L’IMAGE COMME FORME DE MÉDIALITÉ DANS TOUS LES MATINS DU MONDE (1991) ET TERRASSE À ROME (2000) DE PASCAL QUIGNARD

L’image comme mode de pensée du personnage quignardien

   La question de la visualité occupe une place de premier choix dans les œuvres de Pascal Quignard notamment dans Terrasse à Rome et dans Tous les matins du monde. Dans ces deux ouvrages le narrateur s‟évertue à raconter l‟histoire de Monsieur de Sainte Colombe ainsi que celle de Meaume le graveur et leur pratique artistique en se rapprochant davantage de l‟image. L‟image est, en effet, un point central autour duquel tout se fait dans les œuvres du corpus. Elle est un support sur lequel Quignard se fonde pour représenter la vie de ses protagonistes vu sa transversalité, c‟est-à-dire elle est à cheval entre les arts ; mais aussi elle semble être plus pertinente et plus suggestive que les mots. C‟est dans ce sens que les personnages quignardiens parlent peu. Ainsi leur rapport avec le langage est problématique. Tout ce qu‟ils trouvent à faire ils le font via l‟image. Ils ont, en quelque sorte, choisi l‟image comme une forme de langage qui leur est propre. C‟est l‟image qui leur permet d‟entreprendre leur rapport avec la réalité. Meaume est hypnotisé, fasciné par l‟image à tel point qu‟il pense, voit, sent, s‟exprime, etc., à travers elle. Dès lors sa relation avec elle se révèle singulière dans la mesure où tout est chez lui image. Ainsi cette dernière supplante la parole. C‟est dans ce sens que Meaume, comme un mutique, « ne raconte pas, il travaille. Il a très peu de mots pour Nanni, mais il a le burin et l‟acide, son langage. L‟art est, [chez lui], comme la ressource que reflète la pensée et les sentiments de l‟artiste […]29 ». L‟image est, de ce fait, comme un médium sans lequel Monsieur de Sainte de Colombe et, en particulier, Meaume seraient des personnages archétypaux, c‟est-à-dire des protagonistes noyés dans la routine. Ce qui fait leur spécificité est qu‟ils se cramponnent à l‟image, mais également la prennent comme une forme de médiation pour médiatiser leur rapport au monde. C‟est ce qui guide leur vision des choses, voire leur vision du monde. Meaume le graveur se définit aussi comme un homme de « vision » attaqué par les images : il voit une fille aimée, ses ancêtres et le regard des autres lui apparaît souvent (p. 118). Quand un compagnon lui demande pourquoi il se tait quand il évoquait ses visions, le graveur répond : « Parce que lorsque je suis en présence de certaines images je souffre30 ». Et curieusement, si les images lui font défaut, il en est profondément chagriné. À la fin de sa vie, nous apprend-on dans le livre de Grünehagen, il note ceci : « Je ne trouve plus le temps de songer à une image ou plutôt de la tenir devant mes yeux pour la reproduire. Mon œuvre est ailleurs ». « Je ne sais pas pourquoi je n‟ai plus d‟images vivantes dans l‟âme. Voilà la vérité. C‟est la raison pour laquelle je pleure ». Mais c‟est le narrateur anonyme qui révèle la place de la vision, donc de l‟image, dans le système de pensée du graveur : Monsieur de Gellée disait de Monsieur Meaume que son génie n‟avait pas le sentiment de la couleur. L‟intensité de la vision préoccupait sa main et elle n‟avait plus de souci pour rien d‟autre. […] Il fallait que ce qu‟il voyait au fond de son crâne, derrière ses yeux surgît. La vision se découpait sur l‟ombre, sortait du fond, s‟arrachait à une nuit qui ne connaissait pas la lumière [condition de germination de la pensée du personnage]33 ». Mieux, lorsqu‟il est assailli par Vanlacre, Meaume convoque dans sa pensée une image (son univers référentiel), celle d‟une gravure sur bois de Jean Heemkers (son maître à Bruges) où Hildebrand (le père) regarde Hadubrand (le fils) lever son arme sur lui, qui fonctionne, sous le mode du rapprochement et du parallélisme (une autre technique de montage cinématographique), comme une allusion préfigurative de la vérité de la scène de l‟agression du graveur à Rome. La transcription des visions, des hallucinations (Meaume p. 117), des rêves des personnages (Meaume p. 35, 116), qui participe de la visualité, tient du pouvoir de figuration et de consignation du rêve qui, comme le dit Meaume le graveur, « rend présent à l‟âme ce dont elle manque ou ce qu‟elle a perdu34 ». Globalement chez Quignard, c‟est par le rêve, en vertu sans doute de son image, que son personnage entrevoit la femme aimée. Les propos ci-dessous de Meaume sur Nanni rapportés par Grünehagen et retranscrits au style direct dans le texte le confirment : L‟amour consiste en des images qui obsèdent l‟esprit. […] Son signalement est donné dans les rêves car dans les rêves ni la volonté ni l‟intérêt ne règnent. Or, les rêves, ce sont des images. Même, d‟une façon plus précise, les rêves sont à la fois les pères et les maîtres des images. Je suis un homme que les images attaquent. Dans Tous matins du monde, Monsieur de Sainte Colombe est lui aussi attaqué par les images de sa défunte épouse. Il ne puit s‟empêcher, en dépit d‟une dizaine d‟années depuis que sa femme a trépassé, de revoir dans son esprit toutes les activités quotidiennes qu‟elle effectuait et les discussions secrètes qu‟il entretenait avec elle et la physionomie de celleci. Le rêve est pour lui un moyen lui permettant de replonger dans le passé. Bref l‟image est préfigurée dans ce ledit ouvrage par l‟omniprésence des rêves. Il (Sainte Colombe) songeait à sa femme, à l‟entrain qu‟elle mettait en toutes choses, aux conseils avisés qu‟elle lui donnait quand il les lui demandait, à ses hanches et à son grand ventre qui lui avaient donné deux filles qui étaient devenues des femmes. Un jour qu‟il concentrait son regard sur les vagues de l‟onde, s‟assoupissant, il rêva qu‟il pénétrait dans l‟eau obscure et qu‟il y séjournait. Il avait renoncé à toutes les choses qu‟il aimait sur cette terre, les instruments, les fleurs, les pâtisseries, les partitions roulées, les cerfs-volants, les visages, les plats d‟étain, les vins. Sorti de son songe, il se souvint du Tombeau des regrets qu‟il avait composé quand son épouse l‟avait quitté une nuit pour rejoindre la mort . Marin Marais releva la tête et ils sortirent. Marin Marais rêvait au forgeron à l‟instant où avait frappé l‟épée sur l‟enclume. Il revit la petite enclume de cordonnier que son père reposait sur sa cuisse et sur laquelle il frappait avec son marteau. Il rêva à la main de son père et à la callosité qu‟y avait empreinte le marteau quand il la passait sur sa joue … L‟image est en ce sens cruciale dès lors que la parole, moyen de communication du sens commun, fait défaut chez les personnages quignardiens. Ces derniers savourent les moments déjà vécus avec leurs proches, quels qu‟ils soient, à travers la rêverie. Ils se délectent en convoquant des scènes du passé sous forme d‟image. Cependant, en dépit de son omniprésence dans les œuvres du corpus, sa configuration diffère aussi bien chez Monsieur de Sainte Colombe que chez Meaume. Si dans Tous les matins du monde l‟image est traduite et se manifeste sous forme de rêve dans les scènes de visitations de Madame de Sainte Colombe grâce à la musique que son époux, qui comme Orphée descendant dans le monde des ténèbres dans l‟espoir de faire revenir à la vie sa femme Eurydice, joue dans sa cabane ; dans Terrasse à Rome, en revanche, l‟image nous a été donnée à voir non seulement à travers la réécriture des tableaux peu connus du