En quoi le spectacle des métamorphoses corporelles dans la trilogie Hellraiser amène-t-il à une perception alternative du corps et de la réalité moderne ?
Pour répondre à celle-ci, nous envisageons trois parties. Avec la première partie, nous proposons d’analyser les spécificités du body-horror dans une perspective historique ramenée au genre horrifique. De cette étude s’érige un début d’hypothèse liée à la valeur figurative du corps et de sa mise en scène. S’amorcent alors les particularités de la trilogie Hellraiser dans le contexte du bodyhorror, et un début de réflexion sur la nature expérientielle de l’image horrifique. Ainsi, à la suite du premier chapitre concernant lebody-horroret ses modalités de représentations, nous proposons de revenir sur les spécificités iconographiques du corps dans la trilogie Hellraiser, comme devenircadavre, devenir-anatomique, ou devenir-hors-norme, nous emmenant progressivement vers un devenir-monstrueux de l’image et du regard. Par conséquent nous comprenons l’importance de la figure de la crise corporelle dans un espace autre, qui nous pousse à penser et théoriser l’image horrifique des Hellraiser comme Image-Monstre, en vue de matérialiser la réalité expérientielle de l’image. Cette théorisation va occuper la deuxième et troisième partie. Nous proposons de définir la valeur disruptive de l’image à la lumière des positionnements anthropologique, sociologique, et politique ; ainsi que les potentialités figurales et expressives du corps filmique, dans le but de concevoir la nature de l’expérience des Hellraiser. Une fois la nature des possibilités disruptives mise en lumière généalogiquement, nous entrerons pleinement dans l’épreuve monstrueuse qu’offre les trois films à travers une réflexion sur les configurations matricielles de l’image cinématographique qui marque les spécificités du spectacle corporel et fait entrer le.la spectateur.trice dans le régime de la sensibilité monstrueuse de l’espace, non pas ramenée à un monstre, mais sentie comme monstrueux dans sa propre subjectivité, offrant par-là une réponse en conséquence de la problématique sur ce qui compose l’essence nihiliste des mises en scène corporelles dans le body-horror.
Arrêtons-nous, pour conclure, sur une altercation directe faite au.à la lecteur.trice. Nous tenions à prévenir le.la lecteur.trice de la difficulté rédactionnelle dans la retranscription de l’expérience, tant celle-ci implique une posture sensorielle éclatée et ouverte, remettant sans cesse en question les positionnements réflexifs qu’exige une recherche scientifique. Dans la volonté d’exposer au mieux cette expérience, afin d’appréhender la nature monstrueuse de l’image et ses potentialités nihilistes que nous cherchons maintenant à comprendre, nous avons conscience que la lecture peut sembler compliquée, dense, souvent cryptique. L’analyse de l’image est ainsi donnée dans sa sensibilité première, conférant la possibilité, après-coup, d’un parcours théorique qui prend des allures de généalogie foucaldienne dans la composition de nos réflexions sur la nature de l’image. Nous l’aurons compris avec cette rapide introduction, ce qui nous préoccupe tout au long du mémoire réside dans l’expérience première d’une soirée de visionnage, où la découverte des œuvres barkeriennes nous a engagés dans une expérience-limite et poussés à réfléchir sur les potentialités de l’image horrifique. Maintenant clarifiées les différentes caractéristiques philosophiques que nous empruntons afin de positionner notre analyse dans un régime expérimental et expressif, entrons dès à présent dans l’image de la crise corporelle, spectacle monstrueux de la crise de la modernité.
Pour une histoire du cinéma d’horreur
Dès sa naissance, le cinéma s’empare de la question de l’horreur à travers la destruction corporelle. Ce n’est pas un hasard, car l’invention du cinématographe en tant que spectacle coïncide intimement, du fait de son caractère forain, avec les différents freaks showsou musées de cire anatomique qui ont marqué l’épanouissement de la médecine édifiante au XIXe siècle.
