L’IMAGE DE L’AFRIQUE NOIRE À L’ÉPOQUE COLONIALE

L’IMAGE DE L’AFRIQUE NOIRE À L’ÉPOQUE COLONIALE

LES INDEPENDANCES ET LA PRISE DE CONSCIENCE

L’Afrique dira un jour son mot, l’Afrique écrira un jour sa propre histoire66 . (Patrice Lumumba) C’est surtout après 1945, la Deuxième Guerre mondiale ayant affecté toutes les colonies et ébranlé les fondements de l’impérialisme, que les colonies commencent à revendiquer des réformes avec de plus en plus d’acharnement. Ils constatent que la guerre, même s’ils ont lutté pour la France, ne leur apporte presque rien en récompense. Au regard des Français, les Africains restent des « petits Noirs» inférieurs aux Européens. Comme l’explique Albert Memmi dans son Portrait du colonisé, celui-ci n’a pas le choix, il doit réclamer une rupture: « il n’a ni langue, ni drapeau, ni technique, ni existence nationale, ni internationale, ni droits, ni devoirs: il ne possède rien, n’est plus rien et n’espère plus rien». Sa libération doit s’effectuer par la reconquête de soi
– de son identité africaine – et par le refus total du colonisateur.
Dans ce deuxième chapitre, je traiterai d’une façon plus détaillée de cette « reconquête de soi », c’est-à-dire du développement des nouveaux regards sur l’Afrique et de la recherche d’une nouvelle identité africaine. Dans un premier temps, j’évoquerai donc brièvement quelques courants importants du mouvement anticolonial français pour me concentrer, dans un deuxième temps, sur la prise de parole des intellectuels africains.Dans les deux cas, je vais me limiter aux mouvements qui me semblent importants pour ma recherche, c’est-àdire aux mouvements qui ont, d’une façon ou d’une autre, inspiré ou influencé le cinéma de Jean Rouch et d’Ousmane Sembène. l’expression de ces mouvements au cinéma: le cinéma direct, les films ethnologiques et les premiers films africains.

L’anticolonialisme en France

En même temps que les peuples colonisés africains commencent à revendiquer leur identité (et leur indépendance), l’opinion publique, influencée depuis près d’un siècle par les images et les écrits de la propagande, semble plus convaincue que jamais par l’idée coloniale69. PascalBlanchard et Armelle Chatelier soulignent qu’après la guerre, dans les années 1950, environ 85 pour cent des jeunes Français – d’après les auteurs, la génération la plus sensibilisée à l’effort de la propagande – se sentent fiers de l’oeuvre entreprise par la France dans les colonies.
Paradoxalement, tandis que l’opinion publique est, à quelques exceptions près, enfin convaincue des avantages du système colonial, depuis la grande crise des années 1930 et en raison des coûts élevés de la colonisation, une autre idée, basée sur le mouvement du cartiérisme71 , commence à se développer: se retirer des colonies sur le plan politique, administratif, militaire et social afin d’éviter des coûts supplémentaires. Ce sont surtout les économistes à l’étranger qui se prononcent sur le manque de rentabilité du système colonial. Les économistes français évitent, en
général, jusqu’au milieu des années 1950, de parler ouvertement des inconvénients de l’Union française .
L’idée anticoloniale n’est pas nouvelle en France. Elle a une longue tradition qui émerge, pour l’essentiel, au dix-huitième siècle74. Avec les colonies est venu l’Autre et avec lui, la curiosité à l’égard des cultures différentes. L’ethnologie, l’ethnographie, l’anthropologie et, plus tard, la sociologie sont des disciplines scientifiques qui, d’une façon ou d’une autre, prennent en considération la différence et l’altérité75• C’est dans ce domaine que se développe progressivement une forme d’anticolonialisme basée sur l’antiracisme, c’est-à-dire sur l’idée de l’égalité entre tous les hommes.
Ces spécialistes, hommes de terrain, souvent ISSUS eux-mêmes du monde colonial, contribuent, par leur attitude anticoloniale et leurs recherches scientifiques, à corriger progressivement l’image déformée des Africains. Leo Frobenius (1873-1938), ethnologue allemand, et Maurice Delafosse (1870-1926), haut fonctionnaire issu de l’École coloniale française76, représentent deux personnages typiques de ce mouvement. Leurs travaux (Histoire de la civilisation africaine77 de Leo Frobenius, Les Nègres78 de Maurice Delafosse), qui étaient lus avec grand intérêt par les étudiants noirs de Paris79, étaient parmi les premiers à revaloriser le passé de la race noire. Avec la thèse, à l’époque encore très provocante, qu’il existe, dans les régions colonisées, « des civilisations qui valent la peine d’être étudiées et décrites» et que « ces peuples ne méritent pas d’être traités d’inférieurs au point de vue intellectuel »80, Delafosse fait un des premiers pas vers les études africanistessi . Mais ce n’est qu’en 1925, avec la fondation,
autour de Marcel Mauss, de l’Institut d’ethnologie à Paris, que les recherches sur l’Afrique deviennent enfin, pour la première fois, une discipline universitaire. Autre date importante: en 1930 naît la Société des africanistes dont la vocation est de regrouper non seulement les spécialistes et les chercheurs mais également des passionnés des cultures africaines. L’un des fondateurs, Marcel Griaule (1895-1965), va mener la première grande expédition ethnologique française en Afrique, la «Mission Dakar-Djibouti» (1931-1933), dont les résultats seront exposés avec un grand succès populaire au Musée de 1 ‘Homme à Pariss2. II sera accompagné de jeunes ethnologues, dont l’ethnologue-écrivain Michel Leiris qui publiera, en 1934, L’Afrique fantômes. Entre 1945 et les indépendances africaines, une autre génération de chercheurs prend le relaiss4 : Jean Dresch (1905-1994)s5, géographe et ethnologue anticolonialiste, connu pour ces travaux sur les questions économiques des colonies au Maghreb (l’économie de traite) et Georges Balandier (1920), sociologue et anthropologue qui, en tenant compte des changements des sociétés (de leur historicité), porte un regard scientifique nouveau sur l’Afriques•
Dans l’ensemble, nous pouvons constater qu’en France les sCIences humaines, ou plus précisément l’anthropologie (dans sa définition totalisante), témoignent d’un nouvel intérêt porté
à l’Autre. Au regard colonial éloigné succède un regard scientifique caractérisé par la curiosité et
le désir de mieux comprendre les sociétés colonisées. En s’approchant du colonisé, en faisait partie de l’équipe réunie autour de Michel Leiris au Musée de l’Homme.
l’examinant de près, les chercheurs commencent à constater que l’Autre n’est pas un sauvage, un animal, mais un être humain avec sa propre langue et sa propre culture valant la peine d’être analysées et conservées. L’imagerie coloniale de l’Afrique se révèle une grande tromperie. Bref, grâce aux sciences humaines, la politique coloniale perd progressivement ses bases idéologiques.