grand public que Quignard cherche, semble-t-il , à réhabiliter, mais aussi par le truchement des rêves. Le rêve, vue son omniprésence dans les ouvrages du corpus, participe au renforcement de la visualité de l‟œuvre. D‟ailleurs Pascal Quignard, à travers son personnage Meaume, reconnaît la précellence du rêve sur toutes les autres formes de l‟image en lui faisant dire que : « […] les rêves sont à la fois les pères et les maîtres des images38 ». Ainsi nous pouvons donc constater l‟importance des rêves en particulier l‟image chez Quignard. Ils sont fondamentaux dans le processus de la fabrique du sens dans les œuvres quignardiennnes. En ce sens, ils aident à faire du lecteur un complice, un compagnon de route. Obtenir de lui la simultanéité, puisque la lecture abolit le temps du lecteur pour transférer celui-ci dans le temps de l‟auteur. Le lecteur arriverait ainsi à être coparticipant et copâtissant de l‟expérience que réalise le romancier. Par ailleurs, Meaume reste préoccupé par l‟image toute sa vie durant. En effet il cohabite avec elle dès son plus tendre âge. Enfant, il : « […] montrait des dispositions incroyables pour crayonner des postures naturelles et les expressions des corps, pour faire sortir de la nuit les mains et les visages, pour représenter les scènes viles, ou humbles, ou honteuses, qu‟on avait jamais vues, avait été placé très tôt ». Ainsi, à l‟antipode de l‟écrivain qui a son carnet de notes pour coucher ses impressions sur le papier, Meaume a son burin, sa toile et son chevalet qui lui permettent d‟immortaliser ses aventures ainsi que celles de ses compagnons, en l‟occurrence Nanni Veet Jakobsz, Marie Aidelle, Abraham en les gravant. Mieux, il est assailli par l‟image à telle enseigne qu‟il se sombre constamment dans le monde onirique. Même le jour, Meaume ne peut s‟empêcher de rêver dans la mesure où l‟image n‟est pas seulement chez lui un médium qui lui permet d‟entretenir sa relation avec le monde, mais elle est aussi « l‟une des extases qu‟il se remémore car son art est onirique ». Les rêves sont, en quelque sorte, sa source d‟inspiration ou son réservoir d‟images, car comme le fait savoir l‟un de ses pairs, Claude Gellée, « il fallait que ce qu‟il voyait au fond de son crâne, derrière ses yeux, surgît42 ». Ses rêves nocturnes et diurnes font de lui un « personnage-image », c‟est-à-dire un personnage qui, en amont de tout, fait de l‟image son moyen de communication préféré. C‟est sous ce rapport qu‟elle supplée le langage insuffisant et incomplet en « murmur[ant ]ce que Meaume ne peut pas dire avec les mots ou avec ses pleurs […]43». Selon lui, la vision et la netteté du rêve sont inégalables. Le rêve et les images constituent, en un mot, ses raisons d‟être. C‟est dans cette perspective qu‟il avoue sans ambages que « […] les rêves ce sont des images. Même d‟une façon plus précieuse, les rêves sont à la fois les pères et les maîtres des images ». En outre Meaume, à l‟orée de sa vie, se sentait triste et déprimé, car l‟image lui manque de plus en plus. Il est dans une phase de décrépitude puisque l‟acuité de sa vision et ses capacités intellectuelles s‟amenuisent. L‟image le fuit désormais ; C‟est d‟ailleurs l‟une des raisons pour lesquelles qu‟il prédit sa mort imminente, « quand je m‟assois devant ma planche de cuivre le chagrin m‟envahit. Je trouve plus le temps de songer à une image ou plutôt de la tenir devant mes yeux pour la reproduire. Mon œuvre est ailleurs ». Il avoue ainsi subrepticement n‟avoir plus rien à faire ici-bas, car il lui manque le seul lien qui le rattachait à la vie : L‟image. Celle-ci le rassurait et lui donnait le goût de vivre. Meaume s‟interroge en ces termes dès que l‟image s‟estompe ou s‟émousse : « je ne sais pas pourquoi je n‟ai plus d‟images vivantes dans l‟âme. Voilà la vérité. C‟est la raison pour laquelle je pleure ». Meaume n‟est pas, toutefois, le seul personnage hanté par l‟image. Son amante d‟antan Nanni Veet Jakobsz est, elle aussi, sous l‟emprise de l‟image. Elle se remémore du démêlé de son concubin, Meaume, avec Son fiancé, Ennemonde, en se le représentant mentalement par biais d‟un songe. Voilà en ces termes, en se ressassant de la couardise de Meaume, qu‟elle la lui signifie en lui mandant une lettre : « […] j‟ai songé en revoyant dans mon esprit votre prise de bec avec Ennemonde vous vous battiez très mal ». Ainsi elle n‟est pas non plus à l‟abri des assauts de l‟image.

Une écriture sur l’image : une pratique de l’ekphrasis

    La question de l‟image revient sans cesse dans les œuvres du corpus. Cette fois-ci elle sort le cadre de la littérature en important dans le tissu romanesque quignardien le mode de paraître pictural. Pascal Quignard, dans son entreprise de réécriture de l‟histoire,recontextualise certains tableaux de certains peintres dans ses ouvrages par le biais de l‟hypotypose. Celle-ci est, suivant Du Marsais, […] un mot grec qui signifie image, tableau. C‟est lorsque dans les descriptions, on peint les faits dont on parle comme si ce qu‟on dit était actuellement devant les yeux ; on montre, pour ainsi dire, ce qu‟on ne fait pas que raconter ; on donne en quelque sorte l‟original pour la copie, les objets pour les tableaux. À l‟image de ces prédécesseurs, Diderot, Baudelaire, Quignard, dans Tous les matins du monde et, plus particulièrement, dans Terrasse à Rome, se fait un chroniqueur d‟art ou, pour reprendre la formule de Roland Barthes, un « grammatographe », c‟est-à-dire « celui qui écrit l‟écriture du tableau ». De ce fait, son style fragmentaire à outrance s‟efforce d‟imiter l‟un des sujets de l‟œuvre : la thématique de la peinture. Dans cette perspective la fragmentation, l‟une des caractéristiques de l‟œuvre de Quignard, n‟est point due à un laxisme comme le voudrait certains, mais plutôt par une quête de la représentation visuelle du langage et une tentative de restitution de certains tableaux et certaines fresques. Sous ce rapport, nous partageons l‟idée de Gbanou selon laquelle la fragmentation, dans la littérature contemporaine, « ne se donne pas seulement à lire comme une manipulation, mais comme une recherche d‟effets visuels55 ». Dans les ouvrages du corpus, l‟art du temps et celui de l‟espace se superposent voire s‟entremêlent. Le texte, en certains endroits, se fait la réécriture de certaines toiles. Cette volonté de vouloir présenter sous les yeux du lecteur certains tableaux est ce que nous appelons ekphrasis. Celui-ci est défini comme « Comme un morceau brillant, détachable, (ayant donc sa fin en soi, indépendante de toute fonction de l‟ensemble) qui avait pour objet de décrire les lieux, des temps, des personnes, ou des œuvres d‟art […] ». L‟ekphrasis est, somme toute, une représentation ou l‟équivalent verbal d‟un objet artistique. Dès lors cette propension à vouloir plier l‟écriture à l‟exigence de la représentation picturale se répercute sur la composition de l‟œuvre. Le texte, en ce sens, se fait fragmentaire et paratactique dans le but sans doute de mimer le mode de paraître ou plus précisément « la description » picturale. D‟ailleurs c‟est cette tentative de donner, de produire un effet de simultanéité qui nous fait affirmer que l‟écriture quignardienne, reflétant en certains endroits des effets de picturalité, est ainsi contaminée par l‟esthétique de la peinture. Bien que nous ne soyons pas sans savoir que peinture et littérature constituent des polarités, c‟est-à-dire