Il était alors courant de rire et de se divertir, dans l’indifférence la plus totale, des corps difformes rejetés par une société qui avancée de plus en plus vers un eugénisme moderne instauré des siècles auparavant par les nouvelles humanités. Ainsi, peu nous importe de réduire l’Autre comme curiosité physique, stimulant un goût pour l’exotisme et le sensationnalisme corporel.
Il n’est donc pas étonnant que de premières fictions horrifiques puissent être identifiées dès la fin du XIXe siècle. Une mort de Marie Stuart d’Edmond Khon (1893)est, à titre d’exemple symbolique, un digne ancêtre de la Torture Pornen mettant en scène une décollation en gros plans, effet non moins sidérant que celui qu’engendre le gros plan tête d’un baiser dans The Kiss de William Heise (1896). On voit alors se dessiner ce qui oppose le cinéma d’horreur à la pornographie, à savoir la représentation mimétique d’une action de domination (visuelle ou tactile) sur le corps. Car si une décapitation choque moins qu’un baiser, c’est bien par l’aspect fictionnel de la mise en scène qui engage le.la spectateur.trice dans une perception fantasmatique de la violence corporelle au détriment d’un acte charnel. L’image et sa logique de figuration ont donc une importance particulière dans la réception de la violence et le symbolisme narratif. La valeur de l’image s’en trouve changée, en raison du conditionnement vers une expérience inhabituelle de la réalité face à la vision du spectacle corporel. C’est ces considérations qui nous poussent à envisager une redéfinition du cinéma d’horreur selon une logique spécifique de la représentation de la violence corporelle. Le spectacle de l’horreur relève alors d’une structuration figurative qui amène à délimiter des genres conformément à des fonctions esthétiques et narratives singulières.
Les perspectives du mythe horrifique
Dire qu’un film relève d’un mythe moderne, ce serait déclarer ce qui se propose comme une évidence aujourd’hui. Pourtant, le cinéma est considéré en tant que mythe moderne d’une conscience-machine avec une logique de starification et de projection cathartique. Une telle conception nierait le pouvoir de l’image sur la perception, comme songé par les théoriciens du cinéma primitif. Ainsi, il est manifeste, avant de nous risquer à un début d’esquisse des spécificités du body-horror, de revenir sur ce qui fait les structures mythiques du cinéma et de l’image, dans le but de marquer ce qui va faire les particularités des sous-genres. Si nous nous arrêtons plus en détail sur la nature mythique de l’image, c’est dans l’intention d’affirmer une nécessité de relecture des fictions horrifiques selon le complexe rétro-actif de l’images pectateur.trice.
La valeur mythique de l’image ne résidepas dansla construction idolâtre d’une figure moderne, renvoyantalors à une considération psychopathologique des figures de l’horreur. Le mythe n’est pas ici compris dans son sens sémiologique et sociologique, mais dans ses dimensions anthropologiques et philosophiques. Ainsi, la valeur mythique de l’image logerait dans l’expérience issue de l’articulation sensitive du corps filmique, propre à une projection rétroréflexive d’un regard sur le monde. Pour Jospeh Campbell , le mythe sert à reconnecter le.la spectateur.trice à une expérience sensible d’une projection mémorielle intensive oubliée par la rationalité.
Enjeu du body-horror : spécificités de mises en scène de l’horreur corporelle
Une particularité suppose des similitudes et des oppositions dans un genre vaste où fleurissent de nombreux sous-genres. Le problème que pose une historicité du cinéma d’horreur réside dans les conséquences mêmes de l’entreprise, puisque « définir un genre revient à tracer des frontières qui permettent d’inclure et d’exclure […]. L’entreprise est hasardeuse en ce que toute frontière peut-être discutée » . Voilà pourquoi les prochaines lignes n’ont pas vocations prétentieuses d’instaurer une nouvelle histoire du cinéma d’horreur, mais plutôt de dialoguer autour de cette histoire au travers des questions d’une caractéristique structurelle liée à la représentation corporelle. Alors que nous venons de voir les problèmes que posent les lectures typologiques, nous essayons de déterminer, à travers une reconsidération historique des fictions horrifiques, les conséquences de ces raisonnements sur les spécificités thématiques et iconographiques des sous-genres.
