Télécharger le fichier pdf d’un mémoire de fin d’études
Le corpus du règne d’Henri I.
Le règne d’Henri I se place au milieu de la période anglo-normande. La raison pour laquelle la proportion des mots en vieil-anglais dans le corpus légal est importante ne concerne plus la notion de transition mais celle d’évolution. Une forte proportion indiquerait que le droit anglais, au travers d’un vocabulaire originel, perdurerait de manière significative malgré les apports étrangers impliqués par un demi-siècle de politique allogène. Au contraire, la disparition, ou l’amenuisement certain, de ce vocabulaire supposerait un recul, voire un déclin, de la culture anglo-saxonne et une prise en main presque totale du droit normand sur la justice anglaise.
Du règne d’Henri I, ont été retenus : les Leges Henrici Primi, le décret sur la frappe de monnaie, le décret sur les cours des shires et des hundreds et la charte de Londres.
Les débuts de la législation anglo-normande
Il ressort du premier corpus étudié que les termes anglo-saxons étaient peu représentés dans les textes législatifs qui suivirent supposément la Conquête ; la plus grande part étant qui plus est contenue dans les Leis e Custumes, rédigées sous Henri I. Seuls trente-trois mots en tout et pour tout y ont été répertoriés. Conséquemment, il semble bien que le vocabulaire juridique saxon ait été disloqué presque entièrement par la machine juridico-légale normande. Un langage est plus qu’un mode de communication ; il est aussi porteur de valeurs et représentations mentales de toutes sortes. Faire tomber dans l’oubli un jargon et le remplacer par un autre, qui ne peut être ni son exact traduction ni son pendant véritable, équivaut à brouiller les concepts qu’il sous-entend et à les reformuler de manière plus ou moins profonde. Partant de ce postulat et du taux de survie des termes anglo-saxons, le droit anglais, coupé de ses racines saxonnes par les traductions et réajustements linguistiques, risquait une profonde mutation. Cependant, si les vocables juridiques anglo-saxons sont numériquement peu représentatifs, il en va tout autrement si l’on se place dans une optique qualitative.
Chacun des termes conservés, loin d’être une relique grammaticale ou linguistique du passé, était porteur d’une signification juridique importante. Parmi ceux-ci peut-on citer le hundred et le sache e soche. Ces outils de la législation étaient essentiels aussi bien dans le monde juridique saxon que dans son double anglo-normand puisqu’ils représentaient la base de toutes notions de juridiction médiévale anglaise. Le hundred était la dénomination de la plus petite des cours publiques et locales qui rendaient la justice dans ces deux univers et le sache e soche permettait à des seigneurs, laïques ou ecclésiastiques, de rendre justice de manière privée et d’en retirer les bénéfices. En toute logique, si l’on reste dans un cadre d’étude philologique, le droit anglo-saxon, sans être resté intact, demeure le fondement du droit anglais dans le troisième tiers du XIe siècle. Comment expliquer alors cette fracture entre une faible utilisation du vieil-anglais et sa valeur dans la sphère légale ?
Les textes considérés ici ont été émis après 1071. Cette année marque un tournant dans l’histoire de la langue anglaise. Tout d’abord, en raison des événements des années 1069-1071 qui déclenchèrent un revirement de la politique guillaumienne en défaveur des natifs. Ensuite, parce que l’arrivée d’Osmund à la tête de la chancellerie, remplaçant Herfast à ce poste, coïncidait avec une prise en main assurée de la machinerie administrative. Un abandon du vieil-anglais plus précoce eut été impossible car Guillaume avait besoin des services et de l’expérience des clercs d’Edouard. Mais, après cinq ans de gouvernement, lui et les membres de sa chancellerie connaissaient suffisament les rouages administratifs pour se passer des bureaucrates » anglo-saxons. Habitués au latin et au français, les nouveaux maîtres de la place n’avaient que faire d’une troisième langue avec laquelle ils n’étaient pas familiers45.