deux médias dont leur manifestation diffère, Pascal Quignard, en dépit de la distinction étanche dont G. E. Lessing cherchait à instaurer dans son Laocoon, et qu‟il reconnaît en partie : « la littérature et l‟image sont immiscibles», tente toutefois ce qui, a priori, semble être impossible : faire revivre l‟expérience d‟une contemplation d‟un tableau ou faire voir un tableau à travers une description. Dans ce sens comment parvient-il à faire voir un tableau en le décrivant ? La narration dans les ouvrages du corpus est, d‟une façon intermittente, interrompue par des pauses durant lesquelles Pascal Quignard tente d‟exposer par entremise de l‟écriture certains tableaux. Dans Tous les matins du monde la tentative de transposition des tableaux de Lubin Baugin entraîne dans le roman ce que nous appelons la picturalisation de l‟œuvre littéraire. En effet la façon dont les tableaux de Baugin ou les natures mortes sont décrites est si nette qu‟on dirait « qu‟il [Pascal Quignard] voulait dessiner avec les mots et enquêter sur une nouvelle représentation visuelle du texte littéraire». Ainsi, en adoptant un style quasi pictural, Quignard provoque la perception visuelle à travers des passages exclusivement descriptifs qui invitent le lecteur à construire l‟image à partir du texte, car « [ce dernier] instruit et le lecteur construit59 ». À ce propos « […] le texte dirige le lecteur entre les signifiés de l‟image, en lui faisant éviter certains et en recevoir d‟autres ; à travers un dispatching souvent subtil, il le téléguide vers un [tableau] choisi à l‟avance » afin qu‟il se représente mentalement la toile que le narrateur, par le biais de la description plus ou moins fidèle, cherche à montrer. À titre d‟exemple, observons comment Pascal Quignard réactualise, à travers deux ekphrasis qui décrivent très précisément deux toiles de Lubin Baugin, en l‟occurrence Le dessert de gaufrettes et La nature à l‟échiquier, les natures mortes ou plutôt les peintures coites. C‟est dans la cabane de Monsieur de Sainte de Colombe que le tableau de Baugin est « exposé » : « il pose sur le tapis bleu clair qui recouvrait la table où il dépliait son pupitre, la carafe de vin garnie de paille, le verre de vin à pied qu‟il remplit, un plat d‟étain contenant quelques gaufrettes enroulées […]61 ». La description est faite sans au préalable, comme le narrateur daignera le faire ultérieurement, prévenir le lecteur qu‟il s‟agit d‟une réécriture d‟un tableau de Baugin. Dès lors, la compétence encyclopédique du lecteur est ainsi sollicitée afin que la représentation mémorielle dont parle Bernard Vouilloux puisse se produire. La frontière entre le récit, la réécriture et la narration se brouille dans la mesure où les éléments immortalisés par Baugin se réaniment après la visite de sa femme : « […] il vit le vin à moitié vide et il s‟étonna qu‟à côté de lui, sur le tapis bleu, une gaufrette fût à demi rongée62 ». Si on se fonde sur les théories d‟Irena Rajewski, cette réécriture non déclarée du tableau de Lubin Baugin, Le dessert de gaufrettes, est, pour reprendre sa terminologie, une référence intermédiale implicite. Celle-ci nécessite de la part du lecteur une attention particulière, car rien a priori ne l‟insinue qu‟il a sous les yeux une transcription d‟un tableau de Lubin Baugin. En outre l‟autre ekphrasis, retrouvé dans le texte, est moins complexe à saisir parce que le narrateur daigne cette fois préciser l‟auteur de ce tableau. C‟est en faisant visiter Monsieur de Monsieur de Sainte Colombe et son élève, Marin Marais, la demeure de Monsieur Baugin qu‟il décrit en même temps la toile de celuici ; ils sont allés chez le peintre l‟écouter peindre : Le peintre était occupé à peindre un tableau : un verre à moitié plein de vin rouge, un luth couché, un cahier de musique, une bourse de velours noir, des cartes à jouer dont la première était un valet trèfle, un échiquier sur lequel étaient disposés un vase et trois œillets et un miroir octogonal appuyé contre le mur de l‟atelier. Ce tableau de Lubin Baugin est intitulé La nature morte à L‟échiquier. Pour mieux rendre compte de ce tableau, le narrateur utilise des phrases averbales. Il cite des syntagmes nominaux comme pour imiter la simultanéité picturale. C‟est dans ce sens qu‟Ingrid Riesen, en remarquant les effets de simultanéité, conclut avec conviction que : « la raison d‟être de son style de Pascal Quignard saccadé et pulsionnel est clair : il s‟agit de refléter la thématique de son œuvre : [la gravure]64 ».

Une narration en plan ou une narration en prise de vue

   Le plan est un procédé cinématographique qui permet de raconter un événement appartenant à un ensemble plus vaste : la séquence. Il est une notion polysémique ; même au cinéma, il est défini selon des paramètres. Si on se fonde sur la définition de Marcel Martin, on se rend compte que la définition du plan, au cinéma, n‟est pas figée dans la mesure où, à chaque phase, une nouvelle surgit. C‟est dans ce sens que Martin, en le définissant, s‟attarde sur des détails qui participent à sa compréhension. C‟est ainsi que, en voulant lever le voile de l‟opacité sur cette notion, Marcel Martin s‟évertue à en donner une définition plus ou moins exhaustive : Techniquement parlant d‟abord, c‟est, du point vue du tournage, le fragment de pellicule impressionnée entre le moment où le moteur de la caméra est mis en route et celui où il est stoppé ; du point de vue du montage, le morceau de film entre deux coups de ciseaux puis entre deux coupures ; du point de vue du spectateur enfin, le morceau de film entre deux raccords. Ce procédé purement cinématographique est, en effet, transposé par Pascal Quignard, dans ses romans en l‟occurrence Tous les matins du monde et Terrasse à Rome. Puisque le plan est au cinéma un fragment de pellicule, Quignard, étant donné le caractère singulier de son écriture, semble mimer ce fragment de pellicule, d‟une part dans le but sans doute d‟attiser le fragmentation, d‟autre part dans la volonté d‟orienter la vue du lecteur sur l‟image ou les images que composent les scènes qu‟il décrit. La narration dans ces deux romans, fondée sur un système qui rappelle la composition d‟un plan au cinéma, n‟est pas fortuite. Elle est un moyen par lequel Quignard semble assouvir son désir de : « […] dire en dix phrases ce que cet autre dit en un livre […]93 ».Conscient de l‟ampleur de cette tâche, Quignard procède à une narration en vrac. C‟est ce que Bruno Blanckeman appelle, en quelque sorte, les récits indécidables94. Ces récits critiques, pour reprendre l‟expression de Dominique Viart, sont dus, d‟une part par la volonté de raconter concomitamment des histoires qui appartiennent à des époques et à des contextes différents ; d‟autre part par la volonté de réminiscence des textes qu‟il a déjà lus et qui se sont fixés dans sa mémoire. Ce désir de réminiscence et d‟autonomisation des chapitres fait, surtout, que : « Dans Terrasse à Rome, nous ne connaissons pas toujours la fin des récits comme c‟est le cas d‟Abraham Van Berchem, et d‟Eugenio qui se suicide96 ». Cette narration en plan, en effet, transposée dans le champ romanesque, donne l‟effet de narration en bribes et celle d‟une image décrite pour chaque chapitre. De ce fait, Quignard fait avancer le récit en racontant événement sur événement sans accorder une moindre importance aux raccords entre les chapitres. Une manière d‟écrire suggérant une