On pourrait facilement dire que le body-horror découle d’une fracture opérée entre un cinéma d’horreur dit « classique », comme Dracula (1931) de Todd Browning ou Cat People (1942) de Jacques Tourneur, et un cinéma à l’horreur visuelle, qui appuie la destruction corporelle à l’écran, avec notamment Terrence Fischer en Grande-Bretagne et ses reprises de « films de monstres » pour la Hammer Company . Cette rupture est due pour Éric Dufour à la démocratisation de l’usage de la couleur au cinéma, qu’autorise une représentation plus réaliste des fluides corporels. Bien que l’utilisation de la couleur dans l’horreur reste non négligeable (comme on peut le voir dans l’approche sensitive de l’image dans le body-horror), l’horreur visuelle passant parla monstration de la destructioncorporelle remonte bien avant les années 1960 et les productions de la Hammer, et ne peut être simplement signifiée par une monstration ontologique. Les limites d’une démarcation entre une horreur « suggestive » et « graphique » se posent alors. Par exemple, force est de constater que Cat People (1942) de Jaqcues Tourneur n’emploie pas les mêmes logiques de métamorphoses corporelles qu’une mise en scène cronnenbergrienne comme (au hasard) The Fly (1986) ; mais, dans sa logique expressive d’explosion des corps sensibles par l’aménagement de l’image, il n’est pas ridicule de penser que Cat People, érigé comme symbole du fantastique artistique et suggestif, s’apparente aux enjeux corporels du body-horror avec un symbolisme constructiviste de l’image sur la sensibilité intensive et fantomatique du corps en son double virtuel émergeant des élaborations figurables de l’ombre et de l’invisible corporel. Bien que dire de Cat Peoplequ’il relève du bodyhorror risquerait de décontextualiser les spécificités de ce dernier, nous pouvons tout de même observer que les raisonnements expérimentaux et les recherches conceptuelles de l’horreur se rejoignent, avec le maintien de la violence à un niveau tenu dans l’invisible dédoublé du corps, et une sensibilité visuelle par la perception nihiliste de la forme corporelle impliquée dans la structure du corps filmique.
Iconographie de l’anormalité : figure du corps sale
Mais avant de passer à une observation des enjeux esthétiques de la mise-en-scène de ces corps, il est important de noter une dernière catégorie de représentation corporelle à l’œuvre dans la trilogie Hellraiser, moins frappante, et pourtant révélateur de la valeur du conditionnement expérimental de l’image pour une projection affective captant l’état hors-norme des corps. Nous voulons bien évidemment parler des corps anormaux.
Ces corps anormaux se manifestent dans une esthétique du « sale ». Le premier Hellraiser en propose le plus d’iconographies, du fait de la forte influence du splatterpunk dans l’esthétique des corps souhaitait par Barker. Le film s’ouvre d’ailleurs sur un échange entre Frank et un marchand asiatique qui détient la boite des lamentations. Cet échange va être ponctué par un jeu de gros plans sur les mains de Frank et du marchand, marquées par de la crasse sous les ongles et jauniespar le manque d’entretien. Frank va au demeurant être représenté en plan resserré.
Assis sur une chaise, on peut voir que son débardeur est poisseux, l’ensemble de son corps en sudation extrême. Cette esthétique de la sudation est aussi caractéristique de la figure de Kirsty à partir du moment où elle découvre la vérité sur Frank et ouvre la boite. Son corps devient marqué par l’anormalité apparente des sentiments corporels qui surgissent à la surface de la perception, matérialisé par la conscience des structures d’oppressions normatives des fantasmes corporels manifestées par les cénobites.
