manière significative que les médecins effectuant aucune ou une seule rotation de palier 2, prescrivaient souvent ou toujours des morphiniques de palier 3 dans la même situation clinique.
Des améliorations notables…
Afin d’avoir une vision d’ensemble des usages de morphiniques par les médecins généralistes, ont été abordés dans ce travail les cinq types de douleurs répertoriées dans l’étude de Françoise Béroud publiée en 2010 et intitulée « douleur et personne âgée » (11): douleur cancéreuse, douleur induite par les soins, douleur et fin de vie, douleur ostéo-articulaire et douleur neuropathique. 61% des médecins pouvaient ainsi prescrire sans difficulté des opioïdes de palier 3 chez les patients âgés de plus de 75 ans en fin de vie. Ceci confirmait ce que pressentait une étude publiée dans la revue douleur en 2007 (12): «Si la prescription d’opioïdes nécessite d’être expliquée, elle effraie moins le médecin généraliste qu’il y a 10 ans.» De même, un article paru dans la revue médecine palliative en 2011(8)rapportait que 98% des médecins généralistes utilisaient facilement les morphiniques lorsque les antalgiques de pallier 1 et 2 ne sont plus efficaces, chez des patients douloureux en situation palliative. De même, la majorité des médecins interrogés dans le cadre d’accès paroxystiques du cancer, chez des patients déjà traités par des opioïdes, semblaient maîtriser les adaptations thérapeutiques. Avant d’adresser un patient âgé cancéreux aux urgences, selon les recommandations de l’Association européenne de soins palliatifs (EAPC) de 2012 (13), le médecin généraliste pouvait tenter de soulager une douleur cancéreuse légère à modérée, avec des opioïdes forts d’emblée, sans effets indésirables majeurs.
Enfin, d’après les recommandations de l’HAS publiées en 2014 (14), les médecins pouvaient prescrire des opioïdes d’action rapide par voie trans-muqueuse en cas d’accès douloureux paroxystiques du cancer. Les professionnels de santé interrogés en nette majorité prescrivaient de la morphine en cas de douleur nociceptive intense récente (EVA>6/10), chez un patient de plus de 75ans sans antécédent particulier. Les chiffres d’échelle d’évaluation de la douleur au-delà desquelles il était permis de définir le palier 3 de la douleur et donc l’indication des morphiniques de palier 3, variaient selon les études. Le palier 3 se définissait le plus souvent par une échelle supérieure à 7/10. Cependant, les échelles d’évaluation de la douleur sont de plus en plus discutées, comme l’ont montré une étude de 2014 (15)et un article encore plus récent datant d’octobre 2015 (16). L’introduction directe d’un pallier 3 avec une EVA supérieure à 6 ou 7/10 n’est que théorique en ville. Plus de la moitié des médecins ont répondu « parfois », terme qui pouvait être interprété comme une adaptation à la situation et non à une échelle d’évaluation. D’après le même article d’octobre 2015 (16), les professionnels de santé peuvent introduire des morphiniques devant une douleur intense récente chez une personne âgée, mais doivent s’adapter à sa fragilité et mesurer la balance bénéfice-risque. Nous pouvions également supposer l’utilisation d’un palier 2 en première intention par les médecins généralistes dans une telle situation. Il aurait été intéressant d’interroger les médecins en parallèle, sur leurs pratiques de prescription d’antalgiques de palier 2 dans cette même tranche d’âge afin de déterminer si ceux-ci était prescrits plus librement dans un contexte d’âge avancé
Mais persistent des réticences
Dans notre étude, il reste un quart des médecins interrogés qui ne prescrivent que rarement ou jamais de morphiniques en cas de douleur nociceptive intense récente. Or, d’après les recommandations de l’HAS de 2000, les opioïdes dont la morphine pouvaient être prescrits en première intention pour les douleurs intenses nociceptives(17). Nous pouvons supposer qu’une partie des médecins de ville ont encore des réticences à prescrire des morphiniques de palier 3 avec pour possible conséquence que certains patients de plus de 75 ans ne soient pas totalement soulagés dans les situations citées précédemment. D’après une étude de 2010 intitulée « douleur et gériatrie »(18), les personnes âgées pouvaient être sujets à une sous-estimation de leur douleur et « il ne fallait pas hésiter à utiliser des opioïdes chez des patients âgés de plus de 75ans dès le stade de douleur modérée, en appliquant les règles de prescription adaptée. » Par ailleurs, 56% des médecins réalisaient au moins une rotation de palier 2 avant d’utiliser ou non des morphiniques de palier 3, pour soulager un patient âgé de plus de 75 ans présentant des douleurs nociceptives récentes de forte intensité. 28% font deux rotations voir plus dans cette même situation. Ces éléments nous permettent également de supposer une sous-utilisation de la morphine dans des situations de douleurs aigües. Nos résultats montrent que les médecins généralistes qui effectuaient deux rotations ou plus de palier 2 étaient les mêmes que ceux qui ne prescrivaient pas de morphiniques dans les situations de douleurs aigües chez des patients sans antécédent particulier. De même, nous avions démontré de manière significative que les médecins effectuant aucune ou une seule rotation de palier 2, prescrivaient plus régulièrement des morphiniques de palier 3 dans la même situation clinique.