narration en plan est mise en exergue dans les textes de Quignard. Elle est une occasion pour la transcription des rêves et des scènes de visitations qui essaiment dans les ouvrages du corpus. Les personnages quignardiens sont en phase avec le monde onirique. Meaume par exemple est si fasciné par l‟image de Nanni qu‟il ne puit s‟empêcher de son songer à elle ; il la revoit dans un de ses rêves en s‟accouplant avec elle. Cette scène, bien qu‟elle soit un court moment, Pascal Quignard la consacre un chapitre ; cela montre en quelque sorte l‟importance de l‟image par extension le rêve chez Quignard. Voilà en ces termes que le narrateur montre le songe libidinal de Meaume : Le rêve de Meaume est celui-ci : Il est à dormir dans sa chambre de Bruges (dans le logement que Jean Heemkers lui a accordé au-dessus de son appartement, au troisième étage de la maison sur le canal). Son sexe se dresse brusquement au-dessus de son ventre. La lumière blanche, épaisse, torride du soleil ruisselle autour du buste nu d‟une jeune femme blonde au long cou. La lumière déborde tous les contours de corps, rongeant les silhouettes de joues et de ses seins. C‟est Nanni Veet Jakobsz. Elle penche la tête. Elle s‟assied sur lui. Elle le plonge en elle d‟un seul coup. Il jouit. Monsieur de Sainte Colombe, dans Tous les matins du monde, n‟est pas lui aussi en reste. Il revoit sa femme morte à travers les scènes de visitations à chaque fois qu‟il joue de la musique dans sa cabane. Sa femme se réincarne sous ses yeux. Il est obsédé par sa femme à tel point qu‟il semble la revoir toujours suivant le processus de la rêverie. Toutefois, c‟est la musique qui enclenche la rêverie chez Monsieur de Sainte et les scènes de visitations. C‟est en jouant le Tombeau des Regrets, c‟est le morceau qu‟il composa en hommage de sa défunte épouse, que cette dernière réapparaît ; Tandis que le chant montait, près de la porte une femme très pâle apparut qui lui souriait tout en posant le doigt sur son sourire en signe qu‟elle ne parlerait pas et qu‟il ne se dérangeât pas de ce qu‟il était en train de faire. Elle contourna en silence le pupitre de Monsieur de Sainte Colombe. Elle s‟assit sur le coffre à musique qui était dans le coin auprès de la table et du flacon de vin et elle l‟écouta. La narration en plan, dont le primat est l‟image, ne saurait se faire sans référence ou mime à l‟image cinématographique. Nous entendons plan dans le sens où la fragmentation est une propédeutique par le truchement de laquelle le narrateur montre plus qu‟il ne décrit. La narration en plan évoque aussi cette propension chez Quignard à démanteler son récit. Sous ce rapport, nous partageons l‟idée d‟Alwan, selon laquelle, dans Terrasse à Rome, « Les sauts d‟une idée à l‟autre et les images qui les accompagnent renvoient à la densité d‟une écriture tranchante dans un cadre romanesque 99». Qu‟elle soit tranchante ou morcelée, l‟écriture quignardienne suit la logique d‟une construction de plan. Il est donc évident qu‟elle soit tranchante, surtout dans Terrasse à Rome, car à l‟instar du plan, qui est un fragment de pellicule, chaque chapitre montre une image ou un ensemble d‟images. Dans Tous les matins du monde, ce phénomène de saut d‟idée et d‟image est récurrent dans le récit. Dans ce passage subséquent, le narrateur décrit d‟une façon rapide image par image. Cela influe sur le récit et entraîne par conséquent de succincts paragraphes à la manière d‟un plan au cinéma. Á tire d‟exemple, ce passage, qui montre plusieurs images en de courts paragraphes, est une belle illustration : Quand sa fille aînée eut atteint l‟âge nécessaire à l‟apprentissage de la viole, il lui enseigna les dispositions, les accords, les arpèges, les ornements […]. Un matin avant que l‟aube parût, Monsieur de Sainte se leva, suivit la Bièvre jusqu‟au fleuve, suivit la Seine jusqu‟au pont de la Dauphine, et entretint tout le jour avec Monsieur Pardoux, qui était son luthier. Cette esthétique de la brisure101, pour reprendre l‟expression de Abdoulaye Diouf, reflète l‟esthétique cinématographique qui est éminemment fondée sur l‟image. Toutefois, en dépit d‟une narration qui a l‟air en vrac, le récit quignardien n‟est pas tout à fait désorganisé à ce point. Les chapitres qui les composent, bien qu‟ils aient l‟apparence d‟autonomie, sont bien construits. La fragmentation, que la narration en plan a produite, est allégée par d‟autres techniques cinématographiques dont la première occurrence est le fondu enchaîné. C‟est pourquoi Alwan, en faisant une analyse poussée sur la structure du roman de Pascal Quignard, Terrasse à Rome, ne s‟est pas trompé en concluant que : « L‟apparence de désordre, provoquée par l‟hétérogénéité des thèmes et des registres, cache un développement à couvert rigoureux». Cette technique, qui consiste à raconter des événements aussi détachés les uns les autres, est ce qu‟on appelle une narration en plan. Elle concourt à renforcer le « farcissage » et à l‟imagerie du texte. De ce fait cette pratique, qui apparente chaque chapitre à un tableau, est réussie dans Tous les matins du monde ainsi que dans Terrasse à Rome. Chaque chapitre est construit de telle sorte que l‟histoire qu‟il raconte lui suffise. Or pour donner toujours l‟impression de séquence, car le plan est une entité de cet ensemble, Quignard laisse en suspens les détails pour revenir à la trame principale de l‟œuvre. Tel est le cas entre le chapitre XI et XX de Tous les matins du monde. Dans cet intervalle le narrateur quignardien interrompt le récit de Sainte Colombe et ses visitations pour raconter les turpitudes de Marin Marais, de Madeleine et de Toinette. L‟enchâssement d‟autres histoires dans la trame narrative principale contribue non seulement à éclater le récit et provoque par conséquent sa fragmentation, mais aussi à le morceler à telle enseigne que chaque chapitre pourrait être lu comme un fragment, comme une image. La narration en plan fixe s‟est imposée dans Tous les matins du monde, puisqu‟aucune autre forme de narration ne serait plus adéquate pour refléter les images que Pascal Quignard cherche à faire voir à travers les mots. Cette manière de raconter sous forme de tableaux ou de plans n‟est pas sans doute faite par hasard. Elle rassemblerait à un programme prémédité dans la mesure où la façon, dont les récits de Tous les matins du monde et Terrasse à Rome sont racontés, concourt à privilégier une narration imagée au détriment d‟une narration romanesque dont un travail méticuleux, fait sur la forme, l‟éloignerait de la visualité. Dans cette perspective, Pascal Quignard, en refusant de produire un scénario en collaboration avec celui qui a adapté le roman au cinéma, Alain Corneau, s‟efforce d‟être le plus près possible de l‟image, d‟autant plus qu‟il avait fait un vœu de produire « un livre filmique ». Il n‟est pas étonnant donc d‟entendre Pascal Quignard préciser dans une interview que le livre a été initialement écrit dans « l‟hypothèse d‟un film 104». Dès lors, l‟auteur n‟épargnera aucun détail afférant à la narration cinématographique pour afin produire une œuvre dont la visualité et les effets filmiques, très manifestes, prennent le dessus sur la verbalité. La narration en plan, dans les deux romans, est somme toute une méthode concoctée dans le but de montrer plus que de parler, dans la mesure où les récits s‟inclinent davantage vers l‟image, vu la manière dont chaque œuvre est structurée.