Métamorphose des corps dans la trilogie Hellraiser : enjeu culturel et sociopolitique
Nous l’aurons compris, l’enjeu des iconographies corporelles repose sur la construction d’un dépassement du corps social dans une mise en scène qui pousse à une réactivité altérée de la perception face à une anormalité. Mais avant de nous pencher sur les conditions anthropologiques et politiques d’une telle construction, il est important de revenir sur la notion d’anormalité et de naturalisme corporel. Car si les iconographies corporelles s’actualisent en tant qu’hybridité sensorielle, c’est parce que celles-ci supposent un ancrage référentiel normatif marqueur d’un écart sensoriel et conceptuel dans la présence des corps subjectifs. En d’autres termes, pour penser le caractère rétro-actif des figures, il faut, en parallèle des déterminations esthétiques, interroger la valeur du positionnement spectatoriel. Ainsi, les positions normatives face au corps sont à même de provoquer un écart sensitif dans la rétroréflexion projective sur les figures corporelles hybrides. Le point normatif indique alors la nature première de l’expérience nihiliste inscrite dans la relation aux iconographies corporelles. Notre réflexion sur un « naturalisme » corporel renvoie à toute une conception de l’organisation sociale basée sur un schéma organique, empruntée à la lecture historique que Carolyn Merchant fait des concepts philosophiques de la Nature . Bien qu’une telle question ne nous intéresse pas nécessairement encore, il est frappant de voir que la construction d’une norme corporelle moderniste est calquée sur une structure sociale qui repose sur la domination culturelle de la nature pour un modèle projectif des comportements sociophysiologiques. Dès lors, la relation entre un lien environnemental et un lien social au monde est intimement rattachée au corps. Les sensations animistes en attestent avec une reconnaissance de l’Autre comme égal dans son caractère existentiel, et un ancrage sensoriel constitutif d’une perception intensive. Au contraire, nous pouvons observer, avec l’apparition des théories protomodernistes, une substitution de la perception intensive et respectueuse pour une perception éthique et organique de la société. On assiste alors à la construction d’un modèle justifié sur le « corpsnature » comme point de vue systémique d’une valeur hiérarchique sur l’ensemble constitutif d’une communauté. Cette caractéristique de l’ordre étatique pensée par John de Salisbury dans Politicraticus suggère la conception mécanique de l’ordre social de Thomas Hobbes avec un équilibre de l’ordre hiérarchique basé sur un système de caste avec leurs propres valeurs défini par une norme. Cette inspiration génère un fondement idéologique au développement de l’état consumériste, communiste, ou capitaliste moderne.
C’est ici qu’apparaît la question des corps, à travers une norme sociale imposée comme maintient d’un système politique et communautaire tourné vers la fonctionnalité et l’apport à la communauté, hors des considérations sensitives et expérimentales du monde. Cette norme surgit avec l’avènement de la médecine moderne . Le corps propre et sain émerge comme une continuation de la pensée cartésienne avec une dissociation de l’âme héritée des influences platoniciennes sur l’estime métaphysique de l’étant. Le corps n’est qu’une enveloppe mécanique contrôlée par Soi qui nécessite une construction raisonnée d’une apparence basée sur la philosophie naturaliste de l’ordre socialement établi.