Une sous-utilisation des morphiniques pour anticiper les douleurs liées aux soins
Il apparaît que les médecins généralistes sont moins sensibilisés à la prise en charge des douleurs liées aux soins chez les patients âgés de plus de 75 ans. En effet, ils sont seulement 29% à prescrire souvent ou toujours des morphiniques de palier 3 pour limiter les douleurs liées aux soins. Pourtant, dans l’article « la douleur aigüe chez le sujet âgé aux urgences »(19), nous retrouvions déjà parmi les situations aigües douloureuses fréquentes évoquées, les douleurs générées lors des soins. Une seconde étude de 2008 (20)rappelait également qu’il était essentiel de prévenir les douleurs provoquées par les actes de soins ou par les actes de la vie quotidienne. Une autre étude de 2008 « douleurs induites par les soins chez les personnes âgées » (21)rapportait une reconnaissance insuffisante de la douleur du fait des troubles d’expression de la douleur et des causes déclenchantes dans cette population. Par ailleurs, dès 2010, l’étude « douleur et gériatrie »(18)préconisait l’usage d’interdoses d’opioïdes pour anticiper les douleurs liées aux soins dans la population âgée. De même, un article paru dans la revue douleur en 2008 (22)estimait les prémédications fixes à 14% pour les actes de nursing et à 36% pour les pansements. Le programme du deuxième plan douleur 2002-2005 (23)comprenait l’amélioration de la prise en charge des douleurs provoquées par les soins.
D’après une thèse d’exercice de 2013 qui évaluait le contenu des enseignements de médecine générale(24), un enseignement dédié à la douleur destiné aux internes de médecine générale, existait dans 52% des DMG. Mais, toujours dans cette thèse, la douleur induite par les soins n’était jamais mentionnée dans les modules de formation initiaux, d’après les enseignements de médecine générale interrogés. Les programmes de formation sur la douleur n’intègrent pas toujours non plus de modules destinés à la douleur induite par les soins, ce qui peut expliquer le faible taux d’utilisation des morphiniques avant les soins. Les dernières recommandations de l’HAS «Evaluation et prise en charge thérapeutique chez les personnes âgées ayant des troubles de la communication verbale»(17)qui autorisaient précisément la prescription de morphine dans ce type de situation dataient de 2000. Nous n’avons pas retrouvé de nouvelles recommandations sur les douleurs induites dans la littérature hormis pour les douleurs post-opératoires. Il aurait été intéressant d’interroger plus précisément les médecins généralistes sur leurs connaissances de ces recommandations.
|
Table des matières
Introduction
I -Matériel et méthodes
1) Elaboration du questionnaire
2) Population
3) Recueil et exploitation des données
4) Analyse des données
II-Résultats de notre étude
1) Données socio-professionnelles
1.1 : Genre
1.2: Age
1.3: Date de début d’internat
1.4: Distance entre le cabinet du médecin généraliste et le référent douleur le plus proche
2) Etat des lieux des pratiques
2.1 : Morphine et fin de vie
2.3: Morphine et crise arthrosique
2.4: Prise en charge d’une douleur neuropathique
2.5: Morphine et douleurs liées aux soins
2.6: Morphine et douleur nociceptive intense récente
2.7: Bilan pré-thérapeutique
2.8: Connaissance des recommandations concernant la prise en charge dela douleur chez les sujets de plus de 75ans
3) Limites et freins à la prescription de morphinique de palier 3 chez les patients de plus de 75 ans
3.1: Image globale des morphiniques par les médecins généralistes
3.2: Surdosage et freins à la prescription de morphiniques
4) Formation: acquis, besoins et attentes
4.1: Etats des lieux de la formation
4.2: Thèmes de formation
4.3: Modes de formation
4.4: Outils de formation
III-Discussion
1) Objectifs de l’étude
2) Limites et forces de l’étude
2.1: Limites de l’étude
2.2 : Forces de l’étude
3) Etat des lieux des pratiques
3.1: Des améliorations notables
3.2: Mais persistent des réticences
3.3 : Une sous-utilisation des morphiniques pour anticiper les douleurs liées aux soins
3.4: Connaissances des recommandations sur la prise en charge de la douleur
4) Limites et freins à la prescription de morphiniques
5) La question du bilan pré-thérapeutique
6) Formation: acquis, besoins et attentes
6.1: Le niveau de formation
6.2: Les progrès suite à laloi de 1995
6.3: Les attentes et propositions des médecins généralistes, retrouvées au sein de précédentes études
IV-Perspectives et conclusion
Références bibliographiques
Listes des figures et tableaux
Annexes
Télécharger le rapport complet