Une écriture imagée

   Le monde d‟aujourd‟hui est marqué par un entrecroisement des médias et un développement remarquable des moyens de communication. Cet entrecroisement ne se limite pas seulement entre les médias, il se répercute dans le monde des arts et entraîne une interaction entre eux et surtout entre la littérature et le cinéma. Ces deux arts sont entrés dans une ère de mimèsis réciproque. Dans le domaine de la littérature aussi bien que dans celui du cinéma, des ressemblances surgissent de part et d‟autre. C‟est sous ce rapport que Jacqueline Viswanathan nous invite à faire maintenant la distinction entre deux catégories d‟écrivains : On peut noter les différences entre ciné-roman de cinéastes écrivains et cinéromans d‟écrivains cinéastes. Les premiers usent librement des procédés narratifs romanesques et d‟un style littéraire alors que Margueritte Duras et Alain Robbe-Grillet, fascinés par la nouveauté d‟une écriture cinématographique, en exploitent plutôt tout ce qui la distingue de la « littérature ». C‟est cette imitation mutuelle qui est à l‟origine de la présence de nombreuses références cinématographiques implicites et explicites dans la littérature. Dès lors les structures des médias sont dans une phase de migration réciproque. Le cinéma, cadet dans la famille des arts, a souvent emprunté à la littérature depuis sa naissance. Bien que ces deux arts soient distincts, on a souvent fait des rapprochements entre eux. Mais ces rapprochements étaient unilatéraux, c‟est-à-dire on n‟a jamais donné de l‟importance à l‟influence du cinéma sur la littérature auparavant ou plutôt à celle du cinéma sur le roman. De nombreuses études ont été faites sur ces deux arts, mais la préférence était portée sur l‟influence de la littérature sur le cinéma. C‟est ainsi qu‟un éminent critique du nom de Gérard Genette, théoricien de la narratologie littéraire qui a inspiré la narratologie cinématographique, souligne cette influence de la littérature sur le cinéma. Antoine Costa, en paraphrasant Gérard Genette, l‟appelle, dans un langage technique et attractif, « l’effet rebound de la littérature sur le cinéma ». Cet emprunt ou plutôt, comme dit Antoine Costa dans son article, ce pillage est matérialisé par l‟adaptation de nombreuses œuvres littéraires au cinéma. C‟est ce qui pousse d‟ailleurs André Bazin à développer son concept de l’impureté cinématographique. Cette dette du cinéma envers la littérature, Antoine Costa la témoigne en ces termes : Depuis sa naissance, le cinéma a systématiquement pillé la littérature, en tirant d‟elle les histoires à raconter et transposant en images, souvent pour un public analphabète, les classiques et les livres à succès. Mais il a surtout cherché à incorporer le dispositif de la narration littéraire. C‟est cette migration des caractéristiques spécifiques à un médium dans un autre, c‟est-à-dire ce transfert de procédés d‟un média à un autre, qui autorise leur recyclage. La littérature, eu égard à sa capacité d‟accueillir dans son sein d‟autres arts, « semble être, selon Jürgen Ernest Müller, en connivence avec les médias ». Le cinéma, dans son état de balbutiement, ne pouvait en effet s‟empêcher de puiser dans le réservoir de la littérature des procédés et des thèmes, et ça et là en attendant de conquérir ses lettres de noblesse ou d‟avoir droit de cité dans l‟univers artistique. En ce sens Paulin S.Vieyra montre que le cinéma était, à ses débuts, sous le joug de ses aînés : […] le cinéma a commencé par être d‟abord conditionné par les autres arts. Que soit le théâtre ou la peinture, la musique, la sculpture ou la littérature, chacun des arts apportant des éléments particuliers à l‟affirmation du langage cinématographique. Cette dépendance du cinéma, quand il était dans un état embryonnaire, nous semble être très normale. Il fallait qu‟il trouvât des béquilles sur lesquelles il s‟appuyât pour « apprendre à marcher seul », c‟est-à-dire de se libérer de son hétéronomie. Et ces points d‟appui ne pouvaient qu‟être ses aînés. Mais avant qu‟il ait conquis son droit de cité, le cinéma, selon Jürgen Ernest Müller, André Gauldreault et Philippe Marion, devait traverser comme tout autre art d‟ailleurs deux phases transitoires pour enfin s‟engager dans une troisième et dernière phase qui est celle de « l‟indépendance » : Une phase marquée par la subordination aux institutions environnantes, qui fut suivie par une deuxième phase se caractérisant par un processus de détachement de l‟environnement institutionnel préexistant et, enfin, par une troisième phase qui consiste en période d‟insubordination, condition nécessaire à l‟institutionnalisation/autonomisation du cinéma. Cependant, cette sujétion ne dura pas longtemps. A partir du XX e siècle avec l‟arrivée des praticiens très savants dans le septième art, comme Sergueï Eisenstein, avec ses théories sur le montage ; Griffith, Georges Méliès, par la découverte du truquage purement occasionnée par le hasard ; pour ne citer que ceux-là, et les découvertes scientifiques et le développement de la technologie optique, le cinéma se libère dès lors de son hétéronomie et s‟affirme comme un véritable art, car il a su se frayer son propre chemin. Mieux encore il a su supplanter ses aînés de leur trône. C‟est pourquoi Vieyra, quelques lignes après, souligne la rapidité de sa libération et la place de choix qu‟il occupe, dans le monde artistique, en ces termes : « […]. Il s‟est par ailleurs vite affirmé, pour se distinguer des autres arts au point qu‟il se présente maintenant comme le plus important135 ». L‟ensemble de ces éléments, concourant à le rendre autonome et en lui octroyant le même degré de consistance que celui de ses aînés, en accentuant les rapports entre la littérature, le cinéma, la peinture, la musique, etc. De ce fait, le cinéma, un art purement visuel, ne manque pas d‟influencer les autres médiums. Ainsi, ne pouvant pas résister au forcing du cinéma, ces derniers cèdent à sa tentation, c‟est-à-dire ils imitent son mode de paraître. Cette suprématie du cinéma, grâce à ses techniques et son savoir faire sophistiqués et dynamiques, change le paradigme ou l‟ordre de l‟influence et pousse certains penseurs à auréoler le cinéma. Tel est le cas du président russe, Lénine qui soutient mordicus que : « De tous les arts, le cinéma est le plus important 136». La nouvelle tendance, qui règne dans « le gynécée » de l‟Art, est ce qu‟on peut baptiser, en prenant le contre-pied de la pensée de Gérard Genette, « l‟effet rebound du cinéma sur la littérature », c‟est-à-dire un renversement de la tendance de l‟influence. Celle-ci n‟est plus unilatérale, elle est, en remettant en question la parcellisation des arts comme la théorise Lessing dans son Laocoon, devenue mutuelle, voire multilatérale. En d‟autres termes la littérature « […] évoque ou imite des éléments, voire des structures spécifiques [au cinéma] […] et dont la configuration a été réalisée par l‟emploi de techniques qui lui sont étrangères par nature». « Cet effet rebound du cinéma sur la littérature » est, en effet, rendu visible par les travaux des chercheurs canadiens et allemands. Nous ne sommes pas sans savoir, grâce à ces travaux, que le caractère unilatéral de l‟influence