Destruction et hybridation du corps : engagement monstrueux dans l’image
Cette courte citation, à nature de définition, pose tout de même une difficulté conceptuelle qui nous intéresse tout particulièrement. En effet, la métamorphose et l’hybridation sont ici vues comme manifestation esthétique du corps monstrueux. Or, différents degrés de valeurs esthétiques s’imposent à la métamorphose, que l’on pourrait rapidement résumer à la beauté ou à la laideur. En impliquant la « connaissance » et le « sens » dans l’équation, cette définition nous édicte un problème qui émerge du paradoxe apparent de la représentation des métamorphoses dans Hellraiser : celui de la dimension projective des figurations corporelles. En d’autres termes, les métamorphoses ne sont pas seulement des iconographies fixes, dont le signifiant revient à un signifié normatif préétabli. Le rapport qu’entretien le.la spectateur.trice avec la figure hybride témoigne pourtant d’une norme projective. Ce qui est en jeu repose dans la valeur d’écart qu’offre le corps monstrueux au regardeur dans le lien à son propre corps. Le problème du regard, au même degré que la construction d’une relation perceptive au corps métamorphique et monstrueux, implique des rétro-réflexivités. Dans les représentations corporelles de Hellraiser, Hellbound : Hellraiser II, et Hellraiser III : Hell on earth, ce rapport au monstrueux est symptomatique de l’agencement figuratif horrifique autour d’une expérience au monde. Se pose ainsi la question de la valeur de ces agencements, dans le double regard sur l’image qu’injecte le.la spectateur.trice et les figures. Inutile de revenir longuement sur l’usage des termes sémiotiques d’« introjectif » et de « projectif » empruntés à Christian Metz , que nous reprenons ici comme réalité significative de la projection spectatorielle cognitive. L’image conditionne un regard par le sens de ses figurations . Ces images donnent à voir la construction d’une attention au monde, propre à l’articulation figurative de ses mises en scène.
Avant de réfléchir à la constitution spécifique de celle-ci, issue de la volonté artistique de Clive Barker et de l’enjeu narratif de la trilogie Hellraiser, il est essentiel de partir du point problématique premier que pose le déclenchement des comportements perceptifs limites. La valeur relationnelle des iconographies métamorphiques convoque des structures dynamiques de représentations à même de faire émerger la nature disruptive et expérientielle de l’image. L’expérience ouvre sur une fracture nihiliste de la perception et de la raison. Ce point où se cristallisent les tensions plastiques et photogéniques de l’image se retrouve dans les différentes représentations des métamorphoses corporelles. Entrons maintenant dans l’horreur corporelle des Hellraiser afin d’enclencher le processus de choc déconstructif, en commençant par observer la nature des positionnements spectatoriels spécifiques à une crise des limites cognitive et perceptive.
Enjeu sadomasochiste de l’iconographie corporelle
Sensible à la question BDSM et aux primitifs modernes, Clive Barker imagine tout un bestiaire de corps extrêmes, qui implique en conséquence une figuration reliée aux pratiques sadomasochistes qui pousse aux limites de la conscience corporelle moderne. L’esthétique BDSM marque les enjeux figuratifs et expérimentaux de la monstruosité dans les trois Hellraiser . Parmi les iconographies identifiées dans la première partie, la plastique de l’image va se structurer autour des représentations de façon à faire ressentir et ressurgir une non-normativité de l’espace et du temps expérimentable dans l’image à travers les corps. Ces enjeux se développent sur une projection spécifique à l’agencement plastique et narratif des trois Hellraiser.
Limites des corps socionormatifs et développement monstrueux de l’iconographie corporelle
À la suite des réflexions sur l’esthétique sadomasochiste des corps et son effet sur l’expérience cinématographique, nous migrons vers la question de la monstruosité. Avec les schémas sexuels et les corps disciplinaires, nous venons d’éclairer le premier point cristallisant les tensions nihilistes du regard sur les corps, en cherchant les raisons de la déconstruction sensitive avec le renversement des valeurs modernes. Mais nous devons maintenant nous pencher sur la valeur de ce renversement, afin d’accentuer l’importance rétro-active de l’image horrifique. En ce sens, le regard va se faire monstrueux pour la même raison que l’esthétique devient masochiste. En réalisant une expérimentation critique des conditions existentielles modernes, l’image des Hellraiser va impliquer une actualisation consciente des schémas normatifs du corps, calqué sur le rejet de la monstruosité.