La prise de parole des colonisés

Les années 1930 constituent une autre période importante: des étudiants africains et antillais qui vivent à Paris se mettent à critiquer la politique assimilationniste française et à exprimer avec force leur volonté d’une reconnaissance de l’identité négro-africaine88. C’est le lancement de la « Négritude », un mouvement révolutionnaire qui affirme l’identité culturelle des Noirs et leur solidarité raciale. Le terme a été employé pour la première fois par le poète antillais Aimé Césaire, en mars 1935, dans un article (<< Nègrerie ») publié dans la revue L’étudiant noir.Mais c’est Léopold Sédar Senghor qui en était le principal propagateur et idéologue . Selon lui, le concept de «Négritude» représente « l’ensemble des valeurs culturelles du monde noir, telles qu’elles s’expriment dans la vie, les institutions et les oeuvres des Noirs90». Il appelle, dans ses écrits poétiques et politiques, les intellectuels noirs à revaloriser leurs racines, leur culture, et à utiliser leur patrimoine africain, et non le patrimoine français, comme source d’inspiration.Il faut néanmoins noter que le terme n’a pas toujours la même définition selon les ténors de laNégritude. Aimé Césaire la définit ainsi: «La Négritude est la simple reconnaissance du fait d’être noir, et l’acceptation de ce fait, de notre destin de noir, de notre histoire et de notre culture9\ ». La définition du métis guyanais Léon-Gontran Damas va dans le même sens. Pour lui, il s’agit de défendre sa qualité de Nègre et il se révolte à l’idée qu’on puisse le prendre pour un assimilé• Mais dans le fond, toutes ces définitions ont une chose en commun: ce sont des appels aux Africains à se soulever contre la politique d’assimilation française et à reconquérir leur identité africaine.En fait, la «Négritude» est un concept de revendication noire qui, à cette époque, se manifeste non seulement dans le triangle France-Afrique-Antilles mais également en Amérique.Que l’on parle de Marcus Garvey ou W.E.B. Du Bois, qui voulaient faire revenir tous les Afro américains en Afrique, de la poésie de Langston Hughes (avec son poème « The Negro Speaks of 30 Rivers93»), un des écrivains afro-américains les plus importants aux États-Unis, ou de la Harlem Renaissance, tous répondent, en principe, à ce qu’Albert Memmi appelle les « besoins» de tout homme dominé. Après avoir été si longtemps « refusé» par le colonisateur, c’est le colonisé qui refuse le colonisateur94. La «Négritude» incarne ce refus. D’après Albert Memmi, à l’époque de la décolonisation, «elle [la Négritude] prenait acte de la séparation du Noir, la résumait commodément d’un mot, et se proposait comme un drapeau, pour une libération et une reconquête de sol\>. Elle réunissait donc, en théorie, tous les Noirs et leur permettait de lutter ensemble pour la valorisation de leur culture et de leurs traditions.
\1 est néanmoins nécessaire d’ajouter que l’affirmation de soi dans un contexte de colonisation/décolonisation peut également se porter vers l’autre extrême, c’est-à-dire vers un racisme noir (ou un «racisme antiraciste », comme le définit Jean-Paul Sartre dans Orphée noir97) rejetant les Européens et glorifiant la culture africaine jusqu’à l’absolu98. Pierre Bourdieu explique ce phénomène comme suit: «On constate que l’idée de race, au moment où elle est désertée par la plupart des autorités scientifiques et morales du monde occidental, fait paradoxalement son chemin du côté de ceux que jusqu’ici elle stigmatisait, opprimait ou excluait» . Il s’agit donc d’une réaction, d’une conséquence inévitable (et selon Senghor même nécessaire) de la domination coloniale. Dans la même perspective, Mariella Villasante Cervello assimile la « Négritude» à une forme de racisme différentialistelOO, héritée de la colonisation française et concernant une petite élite d’intellectuels bourgeois, souvent d’origine sénégalaiselol .
Pour soutenir son propos, elle se réfère, entre autres, aux intellectuels africains anglophones, comme Wole Soyinka, qui, à l’époque, contestait ouvertement les fondements « racistes, ‘d . d 1 N’· d 102 re ucteurs et eurocentnques» e a « egntu e» .