Parmi les conséquences de ce changement, il a été observé un déclin de l’usage administratif du vieil-anglais. A partir de cette époque, les documents officiels, notamment les codes de lois, furent rédigés en latin46. On assista aussi à une disparition des writs rédigés en vieil-anglais au profit de writs écrits exclusivement en latin. Malgré la volonté du roi, toutefois, il fallut conserver certains termes anglo-saxons pour deux raisons. D’une part, leur présence dans les manuscrits était nécessaire puisqu’ils se référaient à des pratiques juridiques incontournables. D’autre part, parce que la langue administrative des Normands n’avait pas le vocabulaire nécessaire pour les remplacer. Quand des scribes traduisaient des documents anglo-saxons, il leur fallait trouver des termes latins ou français pour exprimer des réalités Timothy Baker, The Normans, p 180.
A l’exception des Leis e custumes et d’une version des Dix Articles, qui sont tous les deux en français. Voir l’annexe « 13. Leis e Custumes de Guillaume I », p 360. anglaises. Parfois, il n’y avait aucun équivalent pour remplacer les mots indigènes47. Il était alors nécessaire de conserver l’usage des vocables originaux. Cela explique la présence d’un vocabulaire vieil-anglais dans les documents royaux anglo-normands.
Le devenir du vocabulaire anglo-saxon à l’époque des Leges Henrici Primi.
Comme le montre les tableaux précédents, basés sur des écrits datés d’Henri I, il y avait encore de nombreux termes anglo-saxons utilisés en Angleterre une génération après l’établissement normand. D’ailleurs, l’on remarque que ce taux est supérieur à celui du temps du roi Guillaume I. La langue vieille anglaise n’était plus souveraine dans le monde juridique mais elle apparaît à cette époque comme étant toujours source de termes techniques incontournables pour les hommes de loi au service de la couronne.
Comment expliquer ce retour en force ? Sans entrer dans des détails qui sont abordés plus avant dans cette thèse, il est certain que cela à un rapport avec l’anglicisation des Normands. Envahisseurs et Anglais cohabitaient depuis une génération lorsqu’en Henri I devint roi. Le souverain lui-même était né en Angleterre. Une société, une culture anglo-normande était en train de naître. Cette situation eut deux répercutions majeures en rapport avec la présente réflexion. Tout d’abord, l’animosité qui avait été reine sous Guillaume I avait quelque peu disparu. Il n’y eut plus de soulèvement contre l’autorité normande, bien au contraire, après la mort du Conquérant. La condamnation de fait qui pesait sur le vieil-anglais n’avait donc plus de raison d’être. Ensuite, si la langue anglaise avait perdu son rôle officiel, elle était restée la langue du peuple. Les Normands avaient donc été obligés de l’apprendre pour leur vie quotidienne et, puisque la parlant constamment, il devint sûrement plus commode pour eux de l’utiliser dans ce qu’elle avait de plus anglo-saxon. On observe, effectivement, que la majorité des termes anglo-saxons listés ci-dessus n’ont aucun équivalent en franco-normand. Pourquoi tenter de créer de nouveaux termes en langue étrangère, soit-elle celle de l’aristocratie, quand les termes indigènes sont utilisés par toutes les couches de la population ?
L’explication revendicative du plagiat.
Une première remarque, frappée du sceau de l’évidence, découle des démonstrations précédentes. Les souverains des XIe et XIIe siècle avaient accès aux codes anglo-saxons et ils profitèrent de l’aubaine pour enrichir et peaufiner leur législation. Ce faisant, ils ne prirent pas toujours le soin d’apposer leur marque sur les lois anciennes qu’ils retenaient et les acceptaient parmi les leurs avec peu voire sans transformations préalables. Le plagiat dont ont été victimes les manuscrits anglo-saxons est donc évident et l’a été dès la mise en place de la législation anglo-normande. Les successeurs de Guillaume I n’ont en effet jamais caché qu’ils avaient directement puisé dans les documents établis par les rois précédents pour légiférer. Au contraire, comme le suggère la loi 88.12 des Leges Henrici Primi, ils allaient jusqu’à le revendiquer. De fait, cette décision expliquait que60 : Scriptum est legibus regis Eadmundi, ‘michi ualde displicent et nobis omnibus iniuste et multiplices pugne que inter nos ipsos fueri[n]t, unde diximus :
Si quis posth[a]c hominem occidat, ipse sibi portet homicidii faidiam nisi amicorum auxilio intra xii menses persoluat pleno weregildo, si natus sicut sit […].’»