Pour commencer , nous nous basons sur le concept psychanalytique du Moi-Peau de Daniel Anzieu . Non pas que nous voulons reproduire une lecture psychopathologique des représentations corporelles dans le cinéma d’horreur ni valider les thèses psychanalytiques qui nous semble, comme nous nous apprêtons à la voir, être l’origine structurelle des regards modernes sur le corps. Si nous utilisons la notion de Moi-Peau, c’est pour questionner la conception, plus vaste et problématique, du monstre dans le positionnement contextuel du.de la spectateur.trice face aux métamorphoses.
Valeur disruptive d’une éthique perceptive : positionnement spectatoriel et conséquence figurale de l’image monstrueuse
L’ensemble expérientiel du corps filmique façonne une conscience disruptive avec la projection spatio-temporelle. L’espace-temps en tant que concept métaphysique concerne l’articulation principale de notre pensée sur la dimensionmonstrueusede l’image. L’image dans la trilogie Hellraiser se caractérise par un positionnement spectatoriel induit et construit par un ensemble filmique. Cette image à un rôle double : elle est attachée à une représentation figurative des différentes métamorphoses corporelles , et elle est constitutive de l’agencement d’un regard projectif et cognitif spécifique, propre à une expérience intensive contenue dans la structuration matérielle des mises en scène horrifiques.
Notre premierpoint de vue analytique sur l’image occupe ici le champ des études cognitives.
Nous revenons aux questions sémiologiques de la valeur signifiée et signifiante de l’image, pour une réflexion sur l’importance du.de la spectateur.trice dans la construction du sens conceptuel des figures. La conceptioncognitive de l’image est toutefois un champ disciplinaire extérieur aux raisonnements sémiotiques. La pensée cognitive réfute l’idée d’une dialectique cinématographique basée sur l’élaboration d’une figure-stimuli. Nous voyons apparaître une des critiques que nous ne cessons de réitérer, celle de la doctrine psychopathologique des figures horrifiques, qui tendent à cristalliser les enjeux figuratifs et narratifs autour d’une lecture symbolique.
La pensée d’une réception active est liée aux théories de l’écologie perceptive . La perception comme saisie directe des données permet de remettre en question les implications métaphysiques totalisantes de la phénoménologie par une réflexion autour de la valeur abstractive de la vision pour la construction cognitive d’une réalité. Cette cognition concerne en ce sens l’ensemble des données sensibles ramenées à une rationalité. Un principe d’interaction se dessine dans le processus cognitif spatialisant et temporalisant l’extérieur et le rapport aux Autres. « Le système cognitif projette son propre monde » selon François Varella.
L’agencement phénoménologique et intensif dépend ainsi d’une catégorisation déjà prédéfinie,où « le monde nous apparaît comme une collection d’objets moyens de cent fois plus petit à cent fois plus gros que le corps humain, objets connectés par les relations de causalité présentées sous forme d’oppositions liées ».
Appliquée au cinéma, dans une perspective béhavioriste, la projection spectatorielle pour la composition conceptuellede l’image est générée par cinq sens divisés en deux catégories : une perception proximale (toucher, odorat, goût), et une perception distale (ouïe et vue). L’image est distale par nature, avec l’orientation d’une action sur la perception. Mais nous voyons bien les problèmes qu’une telle pensée de l’image provoque. Bien qu’elle semble nous occuper dans notre cas, l’abstractionde la réalité selon des schèmes de rétro-réfléxivités cognitifsrapporteà une rationalisation neurologique . Ainsi, la position active du.de la spectateur.trice se fait au détriment de son champ de possibilité réflexif, comme dépendant d’une norme perceptive et rationnelle qui forme une cognition de l’espace-temps. Nous pourrons même aller plus loin, au risque de tomber dans le discrédit facile, en disant que cette vision est tout simplement dangereuse, car elle reconduit une posture scientifique qui pousse à l’universalisation des phénomènes par rapport à une explication segmentaire, ramenée à une conscience indoeuropéenne des sensations.
