L’image de l’Afrique traditionnelle 

L’image de l’Afrique traditionnelle 

Les éléments structurants

La célébration du passé ne va jamais sans quelques réticences, dues tout autant à la difficulté du statut de l’homme des deux mondes qu’aux abus engendrés par la coutume. Ainsi, sous les coups de boutoir de la modernité, les nouvelles générations prennent leur distance vis-à-vis de leurs ainés dont ’ils n’acceptent plus l’autorité. Pour bien défendre leurs idéologies, certains intellectuels prennent la précaution de décrire le fonctionnement de leur milieu traditionnel.

Les méthodes d’analyse littéraire qui cherchent à rapprocher le texte littéraire de la société et les méthodes qui décrivent un texte en relation avec d’autres textes nous serviront d’appui pour analyser certaines ressemblances dans la représentation de la culture de l’Afrique traditionnelle. Vu la nature de notre sujet, l’approche socio critique permet d’analyser les enjeux de l’univers de certains personnages dans le contexte romanesque. C’est-à-dire les enjeux littéraires, esthétiques et critiques de certains espaces qui influent l’existence ou l’évolution d’un personnage. L’analyse de l’espace romanesque de l’Aventure ambiguë, comme celui de l’Ami dont l’aventure n’est pas ambiguë, implique nécessairement une prise en compte du cadre physique ou l’espace réel dont les deux romans sont issus. En effet, pour aborder les enjeux de l’espace des Diallobé, il parait utile de se référer aux personnages de Thierno, et de Samba Diallo au sujet des pratiques sociales spécifiques aux Diallobé avant son départ pour l’Occident. Dans le même registre, l’étude de l’espace romanesque dans l’Ami dont l’aventure n’est pas ambiguë peut s’appuyer sur la famille, notamment avec l’ouverture du récit sur une famille polygame, en Afrique bien sûr. Mais aussi sur d’autres faits, les contingences de la vie, comme le mariage contrarié qui, d’une certaine manière, sont dus le plus souvent à un enfermement sur soi. Mais ce qui nous préoccupe davantage dans ce point d’analyse ce sont les ressemblances que laissent apparaitre les deux descriptions des milieux traditionnels.

La famille : un héritage socio-culturel

La société traditionnelle fonde son organisation sur des groupes sociaux dont la famille apparait comme la cellule de base. Les indices de cette stratification sociale émaillent les récits. D’ailleurs, certains intellectuels, comme Joseph Ki-Zerbo, estiment que « l’histoire africaine doit être une source d’inspiration pour les générations qui montent…les poètes, les écrivains, les hommes de théâtre…les savants de toute sorte. » . En effet, le récit transpose toujours la mise en place de cet appareil structurel ou toutes les personnes sont représentées à travers la grande famille traditionnelle qui est bien décrite par les romanciers africains. Le plus souvent, plusieurs générations y cohabitent : parents, tantes et oncles, cousins et cousines. La famille est le plus souvent décrite comme un univers idyllique. Dans l’Aventure ambiguë, l’auteur ne passe pas sous silence l’organisation interne de la famille. Elle nous transpose essentiellement dans des rapports de solidarité entre frères et sœurs mais aussi dans des comportements parfois ambigus, car difficiles à comprendre. La famille telle qu’elle se présente dans l’Aventure ambiguë se conçoit comme une organisation à la base d’une société où les décisions ne se prennent jamais de façon unilatérale. C’est-à-dire que ce n’est pas l’autorité du père ou celle de la mère seule qui compte pour l’orientation de l’enfant.

Je dois vous dire ceci : ni mon frère, votre chef, ni le maitre des Diallobé n’ont encore pris parti. Ils cherchent la vérité. Ils ont raison. Quant à moi, je suis comme ton bébé, Coumba (elle désignait l’enfant à l’attention générale). Regardez-le. Il apprend à marcher. Il ne sait pas où il va. Il sent seulement qu’il faut qu’il lève un pied et le mette devant, puis qu’il lève l’autre et le mettre devant le premier .

L’avenir de l’enfant dépend essentiellement de sa famille et particulièrement de ses parents puisqu’il est conçu comme un imitateur. La famille, dans l’Aventure ambiguë me semble, joue un rôle très important. Samba Diallo navigue entre sa famille, l’école coranique et l’école étrangère.

Ici, le père et la Grande Royale sont les personnes les plus importantes de la famille car c’est à travers eux que l’auteur fait passer toute sa philosophie, c’est-à-dire sa conception de la famille traditionnelle africaine. Telle qu’elle est décrite dans cette œuvre, elle est tantôt unie, tantôt désunie ou mieux en désaccord. Rares sont les cas où elle est unie dans un sens favorable à la culture étrangère ou alors dans des choix privilégiant la culture occidentale. De manière générale, les membres d’une famille se querellent, les uns défendent la culture ancestrale, les autres la culture occidentale. Dans ce cas de figure, l’auteur profite pour véhiculer sa vision, sa perception de la situation. L’écrivain, comme le dit J.P. Makouta Mboukou, apparait comme un complice pour énoncer ses idées.

Dans un même registre, la famille constitue l’élément de base du récit d’Amadou Elimane Kane, L’ami dont l’aventure n’est pas ambiguë. La famille décrite par le romancier reste encore la grande famille traditionnelle, plusieurs personnes y cohabitent. Malgré une présentation idyllique, la vie quotidienne de certains dans ce cadre reste pénible, plusieurs charges pèsent sur eux. Ici également, comme nous l’avons énoncé précédemment, la conduite ou les prises de décision sur l’enfant ne reviennent pas seulement à la mère biologique. C’est une situation que l’on note dès les premières pages du récit :

En rentrant le soir dans la grande maison familiale, il devait vite se changer pour aller aider en prévision du repas. Il rejoignait sa mère et ses deux sœurs dans la case qui était la leur. Sa mère vérifiait toujours le travail qu’il avait à faire pour l’école. Cela ne devait pas durer longtemps car, déjà, Mariam la première épouse de son père, appelait Boubacar pour nettoyer ou lessiver la grande maison. Ses sœurs, elles, aidaient aux courses, au ravitaillement de l’eau et à la cuisine » .