(« C’est écrit dans les lois du roi Edmund : ‘moi-même et nous tous sommes grandement mécontents des nombreuses conflits injustes qti existent entre nous.
Si quelqu’un désormais tue un homme, il encourrera lui-même la feud pour ce meurtre, à moins qu’aidé de ses parents61 il ne paye la totalité du wergeld dans les 12 mois, conformément au rang de la victime […]’. »)
L’impasse du modèle anglo-saxon
La législation saxonne tout autant utilisée par les conquérants qu’elle le fut ne servit pas uniquement d’original sur lequel les Normands calquèrent leurs décisions. Le plagiat ne fut pas seulement formel et devrait se retrouver aussi dans le fond, c’est-à-dire, dans les types de crimes condamnés et leurs châtiments. Une simple comparaison de type thématique serait vaine puisque concluant forcément à une similarité « naturelle » entre les deux systèmes. Si l’on s’appuyait sur les thèmes et problèmes qui ont à la fois préoccupé les Anglo-Saxons et les Normands, on aboutirait bien vite à une évidence : les maux qui minent deux sociétés ayant atteint un niveau d’évolution similaire sont identiques. Les meurtres, vols, enlèvements, et autres agressions déstabilisaient les deux sociétés qui, en outre, avaient basé leurs idéaux de prospérité et d’équilibre social sur les mêmes indicateurs : la monnaie (indicateur de richesse), le bétail (indicateur de richesse agricole et élément majeur des besoins primaires), les femmes (facteur de descendance). Il faudrait donc porter son regard sur un autre horizon pour mener une étude fiable.
Partant de ce principe, un travail comparatif sérieux s’appuierait sur une double comparaison de la nature des crimes et de la manière dont ces maux ont été combattus. Si deux sociétés doivent faire face au même problème, elles auront chacune une solution toute personnelle à leur opposer en fonction de leur histoire, de leur environnement, de leurs possibilités techniques et de leurs coutumes. Dans le cas où la législation post-1066 serait identique à la précédente, l’influence de la première sur la seconde est plus que plausible.
L’embarras qui se pose lorsque l’on présente cette hypothèse est qu’il n’existe aujourd’hui aucun texte juridique normand d’avant la Conquête. Par conséquent, toute similitude découverte entre des lois anglaises pré-normandes et des articles anglo-normands peut être due à une influence des premières sur les seconds mais peut aussi être le fruit d’une autre cause. Une étude de ce type est donc impossible à l’heure actuelle. Seul la découverte d’un code ou d’un texte législatif normand pré-guillaumien apporterait toute la lumière sur ce thème.
Les Anglo-normands
C’est entre 1109 et 1111 qu’Henri I promulgua sa courte charte dont le sujet était les cours du hundred et du shire. Toutes les lois qu’il édicta dans ce document n’étaient pas héritières du droit anglo-saxon. Pour signaler ce changement, la loi 3 spécifiait que74 :
Et si désormais un cas survient concernant la division ou l’occupation de terres, si c’est entre certains de mes tenants-en-chef, le cas sera traité par ma cour. »
Dans certains cas, dorénavant, la justice du hundred ne s’appliquait plus automatiquement et s’effaçait devant d’autres instances juridiques. D’autres lois, au contraire, perpétuaient les règles anglo-saxonnes. D’une part, par la première clause, Henri I informait que75 : Qu’il soit connu de vous que j’accorde et enjoins, que dorénavant mes cours des comtés et hundreds se réuniront aux temps et lieux, quand et où elles se réunissaient à l’époque du roi Edouard, et pas autrement. » D’autre part, la quatrième disposition notifiait que : Et je désire et enjoins, que tous ceux qui appartiennent au comté doivent assister aux cours des comtés et hundreds comme ils le faisaient au temps du roi Edouard, et le fait d’être sous toute paix spéciale ou ma protection ne les exempt pas de prendre part aux cas et décisions de mes cours, comme ils avaient l’habitude de le faire à cette époque. »
Ici, il n’y eut ni plagiat ni inspiration anglo-saxonne. Le roi fit simplement savoir au peuple que dans un cas précis, les lois anglo-saxonnes restaient en vigueur et prévalaient sur les habitudes normandes. Il convient de noter ici que la pratique de la référence directe prouve avec le plagiat, une continuité certaines de lois anglo-saxonnes après 1066. Ceci étant dit, ces deux usages amènent à une autre question : celle des sources.