s‟est transformé en réciprocité. Dès lors Pascal Quignard, auteur prolifique et féru des arts, tente d‟associer dans son roman Tous les matins du monde l‟esthétique filmique et l‟esthétique littéraire. Cette symbiose subtile, dans son roman, est observable et patente pour un lecteur attentif et surtout pour les cinéphiles. La description psychologique est un phénomène très marquant dans la trame narrative du roman traditionnel. Elle est un moyen efficace permettant au narrateur de rendre compte les sentiments, les inquiétudes et la peur de ses personnages. Elle semble être, dans le roman traditionnel, une passerelle sans laquelle le lectorat n‟aurait pas accès à la vie interne des personnages. Mais ce pont incontournable, permettant d‟extérioriser l‟intériorité des personnages, est, dans Tous les matins du monde de Pascal Quignard, supplée par une technique d‟écriture inhérente à la description cinématographique : la visualité. Le récit quignardien, dans Tous les matins du monde, est presque dépourvu de description psychologique. A l‟instar de la caméra au cinéma, Quignard remplace la description psychologique par la visualité qui se manifeste à travers la description des fragments du corps (une main, une nuque, des lèvres etc.) et l‟arrêt du regard du lecteur/spectateur sur des objets (la gaufrette, le verre de vin, le morceau de velours de Gênes vert…). À l‟encontre de la manière traditionnelle de raconter, Pascal Quignard tâche de montrer ses personnages comme l‟aurait fait la caméra. Contrairement à ce que pense Gérard Genette de la description dans la littérature : « À la différence du cinéaste, le romancier n‟est obligé de mettre sa caméra quelque part : il n‟a pas de caméra», On a l‟impression que, comme dit Genette ultérieurement en se repentant de cette assertion rédhibitoire: « Il est vrai qu‟il peut aujourd‟hui, effet en retour d‟un médium sur l‟autre, feindre d‟en avoir une», Pascal Quignard fait la description à travers l‟œil d‟une caméra. La comparaison entre les arts figuratifs et la littérature existe depuis l‟Antiquité. À cette époque, on pensait que la littérature et la peinture formaient un ensemble homogène. On a toujours considéré un bon poète comme un peintre, car tous les deux cherchaient à peindre d‟après nature. La description littéraire cherche à suggérer, par le biais des mots, des images voire des visions. Cette manière de décrire, qui se veut visuelle, est définie par Philippe Hamon comme : « […] un discours qui expose la chose dont on parle de façon qu‟elle paraisse être mise en évidence sous les yeux. ». Cependant cette comparaison et la ressemblance entre les arts sont remises en cause par l‟écrivain allemand Lessing. Ce dernier considère la théorie des critiques d‟alors comme simpliste et obtuse. Dans son Laocoon, Lessing confère à chaque art sa propre autonomie. Pour lui, la peinture et la littérature ne sauraient être esthétiquement analogues. D‟après sa théorie de l‟art, Lessing s‟opposerait très certainement à ce que nous appelons aujourd‟hui l‟intermédialité, s‟il était vivant. Sa conception de l‟art relève de la méthode métaphysicienne de voir les choses. Celle-ci voit en chaque art un ensemble fermé sans possibilité d‟entretenir un quelconque rapport avec les autres. Cette théorie, elle, est pour nous réductrice. Elle cloisonne chaque art dans un cercle vicieux et tient ainsi le sens en otage. L‟écriture de Tous les matins du monde tend vers le cinéma par la place prépondérante qu‟y occupe l‟image. Le mérite de Pascal Quignard, dans cet ouvrage, consiste à élaguer totalement ou du moins partiellement la description psychologique de la trame narrative et à la remplacer par une description visuelle. D‟ailleurs le refus de Pascal Quignard de se plier aux canons romanesques traditionnels est matérialisé par « la violation des lois narratives [traditionnelles] internes au roman », par le biais du phénomène de la fragmentation, car il manifeste un « dégoût qui n‟a pas de remède devant les phrases creuses qui meublent entre les arguments [dans le roman traditionnel]». Dès lors, Pascal Quignard, dans Tous les matins du monde, déroge à la convention romanesque traditionnelle. Ce déphasage, pris vis-à-vis du roman traditionnel, Jean-Luc Vincent en parle en ces termes : Avec Tous les matins du monde, l‟enjeu se déplace : Quignard semble tenter une chose cachée, plus sourde, moins évidente. Il refuse la forme romanesque traditionnelle pour raconter une histoire en évitant les « ligatures », les « phrases creuses qui meublent les arguments », en y laissant des blancs et des silences. Pascal Quignard, eu égard à sa façon de raconter l‟histoire de Monsieur de Sainte Colombe dans Tous les matins du monde, lance, sans nul doute, un défi au roman traditionnel. Il semble que Quignard veut imposer une nouvelle vision de la littérature ou plutôt de la littérarité. Dans son roman, Tous les matins du monde, Quignard essaie non seulement de peindre et d‟animer comme le font respectivement le peintre et le cinéaste, mais aussi de faire voir. Ainsi l‟œuvre prend le contre-pied du roman traditionnel et s‟érige en « récalcitrant » vis-àvis de ce dernier. Mais la question qui s‟impose est comment, à travers la description et avec des mots seulement, Quignard parvient-il à faire voir ? La description de Pascal Quignard, avec sa netteté, a la force d‟évoquer la visualité dans l‟esprit du lecteur. Dès l‟incipit, le narrateur utilise une sorte de plan d‟ensemble pour faire voir la situation de Monsieur de Sainte Colombe, son cadre de vie ainsi que sa relation avec ses deux filles, Madeleine et Toinette. Monsieur de Sainte Colombe est un veuf et un musicien d‟une aura extraordinaire. Bien qu‟il soit un maître dans l‟art de la viole, Monsieur de Sainte Colombe préfère la vie campagnarde et décline l‟invitation du roi afin de ne pas pirouetter devant lui comme le fera plus tard Marin Marais et de vivre dans la solitude pour pratiquer et perfectionner son art en toute quiétude. A l‟instar de son personnage principal, Monsieur de Sainte Colombe, Quignard lui aussi, dans un entretien avec Chantal Despeyre-Desmaison, avoue avoir rompu toutes ses relations et être démis de toutes ses fonctions pour vivre en paix et loin du tapage urbain : Je ne prends plus le téléphone. Je n‟ai plus de fax. J‟ai renoncé il y‟a plusieurs années à l‟e-mail que m‟avait installé à la maison un ami chinois pour tromper la censure. […] C‟est si étrange : les lettres par la poste restent plus sûres et surtout plus secrètes, pour peu qu‟elles soient distribuées. Cela me convient très bien. […] Bref on ne me sonne plus. C‟est un plaisir extraordinaire. Je n‟ai plus aucune position sociale, je n‟appartiens plus à aucun groupe, aucune secte, aucune religion, aucun club. Je n‟ai aucun salaire à défendre à partir de quoi on puisse me faire chanter. Il apparaît clair que l‟isolement et la coupure de toute relation avec le monde extérieur de Pascal Quignard font écho à la solitude de Monsieur de Sainte Colombe. Il semble que Pascal Quignard ait médité la leçon que Arthur Schopenhauer donne pour celui qui veut être libre : « on ne peut être vraiment soi qu‟aussi longtemps qu‟on est seul. Qui n‟aime pas la solitude