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Table des matières

REMERCIEMENTS
INTRODUCTION
PREMIÈRE PARTIE: L’ÉMERGENCE DU CINÉMA AFRICAIN
CHAPITRE 1 L’IMAGE DE L’AFRIQUE NOIRE À L’ÉPOQUE COLONIALE
1.1. L’idéologie coloniale française
1.2. La propagande coloniale
1.2.1. Les expositions coloniales
1.2.2. Le cinéma colonial
1.3. L’impact de l’imagerie coloniale africaine
CHAPITRE 2 LES INDÉPENDANCES ET LA PRISE DE CONSCIENCE
2.1. L’anticolonialisme en France
2.2. La prise de parole des colonisés
2.3. L’anticolonialisme et le cinéma
2.3.1. À la recherche du réel: l’anthropologie visuelle
2.3.2. L’Afrique tourne …
DEUXIÈME PARTIE: LA QUESTION DU REGARD INTERMÈDE PARIS, LA CAPITALE DU CINÉMA AFRICAIN
CHAPITRE 3 LE« GRIOT GAULOIS » : L’APPROCHE ANTHROPOLOGIQUE DE JEAN ROUCH 
3.1. Le cinéaste-ethnologue
3.1.1. L’éthique du cinéma ethnographique
3.1.2. La méthode « rouchienne »
3.2. Un nouveau regard sur 1’Afrique : Moi, un Noir et La pyramide humaine
3.2.1. Moi, un Noir
3.2.2. La pyramide humaine
3.3. Conclusion
CHAPITRE 4 LE« GRIOT MODERNE» : L’AFRICANITÉ DANS L’ŒUVRE D’OUSMANE SEMBÈNE
4.1. Le cinéaste-écrivain
4.1.1. De la littérature au cinéma africain
4.1.2. Le cinéma d’engagement
4.1.3. Pour une esthétique du cinéma africain
4.2. Deux réponses africaines
4.2.1. Borom sarret
4.2.2. La noire de
4.3. Conclusion
CHAPITRE 5 LA CONFRONTATION: « TU NOUS REGARDES COMME DES INSECTES ))
CONCLUSION
ANNEXE 1: LE DÉCOUPAGE DE MOI, UN NOIR
ANNEXE II : LE DÉCOUPAGE DE LA PYRAMIDE HUMAINE
ANNEXE III : LE DÉCOUPAGE DE BOROMSARRET
ANNEXE IV: LE DÉCOUPAGE DELA NOIRE DE
BIBLIOGRAPHIE

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