Quelle qu’ait été la ou les causes des transcriptions quasi-identiques chaperonnées par les Anglo-Normands, elles supposent à la fois une continuation presque sans altération et sur le long terme (du VIe au XIIe siècle) de la législation saxonne, puisque les rois se réfèraient aux décisions des uns et des autres dans leurs textes juridiques, et un accès aux fondements de celle-ci. Cette survie repose sur une préservation des documents qui l’énonçaient. Le fait que certaines lois restèrent identiques au mot près sur une période de trois siècles exclut toute autre possibilité et, dans les cas où cela était possible, implique sa pérennité d’un point de vue pratique, notamment dans les cours de justices publiques.
Y a-t-il véritablement un corpus de lois défini, intangible et unique ?
Déclarer que le droit anglo-saxon a perduré au sein de la tradition du droit anglo-normand, intact et/ou remanié, revient à dire que le droit anglo-saxon était fixé avant l’arrivée des Normands et qu’il leur suffisa de l’utiliser comme cœur d’une réforme. Il serait déplacé de vouloir prouver le contraire ; les nombreux textes et codes de lois rédigés avant 1066 sont autant de preuves qu’il en était ainsi. Pourtant, il n’est pas permis d’affirmer que les législateurs » n’eurent qu’à plonger dans une tradition postérieure à leur temps pour en retirer toute la substance possible.
Partir dans cette direction pour aborder la transition entre la période anglo-saxonne et la période anglo-normande serait faire fausse route. Tout d’abord, toute la tradition légale de ces deux périodes n’a pas été enregistrée dans des manuscrits et ses lois appartiennent autant à la lex non scripta qu’à la lex scripta, pour reprendre les termes de Matthew Hale, illustre juge du XVIIe siècle76. Ensuite, l’Angleterre de l’époque saxonne n’a jamais été un territoire pleinement unifié. En conséquence de quoi, il n’existait pas un code de lois unique et applicable uniformément à tout le pays. Au contraire, les lois étaient dispersées dans des documents de natures diverses et la force des traditions locales était forte. Enfin, il est souhaitable de faire le distinguo entre les lois de portée générale et les décisions qui faisaient figures d’exceptions et qui ne s’appliquaient qu’à une frange de la société.
Un droit accepté comme tel par les Normands.
Il est une erreur à éviter en toute circonstance lorsqu’un sujet historique est étudié : l’anachronisme.
Il n’existe effectivement pas de document législatif normand avant l’extrême fin du XIIe siècle. A considérer que cela signifie que le droit normand ne reposait que sur la coutume cela n’est pas indicateur d’infériorité de ce droit sur son homologue anglo-saxon. Lorsque la loi 4, paragraphe 3a, des Leges Henrici Primi définit les bases naturelles de la loi, elle précisa90 : [Institutio equitatis duplex est] : in lege scripta, in moribus uel communi usu pro lege suscepto »
(« Le droit est constitué de deux parties : la loi écrite, et la coutume ou l’usage général accepté comme loi »).