n‟aime pas la liberté ». Le thème de la solitude et celui du mutisme occupent une place centrale dans l‟œuvre de Quignard. Dès les propos liminaires du roman, Pascal Quignard utilise une sorte de panoramique, en guise d‟introduction, afin de nous montrer le cadre de vie de Monsieur de Sainte Colombe : Il vivait avec ses deux filles dans une maison qui avait un jardin qui donnait sur la Bièvre. Le jardin était étroit et clos jusqu‟à la rivière. Il y avait des saules sur la rive et une barque dans laquelle Sainte Colombe allait s‟asseoir le soir quand le temps était agréable. Par une sorte de mouvement de grue, Quignard nous donne d‟abord un plan d‟ensemble de la maison de Monsieur de Sainte de Colombe : « Il vivait avec ses deux filles dans une maison qui avait un jardin qui donnait sur la Bièvre». Après ce survol pour donner une vue d‟ensemble au lecteur, le narrateur rend la description décroissante. Il quitte le plan d‟ensemble pour en arriver au plan moyen. Il nous montre « le jardin [qui] était étroit clos jusqu‟à la rivière ». Enfin il passe au plan détaillé pour mettre sous les yeux du lecteur les éléments qui sont autour ou près du jardin : « il y avait des saules sur la rive et une barque dans laquelle Sainte Colombe allait s‟asseoir le soir quand le temps était agréable ». Comme au cinéma où le réalisateur, pour camper le décor et attirer l‟attention du spectateur, montre d‟abord les plans d‟ensemble ensuite les plans détaillés, Quignard transpose ainsi ce processus propre à la manière de raconter au cinéma dans son roman. Ce passage de l‟incipit fait penser aux séquences de film qui, par l‟entremise du mouvement de la caméra, concentrent le regard du spectateur sur le paysage qui encercle le protagoniste, ensuite la demeure de ce dernier et pour enfin nous le faire voir dans sa quotidienneté à travers des plans moyens, italiens150, américains151, voire détaillés afin de faire son portrait physique. La description se fait, mieux, plus cinématographique avec le motif de la sempiternelle focalisation faite sur les mains des protagonistes. C‟est une obsession ou plutôt un leitmotiv, chez Quignard, le fait d‟attirer le regard du lecteur sur les mains des différents personnages du roman en l‟occurrence celles de Monsieur Sainte Colombe, celles de Marin Marais, celles de l‟abbé Mathieu richement garnies de bagues, de Monsieur Caignet gantées, etc. Quignard est, à coup sûr, influencé par la technique de filmer au cinéma. Ces méthodes, qui consistent à montrer au cinéma un objet ou un être vivant dans ces différentes parties, sont appelées des arrêts sur l‟image. Dans le cas de Tous les matins du monde, c‟est la technique de monstration qui, en évoquant la visualité, retient l‟attention du lecteur. Le roi, curieux et impatient de compter Monsieur de Sainte Colombe parmi ses musiciens, envoie à nouveau, après le premier refus du maître dans l‟art de la viole, Monsieur Caignet accompagné par l‟abbé Mathieu pour le persuader de venir produire à la cour. Cette visite chez Monsieur de Sainte Colombe est un moment crucial qui permet à Quignard de se rapprocher davantage de l‟écriture cinématographique et de produire un effet cinéma au moyen d‟une description visuelle. La focalisation sur les mains des protagonistes dans cet extrait a en effet facilité à Quignard la mise en scène de ce qu‟on peut appeler « la bataille des mains » et l‟opposition de deux générations, dont l‟une est marquée par l‟ancrage dans les valeurs traditionnelles et l‟autre éprise de l‟esprit de snobisme et de modernité. Cette analogie entre le monde de Monsieur de Sainte Colombe et celui des gens du roi, via le motif des mains, fait écho à la Querelle des Anciens et les Modernes, débat qui faisait rage au XVII siècle.

Une syntaxe filmique

   La syntaxe est l‟agencement des mots et des phrases dans un texte. Elle est aussi, selon le petit Robert, « l‟étude descriptive des relations existants entre les unités linguistiques et leurs fonctions ». Nous parlons de syntaxe filmique dans les ouvrages du corpus dans la mesure la manière dont la description prend en charge des éléments de la trame narrative évoque constamment la technique de monstration propre au cinéma. En effet cette façon de procéder instaure, dans Terrasse à Rome ainsi que dans Tous les matins du monde, la diversité de style insinuant une syntaxe dont le substrat est la narration cinématographique. La manière avec laquelle Quignard raconte et produit ses deux ouvrages est spécifique. Il utilise un style que l‟on peut qualifier de paratactique. Il fait dérouler les événements comme une caméra l‟aurait fait. Pour réussir ce défi, il adopte une posture éminemment cinématographique. Si nous lecteurs, nous prêtons une attention particulière à la vitesse du récit quignardien dans les deux romans, en l‟occurrence Tous les matins du monde et Terrasse à Rome, nous nous rendons compte que le narrateur quignardien fait progresser le récit en employant ce que l‟on appelle, au cinéma, l‟ellipse et des sauts de pages ou des blancs en littérature. Cette narration elliptique saute à l‟œil nu dans ces deux romans. Elle participe non seulement à rythmer le récit, mais aussi à l‟accélérer, car Pascal Quignard abhorre s‟attarder sur des détails. D‟ailleurs, c‟est la raison pour laquelle il explique dans son livre Une gêne technique à l’égard des fragments185 : « […] mon ambition est de dire en dix phrases ce que cet autre ne dit pas en un livre186». Cette inclination à vouloir tout dire en peu de phrases l‟incite sans doute à choisir certaines méthodes propices à la réalisation des buts qu‟il s‟est fixé. Quignard, conscient que pour s‟acquitter de la dette de tout dire en étant le plus succinct possible, fait recours à l‟ellipse. Cette dernière peut être définie comme la suppression d‟un élément, un raccourci qui pousse le spectateur, au cinéma, et le lecteur, en littérature, à imaginer ce qui aurait dû se passer entre deux scènes. L‟ellipse fait, d‟ailleurs, nécessairement partie du fait artistique cinématographique tout comme des autres arts puisque dès qu‟il y a activité artistique, il y‟a choix. Dans cette perspective, nous partageons l‟idée de Marcel Martin selon laquelle : « Le cinéaste, comme le dramaturge et le romancier, choisit des éléments et les ordonne en une œuvre». La narration elliptique est très prisée par Quignard dans Tous matins du monde et Terrasse à Rome. A titre d‟exemple, une très belle ellipse a permis à Quignard, dans Terrasse à Rome, d‟accélérer le récit qui semblait être dans un état léthargique, c‟est-à-dire stagné. Entre la séparation de Nanni Veet Jakobsz et de Meaume le graveur, après qu‟elle lui a signifié que « [sa] porte [lui] est à jamais fermée [et qu‟ils] ne se reverront plus […]188 », il s‟est passé environ un mois, mais le narrateur, par le truchement de l‟ellipse, rebondit sur une nouvelle rencontre entre les amants séparés: « Quelques jours plus tard, un matin d‟août 1639, un très beau jour, Nanni l‟éveille 189». Il tronque le récit et fait la bouche bée sur certains pans de l‟histoire. Cela permet à Quignard de gagner en temps et de faire un silence sur ce qui se serait passé entre Nanni Veet Jakobsz et son fiancé, Valancre, après que