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Table des matières
Introduction
1. Enjeux de représentation et de mise en scène de la métamorphose corporelle dans Hellraiser
Introduction à la première partie
1.1 « We have such sights to show you ». Approches historiques du body-horror
1.1.1. Pour une histoire du cinéma d’horreur
1.1.2. Les perspectives du mythe horrifique
1.1.3. Enjeu du body-horror : spécificités de mises en scène de l’horreur corporelle
1.1.4 Influences dubody-horror
1.1.5 Photogénie des corps en crise
1.1.6 Possibilité expérimentale du body-horror
1.1.7. Introduction de la trilogie Hellraiser dans le contexte historique du bodyhorror
1.2.« Angels to some, demons to other ». Modalités de représentations de la trilogie Hellraiser : étude iconographique des métamorphoses corporelles
1.2.1. Iconographie cadavérique : figure du cadavre ambulant
1.2.2. Iconographie anatomique : figure de l’écorché vif
1.2.3. Iconographie de l’hybridation corporelle : figure des cénobites
1.2.4. Iconographie de l’anormalité : figure du corps sale
1.3. Métamorphose des corps dans la trilogie Hellraiser : enjeu culturel et sociopolitique
2. Une métamorphose difficile : de l’hybridation du corps à la destruction de la perception
Valeur monstre de l’expérience dans Hellraiser
Introduction à la deuxième partie
2.1. Destruction et hybridation du corps : engagement monstrueux dans l’image
2.1.1. Enjeu sadomasochiste de l’iconographie corporelle
2.1.2. Limites des corps socionormatifs et développement monstrueux de l’iconographie corporelle
2.2. Corps-évènement et corps-phénoménal : Description et identification des phénomènes monstrueux dans la trilogie Hellraiser
2.2.1 Valeur disruptive d’une éthique perceptive : positionnement spectatoriel et conséquence figurale de l’image monstrueuse
2.2.2. Enjeu d’une résistance des corps à l’espace-temps normatif. Valeur de l’espace dans la trilogie Hellraiser
2.2.3. Conscience d’habitation monstrueuse. Valeur du montage dans la trilogie Hellraiser
2.2.4. Couleur et lumière. Composition matérielle de l’espace monstrueux
2.2.5. Caractère monstrueux de la projection auditive et musicale
2.3. Vers un nouvel état de perception : la valeur monstrueuse de l’image
2.3.1. D’une phénoménologie monstre comme image performative
2.3.2. Engagement des sens et essence expérimentale de l’image monstrueuse
2.3.3. Figurabilité et construction d’un regard sensible sur le monde : enjeu du figural dans l’image monstrueuse
2.3.4… à l’Image-Monstre en tant que spectacle monstrueux
3. L’Image-Monstre : nature nihiliste et enjeu post-nihiliste de l’image dans Hellraiser
Introduction à la troisième partie
3.1. Enjeu nihiliste de l’Image-Monstre
3.1.1. Nature performative de l’image. L’Image-Monstre en tant qu’acte phénoménologique autodestructeur
3.1.2. Valeur mythique de l’Image-Monstre : Conditionnement et actualisation sensible d’un régime d’être au monde
3.1.3. L’Image-Monstre : phénoménologie monstrueuse de l’expérience projective
3.2. L’Image-Monstre : construction cinématographique d’une expérience nihiliste. Enjeu d’engagement sensible et de construction figurative
3.2.1. L’espace-miroir
3.2.2. Dédoublement des corps
3.2.3. Basculement rationnel de la perception
3.3. L’expérience nihiliste et l’ouverture post-nihiliste de la réalité : enjeu théorique de l’Image-Monstre
3.3.1. Valeur anthropocène de l’Image-Monstre
3.3.2. Enjeu post-nihiliste de l’Image-Monstre : conscience-limite et possibilité écoféministe
Conclusion
Bibliographie
Filmographie
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