La dualité de la loi était donc un phénomène connu et accepté par les rois normands. En fait, le support des lois, qu’il ait été matériel ou intellectuel n’avait alors aucune importance contrairement à ce qui se passait pour les documents informatifs (tels que cela pouvaient l’être pour les writs) ou les documents à valeur de preuves (comme les chartes). Ce qui était important pour la loi, c’était sa nature comme l’indique les alinéas 4 et 5 de la loi.
Omne autem ius aut naturale cognatorum est aut morale extraneorum aut legale ciuium. Set siue lez agenda precipiat, leuia permittat, hort[e]tur maxima, uitanda prohibeat, debet esse manifesta, iusta, honesta, possibilis, in omni conditione, professione et ordine, in omni genere et statu causarum, in omni controuersia simplici uel composita, in omni iure naturali uel consuetudinis, in omni [loco] contingenti uel remoto, loco tempori persone conueniens, nullo priuato commodo precipue deseruiens, ueritatis et iustitie, non miserum peccunie querens augmentatum. »
(« Tout droit est soit le droit naturel gouvernant la famille ou le droit moral gouvernant les étrangers ou les règles légales gouvernant des concitoyens.
Mais que la loi recommande ce qui doit être fait, permette des futilités, exhorte à la perfection, ou interdise les choses qui doivent être évitées, elle doit être manifeste, juste, honorable, et applicable pour tout rang, profession et classe, pour tout genre et condition de cause, pour toute controverse, simple ou complexe, pour tout droit, droit naturel ou coutumier, en tout lieu, proche ou lointain ; et elle doit être appropriée au lieu, à l’époque et à la personne, ne servant par-dessus tout aucun avantage privé mais la justice et la vérité, et non l’accumulation lamentable de richesses. »)
L’importance de la loi coutumière
Durant le règne d’Etienne, vers l’année 1150, les cours du Suffolk et du Norfolk, spécialement convoquées par le roi, se réunirent à Norwich. Le rassemblement eut lieu dans le jardin de l’évêque et fut présidé non par le shérif mais par Guillaume Martel, intendant du roi, qui siégeait entouré des évêques de Norwich et Ely, des abbés de Bury St Edmunds et Holme ainsi que de divers barons, plaideurs de la cour et autres hommes sages. Le premier cas qui fut soumis à jugement était inhabituel, il concernait deux chevaliers (Robert fitz Gilbert et Adam de Horringer) accusés de trahison. Sans attendre le début de la procédure, l’abbé de Bury fit une remontrance et, déclarant que les chevaliers étaient vassaux de son abbaye, réclama le droit de les juger à sa propre cour et en appela au roi, fournissant diverses chartes qui appuyaient sa demande. Etienne lui ordonna de présenter ces documents à son juge et à la cour comtale afin de les leur faire lire ; le souverain se chargeant ensuite de confirmer les droits que les barons voudront bien accorder à l’abbaye. Retournant à la cour conjointe, l’abbé fit selon les consignes dictées par le roi et une discussion houleuse s’ensuivit. Le discours décisif qui apporta une réponse à ce cas, ne fut en rien prononcé par un personnage officiel, représentant de la loi, mais par un vieil homme, Hervey de Glanville. Ce dernier ne mit pas en avant ses connaissances en droit mais ses souvenirs93 : Dans ce procès, la loi coutumière joue pleinement son rôle juridique allant jusqu’à prévaloir sur le droit écrit.
Les bases du pouvoir des souverains normands.
En voulant prendre la tête d’un véritable empire pluriculturel tout en restant respectueux des différences de chacun, Guillaume dut sauvegarder l’héritage spirituel du roi.
Edouard et la culture anglo-saxonne. En appliquant ce principe à la sphère juridique du royaume d’Angleterre, il fut à l’origine d’une nouvelle notion : celle du droit anglo-normand ; un droit qui, à la fin du XIIe siècle, ressemblera à une fusion entre une conception continentale et une conception insulaire de l’esprit des lois. De deux traditions naît la nouveauté.