La grande maison n’est pas décrite seulement comme un espace où vit une famille tout entière. Elle est présentée au mieux comme un univers d’échange, d’interaction. Les tâches ménagères ou autres travaux domestiques ne sont spécifiquement destinées à une personne de telle mère ayant la charge ménagère de la journée. En d’autres termes, la maison familiale apparait comme une entité solidaire même si parfois elle laisse voir d’autres facettes de la vie en communauté. À l’image de la famille décrite dans l’Aventure ambiguë de Cheikh Hamidou Kane, L’Ami dont l’aventure n’est pas ambiguë relate aussi un certain nombre de problème liés à cette vie d’ensemble ou mieux à la polygamie. Mariam, la première épouse, presse la main sur Boubacar et ses sœurs :

Il y avait souvent des disputes toujours provoquées par le caractère changeant de Mariam. Quand Amy protestait, elle n’avait jamais le dessus et Boubacar souffrait de voir sa mère devoir se plier aux perpétuelles exigences de Mariam. Lui-même était devenu l’esclave de ses demi-frères. Plus âgés que lui, ils avaient tous les droits quand Boubacar devait se contenter de peu. Pourtant la famille ne manquait de rien, son père occupait un bon poste et l’argent rentrait facilement .

Si Cheikh Hamidou Kane nous a fait le procès d’une famille qui s’unie et parfois se désunie dans le cadre de certaines prises de décision relatives à la culture de l’Occident, Amadou Elimane Kane, lui, nous plonge plus profondément dans une description précise des réalités qui peuvent se retrouver dans cette famille africaine, une description détaillée et fine mais savoureuse aussi. Elle nous permet en quelque sorte de toucher du doigt plusieurs questions relatives à la tradition. Le roman de Cheikh Hamidou Kane est avant tout celui de la rencontre de l’Occident et l’Afrique. Celui d’Amadou Elimane Kane, même s’il fait allusion à cette rencontre, nous installe plus remarquablement, en première instance, dans un terrain nègre. Ainsi ne faudrait-il pas qu’on se pose des questions sur la perpétuelle problématique de la famille traditionnelle africaine, depuis des siècles bien sûr ? N’est-il pas aussi légitime de voir le continent Africain comme un espace de souffrance comme cela est décrit par nombre d’écrivain sénégalais, et d’Afrique de manière générale dont les auteurs du corpus?

Les modes de vie

Dans la tradition Diallobé, les femmes ne doivent pas prendre part aux manifestations et aux réunions qui sont organisées dans le pays car, selon eux, la femme est appelée seulement à rester au foyer : « la place était déjà pleine de monde. Samba, en y arrivant eut la surprise de voir que les femmes étaient en aussi grand nombre que les hommes. C’était bien la première fois qu’il voyait pareille chose »  . Les expressions « eut la surprise » et « c’était bien la première fois » portent une signification et renferment une information double. D’abord, nous pouvons comprendre que dans la société Diallobé, les femmes n’ont jamais assisté aux réunions qui se tenaient. Ce qui présuppose alors l’absence de la voix de la femme, l’absence de son affirmation, sa marginalisation dans la gestion de la cité, bref sa réduction à une tache qu’on lui a donnée autoritairement. Ensuite ces expressions peuvent nous faire comprendre qu’une rupture est en train de se faire « c’était bien la première fois ». En somme, Cheikh Hamidou Kane procède d’une technique qui semble spécifique à sa pensée, en nous parlant d’un temps en mutation ; mais le présent dont il est question nous fait à la fois comprendre le passé ou ce qui se passait précédemment. Cependant le fait qu’il laisse le lecteur découvrir lui-même ce passé, qu’il le nomme rarement, montre, dans une certaine mesure, sa réticence vis-à-vis de ce passé et son engagement pour un présent amélioré, pour la place de la femme notamment.

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Table des matières

Introduction
Première partie : l’image de l’Afrique traditionnelle
Chapitre1 : les éléments structurants
1-La famille : un héritage socio-culturel
2-Les modes de vie
3-Les problèmes liés à la vie communautaire
Chapitre2 : les éléments fonctionnels
1-Une éducation rude
2-La religion, un élément culturel et culturel de la société Diallobé
3-Les tam-tams ; moyens de communication traditionnel
Deuxième partie : l’image de l’Afrique à la rencontre de l’occident
Chapitre1 : de la découverte de l’altérité à la connaissance de soi
1-La signification des titres des romans du corpus
2-Les personnages
3-L’espace
Chapitre2 : De l’influence occidentale vers une prise de conscience
1-L’affirmation d’une nouvelle identité à travers la relation des textes
2-La relation des textes comme moyen pour bâtir une identité commune
3-Une critique de l’image antérieur à travers la relation des textes
Troisième partie : l’image de l’Afrique dans la nouvelle esthétique du monde
Chapitre1 : L’image de l’Afrique dans la nouvelle esthétique du monde
1-L’Afrique vers une reconstruction impérative de son identité
2-La déchéance de l’Afrique, une responsabilité partagée
3-Un nouveau style : de la critique de l’afro-pessimisme vers un optimisme
Chapitre2 : Une nouvelle éthique de l’homme africain o travers l’éducation
1-La connaissance comme valeur
2-L’éducation, un vecteur du changement
3-La mission de l’école vue comme valeur prophétique
Conclusion
Bibliographie

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