celui-ci a découvert l‟infidélité de son amante. Ce mutisme ou blanc de page est une invitation au lecteur de faire un effort participatif qui lui permettrait, pour reprendre l‟expression d‟Umberto Eco, « de remplir les interstices190 » ou les non-dits du texte. L‟ellipse est, en effet, plus marquante dans ce passage de Tous les matins du monde : « Monsieur Marais inclina la tête. Il s‟empresse. Il se penche aussitôt sur la viole pour l‟accorder plus soigneusement qu‟il n‟avait fait et joua le Badinage en si. « C‟est bien père. C‟est très bien ! » dit Toinette quand il eut fini de jouer et elle applaudit 191». Une étape est passée sous silence. On sait que Marais à jouer, mais le comment il a joué nous est privé. Le narrateur préfère se taire comme dans l‟exemple précédent. La syntaxe filmique se manifeste, en outre, dans les ouvrages du corpus à partir des techniques d‟enchâssement et des pauses régulières qui perturbent, en quelque sorte, la périodicité de l‟histoire ou des histoires narrées. Le narrateur se plait, durant la narration, à alterner les lieux en suspendant l‟histoire en cours. Ainsi, par le biais de ce procédé, ilparvient à montrer plusieurs lieux et à présenter, progressivement, au lecteur les différentes péripéties dans lesquelles se trouvent ses personnages. En ce sens la narration évoque une technique cruciale au sept art : le montage alterné. Il y a, de ce fait, dans sa description une alternance de lieux et de descriptions faites sur les protagonistes. C‟est dans ce sens que la trame narrative manque, pour le dire ainsi, de consistance en devenant fragmentaire. Elle est comme concassée par de multiples détails qui viennent se superposer ou s‟insérer en elle. Ces bribes de vie greffées dans la trame ne sont pas sans effet dans les ouvrages du corpus. Elles évitent la langueur dont les longues descriptions occasionnent et participent à rythmer la narration. La syntaxe filmique est par ailleurs illustrée dans les ouvrages de nos corpus par un procédé typiquement quignardien : la fragmentation de l‟écriture. Elle est certes employée par certains auteurs, comme La Bruyère dans ses Caractères, mais, si on l‟on croit Jacqueline Viswanathan, la fragmentation est l‟une des caractéristiques les plus cruciales de l‟écriture scénaristique. Elle est, pour reprendre l‟expression de Abdoulaye Diouf, un mode d‟apparaître propre aux deux arts, en l‟occurrence la littérature et le cinéma, car elle apparente la disposition des chapitres à un archipel. Il est donc clair que la fragmentation n‟est pas seulement l‟apanage d‟un seul art ; il est, en quelque sorte, une technique de certains arts, en l‟occurrence la littérature, le cinéma, la peinture etc. Elle est, selon son vulgarisateur, « […] une violence faite ou subie, un cancer qui corrompt l‟unité d‟un corps, et qui désagrège 192[…] ». Cette métaphore de la désagrégation, dont use Pascal Quignard pour parler de la fragmentation, nous suggère un récit construit dont les différents chapitres ou parties entretiennent le moins de rapport possible. La fragmentation de l‟écriture quignardienne s‟opère à travers la superposition de chapitres courts qui, toujours, d‟après Abdoulaye Diouf, sont « […] juxtaposés les uns à côté des autres sous forme de fragment ou de tableau, sans parfois cet effort de mise en relation par lequel le texte mime le refus quignardien du grand récit 193». La syntaxe filmique se manifeste, au demeurant, chez Quignard par la pratique de l‟écriture paratactique. Cette dernière est une écriture sans effort de coordination ni de subordination, fondée sur un enchaînement par asyndète. Pascal Quignard, en pratiquant cette forme d‟écriture, semble avoir horreur de tout ce qui est connecteur. L‟usage de l‟écriture paratactique est toutefois bénéfique, car il facilite non seulement une écriture purement imagée, mais aussi contribue à renforcer la syntaxe filmique et occasionne en même temps des effets de rapidité du récit. Cet effet se fait sentir dès les lignes liminaires de Tous les matins du monde : Au printemps de 1650, Madame de Sainte Colombe mourut. Elle laisse deux filles âgées de deux et six ans. Monsieur de Sainte Colombe ne se consola pas de la mort de son épouse. Il l‟aimait. C‟est à cette occasion qu‟il composa le Tombeau des Regrets. Cette narration par jet se fait le plus sentir dans ce passage de Terrasse à Rome où Nanni Veet Jakobsz vient sommer Meaume de quitter la ville, car Valancre, qui avait défiguré son visage en lui jetant de l‟eau-acide, décide d‟en finir avec lui. Après un entretien tendu avec sa concubine, Meaume, « […] se lève, s‟habille, descend deux étages, se rend dans les appartements privés de son maître, s‟entretient avec lui et son épouse. Il part sans délai ». Ce passage qui aurait dû prendre une page voire des pages est résumé en quelques bribes de petites unités toujours selon le principe de la parataxe. La fragmentation de l‟écriture quignardienne, qui occasionne dans les ouvrages de notre corpus un effet de syntaxe filmique, se matérialise aussi à travers la superposition et l‟enchâssement dans la trame narrative d‟autres fragments d‟histoires. Cela occasionne la sporadicité du récit et donne l‟impression à l‟ouvrage de Pascal Quignard d‟être un creuset d‟historiettes. C‟est ce fourmillement de fragments qui fait dire à Walled K. Alwan que dans Terrasse à Rome : Nous ne connaissons pas toujours la fin des récits comme c‟est le cas d‟Abraham Van Berchem, et d‟Eugenio qui se suicide […] [et même] lorsque nous la connaissons, nous ignorons souvent le début : le commencement de l‟histoire. La possibilité d‟une lecture de syntaxe filmique s‟est réalisée dans Tous les matins du monde ainsi que dans Terrasse à Rome grâce à l‟utilisation de certaines techniques qui rendent le texte a priori sporadique et haché. Ce sont la sporadicité et le hachage du texte qui produisent l‟effet de fragmentation qui entraîne dans la même foulée l‟effet de syntaxe filmique. Ce sont, somme toute, les oscillations de la narration qui permettent, dans les ouvrages du corpus, d‟évoquer le mode de paraître de la narration filmique.

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Table des matières

INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : LA LITTERACIE DE L‟IMAGE CHEZ PASCAL QUIGNARD
CHAPITRE I : LA PHILOSOPHIE DE L‟IMAGE CHEZ PASCAL QUIGNARD
1. 1 L‟image comme mode de pensée du personnage quignardien
1.2. Une écriture sur l‟image : une pratique de l‟ekphrasis
1.3. Une illusion d‟exposition
CHAPITRE II : LES OCCURRENCES DE L‟IMAGE DANS LE TEXTE QUIGNARDIEN
2.1. Une narration en plan ou une narration en prise de vue
2.2. Une narration séquentielle
2.3. Une narration elliptique : la description littéraire et l‟image cinématographique
DEUXIEME PARTIE : LA RECURRENCE DE L‟IMAGE ET LES EFFETS CINEMATOGRAPHIQUES
CHAPITRE III : LE RECIT QUIGNARDIEN ET L‟IMAGE
3.1. Une écriture imagée
3.2. Une méthode scripturale scénaristique
3.3 Une syntaxe filmique
CHAPITRE IV : LES EFFETS DES TECHNIQUES VISUELLES
4.1. Effet de flash-back
4.2. Effet de fondu enchaîné
4.3. Effet de coupe nette ou coupe franche
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE

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