Le serment anglo-saxon
A la Noël 1066, lors de son couronnement à Westminster, Guillaume insista sur labipolarité de son titre. A la manière française, il demanda à l’assemblée présente si ellel’acceptait comme roi. Pour que tous comprennent bien cette requête, il la fit dire en français, par Geoffroy, évêque de Coutances, et en anglais, par Ealdred, évêque d’York. Cette nouveauté deviendra par la suite une composante du rite du couronnement royal anglais117. Surtout, il prêta serment selon la tradition anglo-saxonne. Guillaume de Poitiers, dans la Gesta Guillelmi ducis Normannorum et regis Anglorum rédigée entre 1066 et 1071, insista sur fait que118 :
Cujus liberi atque nepotes justa successione praesidebunt Anglicae terrae, quam et hereditaria delegatione sacramentis Anglorum firmata, et jure belli ipse possedit.
(« Ses fils et ses petits-fils présideront par une succession légitime au royaume d’Angleterre, dont il a lui-même pris possession par droit héréditaire confirmé par le serment des Anglais autant que par droit de conquête. »)
Les Chroniques Anglo-Saxonnes nous enseignent que Guillaume, avant qu’Ealdred ne lui plaça la couronne sur la tête, 119 Une coutume que ses descendants respectèrent.
Le serment anglo-saxon était « codifié » et comportait des clauses précises. Le scribe d’un manuscrit du XIe siècle, disant s’appuyer sur un document rédigé par l’archevêque Dunstan qui consacra Edgar en 973, Edouard en 975 et Æthelred vers 978/979, nous en donne le contenu120 :
(« Au nom de la Sainte Trinité ! Je promets trois choses au peuple chrétien qui est sous mon autorité : Premièrement, qu’une paix juste sera assurée à l’église de Dieu et à tous les chrétiens de mes terres.
Deuxièmement, j’interdis le vol et tous les faits impies pour toutes les classes de la société. Troisièmement, je promets et j’enjoints justice et pitié dans les décisions de tous les cas, pour que Dieu, qui vit et règne, soit amené de cette façon dans sa grâce et sa miséricorde à nous accorder toute son éternelle compassion. »).
|
Table des matières
CHAPITRE I LOIS ECRITES ET COUTUMIERES
I. De l’identification des lois
A. La philologie.
1. Les termes anglo-saxons dans les écrits royaux légaux anglo-normands.
a. Le corpus du règne de Guillaume I.
b. Le corpus du règne d’Henri I.
2. Explication.
a. Les débuts de la législation anglo-normande.
b. Le devenir du vocabulaire anglo-saxon à l’époque des Leges Henrici Primi.
B. L’étude comparative
1. Le plagiat
a. Un fait indéniable.
b. Un plagiat flottant
c. Une pratique évolutive.
d. L’explication revendicative du plagiat.
2. L’impasse du modèle anglo-saxon.
C. La référence directe.
1. Des renvois nominatifs à manipuler avec précaution
a. Les antécédents anglo-saxons.
b. « Que tous les hommes aient et observent les lois du roi Edouard » : filiation sincère ou respect de la tradition ?
2. Des lois précises.
a. Une pratique ancienne.
b. Les Anglo-normands.
II. Y a-t-il véritablement un corpus de lois défini, intangible et unique ?
A. Le droit coutumier.
1. Des bases floues.
a. Un droit oral.
b. Les inconvénients.
2. Un droit à part entière
a. La loi coutumière.
b. Un droit accepté comme tel par les Normands.
c. Quand la coutume est mise par écrit.
d. L’importance de la loi coutumière.
B. Les lois écrites.
1. L’ancienneté du droit écrit saxon.
2. La situation normande.
C. La multitude des systèmes de lois.
1. L’Angleterre saxonne.
a. Une législation morcellée
b. Un germe d’uniformisation.
2. La « Common Law » normande
a. Une uniformisation des pratiques
b. Une régionalisation résiduelle.
III. Le respect du passé anglais
A. Les bases du pouvoir des souverains normands
1. Le couronnement
a. Le serment anglo-saxon.
b. L’hommage à Guillaume I.
c. La charte des libertés
2. L’héritage légal édouardien
a. Guillaume et le respect des dispositions appliquées par Edouard
b. La survie d’une tradition.
3. Confirmer ou compléter les « lois d’Edouard » ?
a. Un pays, deux nations.
b. Le nivellement
B. Langue et vocabulaire.
1. Le sort du vieil-anglais.
a. Sa mort littéraire
b. Des singularités dans l’usage écrit du vieil-anglais.
c. La force de l’oralité.
2. La diversité linguistique.
a. Le latin
b. Les percées du français.
CHAPITRE II UNE DECISION POLITIQUE OU « NATURELLE » ?
I. Les artisans de la législation.
A. Les souverains.
1. Guillaume et ses prédécesseurs.
a. La reine Emma (980/990-1052) : des Normands anglais avant 1066
b. Edouard le Confesseur : précurseur des lois de Guillaume I.
c. Guillaume I (1066-1087)
2. Les personnalités diverses des souverains anglo-normands.
a. Guillaume II (1087-1100).
b. Henri I (1100-1135).
c. Etienne (1135-1154)
d. Henri II (1154-1189).
3. Les rois décident
a. Sur quoi se base le roi pour légiférer ?
b. Des personnages au-dessus de la loi.
B. Les « conseillers ».
1. Qui sont-ils ?
a. Un witenagemot pré-normand multiculturel.
b. La perpétuation de l’esprit anglo-saxon.
c. La noblesse continentale.
d. La normanisation de l’entourage royal
2. Les limites du pouvoir royal
a. Le contre-poids des conseillers.
b. De l’influence politique et juridique de la nationalité des conseillers
II. Les raisons de la pérennité du droit anglo-saxon.
A. Un système complexe
1. Les lois.
2. Les structures juridiques
B. Un système propice à l’implantation du droit anglo-normand.
1. Un droit féodal naissant
a. La féodalité anglaise pré-normande.
b. La féodalité anglo-normande.
2. Des institutions facilement intégrables.
a. Le découpage territorial.
b. Le serment.
c. Le christianisme.
3. Des considérations communes.
III. Circonstances et événements.
A. Asseoir la conquête.
1. Le rétablissement des règles
a. 1035-1042 : l’instabilité politique danoise
b. 1042-1066 : l’affaiblissement du pouvoir royal.
c. Le besoin d’ordre : la reprise en main normande
2. L’affirmation du pouvoir normand.
a. Un peuple à combler.
b. Imposer le pouvoir royal.
B. Les grandes révoltes du début du règne de Guillaume I.
1. La révolte northumbrienne (1068-1071).
a. Exeter.
b. Les prémices d’une révolte générale.
c. La généralisation du mouvement.
d. La défaite saxonne
e. Ely.
f. Les conséquences.
2. La révolte des trois earls.
a. Chronique des événements
b. La normanisation poussée.
C. La période anarchique.
1. Les causes
2. Le conflit.
3. Les conséquences juridiques et administratives
a. Juridiques.
b. Administratives.
4. Les lendemains de l’Anarchie.
CHAPITRE III COURS DE JUSTICE ET PROCEDURE JUDICIAIRE
I. Les cours de justice.
A. Les cours urbaines.
1. Les bourgs saxons.
2. La politique anglo-normande.
a. L’extension des privilèges
b. La méfiance d’Henri II.
B. Hundreds et shires
1. La cour du hundred.
a. Sa création.
b. Le corps exécutif de la cour anglo-saxonne.
c. La tenue des assemblées
d. Le rôle judiciaire du hundred.
e. La cour anglo-normande.
2. La cour du shire
a. Sa création.
b. Composition, date et lieu
c. Fonction
3. La privatisation des cours publiques.
a. La situation anglo-saxonne
b. La privatisation normande des hundreds.
C. Les cours comtales.
1. Manoirs et honneurs.
a. La cour saxonne.
b. Les cours anglo-normandes
2. Le sac et soc.
a. Ses origines.
b. La juridiction privée anglo-normande
D. La curia regis.
1. Une reformulation du witenagemot
a. Un conseil au pouvoir législatif.
b. La cour de justice anglo-saxonne.
c. Limitation et expansion des procès royaux de tradition anglo-saxonne
d. Les conseils royaux anglo-normands.
2. Les changements.
a. Une cour féodale.
b. Un second conseil restreint : la cour de justice permanente de Westminster.
c. L’Echiquier
d. Une spécialisation de la juridiction royale.
II. La procédure judiciaire.
A. Du crime à la plainte.
1. La prévention
a. Les origines du francpleige : le tithing
b. Le francpleige anglo-normand.
2. La plainte
a. L’accusation personnelle
b. Les hommes de mauvaise réputation ou l’accusation civile.
c. L’infangentheof.
B. Le jugement
1. Le serment judiciaire.
a. L’usage.
b. Un serment toujours en vigueur sous les Normands.
c. La différenciation nationale.
2. L’ordalie.
a. Les méthodes anglo-saxonnes.
b. Le duel judiciaire
3. Le jury.
a. Le jury de verdict.
b. Le jury de témoignage
b. Le jury d’accusation.
c. Vers le choix anglo-normand du jury d’information.
d. Les origines normandes du jury d’information.
e. La Grande Assise.
C. La sentence et son application.
1. La responsabilité du jury.
a. Le jury rend son verdict.
b. Le contrôle des jurés.
2. Les peines.
a. Les condamnations corporelles.
b. Les amendes.
c. Le murdrum
d. La mise hors la loi.
e. La prison
CHAPITRE IV LES INSTRUMENTS DE LA JUSTICE ROYALE
I. Le writ.
A. L’évolution formelle du writ.
1. Les caractéristiques originelles.
a. Le writ se démarque de la charte
b. La configuration du writ
2. Sa forme anglo-normande.
a. Le déclin de la charte.
b. L’évolution du writ
B. Du rôle de notification à la spécialisation.
1. Un manuscrit informatif.
2. Des writs spécifiques
a. La spécialisation des writs
b. Les writs féodaux.
c. Les writs procéduriers.
d. Les writs divers.
C. L’usage normand
1. Une utilisation croissante.
a. Un développement quantitatif.
b. Un usage régulier.
2. Un document actif.
a. Un bref traditionnel agissant a posteriori.
b. Un document instigateur des procédures.
II. Le shérif
A. Un Anglo-Saxon au service des Anglo-Normands.
1. Le scirgerefa anglo-saxon.
a. Un homme de justice
b. Un militaire.
c. Un agent fiscal
2. Des Anglo-Saxons aux Normands.
a. Le répit anglo-saxon
b. La normanisation de la charge.
B. Du shérif au vicomte.
1. Le vicomte continental.
2. Le scirgerefa devient vicecomes.
a. L’assimilation linguistique et administrative.
b. La « disgrâce » du earl.
c. Vers l’hérédité de la charge
d. Un puissant et riche seigneur.
3. Un officier à maîtriser.
a. Les abus des shérifs
b. L’ « Inquest of the Sheriffs ».
c. Des choix plus judicieux.
d. Le contrôle de l’Echiquier
III. Les juges.
A. Le Capitalis Justiciarius.
1. Les Justiciars Anglo-Normands
a. Ranulf Flambard
b. Roger de Salisbury et ses successeurs
2. Puissance et pouvoir du Justiciar
B. Les juges locaux.
1. L’apparition des juges locaux.
2. Une première atteinte au pouvoir shérifal.
C. Les juges itinérants
1. L’apparition des « justices in eyre »
a. Les prémisses.
b. La normalisation
2. Pouvoir et pratique judiciaire des justices in itinere.
a. Le renforcement de la justice royale.
b. Le déclin des shérifs.
CONCLUSION
ANNEXES
GLOSSAIRE
BIBLIOGRAPHIE .
Télécharger le rapport complet